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LIVRE DEUXIÈME.

XXII.

Des passions.

Toutes les passions roulent sur le plaisir et la douleur, comme dit M. Locke1 : c'en est l'essence et le fonds.

Nous éprouvons, en naissant, ces deux états: le plaisir, parcequ'il est naturellement attaché à être; la douleur, parcequ'elle tient à être imparfaitement.

Si notre existence étoit parfaite, nous ne connoîtrions que le plaisir. Étant imparfaite, nous devons connoître le plaisir et la douleur : or c'est de l'expérience de ces deux contraires que nous tirons l'idée du bien et du mal.

Mais comme le plaisir et la douleur ne viennent pas à tous les hommes par les mêmes choses, ils attachent à divers objets l'idée du bien et du mal, chacun selon son expérience, ses passions, ses opinions, etc.

Il n'y a cependant que deux organes de nos biens et de nos maux : les sens et la réflexion. Les impressions qui viennent par les sens sont immédiates et ne peuvent se définir; on n'en connoit pas les ressorts; elles sont l'effet du rapport qui est entre les choses et nous; mais ce rapport secret ne nous est pas connu.

Les passions qui viennent par l'organe de la réflexion sont moins ignorées. Elles ont leur principe dans l'amour de l'être ou de la perfection de l'être, ou dans le sentiment de son imperfection et de son dépérissement.

Nous tirons de l'expérience de notre être une idée de grandeur, de plaisir, de puissance, que nous voudrions toujours augmenter : nous prenons dans l'imperfection de notre être une idée de petitesse, de sujétion, de misère, que nous tâchons d'étouffer: voilà toutes nos passions.

Il y a des hommes en qui le sentiment de

1 Locke (Jean), mort en 1704, auteur de l'Essai sur l'entendement humain, ouvrage excellent, traduit en françois par

Coste, en 1729. F.

l'être est plus fort que celui de leur imperfection; de là l'enjouement, la douceur, la modération des desirs.

Il y en a d'autres en qui le sentiment de leur imperfection est plus vif que celui de l'être; de là l'inquiétude, la mélancolie, etc.

De ces deux sentiments unis, c'est-à-dire celui de nos forces et celui de notre misère, naissent les plus grandes passions; parceque le sentiment de nos misères nous pousse à sortir de nous-mêmes, et que le sentiment de nos ressources nous y encourage et nous porte par l'espérance. Mais ceux qui ne sentent que leur misère sans leur force, ne se passionnent jamais autant, car ils n'osent rien espérer; ni ceux qui ne sentent que leur force sans leur impuissance, car ils ont trop peu à desirer: ainsi il faut un mélange de courage et de foiblesse, de tristesse et de présomption. Or, cela dépend de la chaleur du sang et des esprits; et la réflexion qui modère les velléités des gens froids encourage l'ardeur des autres, en leur fournissant des ressources qui nourrissent leurs illusions vient que les passions des hommes d'un esprit profond sont plus opiniàtres et plus invincibles, car ils ne sont pas obligés de s'en distraire comme le reste des hommes, par épuisement de pensées; mais leurs réflexions, au contraire, sont un entretien éternel à leurs desirs, qui les " échauffe; et cela explique encore pourquoi ceux qui pensent peu, ou qui ne sauroient penser long-temps de suite sur la même chose, n'ont que l'inconstance en partage.

XXIII.

d'où

De la gaieté, de la joie, de la mélancolie.

Le premier degré du sentiment agréable de notre existence est la gaieté : la joie est un sentiment plus pénétrant. Les hommes enjoués n'étant pas d'ordinaire si ardents que le reste des hommes, ils ne sont peut-être pas capables des plus vives joies; mais les grandes joies durent peu, et laissent notre ame épuisée.

Lagaieté, plus proportionnée à notre foiblesse

2 Nous éprouvons, etc. Je ne sais si on peut dire éprouver un état. On éprouve une impression qui passe. Etre imparfai- que la joie, nous rend confiants et hardis.

tement n'explique pas ce que c'est qu'étre douloureusement. M.

Le plaisir n'est pas naturellement attaché à être, car on existe souvent sans plaisir ni douleur. Etre imparfaitement donneroit plutôt l'idée du desir que de la douleur. S.

Nous porte par l'espérance, etc. Il semble qu'il faudroit nous y porte (à sortir de nous-mêmes). Autrement porte seroii employé là d'une manière qui n'est pas commune. M.

donne un être et un intérêt aux choses les moins | être réel est une préférence bien incontestable importantes, fait que nous nous plaisons par instinct en nous-mêmes, dans nos possessions, nos entours, notre esprit, notre suffisance, malgré d'assez grandes misères.

Cette intime satisfaction nous conduit quelquefois à nous estimer nous-mêmes, par de très frivoles endroits; il me semble que les personnes enjouées sont ordinairement un peu plus vaines que les autres.

D'autre part, les mélancoliques sont ardents, timides, inquiets, et ne se sauvent, la plupart, de la vanité, que par l'ambition et l'orgueil.

XXIV.

de la gloire, et qui justifie la distinction que quelques écrivains ont mise avec sagesse entre l'amour-propre et l'amour de nous-mêmes. Ceux-ci conviennent bien que l'amour de nousmêmes entre dans toutes nos passions; mais ils distinguent cet amour de l'autre. Avec l'amour de nous-mêmes, disent-ils, on peut chercher hors de soi son bonheur; on peut s'aimer hors de soi davantage que son existence propre ; on n'est point à soi-même son unique objet. L'amour-propre, au contraire, subordonne tout à ses commodités et à son bien-être ?; il est à luimême son seul objet et sa seule fin de sorte qu'au lieu que les passions, qui viennent de l'amour de nous-mêmes, nous donnent aux

De l'amour-propre et de l'amour de nous-mêmes. choses, l'amour-propre veut que les choses se

L'amour est une complaisance dans l'objet aimé. Aimer une chose, c'est se complaire dans sa possession, sa grâce, son accroissement; craindre sa privation, ses déchéances, etc.

donnent à nous, et se fait le centre de tout.

Rien ne caractérise donc l'amour-propre, comme la complaisance qu'on a dans soi-même et les choses qu'on s'approprie.

L'orgueil est un effet de cette complaisance. Comme on n'estime généralement les choses qu'autant qu'elles plaisent, et que nous nous plaisons si souvent à nous-mêmes devant toutes choses; de là ces comparaisons toujours injustes qu'on fait de soi-même à autrui, et qui fondent tout notre orgueil.

Plusieurs philosophes rapportent généralement à l'amour-propre toute sorte d'attachements. Ils prétendent qu'on s'approprie tout ce que l'on aime, qu'on n'y cherche que son plaisir et sa propre satisfaction, qu'on se met soimême avant tout; jusque-là qu'ils nient que celui qui donne sa vie pour un autre, le préfère à soi. Ils passent le but en ce point: car si l'objet de notre amour nous est plus cher sans l'être, que l'être sans l'objet de notre amour, il paroît que c'est notre amour qui est notre passion dominante, et non notre individu propre ; puisque tout nous échappe avec la vie, le bien que nous nous étions approprié par notre amour, comme notre être véritable. Ils répondent que la passion nous fait confondre dans ce sacrifice notre vie et celle de l'objet aimé; que nous croyons n'abandonner qu'une partie de nous-mêmes pour conserver l'autre : au moins ils ne peuvent nier que celle que nous conservons nous paroît plus considérable que celle que nous aban-bons écrivains ont commis la méme faute. S. donnons. Or, dès que nous nous regardons comme la moindre partie dans le tout, c'est une préférence manifeste de l'objet aimé. On peut dire la même chose d'un homme qui, volontairement et de sang-froid, meurt pour la gloire; la vie imaginaire qu'il achète au prix de son

Mais les prétendus avantages pour lesquels nous nous estimons étant grandement variés, nous les désignons par les noms que nous leur avons rendus propres. L'orgueil qui vient d'une confiance aveugle dans nos forces, nous l'avons nommé présomption; celui qui s'attache à de petites choses, vanité; celui qui est courageux, fierté..

I

propre. Cela n'est pas correct. Davantage est un adverbe de 1 On peut s'aimer hors de soi davantage que son existence comparaison, mais qui s'emploie absolument, sans être suivi de la conjonction que. Lorsque cette conjonction est nécessaire, il faut substituer plus à davantage. Il y a dans l'ouvrage de Van

venargues plusieurs autres incorrections que nous n'avons pas cru devoir relever; nous remarquons celle-ci, parce que d'assez

2 L'amour-propre, au contraire, subordonne tout à ses commodités et à son bien-être. Cette manière de distinguer l'amour de nous-mêmes de l'amour-propre, paroit plus subtile pre, seroit plutôt le caractère de ce qu'on entend par de mot que juste; et ce que Vauvenargues applique ici à l'amour-proégoïsme. Ce qu'on exprime communément par le mot d'amourpropre, c'est l'amour des choses qui nous sont propres, la com

plaisance pour nos qualités ou nos avantages personnels, plutôt que l'attention au bien-être de notre personne. S.

Tout ce qu'on ressent de plaisir en s'appro- | priant quelque chose, richesse, agrément, héritage, etc., et ce qu'on éprouve de peine par la perte des mêmes biens, ou la crainte de quelque mal, la peur, le dépit, la colère, tout cela vient de l'amour-propre.

ignoreroit que tous les hommes ne sont pas égaux par le cœur, il suffit de savoir qu'ils envisagent les choses selon leurs lumières, peutêtre encore plus inégales, pour comprendre la différence qui distingue les passions même qu'on désigne du même nom, Si différemment partagés par l'esprit et les sentiments, ils s'attachent au même objet sans aller au même intérêt 1; et cela n'est pas seulement vrai des ambitieux, mais aussi de toute passion.

XXVI.

De l'amour du monde.

L'amour-propre se mêle à presque tous nos sentiments, ou du moins l'amour de nous-mêmes; mais pour prévenir l'embarras que feroient naître les disputes qu'on a sur ces termes, j'use d'expressions synonymes, qui me semblent moins équivoques. Ainsi je rapporte tous nos sentiments à celui de nos perfections et de notre imperfection: ces deux grands principes nous portent de concert à aimer, estimer, Que de choses sont comprises dans l'amour conserver, agrandir et défendre du mal notre du monde! le libertinage, le desir de plaire, frèle existence. C'est la source de tous nos plai-l'envie de primer, etc. : l'amour du sensible et sirs et déplaisirs, et la cause féconde des pas- du grand ne sont nulle part si mêlés 2. sions qui viennent par l'organe de la réflexion. Tachons d'approfondir les principales; nous suivrons plus aisément la trace des petites, qui ne sont que des dépendances et des branches de

celles-ci.

XXV.

De l'ambition.

L'instinct qui nous porte à nous agrandir n'est aucune part si sensible que dans l'ambition '; mais il ne faut pas confondre tous les ambitieux. Les uns attachent la grandeur solide à l'autorité des emplois; les autres aux grandes richesses; les autres au faste des titres, etc.; plusieurs vont à leur but sans nul choix des moyens; quelques uns par de grandes choses, et d'autres par les plus petites: ainsi telle ambition est vice; telle, vertu; telle, vigueur d'esprit; telle, égarement et bassesse, etc.

Le génie et l'activité portent les hommes à la vertu et à la gloire : les petits talents, la paresse, le goût des plaisirs, la gaieté et la vanité les fixent aux petites choses: mais en tout c'est le même instinct; et l'amour du monde renferme de vives semences de presque toutes les passions. XXVII.

Sur l'amour de la gloire.

torité naturelle qui nous touche sans doute La gloire nous donne sur les cœurs une auautant que nulle de nos sensations, et nous étourdit plus sur nos misères qu'une vaine dissipation : elle est donc réelle en tous sens.

tiendroient peut-être avec peine le mépris ouCeux qui parlent de son néant inévitable souvert d'un seul homme. Le vide des grandes petites : les contempteurs de la gloire se piquent passions est rempli par le grand nombre des de bien danser, ou de quelque misère encore

Toutes les passions prennent le tour de notre caractère. Nous avons vu ailleurs que l'ame influoit beaucoup sur l'esprit ; l'esprit influe aussi sur l'ame. C'est de l'ame que viennent tous les sentiments; mais c'est par les organes de l'es-rét. C'est-à-dire sans voir de meme l'objet où ils s'attachent.

prit que passent les objets qui les excitent. Selon les couleurs qu'il leur donne, selon qu'il les pénètre, qu'il les embellit, qu'il les déguise, l'ame les rebute ou s'y attache. Quand donc mème on

* L'instinct qui nous porte à nous agrandir n'est aucune part si sensible que dans l'ambition. Aucune part pour nulle part, expression négligée. S.

Ils s'attachent au même objet sans aller au même inté

et sans y être portés par le même intérêt. Deux hommes veulent la même place, l'un pour l'argent et l'autre pour le crédit. Deux amants recherchent la même femme, l'un pour sa figure et l'autre pour son esprit, etc. S.

2 L'amour du sensible et du grand ne sont nulle part si mélés. C'est-à-dire, je crois, selon la manière de voir de Vauve nargues, les penchants physiques et les sentiments moraux. D'autant que dans la première édition, il ajoutoit; je parie d'un grand, mesuré à l'esprit et au cœur qu'il touche. Dans tous les cas cela n'est pas clair. S.

plus basse. Ils sont si aveugles qu'ils ne sentent pas que c'est la gloire qu'ils cherchent si curieusement, et si vains qu'ils osent la mettre dans les choses les plus frivoles. La gloire, disentils, n'est ni vertu, ni mérite; ils raisonnent bien en cela elle n'est que leur récompense; mais elle nous excite donc au travail et à la vertu, et nous rend souvent estimables afin de nous faire estimer.

Tout est très abject dans les hommes, la vertu, la gloire, la vie; mais les plus petits ont des proportions reconnues. Le chêne est un grand arbre près du cerisier; ainsi les hommes à l'égard les uns des autres. Quelles sont les vertus et les inclinations de ceux qui méprisent la gloire? L'ont-ils méritée?

XXVIII.

De l'amour des sciences et des lettres.

La passion de la gloire et la passion des sciences se ressemblent dans leur principe; car elles viennent l'une et l'autre du sentiment de notre vide et de notre imperfection, Mais l'une voudroit se former comme un nouvel être hors de nous, et l'autre s'attache à étendre et à cultiver notre fonds. Ainsi la passion de la gloire veut nous agrandir au-dehors, et celle des sciences au-dedans.

On ne peut avoir l'ame grande, ou l'esprit un peu pénétrant, sans quelque passion pour les lettres. Les arts sont consacrés à peindre les traits de la belle nature; les sciences à la vérité. Les arts et les sciences embrassent tout ce qu'il y a dans la pensée de noble ou d'utile; de sorte qu'il ne reste à ceux qui les rejettent que ce qui est indigne d'être peint ou enseigné, etc.

La plupart des hommes honorent les lettres comme la religion et la vertu ; c'est-à-dire comme une chose qu'ils ne peuvent ni connoître, ni pratiquer, ni aimer.

Personne néanmoins n'ignore que les bons livres sont l'essence des meilleurs esprits, le pré

La plupart des hommes honorent les lettres comme la religion et la vertu. Il faut comme ils honorent. On avoit copié cette pensée dans l'Encyclopédie, sans en citer l'auteur. Les journalistes de Trévoux, qui avoient fort loué l'ouvrage de Vauvenargues lorsqu'il parut, firent un crime de cette maxime aux encyclopédistes. M.

cis de leurs connoissances et le fruit de leurs longues veilles. L'étude d'une vie entière s'y peut recueillir dans quelques heures; c'est un grand secours.

Deux inconvénients sont à craindre dans cette passion: le mauvais choix et l'excès. Quant au mauvais choix, il est probable que ceux qui s'attachent à des connoissances peu utiles ne seroient pas propres aux autres; mais l'excès se peut corriger.

Si nous étions sages, nous nous bornerions à un petit nombre de connoissances, afin de les mieux posséder. Nous tâcherions de nous les rendre familières et de les réduire en pratique : la plus longue et la plus laborieuse théorie n'éclaire qu'imparfaitement. Un homme qui n'auroit jamais dansé posséderoit inutilement les règles de la danse'; il en est sans doute de même des métiers d'esprit 1.

Je dirai bien plus: rarement l'étude est utile, lorsqu'elle n'est pas accompagnée du commerce du monde. Il ne faut pas séparer ces deux choses : l'une nous apprend à penser, l'autre à agir; l'une à parler, l'autre à écrire; l'une à disposer nos actions, l'autre à les rendre faciles.

L'usage du monde nous donne encore de penser naturellement, et l'habitude des sciences, de penser profondément.

Par une suite naturelle de ces vérités, ceux qui sont privés de l'un et l'autre avantage par leur condition fournissent une preuve incontestable de l'indigence naturelle de l'esprit humain. Un vigneron, un couvreur, resserrés dans un petit cercle d'idées très communes, connoissent à peine les plus grossiers usages de la raison, et n'exercent leur jugement, supposé qu'ils en aient reçu de la nature, que sur des objets très palpables. Je sais bien que l'éducation ne peut suppléer le génie; je n'ignore pas que les dons de la nature valent mieux que les dons de l'art 2: cependant l'art est nécessaire pour faire fleurir les talents. Un beau naturel négligé ne porte jamais de fruits mûrs.

Il en est sans doute de méme des métiers d'esprit. 11 faudroit, ce me semble, des métiers de l'esprit. M.

2 Je n'ignore pas que les dons de la nature valent mieux que les dons de l'art. Je ne sais si l'on peut dire les dons de l'art comme les dons de la nature. La nature donne, dote, doue; l'art ne fait rien de tout cela: il vend et ne donne pas, et l'on achète ses biens avec l'étude et le travail. M.

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Peut-on regarder comme un bien un génie à peu près stérile? Que servent à un grand seigneur les domaines qu'il laisse en friche? Est-il riche de ces champs incultes?

XXIX.

De l'avarice.

Ceux qui n'aiment l'argent que pour la dépense ne sont pas véritablement avares. L'avarice est une extrême défiance des évènements,

qui cherche à s'assurer contre les instabilités de la fortune par une excessive prévoyance, et manifeste cet instinct avide qui nous sollicite d'accroître, d'étayer, d'affermir notre ètre. Basse et déplorable manie, qui n'exige ni connoissance, ni vigueur d'esprit, ni jeunesse, et qui prend par cette raison, dans la défaillance des sens, la place des autres passions.

XXX.

De la passion du jeu.

pour les sens et un plaisir pour l'ame. Les sens sont flattés d'agir, de galoper un cheval1, d'entendre un bruit de chasse dans une forêt; l'ame jouit de la justesse de ses sens, de la force et de l'adresse de son corps, etc. Aux yeux d'un philosophe qui médite dans son cabinet, cette gloire est bien puérile; mais, dans l'ébranlement de l'exercice, on ne scrute pas tant les choses. En approfondissant les hommes, on rencontre des vérités humiliantes, mais incontestables.

Vous voyez l'ame d'un pêcheur qui se détache en quelque sorte de son corps pour suivre un poisson sous les eaux, et le pousser au piége que sa main lui tend. Qui croiroit qu'elle s'applaudit de la défaite du foible animal, et triomphe au fond du filet? Toutefois rien n'est si

sensible.

Un grand, à la chasse, aime mieux tuer un sanglier qu'une hirondelle : par quelle raison? Tous la voient.

XXXII.

De l'amour paternel.

L'amour paternel ne diffère pas de l'amourpropre. Un enfant ne subsiste que par ses pa

Quoique j'aie dit que l'avarice naît d'une défiance ridicule des évènements de la fortune, et qu'il semble que l'amour du jeu vienne au contraire d'une ridicule confiance aux mêmes évèrents, dépend d'eux, vient d'eux, leur doit nements, je ne laisse pas de croire qu'il y a des joueurs avares et qui ne sont confiants qu'au jeu : encore ont-ils, comme on dit, un jeu ti

mide et serré.

Des commencements souvent heureux rem

plissent l'esprit des joueurs de l'idée d'un gain très rapide qui paroît toujours sous leurs mains: cela détermine.

Par combien de motifs d'ailleurs n'est - on pas porté à jouer? par cupidité, par amour du faste, par goût des plaisirs, etc. Il suffit donc d'aimer quelqu'une de ces choses pour aimer le jeu; c'est une ressource pour les acquérir, hasardeuse à la vérité, mais propre à toute sorte d'hommes, pauvres, riches, foibles, malades, jeunes et vieux, ignorants et savants, sots et habiles, etc.: aussi n'y a-t-il point de passion plus commune que celle-ci.

XXXI.

De la passion des exercices.

tout; ils n'ont rien qui leur soit si propre.

Aussi un père ne sépare point l'idée d'un fils de la sienne, à moins que le fils n'affoiblisse cette idée de propriété par quelque contradiction; mais plus un père s'irrite de cette contradiction, plus il s'afflige, plus il prouve ce que je dis.

XXXIII.

De l'amour filial et fraternel.

Comme les enfants n'ont nul droit sur la volonté de leurs pères, la leur étant au contraire toujours combattue, cela leur fait sentir qu'ils sont des êtres à part, et ne peut pas leur inspirer de l'amour-propre; parceque la propriété ne sauroit être du côté de la dépendance : cela est visible. C'est par cette raison que la tendresse des enfants n'est pas aussi vive que celle des pères; mais les lois ont pourvu à cet inconvénient. Elles sont un garant au père contre l'in

1 Les sens sont flattés d'ugir, de galoper un cheval. Négligé.

Il y a dans la passion des exercices un plaisir Les sens ne galopent pas un cheval. M.

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