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nière enveloppée, user de tours ou de mots | il unit d'abord d'intérêt plusieurs foibles contre

un plus puissant, pour rendre la balance égale; il se joint ensuite aux premiers pour la faire pencher, et il leur vend cher sa protection et son alliance. Il sait intéresser ceux avec qui il traite; et par un adroit manége', par de fins et de subtils détours, il leur fait sentir leurs avantages particuliers, les biens et les honneurs qu'ils peuvent espérer par une certaine facilité, qui ne choque point lear commission, ni les intentions de leurs maîtres : il ne veut pas aussi être cru imprenable par cet endroit; il laisse voir en lui quelque peu de sensibilité pour sa fortune: il s'attire par-là des propositions qui lui découvrent les vues des autres les plus secrètes, leurs desseins les plus profonds, et leur dernière ressource; et il en profite. Si quelquefois il est lésé dans quelques chefs qui ont enfin été réglés, il crie haut; si c'est le contraire, il crie plus haut, et jette ceux qui perdent sur la justification et la défensive. Il a son fait digéré par la cour, toutes ses démarches sont mesurées, les moindres avances qu'il fait lui sont prescrites, et il agit néanmoins dans les points difficiles, et dans les articles contestés, comme s'il se relâchoit de lui-même sur-le-champ, et comme par un esprit d'accommodement: il ose même promettre à l'assemblée qu'il fera goûter la proposition, et qu'il n'en sera pas désavoué. Il fait courir un bruit faux des choses seulement dont il est chargé, muni d'ailleurs de pouvoirs particuliers, qu'il ne découvre jamais qu'à l'extrémité, et dans les moments où il lui seroit pernicieux de ne les pas mettre en usage. Il tend sur-tout par ses intrigues au solide et à l'essentiel, toujours près de leur sacrifier les minuties et les points d'honneur imaginaires. Il a du flegme, il s'arme de courage et de patience, il ne se lasse point, il fatigue les autres, et les pousse jusqu'au découragement: il se précautionne et s'endurcit contre les lenteurs et les remises, contre les reproches, les soupçons, les défiances, contre les difficultés et les obstacles, persuadé que le temps seul et les conjonc

équivoques, qu'il peut faire valoir ou diminuer dans les occasions et selon ses intérêts. Il demande peu quand il ne veut pas donner beaucoup. Il demande beaucoup pour avoir peu, et l'avoir plus sûrement. Il exige d'abord de petites choses, qu'il prétend ensuite lui devoir être comptées pour rien, et qui ne l'excluent pas d'en demander une plus grande; et il évite au contraire de commencer par obtenir un point important, s'il l'empêche d'en gagner plusieurs autres de moindre conséquence, mais qui tous ensemble l'emportent sur le premier. Il demande trop pour être refusé, mais dans le dessein de se faire un droit ou une bienséance de refuser lui-même ce qu'il sait bien qui lui sera demandé, et qu'il ne veut pas octroyer: aussi soigneux alors d'exagérer l'énormité de la demande, et de faire convenir, s'il se peut, des raisons qu'il a de n'y pas entendre, que d'affoiblir celles qu'on prétend avoir de ne lui pas accorder ce qu'il sollicite avec instance, également appliqué à faire sonner haut et à grossir dans l'idée des autres le peu qu'il offre, et à mépriser ouvertement le peu que l'on consent de lui donner. Il fait de fausses offres, mais extraordinaires, qui donnent de la défiance, et obligent de rejeter ce que l'on accepteroit inutilement ; qui lui sont cependant une occasion de faire des demandes exorbitantes, et mettent dans leur tort ceux qui les lui refusent. Il accorde plus qu'on ne lui demande, pour avoir encore plus qu'il ne doit donner. Il se fait long-temps prier, presser, importuner, sur une chose médiocre, pour éteindre les espérances, et ôter la pensée d'exiger de lui rien de plus fort; ou, s'il se laisse fléchir jusqu'à l'abandonner, c'est toujours avec des conditions qui lui font partager le gain et les avantages avec ceux qui reçoivent. Il prend directement ou indirectement l'intérêt d'un allié, s'il y trouve son utilité et l'avancement de ses prétentions. Il ne parle que de paix, que d'alliances, que de tranquillité publique, que d'intérêt public; et en effet il ne songe qu'aux siens, c'est-à-dire à ceux de son maître ou de sa répu-tures amènent les choses et conduisent les esblique. Tantôt il réunit quelques uns qui étoient contraires les uns aux autres, et tantôt il divise quelques autres qui étoient unis; il intimide les forts et les puissants, il encourage les foibles;

prits au point où on les souhaite. Il va jusqu'à feindre un intérêt secret à la rupture de la négociation, lorsqu'il desire le plus ardemment qu'elle soit continuée; et, si au contraire il a

des ordres précis de faire les derniers efforts | ses viles créatures, et qu'il ne se dédommage pour la rompre, il croit devoir, pour y réussir, dans le particulier d'une si grande servitude, en presser la continuation et la fin. S'il survient par les ris et la moquerie. un grand évènement, il se roidit ou il se relâche selon qu'il lui est utile ou préjudiciable; et si, par une grande prudence, il sait le prévoir, il presse et il temporise selon que l'état pour qui il travaille en doit craindre ou espérer; et il règle sur ses besoins ses conditions. Il prend conseil du temps, du lieu, des occasions, de sa puissance ou de sa foiblesse, du génie des nations avec qui il traite, du tempérament et du caractère des personnes avec qui il négocie. Toutes ses vues, toutes ses maximes, tous les raffinements de sa politique, tendent à une seule fin, qui est de n'être point trompe, et de tromper les autres.

Hommes en place, ministres, favoris, me permettrez-vous de le dire? ne vous reposez point sur vos descendants pour le soin de votre mémoire et pour la durée de votre nom : les titres passent, la faveur s'évanouit, les dignités se perdent, les richesses se dissipent, et le mérite dégénère. Vous avez des enfants, il est vrai, dignes de vous; j'ajoute même capables de soutenir toute votre fortune: mais qui peut vous en promettre autant de vos petits-fils? Ne m'en croyez pas, regardez, cette unique fois, de certains hommes que vous ne regardez jamais, que vous dédaignez; ils ont des aïeux, à qui, tout grands que vous êtes, vous ne fai

Le caractère des François demande du sé- tes que succéder. Ayez de la vertu et de l'hurieux dans le souverain.

L'un des malheurs du prince est d'être souvent trop plein de son secret, par le péril qu'il y a à le répandre : son bonheur est de rencontrer une personne sûre qui l'en décharge.

Il ne manque rien à un roi que les douceurs d'une vie privée : il ne peut être consolé d'une si grande perte que par le charme de l'amitié, et par la fidélité de ses amis.

Le plaisir d'un roi qui mérite de l'être est de l'être moins quelquefois, de sortir du théâtre, de quitter le bas de saye1 et les brodequins, et de jouer avec une personne de confiance un rôle plus familier.

Rien ne fait plus d'honneur au prince que la

modestie de son favori.

Le favori n'a point de suite; il est sans engagement et sans liaisons. Il peut être entouré de parents et de créatures; mais il n'y tient pas: il est détaché de tout, et comme isolé.

Je ne doute point qu'un favori, s'il a quelque force et quelque élévation, ne se trouve souvent confus et déconcerté des bassesses, des petitesses de la flatterie, des soins superflus et des attentions frivoles de ceux qui le courent, qui le suivent, et qui s'attachent à lui comme

manité; et si vous me dites, Qu'aurons-nous de plus? je vous répondrai, De l'humanité et de la vertu : maîtres alors de l'avenir, et indépendants d'une postérité, vous êtes sûrs de durer autant que la monarchie; et dans le temps que l'on montrera les ruines de vos châteaux, et peut-être la seule place où ils étoient construits, l'idée de vos louables actions sera encore fraiche dans l'esprit des peuples; ils considèreront avidement vos portraits et vos médailles ; ils diront: Cet homme, dont vous regardez la peinture, a parlé à son maître avec force et avec liberté, et a plus craint de lui nuire que de lui déplaire; il lui a permis d'être bon et bienfaisant, de dire de ses villes, ma bonne ville, et de son peuple, mon peuple. Cet autre dont vous voyez l'image, et en qui l'on remarque une physionomie forte, jointe à un air grave, austère et majestueux, augmente d'année à autre de réputation; les plus grands politiques souffrent de lui ètre comparés. Son grand dessein a été d'affermir l'autorité du prince et la sùreté des peuples par l'abaissement des grands: ni les partis, ni les conjurations, ni les trahisons, ni le péril de la mort, ni ses infirmités, n'ont pu l'en détourner; il a eu du temps de reste, pour entamer un ouvrage, continué en

Le bas de saye est la partie inférieure du saye, habille-suite et achevé par l'un de nos plus grands et de ment romain appelé en latin sagum. Ce bas de saye est ce nos meilleurs princes3, l'extinction de l'hérésie. qu'on nommoit, sur nos théâtres, tonnelet, espèce de tablier plissé, enflé et circulaire, dont s'affubloient les acteurs tragiques dans les pièces romaines ou grecques.

Le cardinal Georges d'Amboise. 2 Le cardinal de Richelieu.

J Louis XIV.

Le panneau le plus délié et le plus spé- | dans les places ou dans les rues d'une ville au cieux qui dans tous les temps ait été tendu aux fer d'un assassin, et que je craignisse moins dans grands par leurs gens d'affaires, et aux rois l'horreur de la nuit d'être pillé ou massacré par leurs ministres, est la leçon qu'ils leur font dans d'épaisses forêts que dans ses carrefours; de s'acquitter et de s'enrichir : excellent conseil, si la sûreté, l'ordre, et la propreté, ne rendoient maxime utile, fructueuse, une mine d'or, un pas le séjour des villes si délicieux, et n'y avoient Pérou, du moins pour ceux qui ont su jusqu'à pas amené, avec l'abondance, la douceur de la présent l'inspirer à leurs maîtres! société; si, foible et seul de mon parti, j'avois à souffrir dans ma métairie du voisinage d'un grand, et si l'on avoit moins pourvu à me faire justice de ses entreprises; si je n'avois pas sous ma main autant de maîtres et d'excellents maitres pour élever mes enfants dans les sciences ou dans les arts qui feront un jour leur établissement; si, par la facilité du commerce, il m'étoit moins ordinaire de m'habiller de bonnes étoffes, et de me nourrir de viandes saines, et de les acheter peu ; si enfin, par les soins du prince, je n'étois pas aussi content de ma fortune qu'il doit lui-même par ses vertus l'ètre de la sienne?

C'est un extrême bonheur pour les peuples quand le prince admet dans sa confiance et choisit pour le ministère ceux mêmes qu'ils auroient voulu donner, s'ils en avoient été les maîtres. La science des détails ou une diligente attention aux moindres besoins de la république est une partie essentielle au bon gouvernement, trop négligée à la vérité dans les derniers temps par les rois ou par les ministres, mais qu'on ne peut trop souhaiter dans le souverain qui l'ignore, ni assez estimer dans celui qui la possède. Que sert en effet au bien des peuples, et à la douceur de leurs jours, que le prince place les bornes de son empire au-delà des terres de ses ennemis, qu'il fasse de leurs souverainetés des provinces de son royaume, qu'il leur soit également supérieur par les sièges et par les batailles, et qu'ils ne soient devant lui en sûreté ni dans les plaines ni dans les plus forts bastions, que les nations s'appellent les unes les autres, se liguent ensemble pour se défendre et pour l'arrêter, qu'elles se liguent en vain, qu'il marche toujours et qu'il triomphe toujours, que leurs dernières espérances soient tombées par le raffermissement d'une santé qui donnera au monarque le plaisir de voir les princes ses petits-fils soutenir ou accroître ses destinées, se mettre en campagne, s'emparer de redoutables forteresses, et conquérir de nouveaux états, commander de vieux et expérimentés capitaines, moins par leur rang et leur naissance que par leur génie et leur sagesse, suivre les traces augustes de leur victorieux père, imiter sa bonté, sa docilité, son équité, sa vigilance, son intrépidité? Que me serviroit, en un mot, comme à tout le peuple, que le prince fût heureux et comblé de gloire par lui-même et par les siens, que ma patrie fût puissante et formidable, si, triste et inquiet, j'y vivois dans l'oppression ou dans l'indigence; si, à couvert des courses de l'ennemi, je me trouvois exposé

Les huit ou les dix mille hommes sont au souverain comme une monnoie dont il achète une place ou une victoire : s'il fait qu'il lui en coûte moins, s'il épargne les hommes, il ressemble à celui qui marchande, et qui connoît mieux qu'un autre le prix de l'argent.

Tout prospère dans une monarchie où l'on confond les intérêts de l'état avec ceux du prince.

Nommer un roi PÈRE DU PEUPLE est moins faire son éloge que l'appeler par son nom, ou faire sa définition.

Il y a un commerce ou un retour de devoir du souverain à ses sujets, et de ceux-ci au souverain : quels sont les plus assujettissants et les plus pénibles? je ne le déciderai pas il s'agit de juger, d'un côté, entre les étroits engagements du respect, des secours, des services, de l'obéissance, de la dépendance; et, d'un autre, les obligations indispensables de bonté, de justice, de soins, de défense, de protection. Dire qu'un prince est arbitre de la vie des hommes, c'est dire seulement que les hommes, par leurs crimes, deviennent naturellement soumis aux lois et à la justice, dont le prince est le dépositaire : ajouter qu'il est maître absolu de tous les biens de ses sujets, sans égard, sans compte ni discussion, c'est le langage de la flatterie, c'est l'opinion d'un favori qui se dédira à l'agonie.

Quand vous voyez quelquefois un nombreux | aplanissent les chemins, leur épargnent les diffitroupeau qui, répandu sur une colline vers le cultés, et font tout prospérer au-delà de leur déclin d'un beau jour, paît tranquillement le attente: ils ont le mérite de subalternes. thym et le serpolet, ou qui broute dans une prairie une herbe menue et tendre qui a échappé à la faux du moissonneur, le berger soigneux et attentif est debout auprès de ses brebis; il ne les perd pas de vue, il les suit, il les conduit, il les change de pâturages si elles se dispersent, il les rassemble; si un loup avide paroît, il lâche son chien qui le met en fuite; il les nourrit, il les défend; l'aurore le trouve déja en plaine campagne, d'où il ne se retire qu'avec le soleil : quels soins! quelle vigilance! quelle servitude! quelle condition vous paroît la plus délicieuse et la plus libre, ou du berger ou des brebis? le troupeau est-il fait pour le berger, ou le berger pour le troupeau? Image naïve des peuples et du prince qui les gouverne, s'il est bon prince.

Le faste et le luxe dans un souverain c'est le berger habillé d'or et de pierreries, la houlette d'or en ses mains; son chien a un collier d'or, il est attaché avec une laisse d'or et de soie : que sert tant d'or à son troupeau ou contre les loups?

Quelle heureuse place que celle qui fournit dans tous les instants l'occasion à un homme de faire du bien à tant de milliers d'hommes! quel dangereux poste que celui qui expose à tous moments un homme à nuire à un million d'hommes! Si les hommes ne sont point capables sur la terre d'une joie plus naturelle, plus flatteuse, et plus sensible, que de connoître qu'ils sont aimés; et si les rois sont hommes, peuvent-ils jamais trop acheter le cœur de leurs peuples? Il y a peu de règles générales et de mesures certaines pour bien gouverner: l'on suit le temps et les conjonctures, et cela roule sur la prudence et sur les vues de ceux qui règnent : aussi le chef-d'œuvre de l'esprit c'est le parfait gouvernement; et ce ne seroit peut-être pas une chose possible, si les peuples, par l'habitude où ils sont de la dépendance et de la soumission, ne faisoient la moitié de l'ouvrage.

Sous un très grand roi, ceux qui tiennent les premières places n'ont que des devoirs faciles, et que l'on remplit sans nulle peine tout coule de source; l'autorité et le génie du prince leur

Si c'est trop de se trouver chargé d'une seule famille, si c'est assez d'avoir à répondre de soi seul, quel poids, quel accablement, que celui de tout un royaume! Un souverain est-il payé de ses peines par le plaisir que semble donner une puissance absolue, par toutes les prosternations des courtisans? Je songe aux pénibles, douteux et dangereux chemins qu'il est quelquefois obligé de suivre pour arriver à la tranquillité publique ; je repasse les moyens extrêmes, mais nécessaires, dont il use souvent pour une bonne fin je sais qu'il doit répondre à Dieu même de la félicité de ses peuples, que le bien et le mal est en ses mains, et que toute ignorance ne l'excuse pas; et je me dis à moimême, Voudrois-je régner? Un homme un peu heureux dans une condition privée devroit-il y renoncer pour une monarchie? N'est-ce pas beaucoup pour celui qui se trouve en place par un droit héréditaire, de supporter d'être né roi?

Que de dons du Ciel ne faut-il pas pour bien régner! une naissance auguste, un air d'empire et d'autorité, un visage qui remplisse la curiosité des peuples empressés de voir le prince, et qui conserve le respect dans le courtisan; une parfaite égalité d'humeur, un grand éloignement pour la raillerie piquante, ou assez de raison pour ne se la permettre point; ne faire jamais ni menaces ni reproches, ne point céder à la colère, et être toujours obéi; l'esprit facile, insinuant; le cœur ouvert, sincère, et dont on croit voir le fond, et ainsi très propre à se faire des amis, des créatures et des alliés; être sccret toutefois, profond et impénétrable dans ses motifs et dans ses projets : du sérieux et de la gravité dans le public; de la brièveté, jointe à beaucoup de justesse et de dignité, soit dans les réponses aux ambassadeurs des princes, soit dans les conseils; une manière de faire des graces qui est comme un second bienfait; le choix des personnes que l'on gratifie; le discernement des esprits, des talents, et des complexions, pour la distribution des postes et des emplois; le choix des généraux et des ministres: un jugement ferme, solide, décisif dans

Portrait de Louis XIV.

contraindre les ennemis à la recevoir ; qui donne des règles à une vaste ambition, et sait jusqu'où l'on doit conquérir : au milieu d'ennemis couverts ou déclarés se procurer le loisir des jeux, des fêtes, des spectacles; cultiver les arts et les sciences, former et exécuter des projets d'édifices surprenants: un génie enfin supérieur et puissant qui se fait aimer et révérer des siens, craindre des étrangers; qui fait d'une cour, et même de tout un royaume, comme une seule famille unie parfaitement sous un même chef, dont l'union et la bonne intelligence est redoutable au reste du monde. Ces admirables vertus me semblent renfermées dans l'idée du souverain. Il est vrai qu'il est rare de les voir réunies dans un même sujet; il faut que trop de choses concourent à-la-fois, l'esprit, le cœur, les dehors, le tempérament; et il me paroît qu'un monarque qui les rassemble toutes en sa personne est bien digne du nom de Grand.

CHAPITRE XI.

les affaires, qui fait que l'on connoît le meilleur | sait quelquefois, et selon les divers intérêts, parti et le plus juste; un esprit de droiture et d'équité qui fait qu'on le suit jusqu'à prononcer quelquefois contre soi-même en faveur du peuple, des alliés, des ennemis; une mémoire heureuse et très présente qui rappelle les besoins des sujets, leurs visages, leurs noms, leurs requêtes; une vaste capacité qui s'étende non seulement aux affaires de dehors, au commerce, aux maximes d'état, aux vues de la politique, au reculement des frontières par la conquête de nouvelles provinces, et à leur sûreté par un grand nombre de forteresses inaccessibles; mais qui sache aussi se renfermer au-dedans, et comme dans les détails de tout un royaume; qui en bannisse un culte faux, suspect, et ennemi de la souveraineté, s'il s'y rencontre; qui abolisse des usages cruels et impies, s'ils y règnent; qui réforme les lois et les coutumes, si elles étoient remplies d'abus; qui donne aux villes plus de sûreté et plus de commodités par le renouvellement d'une exacte police, plus d'éclat et plus de majesté par des édifices somptueux punir sévèrement les vices scandaleux; donner, par son autorité et par son exemple, du crédit à la piété et à la vertu; protéger l'Église, ses ministres, ses droits, ses libertés; ménager ses peuples comme ses enfants; être toujours occupé de la pensée de les soulager, de rendre les subsides légers, et tels qu'ils se lèvent sur les provinces sans les appauvrir de grands talents pour la guerre; être vigilant, appliqué, laborieux; avoir des armées nombreuses, les commander en personne, être froid dans le péril, ne ménager sa vie que pour le bien de son état, aimer le bien de son état et sa gloire plus que sa vie : une puissance très absolue, qui ne laisse point d'occasion aux brigues, à l'intrigue, et à la cabale; qui ôte cette distance infinie qui est quelquefois entre les grands et les petits, qui les rapproche, et sous laquelle tous plient également : une étendue de connoissances qui fait que le prince voit tout par ses yeux, qu'il agit immédiatement et par lui-même, que ses généraux ne sont, quoique éloignés de lui, que ses lieutenants, et les ministres que ses ministres une profonde sagesse qui sait déclarer la guerre, qui sait vaincre et user de la victoire, qui sait faire la paix, qui sait la rompre, qui

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De l'homme.

Ne nous emportons point contre les hommes, en voyant leur dureté, leur ingratitude, leur injustice, leur fierté, l'amour d'eux-mêmes, et l'oubli des autres; ils sont ainsi faits, c'est leur nature: c'est ne pouvoir supporter que la pierre tombe, ou que le feu s'élève.

Les hommes, en un sens, ne sont point légers, ou ne le sont que dans les petites choses: ils changent leurs habits, leur langage, les dehors, les bienséances; ils changent de goûts quelquefois ; ils gardent leurs mœurs toujours mauvaises; fermes et constants dans le mal, ou dans l'indifférence pour la vertu.

Le stoïcisme est un jeu d'esprit et une idée semblable à la république de Platon. Les stoïques ont feint qu'on pouvoit rire dans la pauvreté, être insensible aux injures, à l'ingratitude, aux pertes de biens, comme à celles des parents et des amis; regarder froidement la mort, et comme une chose indifférente, qui ne devoit ni réjouir, ni rendre triste; n'être vaincu ni par le plaisir, ni par la douleur ; sentir le fer

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