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nourrice: elle en est morte, la pauvre femme; je m'entends, il suffit. En un mot, il étoit né sujet, il ne l'est plus; au contraire, il est le maître, et ceux qu'il a domptés et mis sous le joug vont à la charrue et labourent de bon courage: ils semblent même appréhender, les bonnes gens, de pouvoir se délier un jour et devenir libres, car ils ont étendu la courroie et allongé le fouet de celui qui les fait marcher; ils n'oublient rien pour accroître leur servitude : ils lui font passer l'eau pour se faire d'autres vassaux et s'acquérir de nouveaux domaines : il s'agit, il est vrai, de prendre son père et sa mère par les épaules, et de les jeter hors de leur maison; et ils l'aident dans une si honnête entreprise.

Les gens de delà l'eau et ceux d'en deçà se cotisent et mettent chacun du leur pour se le rendre à eux tous de jour en jour plus redoutable les Pictes et les Saxons imposent silence aux Bataves, et ceux-ci aux Pictes et aux Saxons; tous se peuvent vanter d'être ses humbles esclaves, et autant qu'ils le souhaitent. Mais qu'entends-je de certains personnages 3 qui ont des couronnes, je ne dis pas des comtes ou des marquis, dont la terre fourmille, mais des princes et des souverains? ils viennent trouver cet homme dès qu'il a sifflé, ils se découvrent dès son antichambre, et ils ne parlent que quand on les interroge. Sont-ce là ces mêmes princes si pointilleux, si formalistes sur leurs rangs et sur leurs préséances, et qui consument, pour les régler, les mois entiers dans une diète? Que fera ce nouvel Arconte pour payer une si aveugle soumission, et pour répondre à une si haute idée qu'on a de lui? S'il se livre une bataille, il doit la gagner, et en personne : si l'ennemi fait un siége, il doit le lui faire lever, et avec honte, à moins que tout l'Océan ne soit entre lui et l'ennemi il ne sauroit moins faire en faveur de ses courtisans. César 4 lui-même ne doit-il pas venir en grossir le nombre? il en attend du moins

Le prince d'Orange, devenu plus puissant par la couronne d'Angleterre, s'étoit rendu maître absolu en Hollande, et y faisoit ce qu'il lui plaisoit.

2 Les Anglois.

3 Le prince d'Orange, à son premier retour de l'Angleterre, en 1690, vint à La Haye, où les princes ligués se rendirent, et où le duc de Bavière fut long-temps à attendre dans l'antichambre.

4 L'empereur.

d'importants services: car ou l'Arconte échouera avec ses alliés, ce qui est plus difficile qu'impossible à concevoir; ou, s'il réussit et que rien ne lui résiste, le voilà tout porté, avec ses alliés jaloux de la religion et de la puissance de César, pour fondre sur lui, pour lui enlever l'aigle, et le réduire, lui ou son héritier, à la fasce d'argent et aux pays héréditaires. Enfin c'en est fait, ils se sont tous livrés à lui volontairement, à celui peut-être de qui ils devoient se défier davantage. Ésope ne leur diroit-il pas : « La gent volatile d'une certaine contrée prend l'alarme et s'effraie du voisinage du lion, dont le seul rugissement lui fait peur; elle se réfugie auprès de la bête, qui lui fait parler <d'accommodement et la prend sous sa protec<tion, qui se termine enfin à les croquer tous <l'un après l'autre?»

(

CHAPITRE XIII.

De la mode.

Une chose folle et qui découvre bien notre petitesse, c'est l'assujettissement aux modes quand on l'étend à ce qui concerne le goût, le vivre, la santé et la conscience. La viande noire est hors de mode, et par cette raison insipide; ce seroit pécher contre la mode que de guérir de la fièvre par la saignée : de mème l'on ne mouroit plus depuis long-temps par Théotime; ses tendres exhortations ne sauvoient plus que le peuple, et Théotime a vu son successeur.

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La curiosité n'est pas un goût pour ce qui est bon ou ce qui est beau, mais pour ce qui est rare, unique, pour ce qu'on a, et ce que les autres n'ont point. Ce n'est pas un attachement à ce qui est parfait, mais à ce qui est couru, ce qui est à la mode. Ce n'est pas un amusement, mais une passion, et souvent si violente, qu'elle ne cède à l'amour et à l'ambition que par la petitesse de son objet. Ce n'est pas une passion qu'on a généralement pour les choses rares et qui ont cours, mais qu'on a seulement pour une certaine chose qui est rare et pourtant à la mode.

Le fleuriste a un jardin dans un faubourg; il y court au lever du soleil, et il en revient à son

Armes de la maison d'Autriche.

coucher. Vous le voyez planté, et qui a pris ra- | moins que jamais : pensez-vous qu'il cherche à s'instruire par les médailles, et qu'il les regarde comme des preuves parlantes de certains faits, et des monuments fixes et indubitables de l'ancienne histoire? rien moins : vous croyez peutêtre que toute la peine qu'il se donne pour recouvrer une tête vient du plaisir qu'il se fait de ne voir pas une suite d'empereurs interrompue? c'est encore moins: Diognète sait d'une médaille le fruste, le flou1, et la fleur de coin; il a une tablette dont toutes les places sont garnies, à l'exception d'une seule : ce vide lui blesse la vue, et c'est précisément, et à la lettre, pour le remplir, qu'il emploie son bien et sa vie.

cine au milieu de ses tulipes et devant la solitaire : il ouvre de grands yeux, il frotte ses mains, il se baisse, il la voit de plus près, il ne l'a jamais vue si belle, il a le cœur épanoui de joie : illa quitte pour l'orientale; de là il va à la veuve ; il passe au drap-d'or, de celle-ci à l'agate; d'où il revient enfin à la solitaire, où il se fixe, où il se lasse, où il s'assied, où il oublie de diner: aussi est-elle nuancée, bordée, huilée, à pièces emportées; elle a un beau vase ou un beau calice: il la contemple, il l'admire. Dieu et la nature sont en tout cela ce qu'il n'admire point; il ne va pas plus loin que l'ognon de sa tulipe, qu'il ne livreroit pas pour mille écus, et qu'il donnera pour rien quand les tulipes seront négligées, et que les œillets auront prévalu. Cet homme raisonnable, qui a une ame, qui a un culte et une religion, revient chez soi, fatigué, affamé, mais fort content de sa journée : il a vu des tulipes.

Parlez à cet autre de la richesse des moissons, d'une ample récolte, d'une bonne vendange; il est curieux de fruits, vous n'articulez pas, vous ne vous faites pas entendre: parlezlui de figues et de melons, dites que les poiriers rompent de fruit cette année, que les pèchers ont donné avec abondance; c'est pour lui un idiome inconnu, il s'attache aux seuls pruniers, il ne vous répond pas. Ne l'entretenez pas même de vos pruniers, il n'a de l'amour que pour une certaine espèce; toute autre que vous lui nommez le fait sourire et se moquer. Il vous mène à l'arbre, cueille artistement cette prune exquise, il l'ouvre, vous en donne une moitié, prend l'autre quelle chair! dit-il; goûtez-vous cela? cela est-il divin? voilà ce que vous ne trouverez pas ailleurs ; et là-dessus ses narines s'enflent, il cache avec peine sa joie et sa vanité par quelques dehors de modestie. O l'homme divin en effet! homme qu'on ne peut jamais assez louer et admirer! homme dont il sera parlé dans plusieurs siècles! que je voie sa taille et son visage pendant qu'il vit; que j'observe les traits et la contenance d'un homme qui seul entre les mortels possède une telle prune!

et

Vous voulez, ajoute Démocède, voir mes estampes? et bientôt il les étale et vous les montre. Vous en rencontrez une qui n'est ni noire, ni nette, ni dessinée, et d'ailleurs moins propre à être gardée dans un cabinet qu'à tapisser, un jour de fête, le Petit-Pont ou la rue Neuve : il convient qu'elle est mal gravée, plus mal dessinée; mais il assure qu'elle est d'un Italien qui a travaillé peu, qu'elle n'a presque pas été tirée, que c'est la seule qui soit en France de ce dessin, qu'il l'a achetée très cher, et qu'il ne la changeroit pas pour ce qu'il a de meilleur. J'ai, continue-t-il, une sensible affliction, et qui m'obligera à renoncer aux estampes pour le reste de mes jours : j'ai tout Calot, hormis une seule qui n'est pas, à la vérité, de ses bons ouvrages, au contraire c'est un des moindres, mais qui m'achèveroit Calot; je travaille depuis vingt ans à recouvrer cette estampe, et je désespère enfin d'y réussir : cela est bien rude!

Tel autre fait la satire de ces gens qui s'engagent par inquiétude ou par curiosité dans de longs voyages; qui ne font ni mémoires, ni relations; qui ne portent point de tablettes; qui vont pour voir, et qui ne voient pas, ou qui oublient ce qu'ils ont vu; qui desirent seulement de connoître de nouvelles tours ou de nouveaux clochers, et de passer des rivières qu'on n'appelle ni la Seine, ni la Loire ; qui sortent de leur patrie pour y retourner, qui aiment à être absents, qui veulent un jour être revenus de loin : et ce satirique parle juste, et se fait écouter.

Mais quand il ajoute que les livres en appren

Un troisième que vous allez voir vous parle des curieux ses confrères, et sur-tout de Diognète. Je l'admire, dit-il, et je le comprends te frust, le feloux.

On lit, dans les éditions publiées du vivant de La Bruyère.

nent plus que les voyages, et qu'il m'a fait comprendre par ses discours qu'il a une bibliothèque, je souhaite de la voir; je vais trouver cet homme, qui me reçoit dans une maison où dès l'escalier je tombe en foiblesse d'une odeur de maroquin noir dont ses livres sont tout couverts. Il a beau me crier aux oreilles, pour me ranimer, qu'ils sont dorés sur tranche, ornés de filets d'or, et de la bonne édition, me nommer les meilleurs l'un après l'autre, dire que sa galerie est remplie, à quelques endroits près qui sont peints de manière qu'on les prend pour de vrais livres arrangés sur des tablettes, et que l'œil s'y trompe; ajouter qu'il ne lit jamais, qu'il ne met pas le pied dans cette galerie, qu'il y viendra pour me faire plaisir; je le remercie de sa complaisance, et ne veux non plus que lui visiter sa tannerie, qu'il appelle bibliothèque.

Quelques uns, par une intempérance de savoir, et par ne pouvoir se résoudre à renoncer à aucune sorte de connoissance, les embrassent toutes et n'en possèdent aucune. Ils aiment mieux savoir beaucoup que de savoir bien, et être foibles et superficiels dans diverses sciences que d'être sûrs et profonds dans une seule : ils trouvent en toutes rencontres celui qui est leur maître et qui les redresse; ils sont les dupes de leur vaine curiosité, et ne peuvent au plus, par de longs et pénibles efforts, que se tirer d'une ignorance crasse.

D'autres ont la clef des sciences, où ils n'entrent jamais; ils passent leur vie à déchiffrer les langues orientales et les langues du Nord, celles des deux pôles, et celle qui se parle dans la lune. Les idiomes les plus inutiles avec les caractères les plus bizarres et les plus magiques sont précisément ce qui réveille leur passion et qui excite leur travail. Ils plaignent ceux qui se bornent ingénument à savoir leur langue, ou tout au plus la grecque et la latine. Ces gens lisent toutes les histoires, et ignorent l'histoire; ils parcourent tous les livres, et ne profitent d'aucun: c'est en eux une stérilité de faits et de principes qui ne peut être plus grande, mais à la vérité la meilleure récolte et la richesse la plus abondante de mots et de paroles qui puisse s'imaginer; ils plient sous le faix; leur mémoire en est accablée, pendant que leur esprit demeure vide.

Un bourgeois aime les bâtiments; il se fait bâtir un hôtel si beau, si riche, et si orné, qu'il est inhabitable : le maître, honteux de s'y loger, ne pouvant peut-être se résoudre à le louer à un prince ou à un homme d'affaires, se retire au galetas, où il achève sa vie, pendant que l'enfilade et les planchers de rapport sont en proie aux Anglois et aux Allemands qui voyagent, et qui viennent là du Palais-Royal, du palais L... G...', et du Luxembourg. On heurte sans fin à cette belle porte: tous demandent à voir la maison, et personne à voir monsieur.

On en sait d'autres qui ont des filles devant leurs yeux, à qui ils ne peuvent pas donner une dot; que dis-je? elles ne sont pas vêtues, à peine nourries; qui se refusent un tour de lit et du linge blanc, qui sont pauvres : et la source de leur misère n'est pas fort loin, c'est un gardemeuble chargé et embarrassé de bustes rares, déja poudreux et couverts d'ordures, dont la vente les mettroit au large, mais qu'ils ne peuvent se résoudre à mettre en vente.

Diphile commence par un oiseau et finit par mille: sa maison n'est pas égayée, mais empestée : la cour, la salle, l'escalier, le vestibule, les chambres, le cabinet, tout est volière : ce n'est plus un ramage, c'est un vacarme; les vents d'automne et les eaux dans leurs plus grandes crues ne font pas un bruit si perçant et si aigu; on ne s'entend non plus parler les uns les autres que dans ces chambres où il faut attendre, pour faire le compliment d'entrée, que les petits chiens aient aboyé. Ce n'est plus pour Diphile un agréable amusement; c'est une affaire laborieuse et à laquelle à peine il peut suffire. Il passe les jours, ces jours qui échappent et qui ne reviennent plus, à verser du grain et à nettoyer des ordures; il donne pension à un homme qui n'a point d'autre ministère que de siffler des serins au flageolet, et de faire couver des canaries. Il est vrai que ce qu'il dépense d'un côté, il l'épargne de l'autre, car ses enfants sont sans maîtres et sans éducation. Il se renferme le soir, fatigué de son propre plaisir, sans pouvoir jouir du moindre repos que ses oiseaux ne reposent, et que ce petit peuple, qu'il n'aime que parcequ'il chante, ne cesse de chan

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ter. Il retrouve ses oiseaux dans son sommeil; | passent : s'il est par hasard homme de mérite, lui-même il est oiseau, il est huppé, il gazouille, il n'est pas anéanti, et il subsiste encore par il perche, il rêve la nuit qu'il mue ou qu'il quelque endroit; également estimable, il est seulement moins estimé.

couve.

Qui pourroit épuiser tous les différents genres de curieux? Devineriez-vous à entendre parler celui-ci de son léopard, de sa plume, de sa musique 1, les vanter comme ce qu'il y a sur la terre de plus singulier et de plus merveilleux, qu'il veut vendre ses coquilles? Pourquoi non, s'il les achète au poids de l'or?

La vertu a cela d'heureux qu'elle se suffit à elle-même, et qu'elle sait se passer d'admirateurs, de partisans et de protecteurs : le manque d'appui et d'approbation non seulement ne lui nuit pas, mais il la conserve, l'épure, et la rend parfaite qu'elle soit à la mode, qu'elle n'y soit plus, elle demeure vertu.

Si vous dites aux hommes, et sur-tout aux grands, qu'un tel a de la vertu, ils vous disent: Qu'il la garde; qu'il a bien de l'esprit, de celui

Cet autre aime les insectes; il en fait tous les jours de nouvelles emplettes : c'est sur-tout le premier homme de l'Europe pour les papillons; il en a de toutes les tailles et de toutes les cou-sur-tout qui plaît et qui amuse, ils vous réponleurs. Quel temps prenez-vous pour lui rendre visite? il est plongé dans une amère douleur; il a l'humeur noire, chagrine, et dont toute sa famille souffre, aussi a-t-il fait une perte irréparable approchez, regardez ce qu'il vous montre sur son doigt, qui n'a plus de vie, et qui vient d'expirer; c'est une chenille, et quelle chenille!

dent : Tant mieux pour lui; qu'il a l'esprit fort cultivé, qu'il sait beaucoup, ils vous demandent quelle heure il est, ou quel temps il fait : mais si vous leur apprenez qu'il y a un Tigillin qui souffle ou qui jette en sable un verre d'eau-devie1, et, chose merveilleuse! qui y revient à plusieurs fois en un repas, alors ils disent: Où est-il? amenez-le-moi demain, ce soir; me l'amènerez-vous? On le leur amène; et cet homme propre à parer les avenues d'une foire, et à être montré en chambre pour de l'argent, ils l'admettent dans leur familiarité.

Le duel est le triomphe de la mode, et l'endroit où elle a exercé sa tyrannie avec plus d'éclat. Cet usage n'a pas laissé au poltron la liberté de vivre; il l'a mené se faire tuer par un plus brave que soi, et l'a confondu avec un homme Il n'y a rien qui mette plus subitement un de cœur ; il a attaché de l'honneur et de la gloire homme à la mode, et qui le soulève davantage, à une action folle et extravagante; il a été ap- que le grand jeu : cela va de pair avec la craprouvé par la présence des rois; il y a eu quel-pule. Je voudrois bien voir un homme poli, quefois une espèce de religion à le pratiquer il a décidé de l'innocence des hommes, des accusations fausses ou véritables sur des crimes capitaux ; il s'étoit enfin si profondément enraciné dans l'opinion des peuples, et s'étoit si fort saisi de leur cœur et de leur esprit, qu'un des plus beaux endroits de la vie d'un très grand roi a été de les guérir de cette folie.

Tel a été à la mode, ou pour le commandement des armées et la négociation, ou pour l'éloquence de la chaire, ou pour les vers, qui n'y est plus. Y a-t-il des hommes qui dégénèrent de ce qu'ils furent autrefois? Est-ce leur mérite qui est usé, ou le goût que l'on avoit pour eux?

enjoué, spirituel, fût-il un CATULLE ou son disciple, faire quelque comparaison avec celui qui vient de perdre huit cents pistoles en une séance.

Une personne à la mode ressemble à une fleur bleue qui croît de soi-même dans les sillons, où elle étouffe les épis, diminue la moisson, et tient la place de quelque chose de meilleur; qui n'a de prix et de beauté que ce qu'elle emprunte d'un caprice léger qui naît et qui tombe presque dans le même instant : aujourd'hui elle est courue, les femmes s'en parent; demain elle est négligée, et rendue au peuple.

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Une personne de mérite, au contraire, est

Souffler ou jeter en sable un verre de vin, d'eau-de-vie, Un homme à la mode dure peu, car les modes anciennes expressions proverbiales qui signifioient l'avaler d'un

Noms de coquillages. (La Bruyère.)

trait.

2 Ces barbeaux qui croissent parmi les seigles furent. un été, à la mode dans Paris. Les dames en mettoient pour bouquet.

une fleur qu'on ne désigne pas par sa couleur, mais que l'on nomme par son nom, que l'on cultive par sa beauté ou par son odeur; l'une des graces de la nature, l'une de ces choses qui embellissent le monde, qui est de tous les temps, et d'une vogue ancienne et populaire; que nos pères ont estimée, et que nous estimons après nos pères; à qui le dégoût ou l'antipathie de quelques uns ne sauroit nuire un lis, une rose.

L'on blâme une mode qui, divisant la taille des hommes en deux parties égales, en prend une tout entière pour le buste, et laisse l'autre pour le reste du corps : l'on condamne celle qui fait de la tête des femmes la base d'un édifice à plusieurs étages, dont l'ordre et la structure changent selon leurs caprices; qui éloigne les cheveux du visage, bien qu'ils ne croissent que pour l'accompagner; qui les relève et les hérisse à la manière des Bacchantes, et semble L'on voit Eustrate assis dans sa nacelle, où il avoir pourvu à ce que les femmes changent leur jouit d'un air pur et d'un ciel serein : il avance physionomie douce et modeste en une autre d'un bon vent et qui a toutes les apparences de qui soit fière et audacieuse. On se récrie enfin devoir durer; mais il tombe tout d'un coup, le contre une telle ou une telle mode, qui cepenciel se couvre, l'orage se déclare, un tourbillon dant, toute bizarre qu'elle est, pare et embellit enveloppe la nacelle, elle est submergée: on pendant qu'elle dure, et dont l'on tire tout voit Eustrate revenir sur l'eau et faire quelques l'avantage qu'on en peut espérer, qui est de efforts, on espère qu'il pourra du moins se sau- plaire. Il me paroît qu'on devroit seulement ver et venir à bord; mais une vague l'enfonce, admirer l'inconstance et la légèreté des homon le tient perdu : il paroît une seconde fois, et mes, qui attachent successivement les agréles espérances se réveillent, lorsqu'un flot sur-ments et la bienséance à des choses tout oppovient et l'abyme, on ne le revoit plus, il est › noyé.

VOITURE et SARRAZIN étoient nés pour leur siècle, et ils ont paru dans un temps où il semble qu'ils étoient attendus. S'ils s'étoient moins pressés de venir, ils arrivoient trop tard; et j'ose douter qu'ils fussent tels aujourd'hui qu'ils ont été alors les conversations légères, les cercles, la fine plaisanterie, les lettres enjouées et familières, les petites parties où l'on étoit admis seulement avec de l'esprit, tout a disparu. Et qu'on ne dise point qu'ils les feroient revivre ce que je puis faire en faveur de leur esprit est de convenir que peut-être ils excelleroient dans un autre genre; mais les femmes sont, de nos jours, ou dévotes, ou coquettes, ou joueuses, ou ambitieuses, quelques unes même tout cela à-la-fois; le goût de la faveur, le jeu, les galants, les directeurs, ont pris la place, et la défendent contre les gens d'esprit.

Un homme fat et ridicule porte un long chapeau, un pourpoint à ailerons, des chausses à aiguillettes et des bottines : il rêve la veille par où et comment il pourra se faire remarquer le jour qui suit. Un philosophe se laisse habiller par son tailleur. Il y a autant de foiblesse à fuir la mode qu'à l'affecter.

sées, qui emploient pour le comique et pour la mascarade ce qui leur a servi de parure grave et d'ornements les plus sérieux, et que si peu de temps en fasse la différence.

N... est riche; elle mange bien, elle dort bien: mais les coiffures changent ; et lorsqu'elle y pense le moins, et qu'elle se croit heureuse, la sienne est hors de mode.

Iphis voit à l'église un soulier d'une nouvelle mode; il regarde le sien, et en rougit; il ne se croit plus habillé : il étoit venu à la messe pour s'y montrer, et il se cache: le voilà retenu par le pied dans sa chambre tout le reste du jour. Il a la main douce, et il l'entretient avec une pâte de senteur. Il a soin de rire pour montrer ses dents : il fait la petite bouche, et il n'y a guère de moments où il ne veuille sourire: il regarde ses jambes, il se voit au miroir; l'on ne peut être plus content de personne qu'il l'est de luimême : il s'est acquis une voix claire et délicate, et heureusement il parle gras: il a un mouvement de tête et je ne sais quel adoucissement dans les yeux, dont il n'oublie pas de s'embellir: il a une démarche molle et le plus joli maintien qu'il est capable de se procurer: il met du rouge, mais rarement; il n'en fait pas habitude : il est vrai aussi qu'il porte des chausses et un chapeau, et qu'il n'a ni boucles d'oreilles,

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