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choses purement extérieures qui n'ont point de | il s'est trompé : celui qui prononceroit aujour

suite, qui dépendent de l'usage, de la mode ou des bienséances.

Si les hommes sont hommes plutôt qu'ours ou panthères, s'ils sont équitables, s'ils se font justice à eux-mêmes, et qu'ils la rendent aux autres, que deviennent les lois, leur texte, et le prodigieux accablement de leurs commentaires? que devient le pétitoire et le possessoire, et tout ce qu'on appelle jurisprudence? où se réduisent même ceux qui doivent tout leur relief et toute leur enflure à l'autorité où ils sont établis de faire valoir ces mêmes lois? Si ces mêmes hommes ont de la droiture et de la sincérité, s'ils sont guéris de la prévention, où sont évanouies les disputes de l'école, la scolastique et les controverses? S'ils sont tempérants, chastes et modérés, que leur sert le mystérieux jargon de la médecine, et qui est une mine d'or pour ceux qui s'avisent de le parler? Légistes, docteurs, médecins, quelle chute pour vous, si nous pouvions tous nous donner le mot de devenir sages!

De combien de grands hommes dans les différents exercices de la paix et de la guerre auroit-on dû se passer! A quel point de perfection et de raffinement n'a-t-on pas porté de certains arts et de certaines sciences qui ne devoient point être nécessaires, et qui sont dans le monde comme des remèdes à tous les maux dont notre malice est l'unique source!

Que de choses depuis VARRON, que Varron a ignorées! Ne nous suffiroit-il pas même de n'être savants que comme PLATON ou comme SOCRATE?

Tel, à un sermon, à une musique, ou dans une galerie de peintures, a entendu à sa droite et à sa gauche, sur une chose précisément la même, des sentiments précisément opposés. Cela me feroit dire volontiers que l'on peut hasarder, dans tout genre d'ouvrages, d'y mettre le bon et le mauvais : le bon plaît aux uns, et le mauvais aux autres; l'on ne risque guère davantage d'y mettre le pire, il a ses partisans. Le phénix de la poésie chantante renaît de ses cendres; il a vu mourir et revivre sa réputation en un même jour. Ce juge même si infaillible et si ferme dans ses jugements, le public, a varié sur son sujet; ou il se trompe, ou

d'hui que Quinault, en un certain genre, est mauvais poëte, parleroit presque aussi mal que s'il eût dit il y a quelque temps: Il est bon poëte.

I

C. P. étoit riche, et C. N. ne l'étoit pas : la Pucelle et Rodogune méritoient chacune une autre aventure. Ainsi l'on a toujours demandé pourquoi, dans telle ou telle profession, celuici avoit fait sa fortune, et cet autre l'avoit manquée; et en cela les hommes cherchent la raison de leurs propres caprices, qui, dans les conjonctures pressantes de leurs affaires, de leurs plaisirs, de leur santé et de leur vie, leur font souvent laisser les meilleures et prendre les pires.

La condition des comédiens étoit infame chez les Romains, et honorable chez les Grecs: qu'est-elle chez nous? On pense d'eux comme les Romains, on vit avec eux comme les Grecs.

Il suffisoit à Bathylle d'être pantomime pour être couru des dames romaines: à Rhoé, de danser au théâtre; à Roscie et à Nérine, de représenter dans les chœurs, pour s'attirer une foule d'amants. La vanité et l'audace, suites d'une trop grande puissance, avoient ôté aux Romains le goût du secret et du mystère; ils se plaisoient à faire du théâtre public celui de leurs amours : ils n'étoient point jaloux de l'amphithéâtre, et partageoient avec la multitude les charmes de leurs maîtresses. Leur goût n'alloit qu'à laisser voir qu'ils aimoient, non pas une belle personne, ou une excellente comédienne, mais une comédienne.

Rien ne découvre mieux dans quelle disposition sont les hommes à l'égard des sciences et des belles-lettres, et de quelle utilité ils les croient dans la république, que le prix qu'ils y ont mis, et l'idée qu'ils se forment de ceux qui ont pris le parti de les cultiver. Il n'y a point d'art si mécanique, ni de si vile condition, où les avantages ne soient plus sûrs, plus prompts, et plus solides. Le comédien couché dans son carrosse jette de la boue au visage de CORNEILLE qui est à pied. Chez plusieurs, savant et pédant sont synonymes.

Souvent où le riche parle et parle de doctrine, c'est aux doctes à se taire, à écouter, à

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applaudir, s'ils veulent du moins ne passer que pour doctes.

Il y a une sorte de hardiesse à soutenir de vant certains esprits la honte de l'érudition: l'on trouve chez eux une prévention tout établie contre les savants, à qui ils òtent les manières du monde, le savoir-vivre, l'esprit de société, et qu'ils renvoient ainsi dépouillés à leur cabinet et à leurs livres. Comme l'ignorance est un état paisible, et qui ne coûte aucune peine, l'on s'y range en foule, et elle forme à la cour et à la ville un nombreux parti qui l'emporte sur celui des savants. S'ils allèguent en leur faveur les noms d'ESTRÉES, de HARLAY, BOSSUET, SEGUIER, MONTAUSIER, VARDES, CHEVREUSE, NOVION, LAMOIGNON, SCUDÉRY 1, PELLISSON, et de tant d'autres personnages également doctes et polis; s'ils osent mème citer les grands noms de CHARTRES, DE CONDÉ, DE CONTI, DE BOURBON, DU MAINE, de VENDÔME, comme de princes qui ont su joindre aux plus belles et aux plus hautes connoissances et l'atticisme des Grecs et l'urbanité des Romains, l'on ne feint point de leur dire que ce sont des exemples singuliers; et, s'ils ont recours à de solides raisons, elles sont foibles contre la voix de la multitude. Il semble néanmoins que l'on devroit décider sur cela avec plus de précaution, et se donner seulement la peine de douter si ce même esprit qui fait faire de si grands progrès dans les sciences, qui fait bien penser, bien juger, bien parler, et bien écrire, ne pourroit point encore servir à être poli.

Il faut très peu de fonds pour la politesse dans les manières : il en faut beaucoup pour celle de l'esprit.

Il est savant, dit un politique, il est donc incapable d'affaires, je ne lui confierois pas l'état de ma garde-robe; et il a raison. OSSAT, XIMENĖS, RICHELIEU, étoient savants : étoient-ils habiles? ont-ils passé pour de bons ministres? Il sait le grec, continue l'homme d'état, c'est un grimaud, c'est un philosophe. Et en effet, une fruitière à Athènes, selon les apparences, parloit grec, et par cette raison étoit philosophe. Les BIGNON, les LAMOIGNON, étoient de purs grimauds; qui en peut douter? ils savoient

Mademoiselle Scudéry. (La Bruyère.)

| le grec. Quelle vision, quel délire au grand, au sage, au judicieux ANTONIN, de dire qu'alors les peuples seroient heureux, si l'empereur philosophoit, ou si le philosophe, ou le grimaud, venoit à l'empire!

Les langues sont la clef ou l'entrée des sciences, et rien davantage : le mépris des unes tombe sur les autres. Il ne s'agit point si les langues sont anciennes ou nouvelles, mortes ou vivantes; mais si elles sont grossières ou polies, si les livres qu'elles ont formés sont d'un bon ou d'un mauvais goût. Supposons que notre langue pût un jour avoir le sort de la grecque et de la latine; seroit-on pédant, quelques siècles après qu'on ne la parleroit plus, pour lire MOLIÈRE ou LA FONTAINE?

:

Je nomme Euripile, et vous dites : C'est un bel esprit ; vous dites aussi de celui qui travaille une poutre Il est charpentier; et de celui qui refait un mur : Il est maçon. Je vous demande quel est l'atelier où travaille cet homme de métier, ce bel esprit? quelle est son enseigne? à quel habit le reconnoit-on? quels sont ses outils? est-ce le coin? sont-ce le marteau ou l'enclume? où fend-il, où cogne-t-il son ouvrage? où l'expose-t-il en vente? un ouvrier se pique d'être ouvrier; Euripile se pique-t-il d'être bel esprit? S'il est tel, vous me peignez un fat qui met l'esprit en roture, une ame vile et mécanique à qui ni ce qui est beau ni ce qui est esprit ne sauroient s'appliquer sérieusement; et s'il est vrai qu'il ne se pique de rien, je vous entends, c'est un homme sage et qui a de l'esprit. Ne ditesvous pas encore du savantasse : Il est bel esprit, et ainsi du mauvais poëte? Mais vous-même vous croyez-vous sans aucun esprit? et, si vous en avez, c'est sans doute de celui qui est beau et convenable; vous voilà donc un bel esprit : ou s'il s'en faut peu que vous ne preniez ce nom pour une injure, continuez, j'y consens, de le donner à Euripile, et d'employer cette ironie, comme les sots, sans le moindre discernement ou comme les ignorants qu'elle console d'une certaine culture qui leur manque, et qu'ils ne voient que dans les autres.

Qu'on ne me parle jamais d'encre, de papier, de plume, de style, d'imprimeur, d'imprimerie; qu'on ne se hasarde plus de me dire: Vous écrivez si bien, Antisthène! continuez d'écrire,

interprète, nous ne pourrions pas marquer un plus grand étonnement que celui que nous donnent la justesse de leurs réponses, et le bon sens qui paroît quelquefois dans leurs discours. La prévention du pays, jointe à l'orgueil de la nation, nous fait oublier que la raison est de tous les climats, et que l'on pense juste partout où il y a des hommes. Nous n'aimerions pas à être traités ainsi de ceux que nous appelons barbares; et, s'il y a en nous quelque barbarie, elle consiste à être épouvantés de voir d'autres peuples raisonner comme nous.

ne verrons-nous point de vous un in-folio? trai- | vent rendre : écrire alors par jeu, par oisiveté, tez de toutes les vertus et de tous les vices dans et comme Tityre siffle ou joue de la flûte; cela, un ouvrage suivi, méthodique, qui n'ait point ou rien : j'écris à ces conditions, et je cède ainsi de fin; ils devroient ajouter: Et nul cours. Je à la violence de ceux qui me prennent à la gorrenonce à tout ce qui a été, qui est, et qui sera ge, et me disent: Vous écrirez. Ils liront pour livre. Bérille tombe en syncope à la vue d'un titre de mon nouveau livre : DU BEAU, DU BON, chat, et moi à la vue d'un livre. Suis-je mieux DU VRAI, DES IDÉES, DU PREMIER PRINCIPE; par nourri et plus lourdement vêtu, suis-je dans ma Antisthène, vendeur de marée. chambre à l'abri du nord, ai-je un lit de plume, Si les ambassadeurs des princes étrangers après vingt ans entiers qu'on me débite dans la étoient des singes instruits à marcher sur leurs place? J'ai un grand nom, dites-vous, et beau-pieds de derrière, et à se faire entendre par coup de gloire; dites que j'ai beaucoup de vent qui ne sert à rien : ai-je un grain de ce métal qui procure toutes choses? Le vil praticien grossit son mémoire, se fait rembourser de frais qu'il n'avance pas, et il a pour gendre un comte ou un magistrat. Un homme rouge ou feuillemorte1 devient commis, et bientôt plus riche que son maître; il le laisse dans la roture, et avec de l'argent il devient noble. B**2 s'enrichit à montrer dans un cercle des marionnettes; BB**3, à vendre en bouteilles l'eau de la rivière. Un autre charlatan 4 arrive ici de delà les monts avec une malle; il n'est pas déchargé que les pensions courent; et il est prêt de retourner d'où il arrive, avec des mulets et des fourgons. Mercure est Mercure, et rien davantage, et l'or ne peut payer ses médiations et ses intrigues: on y ajoute la faveur et les distinctions. Et, sans parler que des gains licites, on paie au tuilier sa tuile, et à l'ouvrier son temps et son ouvrage : paie-t-on à un auteur ce qu'il pense et ce qu'il écrit? et, s'il pense très bien, le paie-t-on très largement? se meuble-t-il, s'anoblit-il à force de penser et d'écrire juste? Il faut que les hommes soient habillés, qu'ils soient rasés; il faut que, retirés dans leurs maisons, ils aient une porte qui ferme bien est-il nécessaire qu'ils soient instruits? Folie, simplicité, imbecillité, continue Antisthène, de mettre l'enseigne d'auteur ou de philosophe! avoir, s'il se peut, un office lucratif, qui rende la vie aimable, qui fasse prêter à ses amis, et donner à ceux qui ne peu

Un laquais, à cause des habits de livrée qui étoient souvent de couleur rouge ou feuille-morte.

2 Benoit, qui a amassé du bien en montrant des figures de cire, 3 Barbereau, qui a fait fortune en vendant de l'eau de la ri

viere de Seine pour des eaux minérales.

4 Caretti, qui s'est enrichi par quelques secrets qu'il vendoit fort cher.

Tous les étrangers ne sont pas barbares, et tous nos compatriotes ne sont pas civilisés : de même, toute campagne n'est pas agreste2, et toute ville n'est pas polie. Il y a dans l'Europe un endroit d'une province maritime d'un grand royaume, où le villageois est doux et insinuant, le bourgeois au contraire et le magistrat grossiers, et dont la rusticité est héréditaire.

Avec un langage si pur, une si grande recherche dans nos habits, des mœurs si cultivées, de si belles lois et un visage blanc, nous sommes barbares pour quelques peuples.

Si nous entendions dire des Orientaux qu'ils boivent ordinairement d'une liqueur qui leur monte à la tête, leur fait perdre la raison et les fait vomir, nous dirions: Cela est bien barbare.

Ce prélat se montre peu à la cour, il n'est de nul commerce, on ne le voit point avec des femmes, il ne joue ni à grande ni à petite prime, il n'assiste ni aux fêtes ni aux spectacles, il n'est point homme de cabale, et il n'a point l'esprit d'intrigue; toujours dans son évêché, où il fait une résidence continuelle, il ne songe qu'à

Ceux de Siam, qui vinrent à Paris dans ce temps-là.

2 Ce terme s'entend ici métaphoriquement. (La Bruyère.}

instruire son peuple par la parole, et à l'édifier par son exemple; il consume son bien en des aumônes, et son corps par la pénitence; il n'a que l'esprit de régularité, et il est imitateur du zèle et de la piété des apôtres. Les temps sont changés, et il est menacé sous ce règne d'un titre plus éminent.

Ne pourroit-on point faire comprendre aux personnes d'un certain caractère et d'une profession sérieuse, pour ne rien dire de plus, qu'ils ne sont point obligés à faire dire d'eux qu'ils jouent, qu'ils chantent, et qu'ils badinent comme les autres hommes; et qu'à les voir si plaisants et si agréables, on ne croiroit point qu'ils fussent d'ailleurs si réguliers et si sévères? Oseroit-on même leur insinuer qu'ils s'éloignent par de telles manières de la politesse dont ils se piquent, qu'elle assortit au contraire et conforme les dehors aux conditions, qu'elle évite le contraste, et de montrer le même homme sous des figures différentes, et qui font de lui un composé bizarre, ou un grotesque?

Il ne faut pas juger des hommes comme d'un tableau ou d'une figure, sur une seule et première vue: il y a un intérieur et un cœur qu'il faut approfondir : le voile de la modestie couvre le mérite, et le masque de l'hypocrisie cache la malignité. Il n'y a qu'un très petit nombre de connoisseurs qui discerne, et qui soit en droit de prononcer. Ce n'est que peu à peu, et forcés même par le temps et les occasions, que la vertu parfaite et le vice consommé viennent enfin à se déclarer.

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Ce portrait est celui de Catherine Turgot, femme de Gilles d'Aligre, seigneur de Boislandrie, conseiller au parlement, etc. Catherine Turgot épousa en secondes noces Batte de Chevilly, capitaine au régiment des Gardes-Françoises, et fut aimée de Chaulieu qui lui a adressé plusieurs pièces de vers sous le nom d'Iris, de Cathin, etc. C'est Chaulieu lui-même qui nous apprend que La Bruyère fit son portrait sous le nom d'Artenice : « C'étoit, « dit-il, la plus jolie femme que j'aie connue, qui joignoit à une « figure très aimable la douceur de l'humeur, et tout le brillant a de l'esprit; personne n'a jamais mieux écrit qu'elle, et peu « aussi bien. » ( Voyez l'édition de Chaulieu, La Haye, 4774, a toine 1, page 54.) (Note communiquée par M. Aimé-Martin.)

<ment qui occupe les yeux et le cœur de ceux « qui lui parlent; on ne sait si on l'aime ou si << on l'admire : il y a en elle de quoi faire une « parfaite amie, il y a aussi de quoi vous mener plus loin que l'amitié : trop jeune et trop fleurie pour ne pas plaire, mais trop modeste « pour songer à plaire, elle ne tient compte aux < hommes que de leur mérite, et ne croit avoir

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que des amis. Pleine de vivacité et capable <de sentiments, elle surprend et elle intéresse; «et, sans rien ignorer de ce qui peut entrer de plus délicat et de plus fin dans les conver<sations, elle a encore ces saillies heureuses qui, << entre autres plaisirs qu'elles font, dispensent ( toujours de la réplique: elle vous parle comme <celle qui n'est pas savante, qui doute et qui <cherche à s'éclaircir; et elle vous écoute comme celle qui sait beaucoup, qui connoît le prix de ce que vous lui dites, et auprès de qui « vous ne perdez rien de ce qui vous échappe. Loin de s'appliquer à vous contredire avec esprit, et d'imiter Elvire, qui aime mieux passer pour une femme vive que marquer du bon sens et de la justesse, elle s'approprie vos << sentiments, elle les croit siens, elle les étend, elle les embellit; vous êtes content de vous d'avoir pensé si bien, et d'avoir mieux dit « encore que vous n'aviez cru. Elle est toujours au-dessus de la vanité, soit qu'elle parle, soit qu'elle écrive; elle oublie les traits où il faut des raisons; elle a déja compris que la simpli« cité est éloquente. S'il s'agit de servir quelqu'un et de vous jeter dans les mêmes intérêts, laissant à Elvire les jolis discours et les belleslettres qu'elle met à tous usages, Artenice n'emploie auprès de vous que la sincérité, l'ardeur, l'empressement et la persuasion. Ce qui domine en elle, c'est le plaisir de la lecture, avec le goût des personnes de nom « et de réputation, moins pour en être connue « que pour les connoître. On peut la louer d'a<vance de toute la sagesse qu'elle aura un jour, <<< et de tout le mérite qu'elle se prépare par les

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années, puisqu'avec une bonne conduite, elle a de meilleures intentions, des principes sûrs, « utiles à celles qui sont comme elle exposées <aux soins et à la flatterie; et qu'étant assez particulière, sans pourtant être farouche, ayant même un peu de penchant pour la re

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Une belle femme est aimable dans son naturel; elle ne perd rien à être négligée, et sans autre parure que celle qu'elle tire de sa beauté et de sa jeunesse : une grace naïve éclate sur son visage, anime ses moindres actions; il y auroit moins de péril à la voir avec tout l'attirail de l'ajustement et de la mode. De même un homme de bien est respectable par lui-même, et indépendamment de tous les dehors dont il voudroit s'aider pour rendre sa personne plus grave et sa vertu plus spécieuse. Un air réformé, une modestie outrée, la singularité de l'habit, une ample calotte, n'ajoutent rien à la probité, ne relèvent pas le mérite; ils le fardent et font peutêtre qu'il est moins pur et moins ingénu.

Une gravité trop étudiée devient comique; ce sont comme des extrémités qui se touchent, et dont le milieu est dignité: cela ne s'appelle pas être grave, mais en jouer le personnage : celui qui songe à le devenir ne le sera jamais. Ou la gravité n'est point, ou elle est naturelle; et il est moins difficile d'en descendre que d'y

monter.

Un homme de talent et de réputation, s'il est chagrin et austère, il effarouche les jeunes gens, les fait penser mal de la vertu, et la leur rend suspecte d'une trop grande réforme et d'une pratique trop ennuyeuse: s'il est au contraire d'un bon commerce, il leur est une leçon utile, il leur apprend qu'on peut vivre gaiement et laborieusement, avoir des vues sérieuses sans renoncer aux plaisirs honnêtes; il leur devient un exemple qu'on peut suivre.

La physionomie n'est pas une règle qui nous soit donnée pour juger des hommes: elle nous peut servir de conjecture.

L'air spirituel est dans les hommes ce que la régularité des traits est dans les femmes : c'est le genre de beauté où les plus vains puissent aspirer.

Un homme qui a beaucoup de mérite et d'esprit, et qui est connu pour tel, n'est pas laid, même avec des traits qui sont difformes; ou, s'il a de la laideur, elle ne fait pas son impression.

Combien d'art pour rentrer dans la nature! combien de temps, de règles, d'attention et de travail pour danser avec la même liberté et la même grace que l'on sait marcher; pour chanter comme on parle; parler et s'exprimer comme l'on pense; jeter autant de force, de vivacité, de passion et de persuasion dans un discours étudié et que l'on prononce dans le public, qu'on en a quelquefois naturellement et sans préparation dans les entretiens les plus familiers!

Ceux qui, sans nous connoitre assez, pensent mal de nous, ne nous font pas de tort: ce n'est pas nous qu'ils attaquent, c'est le fantôme de leur imagination.

Il y a de petites règles, des devoirs, des bienséances, attachés aux lieux, aux temps, aux personnes, qui ne se devinent point à force d'esprit, et que l'usage apprend sans nulle peine : juger des hommes par les fautes qui leur échappent en ce genre, avant qu'ils soient assez instruits, c'est en juger par leurs ongles ou par la pointe de leurs cheveux; c'est vouloir un jour être détrompé.

Je ne sais s'il est permis de juger des hommes par une faute qui est unique; et si un besoin extrême, ou une violente passion, ou un premier mouvement, tirent à conséquence.

Le contraire des bruits qui courent des affaires ou des personnes est souvent la vérité.

Sans une grande roideur et une continuelle attention à toutes ses paroles, on est exposé à dire en moins d'une heure le oui ou le non sur une même chose ou sur une même personne, déterminé seulement par un esprit de société et de commerce, qui entraîne naturellement à ne pas contredire celui-ci et celui-là, qui en parlent différemment.

Un homme partial est exposé à de petites mortifications; car, comme il est également impossible que ceux qu'il favorise soient toujours heureux ou sages, et que ceux contre qui il se déclare soient toujours en faute ou malheureux, il naît de là qu'il lui arrive souvent de perdre contenance dans le public, ou par le mauvais succès de ses amis, ou par une nouvelle gloire qu'acquièrent ceux qu'il n'aime point.

Un homme sujet à se laisser prévenir, s'il ose remplir une dignité ou séculière ou ecclésiastique, est un aveugle qui veut peindre, un muet

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