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ou le feu dans quelque partie de son corps sans pousser le moindre soupir, ni jeter une seule larme; et ce fantôme de vertu et de constance ainsi imaginé, il leur a plu de l'appeler un sage. Ils ont laissé à l'homme tous les défauts qu'ils lui ont trouvés, et n'ont presque relevé aucun de ses foibles: au lieu de faire de ses vices des peintures affreuses ou ridicules qui servissent à l'en corriger, ils lui ont tracé l'idée d'une perfection et d'un héroïsme dont il n'est point capable, et l'ont exhorté à l'impossible. Ainsi le sage, qui n'est pas, ou qui n'est qu'imaginaire, se trouve naturellement et par lui-même au-dessus de tous les évènements et de tous les maux : ni la goutte la plus douloureuse, ni la colique la plus aiguë, ne sauroient lui arracher une plainte; le ciel et la terre peuvent être renversés sans l'entraîner dans leur chute, et il demeureroit ferme sur les ruines de l'univers; pendant que l'homme qui est en effet sort de son sens, crie, se désespère, étincelle des yeux, et perd la respiration pour un chien perdu, ou pour une porcelaine qui est en pièces.

Inquiétude d'esprit, inégalité d'humeur, inconstance de cœur, incertitude de conduite; tous vices de l'ame, mais différents, et qui, avec tout le rapport qui paroît entre eux, ne se supposent pas toujours l'un l'autre dans un même sujet.

Il est difficile de décider si l'irrésolution rend l'homme plus malheureux que méprisable, de même s'il y a toujours plus d'inconvénient à prendre un mauvais parti qu'à n'en prendre

aucun.

Un homme inégal n'est pas un seul homme, ce sont plusieurs : il se multiplie autant de fois qu'il a de nouveaux goûts et de manières différentes; il est à chaque moment ce qu'il n'étoit point, et il va être bientôt ce qu'il n'a jamais été; il se succède à lui-même. Ne demandez pas de quelle complexion il est, mais quelles sont ses complexions; ni de quelle humeur, mais combien il a de sortes d'humeurs. Ne vous trompez-vous point? est-ce Eutichrate que vous abordez? Aujourd'hui, quelle glace pour vous! Hier il vous cherchoit, il vous caressoit, vous donniez de la jalousie à ses amis: vous reconnoît-il bien? dites-lui votre nom.

1Ménalque1 descend son escalier, ouvre sa porte pour sortir, il la referme il s'aperçoit qu'il est en bonnet de nuit, et, venant à mieux s'examiner, il se trouve rasé à moitié, il voit que son épée est mise du côté droit, que ses bas sont rabattus sur ses talons, et que sa chemise est par-dessus ses chausses. S'il marche dans les places, il se sent tout d'un coup rudement frapper à l'estomac ou au visage; il ne soupçonne point ce que ce peut être, jusqu'à ce qu'ouvrant les yeux et se réveillant il se trouve ou devant un limon de charrette, ou derrière un long ais de menuiserie que porte un ouvrier sur ses épaules. On l'a vu une fois heurter du front contre celui d'un aveugle, s'embarrasser dans ses jambes, et tomber avec lui, chacun de son côté, à la renverse. Il lui est arrivé plusieurs fois de se trouver tête pour tête à la rencontre d'un prince et sur son passage, se reconnoître à peine, et n'avoir que le loisir de se coller à un mur pour lui faire place. Il cherche, il brouille, il crie, il s'échauffe, il appelle ses valets l'un après l'autre ; on lui perd tout, on lui égare tout: il demande ses gants qu'il a dans ses mains, semblable à cette femme qui prenoit le temps de demander son masque lorsqu'elle l'avoit sur son visage. Il entre à l'appartement, et passe sous un lustre où sa perruque s'accroche et demeure suspendue: tous les courtisans regardent, et rient; Ménalque regarde aussi, et rit plus haut que les autres : il cherche des yeux, dans toute l'assemblée, où est celui qui montre ses oreilles, et à qui il manque une perruque. S'il va par la ville, après avoir fait quelque chemin, il se croit égaré, il s'émeut, et il demande où il est à des passants, qui lui disent précisément le nom de sa rue : il entre ensuite dans sa maison, d'où il sort précipitamment, croyant qu'il s'est trompé. Il descend du palais; et, trouvant au bas du grand degré un carrosse qu'il prend pour le sien, il

Ceci est moins un caractère particulier qu'un recueil de faits de distraction: ils ne sauroient être en trop grand nombre, s'ils sont agréables; car les goûts étant différents, on a à choisir. (La Bruyère.)

pris pour modèle un homme de la société, et qu'il soit en effet difficile de croire qu'un même personnage lui ait fourni tous les traits qu'il rassemble, il paroit constant que la plupart de ces

2 Bien que La Bruyère se défende ici en particulier d'avoir

traits doivent être attribués au duc de Brancas, l'homme le plus distrait de son temps.

se met dedans; le cocher touche, et croit ra- | pantoufle qu'il a prise pour ses Heures, et qu'il mener son maître dans sa maison. Ménalque a mise dans sa poche avant que de sortir. Il n'est se jette hors de la portière, traverse la cour, pas hors de l'église qu'un homme de livrée court monte l'escalier, parcourt l'antichambre, la après lui, le joint, lui demande en riant s'il n'a chambre, le cabinet : tout lui est familier, rien point la pantoufle de monseigneur; Ménalque ne lui est nouveau; il s'assit', il se repose, il lui montre la sienne, et lui dit: Voilà toutes les est chez soi. Le maître arrive; celui-ci se lève pantoufles que j'ai sur moi. Il se fouille néanpour le recevoir, il le traite fort civilement, moins, et tire celle de l'évêque de *** qu'il vient le prie de s'asseoir, [et croit faire les honneurs de quitter, qu'il a trouvé malade auprès de son de sa chambre; il parle, il rêve, il reprend feu, et dont, avant de prendre congé de lui, il la parole: le maître de la maison s'ennuie, a ramassé la pantoufle, comme l'un de ses gants et demeure étonné; Ménalque ne l'est pas qui étoit à terre : ainsi Ménalque s'en retourne moins, et ne dit pas ce qu'il en pense: il a chez soi avec une pantoufle de moins. Il a une affaire à un fàcheux, à un homme oisif, qui fois perdu au jeu tout l'argent qui est dans sa se retirera à la fin, il l'espère; et il prend pa- bourse; et, voulant continuer de jouer, il entre tience : la nuit arrive qu'il est à peine détrompé. dans son cabinet, ouvre une armoire, y prend Une autre fois, il rend visite à une femme; et, sa cassette, en tire ce qu'il lui plaît, croit la se persuadant bientôt que c'est lui qui la re- remettre où il l'a prise : il entend aboyer dans çoit, il s'établit dans son fauteuil, et ne songe son armoire qu'il vient de fermer; étonné de nullement à l'abandonner : il trouve ensuite que ce prodige, il l'ouvre une seconde fois, et il cette dame fait ses visites longues; il attend à éclate de rire d'y voir son chien qu'il a serré tous moments qu'elle se lève et le laisse en li- pour sa cassette. Il joue au trictrac, il demande berté; mais comme cela tire en longueur, qu'il à boire, on lui en apporte : c'est à lui à jouer, a faim, et que la nuit est déja avancée, il la il tient le cornet d'une main et un verre de l'auprie à souper; elle rit, et si haut, qu'elle le tre; et, comme il a une grande soif, il avale les réveille. Lui-même se marie le matin, l'oublie dés et presque le cornet, jette le verre d'eau le soir, et découche la nuit de ses noces; dans le trictrac, et inonde celui contre qui il et, quelques années après, il perd sa femme, joue; et, dans une chambre où il est familier, -elle meurt entre ses bras, il assiste à ses ob- il crache sur le lit, et jette son chapeau à terre, sèques; et le lendemain, quand on lui vient en croyant faire tout le contraire. Il se promène dire qu'on a servi, il demande si sa femme est sur l'eau, et il demande quelle heure il est ; on prête, et si elle est avertie. C'est lui encore lui présente une montre : à peine l'a-t-il reçue, qui entre dans une église, et prenant l'aveu- que, ne songeant plus ni à l'heure ni à la mongle qui est collé à la porte pour un pilier, et tre, il la jette dans la rivière, comme une chose sa tasse pour le bénitier, y plonge la main, la qui l'embarrasse. Lui-même écrit une longue porte à son front, lorsqu'il entend tout d'un lettre, met de la poudre dessus à plusieurs recoup le pilier qui parle et qui lui offre des prises, et jette toujours la poudre dans l'enoraisons. Il s'avance dans la nef, il croit voir un crier. Ce n'est pas tout il écrit une seconde prie-Dieu, il se jette lourdement dessus; la lettre, et après les avoir cachetées toutes deux, machine plie, s'enfonce, et fait des efforts pour il se trompe à l'adresse; un duc et pair reçoit crier; Ménalque est surpris de se voir à genoux l'une de ces deux lettres, et, en l'ouvrant, y sur les jambes d'un fort petit homme, appuyé lit ces mots : Maître Olivier, ne manquez, sitôt sur son dos, les deux bras passés sur ses épau- la présente reçue, de m'envoyer ma provision de les, et ses deux mains jointes et étendues qui foin.... Son fermier reçoit l'autre; il l'ouvre, et lui prennent le nez et lui ferment la bouche; il se la fait lire; on y trouve : Monseigneur, j'ai se retire confus, et va s'agenouiller ailleurs : il reçu avec une soumission aveugle les ordres qu'il tire un livre pour faire sa prière, et c'est sa a plu à votre grandeur.... Lui-même encore écrit une lettre pendant la nuit, et, après l'avoir cachetée, il éteint sa bougie; il ne laisse pas

Voir la note 1. page 350.

éclate de rire de ce qu'il a jeté à terre ce qu'on lui a versé de trop. Il est un jour retenu au lit pour quelque incommodité; on lui rend visite, il y a un cercle d'hommes et de femmes dans sa ruelle qui l'entretiennent, et en leur présence il soulève sa couverture et crache dans ses draps. On le mène aux Chartreux; on lui fait voir un cloître orné d'ouvrages, tous de la main d'un excellent peintre; le religieux qui les lui explique parle de saint Bruno, du chanoine et de son aventure, en fait une longue histoire, et la montre dans l'un de ces tableaux: Ménalque, qui pendant la narration est hors du cloître, et bien loin au-delà, y revient enfin, et demande au père si c'est le chanoine ou saint Bruno qui est damné. Il se trouve par hasard avec une jeune veuve; il lui parle de son défunt mari, lui demande comment il est mort : cette femme, à qui ce discours renouvelle ses douleurs, pleure, sanglote, et ne laisse pas de reprendre tous les détails de la maladie de son époux, qu'elle conduit depuis la veille de sa fièvre, qu'il se portoit bien, jusqu'à l'agonie. Madame, lui demande Ménalque, qui l'avoit apparemment écoutée avec attention, n'aviezvous que celui-là? Il s'avise un matin de faire

d'être surpris de ne voir goutte, et il sait à peine | et ne comprend pas pourquoi tout le monde comment cela est arrivé. Ménalque descend l'escalier du Louvre; un autre le monte, à qui il dit: C'est vous que je cherche. Il le prend par la main, le fait descendre avec lui, traverse plusieurs cours, entre dans les salles, en sort; il va, il revient sur ses pas, il regarde enfin celui qu'il traîne après soi depuis un quart d'heure; il est étonné que ce soit lui; il n'a rien à lui dire; il lui quitte la main, et tourne d'un autre côté. Souvent il vous interroge, et il est déja bien loin de vous quand vous songez à lui répondre; ou bien il vous demande en courant comment se porte votre père; et, comme vous lui dites qu'il est fort mal, il vous crie qu'il en est bien aise. Il vous trouve quelquefois sur son chemin; il est ravi de vous rencontrer, il sort de chez vous pour vous entretenir d'une certaine chose. Il contemple votre main : Vous avez là, dit-il, un beau rubis; est-il balais? Il vous quitte et continue sa route; voilà l'affaire importante dont il avoit à vous parler. Se trouve-t-il en campagne, il dit à quelqu'un qu'il le trouve heureux d'avoir pu se dérober à la cour pendant l'automne, et d'avoir passé dans ses terres tout le temps de Fontainebleau ; il tient à d'autres d'autres discours; puis, revenant à celui-ci: Vous avez eu, lui dit-il, de beaux jours à Fon-tout hâter dans sa cuisine; il se lève avant le tainebleau ; vous y avez sans doute beaucoup fruit, et prend congé de la compagnie on le chassé. Il commence ensuite un conte qu'il oublie voit ce jour-là en tous les endroits de la ville, d'achever; il rit en lui-même, il éclate d'une chose hormis en celui où il a donné un rendez-vous qui lui passe par l'esprit, il répond à sa pensée, précis pour cette affaire qui l'a empêché de dîil chante entre ses dents, il siffle, il se renverse ner, et l'a fait sortir à pied, de peur que son dans une chaise, il pousse un cri plaintif, il carrosse ne le fit attendre. L'entendez-vous bâille, il se croit seul. S'il se trouve à un repas, crier, gronder, s'emporter contre l'un de ses on voit le pain se multiplier insensiblement sur domestiques? Il est étonné de ne le point voir; son assiette; il est vrai que ses voisins en man- où peut-il être? dit-il; que fait-il? qu'est-il dequent, aussi-bien que de couteaux et de four-venu? qu'il ne se présente plus devant moi, je chettes, dont il ne les laisse pas jouir longtemps. On a inventé aux tables une grande cuiller pour la commodité du service; il la prend, la plonge dans le plat, l'emplit, la porte à sa bouche, et il ne sort pas d'étonnement de voir répandu sur son linge et sur ses habits le poLage qu'il vient d'avaler. Il oublie de boire pendant tout le dîner; ou, s'il s'en souvient, et qu'il trouve qu'on lui donne trop de vin, il en flaque plus de la moitié au visage de celui qui est à sa droite; il boit le reste tranquillement,

le chasse dès à cette heure : le valet arrive, à qui il demande fièrement d'où il vient; il lui répond qu'il vient de l'endroit où il l'a envoyé, et il lui rend un fidèle compte de sa commission. Vous le prendriez souvent pour tout ce qu'il n'est pas : pour un stupide, car il n'écoute point, et il parle encore moins; pour un fou, car, outre qu'il parle tout seul, il est sujet à de certaines grimaces et à des mouvements de tête involontaires; pour un homme fier et incivil, car vous le saluez, et il passe sans vous regarder,

L'incivilité, n'est pas un vice de l'ame; elle est l'effet de plusieurs vices, de la sotte vanité, de l'ignorance de ses devoirs, de la paresse, de la stupidité, de la distraction, du mépris des autres, de la jalousie : pour ne se répandre que sur les dehors, elle n'en est que plus haïssable, parceque c'est toujours un défaut visible et manifeste; il est vrai cependant qu'il offense plus ou moins, selon la cause qui le produit.

Dire d'un homme colère, inégal, querelleur, chagrin, pointilleux, capricieux, c'est son humeur, n'est pas l'excuser, comme on le croit, mais avouer, sans y penser, que de si grands défauts sont irremediables.

Ce qu'on appelle humeur est une chose trop négligée parmi les hommes; ils devroient comprendre qu'il ne leur suffit pas d'être bons, mais qu'ils doivent encore paroître tels, du moins s'ils tendent à être sociables, capables d'union et de commerce, c'est-à-dire à être des hommes. L'on n'exige pas des ames malignes qu'elles aient de la douceur et de la souplesse: elle ne leur manque jamais, et elle leur sert de piége pour surprendre les simples, et pour faire valoir leurs artifices; l'on desireroit de ceux qui ont un bon cœur qu'ils fussent toujours pliants, faciles, complaisants, et qu'il fût moins vrai quelquefois que ce sont les méchants qui nuisent, et les bons qui font souffrir.

ou il vous regarde sans vous rendre le salut; | manquent pas de l'interroger sur les circonpour un inconsidéré, car il parle de banqueroute stances; et il leur dit : Demandez à mes gens, au milieu d'une famille où il y a cette tache; ils y étoient. d'exécution et d'échafaud devant un homme dont le père y a monté; de roture devant des roturiers qui sont riches et qui se donnent pour nobles. De même il a dessein d'élever auprès de soi un fils naturel, sous le nom et personnage d'un valet; et, quoiqu'il veuille le dérober à la connoissance de sa femme et de ses enfants, il lui échappe de l'appeler son fils dix fois le jour. Il a pris aussi la résolution de marier son fils à la fille d'un homme d'affaires, et il ne laisse pas de dire de temps en temps, en parlant de sa maison et de ses ancêtres, que les Ménalques ne se sont jamais mésalliés. Enfin il n'est ni présent ni attentif, dans une compagnie, à ce qui fait le sujet de la conversation: il pense et il parle tout à-la-fois; mais la chose dont il parle est rarement celle à laquelle il pense; aussi ne parle-t-il guère conséquemment et avec suite: où il dit non, souvent il faut dire oui; et où il dit qui, croyez qu'il veut dire non : il a, en vous répondant si juste, les yeux fort ouverts, mais il ne s'en sert point, il ne regarde ni vous ni personne, ni rien qui soit au monde tout ce que vous pouvez tirer de lui, et encore dans le temps qu'il est le plus appliqué et d'un meilleur commerce, ce sont ces mots : Oui, vraiment : C'est vrai: Bon! Tout de bon? Oui-dà: Je pense qu’oui : Assurément : Ah ciel! et quelques autres monosyllabes qui ne sont pas même placés à propos. Jamais aussi il n'est avec ceux avec qui il paroît être : il appelle sérieusement son laquais monsieur; et son ami, il l'appelle la Verdure : il dit votre révérence à un prince du sang, et votre altesse à un jésuite. Il entend la messe, le prêtre vient à éternuer, il lui dit : Dieu vous assiste! Il se trouve avec un magistrat; cet homme, grave par son caractère, vénérable par son âge et par sa dignité, l'interroge sur un évènement, et lui demande si cela est ainsi; Ménalque lui répond: Oui, mademoiselle. Il revient une fois de la campagne; ses laquais en livrée entreprennent de le voler, et y réussissent; ils descendent de son carrosse, lui portent un bout de flambeau sous la gorge, lui demandent la bourse, et il la rend: arrivé chez soi, il raconte son aventure à ses amis, qui ne

Le commun des hommes va de la colère à l'injure : quelques uns en usent autrement, ils offensent, et puis ils se fàchent; la surprise où l'on est toujours de ce procédé ne laisse pas de place au ressentiment.

Les hommes ne s'attachent pas assez à ne point manquer les occasions de faire plaisir : il semble que l'on n'entre dans un emploi que pour pouvoir obliger et n'en rien faire; la chose la plus prompte et qui se présente d'abord, c'est le refus, et l'on n'accorde que par réflexion.

Sachez précisément ce que vous pouvez attendre des hommes en général, et de chacun d'eux en particulier, et jetez-vous ensuite dans le commerce du monde.

Si la pauvreté est la mère des crimes, le défaut d'esprit en est le père.

être.

Il est difficile qu'un fort malhonnête homme | tèrent, le changent, le bouleversent; il n'est ait assez d'esprit : un génie qui est droit et per-point précisément ce qu'il est, ou ce qu'il paroît çant conduit enfin à la règle, à la probité, à la vertu. Il manque du sens et de la pénétration à celui qui s'opiniâtre dans le mauvais comme dans le faux l'on cherche en vain à le corriger par des traits de satire qui le désignent aux autres, et où il ne se reconnoît pas lui-même; ce sont des injures dites à un sourd. Il seroit desirable, pour le plaisir des honnêtes gens et pour la vengeance publique, qu'un coquin ne le fût pas au point d'être privé de tout sentiment.

Il y a des vices que nous ne devons à personne, que nous apportons en naissant, et que nous fortifions par l'habitude; il y en a d'autres que l'on contracte, et qui nous sont étrangers. L'on est né quelquefois avec des mœurs faciles, de la complaisance, et tout le désir de plaire; mais par les traitements que l'on reçoit de ceux avec qui l'on vit, ou de qui l'on dépend, l'on est bientôt jeté hors de ses mesures, et même de son naturel ; l'on a des chagrins, et une bile que l'on ne se connoissoit point; l'on se voit une autre complexion, l'on est enfin étonné de se trouver dur et épineux.

L'on demande pourquoi tous les hommes ensemble ne composent pas comme une seule nation, et n'ont point voulu parler une même langue, vivre sous les mêmes lois, convenir entre eux des mêmes usages et d'un même culte; et moi, pensant à la contrariété des esprits, des goûts et des sentiments, je suis étonné de voir jusqu'à sept ou huit personnes se rassembler sous un même toit, dans une même enceinte, et composer une seule famille.

Il y a d'étranges pères, et dont toute la vie ne semble occupée qu'à préparer à leurs enfants des raisons de se consoler de leur mort.

Tout est étranger dans l'humeur, les mœurs et les manières de la plupart des hommes. Tel a vécu pendant toute sa vie chagrin, emporté, avare, rampant, soumis, laborieux, intéressé, qui étoit né gai, paisible, paresseux, magnifique, d'un courage fier, et éloigné de toute bassesse les besoins de la vie, la situation où l'on se trouve, la loi de la nécessité, forcent la nature et y causent ces grands changements. Ainsi tel homme au fond et en lui-même ne se peut définir trop de choses qui sont hors de lui l'al

La vie est courte et ennuyeuse; elle se passe toute à desirer : l'on remet à l'avenir son repos et ses joies, à cet âge souvent où les meilleurs biens ont déja disparu, la santé et la jeunesse. Ce temps arrive, qui nous surprend encore dans les desirs on en est là, quand la fièvre nous saisit et nous éteint; si l'on eût guéri, ce n'étoit que pour desirer plus long-temps.

Lorsqu'on desire, on se rend à discrétion à celui de qui l'on espère : est-on sûr d'avoir, on temporise, on parlemente, on capitule.

Il est si ordinaire à l'homme de n'être pas heureux, et si essentiel à tout ce qui est un bien d'être acheté par mille peines, qu'une affaire qui se rend facile devient suspecte. L'on comprend à peine, ou que ce qui coûte si peu puisse nous être fort avantageux, ou qu'avec des mesures justes l'on doive si aisément parvenir à la fin que l'on se propose. L'on croit mériter les bons succès, mais n'y devoir compter que fort

rarement.

L'homme qui dit qu'il n'est pas né heureux pourroit du moins le devenir par le bonheur de ses amis ou de ses proches. L'envie lui ôte cette dernière ressource.

Quoi que j'aie pu dire ailleurs, peut-être que les affligés ont tort : les hommes semblent être nés pour l'infortune, la douleur et la pauvreté, peu en échappent; et, comme toute disgrace peut leur arriver, ils devroient être préparés à toute disgrace.

Les hommes ont tant de peine à s'approcher sur les affaires, sont si épineux sur les moindres intérêts, si hérissés de difficultés, veulent si fort tromper et si peu être trompés, mettent si haut ce qui leur appartient, et si bas ce qui appartient aux autres, que j'avoue que je ne sais par où et comment se peuvent conclure les mariages, les contrats, les acquisitions, la paix, la trève, les traités, les alliances.

A quelques uns l'arrogance tient lieu de grandeur; l'inhumanité, de fermeté; et la fourberie, d'esprit.

Les fourbes croient aisément que les autres le sont : ils ne peuvent guère être trompés, et ils ne trompent pas long-temps.

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