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sion; ils étoient enfin parvenus à n'être plus en- | que de prononcer de certains noms; et, s'ils

tendus, et à ne s'entendre pas eux-mêmes. Il ne falloit, pour fournir à ces entretiens, ni bon sens, ni jugement, ni mémoire, ni la moindre capacité; il falloit de l'esprit, non pas du meilleur, mais de celui qui est faux, et où l'imagination a trop de part.

Je le sais, Theobalde, vous êtes vieilli; mais voudriez-vous que je crusse que vous êtes baissé, que vous n'êtes plus poëte ni bel esprit, que vous êtes présentement aussi mauvais juge de tout genre d'ouvrage que méchant auteur, que vous n'avez plus rien de naïf et de délicat dans la conversation? Votre air libre et présomptueux me rassure et me persuade tout le contraire. Vous êtes donc aujourd'hui tout ce que vous fùtes jamais, et peut-être meilleur; car, si à votre âge vous êtes si vif et si impétueux, quel nom, Theobalde, falloit-il vous donner dans votre jeunesse, et lorsque vous étiez la coqueluche ou l'entêtement de certaines femmes qui ne juroient que par vous et sur votre parole, qui disoient: Cela est délicieux; qu'a-t-il dit?

L'on parle impétueusement dans les entretiens, souvent par vanité ou par humeur, rarement avec assez d'attention: tout occupé du desir de répondre à ce qu'on n'écoute point, l'on suit ses idées, et on les explique sans le moindre égard pour les raisonnements d'autrui; l'on est bien éloigné de trouver ensemble la vérité, l'on n'est pas encore convenu de celle que l'on cherche. Qui pourroit écouter ces sortes de conversations, et les écrire, feroit voir quelquefois de bonnes choses qui n'ont nulle suite.

Il a régné pendant quelque temps une sorte de conversation fade et puérile, qui rouloit toute sur des questions frivoles qui avoient relation au cœur, et à ce qu'on appelle passion ou tendresse. La lecture de quelques romans les avoit introduites parmi les plus honnêtes gens de la ville et de la cour; ils s'en sont défaits, et la bourgeoisie les a reçues avec les pointes et les équivoques.

Quelques femmes de la ville ont la délicatesse de ne pas savoir ou de n'oser dire le nom des rues, des places, et de quelques endroits publics qu'elles ne croient pas assez nobles pour être connus. Elles disent le Louvre, la place Royale: mais elles usent de tours et de phrases plutôt

leur échappent, c'est du moins avec altération du mot, et après quelques façons qui les rassurent: en cela moins naturelles que les femmes de la cour, qui, ayant besoin, dans le discours, des Halles, du Châtelet, ou de choses semblables, disent les Halles, le Châtelet.

Si l'on feint quelquefois de ne se pas souvenir de certains noms que l'on croit obscurs, et si l'on affecte de les corrompre en les prononçant, c'est par la bonne opinion qu'on a du sien1.

L'on dit par belle humeur, et dans la liberté de la conversation, de ces choses froides qu'à la vérité l'on donne pour telles, et que l'on ne trouve bonnes que parcequ'elles sont extrêmement mauvaises. Cette manière basse de plaisanter a passé du peuple, à qui elle appartient, jusque dans une grande partie de la jeunesse de la cour, qu'elle a déja infectée. Il est vrai qu'il y entre trop de fadeur et de grossièreté pour devoir craindre qu'elle s'étende plus loin, et qu'elle fasse de plus grands progrès dans un pays qui est le centre du bon goût et de la politesse; l'on doit cependant en inspirer le dégoût à ceux qui la pratiquent : car, bien que ce ne soit jamais sérieusement, elle ne laisse pas de tenir la place, dans leur esprit et dans le commerce ordinaire, de quelque chose de meilleur.

Entre dire de mauvaises choses ou en dire de bonnes que tout le monde sait, et les donner pour nouvelles, je n'ai pas à choisir.

Lucain a dit une jolie chose; il y a un beau <mot de Claudien; il y a cet endroit de Sénè<que et là-dessus une longue suite de latin que l'on cite souvent devant des gens qui ne l'entendent pas, et qui feignent de l'entendre. Le secret seroit d'avoir un grand sens et bien de l'esprit ; car ou l'on se passeroit des anciens, ou, après les avoir lus avec soin, l'on sauroit encore choisir les meilleurs, et les citer à propos.

Hermagoras ne sait pas qui est roi de Hongrie; il s'étonne de n'entendre faire aucune mention du roi de Bohème : ne lui parlez pas des guerres de Flandre et de Hollande, dispensez-le du

estropioit impitoyablement les noms de tous les roturiers de sa connoissance, même de ses confrères à l'Académie Françoise.

C'est ce que faisoit, dit-on, le maréchal de Richelieu, qui

I

moins de vous répondre; il confond les temps, | plus d'un mois les stances qu'il vous a promises, il ignore quand elles ont commencé, quand elles s'il ne manque de parole à Dosithée qui l'a enont fini: combats, siéges, tout lui est nouveau. gagé à faire une élégie; une idylle est sur le Mais il est instruit de la guerre des géants, il métier: c'est pour Crantor qui le presse, et qui en raconte le progrès et les moindres détails; lui laisse espérer un riche salaire. Prose, vers, rien ne lui est échappé : il débrouille de même que voulez-vous? il réussit également en l'un et l'horrible chaos des deux empires, le babylonien en l'autre. Demandez-lui des lettres de conet l'assyrien ; il connoît à fond les Égyptiens et solation, ou sur une absence, il les entreleurs dynasties. Il n'a jamais vu Versailles, il ne le prendra; prenez-les toutes faites et entrez dans verra point, il a presque vu la tour de Babel; il en son magasin, il y a à choisir. Il a un ami qui compte les degrés ; il sait combien d'architectes n'a point d'autre fonction sur la terre que de ont présidé à cet ouvrage; il sait le nom des ar- le promettre long-temps à un certain monde, et chitectes. Dirai-je qu'il croit Henri IV fils de Hen- de le présenter enfin dans les maisons comme ri III? Il néglige du moins de rien connoître aux homme rare et d'une exquise conversation; maisons de France, d'Autriche, de Bavière: quel- et là, ainsi que le musicien chante et que le les minuties! dit-il, pendant qu'il récite de mémoi- joueur de luth touche son luth devant les perre toute une liste des rois des Mèdes ou de Baby- sonnes à qui il a été promis, Cydias, après lone, et que les noms d'Apronal, d'Hérigebal, avoir toussé, relevé sa manchette, étendu la de Noesnemordach, de Mardokempad, lui sont main et ouvert les doigts, débite gravement aussi familiers qu'à nous ceux de VALOIS et de ses pensées quintessenciées et ses raisonnements BOURBON. Il demande si l'Empereur a jamais été sophistiques. Différent de ceux qui, convenant marié; mais personne ne lui apprendra que de principes, et connoissant la raison ou la Ninus a eu deux femmes. On lui dit que le roi vérité qui est une, s'arrachent la parole l'un jouit d'une santé parfaite; et il se souvient que à l'autre pour s'accorder sur leurs sentiments, Thetmosis, un roi d'Égypte, étoit valétudinaire, il n'ouvre la bouche que pour contredire : et qu'il tenoit cette complexion de son aïeul Alipharmutosis. Que ne sait-il point? quelle chose lui est cachée de la vénérable antiquité? Il vous dira que Sémiramis, ou, selon quelques uns, Sérimaris, parloit comme son fils Ninyas; qu'on ne les distinguoit pas à la parole: si c'étoit parceque la mère avoit une voix mâle comme son fils, ou le fils une voix efféminée comme sa mère, qu'il n'ose pas le décider. Il vous révèlera que Nembrot étoit gaucher, et Sésostris ambidextre; que c'est une erreur de s'imaginer qu'un Artaxerce ait été appelé Longuemain parceque les bras lui tomboient jusqu'aux genoux, et non à cause qu'il avoit une main plus longue que l'autre; et il ajoute qu'il y a des auteurs graves qui affirment que c'étoit la droite ; qu'il croit néanmoins être bien fondé à soutenir que c'est la gauche.

Ascagne est statuaire, Hégion fondeur, Eschine foulon, et Cydias bel esprit ; c'est sa profession. Il a une enseigne, un atelier, des ouvrages de commande, et des compagnons qui travaillent sous lui; il ne vous sauroit rendre de

■ Henri-le-Grand, ( La Bruyère. }

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Il me semble, dit-il gracieusement, que <c'est tout le contraire de ce que vous dites; › ou, je ne saurois être de votre opinion; ou bien, ç'a été autrefois mon entètement, << comme il est le vôtre; mais... il Ꭹ a trois

choses, ajoute-t-il, à considérer..... et il en ajoute une quatrième : fade discoureur qui n'a pas mis plus tôt le pied dans une assemblée, qu'il cherche quelques femmes auprès de qui il puisse s'insinuer, se parer de son bel esprit ou de sa philosophie, et mettre en œuvre ses rares conceptions: car, soit qu'il parle ou qu'il écrive, il ne doit pas être soupçonné d'avoir en vue ni le vrai ni le faux, ni le raisonnable ni le ridicule; il évite uniquement de donner dans le sens des autres, et d'être de l'avis de quelqu'un : aussi attend-il dans un cercle que chacun se soit expliqué sur le sujet qui s'est offert, ou souvent qu'il a amené lui-même, pour dire dogmatiquement des choses toutes nouvelles, mais à son gré décisives et sans réplique. Cydias s'égale à Lucien et à Sénèque1, se met au-dessus

› Philosophe et poëte tragique. (La Bruyère.)'

de Platon, de Virgile et de Théocrite; et son | femme, depuis le jour qu'il en fit le choix jus

flatteur a soin de le confirmer tous les matins dans cette opinion. Uni de goût et d'intérêt avec les contempteurs d'Homère, il attend paisiblement que les hommes détrompés lui préfèrent les poëtes modernes; il se met en ce cas à la tête de ces derniers, et il sait à qui il adjuge la seconde place. C'est, en un mot, un composé du pédant et du précieux, fait pour être admiré de la bourgeoisie et de la province, en qui néanmoins on n'aperçoit rien de grand que l'opinion qu'il a de lui-même.

C'est la profonde ignorance qui inspire le ton dogmatique. Celui qui ne sait rien croit enseigner aux autres ce qu'il vient d'apprendre luimême; celui qui sait beaucoup pense à peine que ce qu'il dit puisse être ignoré, et parle plus indifféremment.

Les plus grandes choses n'ont besoin que d'être dites simplement; elles se gatent par l'emphase: il faut dire noblement les plus petites; elles ne se soutiennent que par l'expression, le ton, et la manière.

Il me semble que l'on dit les choses encore plus finement qu'on ne peut les écrire.

Il n'y a guère qu'une naissance honnête, ou une bonne éducation, qui rende les hommes capables de secret.

Toute confiance est dangereuse, si elle n'est entière: il y a peu de conjonctures où il ne faille tout dire ou tout cacher. On a déja trop dit de son secret à celui à qui on croit devoir en dérober une circonstance.

qu'à sa mort : il a déja dit qu'il regrette qu'elle ne lui ait pas laissé d'enfants, et il le répète ; il parle des maisons qu'il a à la ville, et bientôt d'une terre qu'il a à la campagne; il calcule le revenu qu'elle lui rapporte; il fait le plan des bâtiments, en décrit la situation, exagère la commodité des appartements, ainsi que la richesse et la propreté des meubles. Il assure qu'il aime la bonne chère, les équipages; il se plaint que sa femme n'aimoit point assez le jeu et la société. Vous êtes si riche, lui disoit un de ses amis, que n'achetez-vous cette charge? pourquoi ne pas faire cette acquisition qui étendroit votre domaine? On me croit, ajoute-t-il, plus de bien que je n'en possède. Il n'oublie pas son extraction et ses alliances: M. le surintendant, qui est mon cousin; madame la chancelière, qui est ma parente: voilà son style. Il raconte un fait qui prouve le mécontentement qu'il doit avoir de ses plus proches, et de ceux même qui sont ses héritiers: Ai-je tort? dit-il à Élise; ai-je grand sujet de leur vouloir du bien? et il l'en fait juge. Il insinue ensuite qu'il a une santé foible et languissante; et il parle de la cave où il doit être enterré. Il est insinuant, flatteur, officieux, à l'égard de tous ceux qu'il trouve auprès de la personne à qui il aspire. Mais Élise n'a pas le courage d'être riche en l'épousant. On annonce, au moment qu'il parle, un cavalier, qui de sa seule présence démonte la batterie de l'homme de ville: il se lève déconcerté et chagrin, et va dire ailleurs qu'il veut se remarier. Le sage quelquefois évite le monde, de peur d'être ennuyé.

CHAPITRE VI.

Des biens de fortune.

Des gens vous promettent le secret, et ils le révèlent eux-mêmes, et à leur insu; ils ne remuent pas les lèvres, et on les entend: on lit sur leur front et dans leurs yeux; on voit au travers de leur poitrine; ils sont transparents : d'autres ne disent pas précisément une chose qui leur a été confiée; mais ils parlent et agissent de manière qu'on la découvre de soi-même : enfin quelques uns méprisent votre secret, de quelque conséquence qu'il puisse être : « C'est un ◄ mystère, un tel m'en a fait part, et m'a dé-à la ville, avoir un grand équipage, mettre un <fendu de le dire; et ils le disent.

Un homme fort riche peut manger des entremets, faire peindre ses lambris et ses alcôves, jouir d'un palais à la campagne, et d'un autre

duc dans sa famille, et faire de son fils un grand

Toute révélation d'un secret est la faute de seigneur : cela est juste et de son ressort. Mais celui qui l'a confié. il appartient peut-être à d'autres de vivre contents.

Nicandre s'entretient avec Élise de la manière douce et complaisante dont il a vécu avec sa

Une grande naissance ou une grande fortune

annonce le mérite, et le fait plus tôt remarquer. Ce qui disculpe le fat ambitieux de son ambition est le soin que l'on prend, s'il a fait une grande fortune, de lui trouver un mérite qu'il n'a jamais eu, et aussi grand qu'il croit l'avoir. A mesure que la faveur et les grands biens se retirent d'un homme, ils laissent voir en lui le ridicule qu'ils couvroient, et qui y étoit sans que personne s'en aperçût.

Si l'on ne le voyoit de ses yeux, pourroit-on jamais s'imaginer l'étrange disproportion que le plus ou le moins de pièces de monnoie met entre les hommes?

Ce plus ou ce moins détermine à l'épée, à la robe, ou à l'église : il n'y a presque point d'autre vocation.

Deux marchands étoient voisins, et faisoient le même commerce, qui ont eu dans la suite une fortune toute différente. Ils avoient chacun une fille unique ; elles ont été nourries ensemble, et ont vécu dans cette familiarité que donnent un même âge et une même condition : l'une des deux, pour se tirer d'une extrême misère, cherche à se placer; elle entre au service d'une fort grande dame, et l'une des premières de la cour: chez sa compagne.

Si le financier manque son coup, les courtisans disent de lui: C'est un bourgeois, un homme de rien, un malotru; s'il réussit, ils lui demandent sa fille.

Quelques uns ont fait dans leur jeunesse l'apprentissage d'un certain métier, pour en exercer un autre, et fort différent, le reste de leur vie.

Un homme est laid, de petite taille, et a peu d'esprit. L'on me dit à l'oreille : Il a cinquante mille livres de rente; cela le concerne tout seul, et il ne m'en fera jamais ni pis ni mieux. Si je commence à le regarder avec d'autres yeux, et si je ne suis pas maître de faire autrement, quelle sottise!

Un projet assez vain seroit de vouloir tourner un homme fort sot et fort riche en ridicule; les rieurs sont de son côté.

N", avec un portier rustre, farouche, tirant sur le Suisse, avec un vestibule et une antichambre, pour peu qu'il y fasse languir quelqu'un et Les partisans, qui avoient souvent commencé par être la

quais.

se morfondre, qu'il paroisse enfin avec une mine grave et une démarche mesurée, qu'il écoute un peu et ne reconduise point, quelque subalterne qu'il soit d'ailleurs, il fera sentir de luimême quelque chose qui approche de la considération.

Je vais, Clitiphon, à votre porte; le besoin que j'ai de vous me chasse de mon lit et de ma chambre : plût aux dieux que je ne fusse ni votre client, ni votre fâcheux! Vos esclaves me disent que vous êtes enfermé, et que vous ne pouvez m'écouter que d'une heure entière: je reviens avant le temps qu'ils m'ont marqué, et ils me disent que vous êtes sorti. Que faitesvous, Clitiphon, dans cet endroit le plus reculé de votre appartement, de si laborieux qui vous empêche de m'entendre? Vous enfilez quelques mémoires; vous collationnez un registre, vous signez, vous paraphez; je n'avois qu'une chose à vous demander, et vous n'aviez qu'un mot à me répondre, oui ou non. Voulez-vous être rare? rendez service à ceux qui dépendent de vous : vous le serez davantage par cette conduite que par ne vous pas laisser voir. O homme important et chargé d'affaires, qui, à votre tour, avez besoin de mes offices, venez dans la solitude de mon cabinet! le philosophe est accessible; je ne vous remettrai point à un autre jour. Vous me trouverez sur les livres de Platon qui traitent de la spiritualité de l'ame et de sa distinction d'avec le corps, ou la plume à la main pour calculer les distances de Saturne et de Jupiter : j'admire Dieu dans ses ouvrages, et je cherche, par la connoissance de la vérité, à régler mon esprit et devenir meilleur. Entrez, toutes les portes vous sont ouvertes : mon antichambre n'est pas faite pour s'y ennuyer en m'attendant; passez jusqu'à moi sans me faire avertir. Vous m'apportez quelque chose de plus précieux que l'argent et l'or, si c'est une occasion de vous obliger: parlez, que voulez-vous que je fasse pour vous? faut-il quitter mes livres, mes études, mon ouvrage, cette ligne qui est commencée? quelle interruption heureuse pour moi que celle qui vous est utile! Le manieur d'argent, l'homme d'affaires, est un ours qu'on ne sauroit apprivoiser; on ne le voit dans sa loge qu'avec peine, que dis-je? on ne le voit point; car d'abord on ne le voit pas encore, et bientôt on ne le voit plus.

L'homme de lettres, au contraire, est trivial | lui avoient acquises, et qu'il a épuisées par le comme une borne au coin des places; il est vu luxe et par la bonne chère, il ne lui est pas dede tous, et à toute heure, et en tous états, à meuré de quoi se faire enterrer; il est mort table, au lit, nu, habillé, sain, ou malade: il insolvable, sans biens, et ainsi privé de tous les ne peut être important, et il ne le veut point secours : l'on n'a vu chez lui ni julep, ni corêtre. diaux, ni médecins, ni le moindre docteur qui l'ait assuré de son salut.

N'envions point à une sorte de gens leurs grandes richesses : ils les ont à titre onéreux, et qui ne nous accommoderoit point. Ils ont mis leur repos, leur santé, leur honneur, et leur conscience, pour les avoir : cela est trop cher, et il n'y a rien à gagner à un tel marché.

Les P.T. S.1 nous font sentir toutes les passions l'une après l'autre. L'on commence par le mépris, à cause de leur obscurité. On les envie ensuite, on les hait, on les craint, on les estime quelquefois, et on les respecte. L'on vit assez pour finir à leur égard par la compassion.

Sosie de la livrée a passé, par une petite recette, à une sous-ferme; et, par les concussions, la violence, et l'abus qu'il a fait de ses pouvoirs, il s'est enfin, sur les ruines de plusieurs familles, élevé à quelque grade: devenu noble par une charge, il ne lui manquoit que d'être homme de bien; une place de marguillier a fait ce prodige.

Arfure cheminoit seule et à pied vers le grand portique de Saint**, entendoit de loin le sermon d'un carme ou d'un docteur qu'elle ne voyoit qu'obliquement, et dont elle perdoit bien des paroles. Sa vertu étoit obscure, et sa dévotion connue comme sa personne. Son mari est entré dans le huitième denier : quelle monstrueuse fortune en moins de six années! Elle n'arrive à l'église que dans un char; on lui porte une lourde queue; l'orateur s'interrompt pendant qu'elle se place; elle le voit de front, n'en perd pas une seule parole, ni le moindre geste : il y a une brigue entre les prètres pour la confesser; tous veulent l'absoudre, et le curé l'emporte.

L'on porte Crésus au cimetière : de toutes ses immenses richesses, que le vol et la concussion

› C'est sous le voile assez transparent de ces trois lettres que La Bruyère avoit jugé à propos de cacher le nom de partisans,

que les éditeurs venus après lui ont écrit en entier. On ne peut pas croire que ce fût de sa part un ménagement pour les partisans de son temps, puisque ailleurs il les nomme en toutes lettres. Il ne vouloit peut-être que procurer à ses lecteurs le petit plaisir de deviner cette espèce d'énigme.

Champagne, au sortir d'un long dîner qui lui enfle l'estomac, et dans les douces fumées d'un vin d'Avenay ou de Sillery, signe un ordre qu'on lui présente, qui ôteroit le pain à toute une province si l'on n'y remédioit : il est excusable; quel moyen de comprendre, dans la première heure de la digestion, qu'on puisse quelque part mourir de faim?

Sylvain de ses deniers a acquis de la naissance et un autre nom. Il est seigneur de la paroisse où ses aïeux payoient la taille : il n'auroit pu autrefois entrer page chez Cléobule, et il est son gendre.

Dorus passe en litière par la voie Appienne, précédé de ses affranchis et de ses esclaves, qui détournent le peuple et font faire place: il ne lui manque que des licteurs. Il entre à Rome avec ce cortége, où il semble triompher de la bassesse et de la pauvreté de son père Sanga.

On ne peut mieux user de sa fortune que fait Périandre: elle lui donne du rang, du crédit, de l'autorité; déja on ne le prie plus d'accorder son amitié, on implore sa protection. Il a commencé par dire de soi-même, un homme de ma sorte; il passe à dire, un homme de ma qualité il se donne pour tel; et il n'y a personne de ceux à qui il prête de l'argent, ou qu'il reçoit à sa table, qui est délicate, qui veuille s'y opposer. Sa demeure est superbe, un dorique règne dans tous ses dehors; ce n'est pas une porte, c'est un portique : est-ce la maison d'un particulier? est-ce un temple? le peuple s'y trompe. Il est le seigneur dominant de tout le quartier: c'est lui que l'on envie, et dont on voudroit voir la chute; c'est lui dont la femme, par son collier de perles, s'est fait des ennemies de toutes les dames du voisinage. Tout se soutient dans cet homme; rien encore ne se dément dans cette grandeur qu'il a acquise, dont il ne doit rien, qu'il a payée. Que son père, si vieux et si caduc, n'est-il mort il y a vingt ans, et avant qu'il se fit dans le monde aucune mention

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