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Les femmes se préparent pour leurs amants, si elles les attendent: mais, si elles en sont surprises, elles oublient à leur arrivée l'état où elles se trouvent ; elles ne se voient plus. Elles ont plus de loisir avec les indifférents; elles sentent le désordre où elles sont, s'ajustent en leur présence, ou disparoissent un moment, et reviennent parées.

Si les femmes veulent seulement être belles à | avec ses mouches et son rouge, est ridicule. leurs propres yeux et se plaire à elles-mêmes, elles peuvent sans doute, dans la manière de s'embellir, dans le choix des ajustements et de la parure, suivre leur goût et leur caprice: mais, si c'est aux hommes qu'elles desirent de plaire, si c'est pour eux qu'elles se fardent ou qu'elles s'enluminent, j'ai recueilli les voix, et je leur prononce, de la part de tous les hommes ou de la plus grande partie, que le blanc et le rouge les rendent affreuses et dégoûtantes; que le rouge seul les vieillit et les déguise; qu'ils haïssent autant à les voir avec de la céruse sur le visage qu'avec de fausses dents en la bouche, et des boules de cire dans les mâchoires; qu'ils protestent sérieusement contre tout l'artifice dont elles usent pour se rendre laides; et que, bien loin d'en répondre devant Dieu, il semble au contraire qu'il leur ait réservé ce dernier et infaillible moyen de guérir des femmes.

Si les femmes étoient telles naturellement qu'elles le deviennent par artifice, qu'elles perdissent en un moment toute la fraîcheur de leur teint, qu'elles eussent le visage aussi allumé et aussi plombé qu'elles se le font par le rouge et par la peinture dont elles se fardent, elles seroient inconsolables.

Une femme coquette ne se rend point sur la passion de plaire, et sur l'opinion qu'elle a de sa beauté. Elle regarde le temps et les années comme quelque chose seulement qui ride et qui enlaidit les autres femmes : elle oublie du moins que l'âge est écrit sur le visage. La même parure qui a autrefois embelli sa jeunesse défigure enfin sa personne, éclaire les défauts de sa vieillesse. La mignardise et l'affectation l'accompagnent dans la douleur et dans la fièvre : elle meurt parée et en rubans de couleur.

Lise entend dire d'une autre coquette qu'elle se moque de se piquer de jeunesse, et de vouloir user d'ajustements qui ne conviennent plus à une femme de quarante ans. Lise les a accomplis; mais les années pour elle ont moins de douze mois, et ne la vieillissent point. Elle le croit ainsi; et, pendant qu'elle se regarde au miroir, qu'elle met du rouge sur son visage, et qu'elle place des mouches, elle convient qu'il n'est pas permis à un certain age de faire la jeune, et que Clarice en effet,

Un beau visage est le plus beau de tous les spectacles; et l'harmonie la plus douce est le son de voix de celle que l'on aime.

L'agrément est arbitraire la beauté est quelque chose de plus réel et de plus indépendant du goût et de l'opinion.

L'on peut être touché de certaines beautés si parfaites, et d'un mérite si éclatant, que l'on se borne à les voir et à leur parler.

Une belle femme qui a les qualités d'un honnête homme est ce qu'il y a au monde d'un commerce plus délicieux : l'on trouve en elle tout le mérite des deux sexes.

Il échappe à une jeune personne de petites choses qui persuadent beaucoup, et qui flattent sensiblement celui pour qui elles sont faites : il n'échappe presque rien aux hommes; leurs caresses sont volontaires, ils parlent, ils agissent, ils sont empressés, et persuadent moins.

Le caprice est dans les femmes tout proche de la beauté, pour être son contre-poison, et afin qu'elle nuise moins aux hommes, qui n'en guériroient pas sans remède.

Les femmes s'attachent aux hommes par les faveurs qu'elles leur accordent les hommes guérissent par ces mêmes faveurs.

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Une femme oublie d'un homme qu'elle n'aime plus, jusqu'aux faveurs qu'il a reçues d'elle.

Une femme qui n'a qu'un galant croit n'être point coquette: celle qui a plusieurs galants croit n'être que coquette.

Telle femme évite d'être coquette par un ferme attachement à un seul, qui passe pour folle par son mauvais choix.

Un ancien galant tient à si peu de chose, qu'il cède à un nouveau mari; et celui-ci dure si peu, qu'un nouveau galant qui survient lui rend le change.

Un ancien galant craint ou méprise un nouveau rival, selon le caractère de la personne qu'il sert.

Il ne manque souvent à un ancien galant, au- | vie, un double engagement à soutenir, égaleprès d'une femme qui l'attache, que le nom de ment difficile à rompre et à dissimuler: il ne mari: c'est beaucoup; et il seroit mille fois manque à l'un que le contrat, et à l'autre que perdu sans cette circonstance. le cœur.

Il semble que la galanterie dans une femme ajoute à la coquetterie. Un homme coquet, au contraire, est quelque chose de pire qu'un homme galant. L'homme coquet et la femme galante vont assez de pair.

Il y a peu de galanteries secrètes: bien des femmes ne sont pas mieux désignées par le nom de leurs maris que par celui de leurs

amants.

Une femme galante veut qu'on l'aime : il suffit à une coquette d'être trouvée aimable, et de passer pour belle. Celle-là cherche à engager, celle-ci se contente de plaire. La première passe successivement d'un engagement à un autre; la seconde a plusieurs amusements tout à-lafois. Ce qui domine dans l'une, c'est la passion et le plaisir; et, dans l'autre, c'est la vanité et la légèreté. La galanterie est un foible du cœur, ou peut-être un vice de la complexion; la coquetterie est un dérèglement de l'esprit. La femme galante se fait craindre, et la coquette se fait haïr. L'on peut tirer de ces deux caractères de quoi en faire un troisième, le pire de

tous.

Une femme foible est celle à qui l'on reproche une faute, qui se la reproche à elle-même, dont le cœur combat la raison; qui veut guérir, qui ne guérira point, ou bien tard.

Une femme inconstante est celle qui n'aime plus; une légère, celle qui déja en aime un autre; une volage, celle qui ne sait si elle aime et ce qu'elle aime; une indifférente, celle qui n'aime rien.

La perfidie, si je l'ose dire, est une menterie de toute la personne : c'est dans une femme l'art de placer un mot ou une action qui donne le change, et quelquefois de mettre en œuvre des serments et des promesses qui ne lui coûtent pas plus à faire qu'à violer.

Une femme infidèle, si elle est connue pour telle de la personne intéressée, n'est qu'infidèle; s'il la croit fidèle, elle est perfide.

A juger de cette femme par sa beauté, sa jeunesse, sa fierté, ses dédains, il n'y a personne qui doute que ce ne soit un héros qui doive un jour la charmer: son choix est fait, c'est un petit monstre qui manque d'esprit.

Il y a des femmes déja flétries qui, par leur complexion ou par leur mauvais caractère, sont naturellement la ressource des jeunes gens qui n'ont pas assez de bien. Je ne sais qui est plus à plaindre, ou d'une femme avancée en âge qui a besoin d'un cavalier, ou d'un cavalier qui a besoin d'une vieille.

Le rebut de la cour est reçu à la ville dans une ruelle, où il défait le magistrat même en cravate et en habit gris, ainsi que le bourgeois en baudrier, les écarte et devient maître de la place: il est écouté, il est aimé; on ne tient guère plus d'un moment contre une écharpe d'or et une plume blanche, contre un homme qui parle au roi et voit les ministres. Il fait des jaloux et des jalouses; on l'admire, il fait envie : à quatre lieues de là il fait pitié.

Un homme de la ville est pour une femme de province ce qu'est pour une femme de ville un homme de la cour.

A un homme vain, indiscret, qui est grand parleur et mauvais plaisant, qui parle de soi avec confiance, et des autres avec mépris ; impétueux, altier, entreprenant, sans mœurs ni probité, de nul jugement et d'une imagination très libre, il ne lui manque plus, pour être adoré de bien des femmes, que de beaux traits et la taille belle.

Est-ce en vue du secret, ou par un goût hypocondre, que cette femme aime un valet ; cette autre, un moine; et Dorine, son médecin?

Roscius1 entre sur la scène de bonne grace : oui, Lélie; et j'ajoute encore qu'il a les jambes bien tournées, qu'il joue bien, et de longs rôles;

Sans traduire les noms antiques par des noms modernes, comme l'ont fait hardiment des fabricateurs de clefs, on peut croire que, dans tout ce paragraphe, La Bruyère dirige les traits

On tire ce bien de la perfidie des femmes, de son ironie amère contre quelques grandes dames de ce temps, qu'elle guérit de la jalousie.

qui se disputoient scandaleusement la possession de certains comédiens, danseurs ou musiciens, tels que Baron, Pécourt, et

Quelques femmes ont, dans le cours de leur autres.

et que pour déclamer parfaitement il ne lui manque, comme on le dit, que de parler avec la bouche : mais est-il le seul qui ait de l'agrément dans ce qu'il fait? et ce qu'il fait, est-ce la chose la plus noble et la plus honnête que l'on puisse faire? Roscius d'ailleurs ne peut être à vous; il est à une autre; et quand cela ne seroit pas ainsi, il est retenu : Claudie attend, pour l'avoir, qu'il se soit dégoûté de Messaline. Prenez Bathylle, Lélie : où trouverez-vous, je ne dis pas dans l'ordre des chevaliers que vous dédaignez, mais même parmi les farceurs, un jeune homme qui s'élève si haut en dansant, et qui passe mieux la capriole? Voudriez-vous le sauteur Cobus, qui, jetant ses pieds en avant, tourne une fois en l'air avant que de tomber à terre? ignorez-vous qu'il n'est plus jeune? Pour Bathylle, dites-vous, la presse y est trop grande; et il refuse plus de femmes qu'il n'en agrée. Mais vous avez Dracon, le joueur de flûte: nul autre de son métier n'enfle plus décemment ses joues en soufflant dans le hautbois ou le flageolet: car c'est une chose infinie que le nombre des instruments qu'il fait parler; plaisant d'ailleurs, il fait rire jusqu'aux enfants et aux femmelettes. Qui mange et qui boit mieux que Dracon en un seul repas? Il enivre toute une compagnie, et se rend le dernier. Vous soupirez, Lélie : est-ce que Dracon auroit fait un choix? ou que malheureusement on vous auroit prévenue? Se seroit-il enfin engagé à Césonie, qui l'a tant couru, qui lui a sacrifie une si grande foule d'amants, je dirai même toute la fleur des Romains? à Césonie, qui est d'une famille patricienne, qui est si jeune, si belle, et si sérieuse je vous plains, Lélie, si vous avez pris par contagion ce nouveau goût qu'ont tant de femmes romaines pour ce qu'on appelle des hommes publics et exposés par leur condition à la vue des autres. Que ferez-vous, lorsque le meilleur en ce genre vous est enlevé? Il reste encore Bronte le questionnaire1 : le peuple ne parle que de sa force et de son adresse; c'est un jeune homme qui a les épaules larges et la taille ramassée, un nègre d'ailleurs, un homme noir.

Pour les femmes du monde un jardinier est

Le bourrean.

un jardinier, et un maçon est un maçon; pour quelques autres plus retirées, un maçon est un homme, un jardinier est un homme. Tout est tentation à qui la craint.

Quelques femmes donnent aux couvents et à leurs amants : galantes et bienfaitrices, elles ont jusque dans l'enceinte de l'autel des tribunes et des oratoires où elles lisent des billets tendres, et où personne ne voit qu'elles ne prient point Dieu.

Qu'est-ce qu'une femme que l'on dirige? est-ce une femme plus complaisante pour son mari, plus douce pour ses domestiques, plus appliquée à sa famille et à ses affaires, plus ardente et plus sincère pour ses amis; qui soit moins esclave de son humeur, moins attachée à ses intérêts; qui aime moins les commodités de la vie; je ne dis pas qui fasse des largesses à ses enfants; qui sont déja riches, mais qui, opulente elle-même et accablée du superflu, leur fournisse le nécessaire et leur rende au moins la justice qu'elle leur doit; qui soit plus exempte d'amour de soi-même, et d'éloignement pour les autres; qui soit plus libre de tous attachements humains? Non, dites-vous, ce n'est rien de toutes ces choses. J'insiste, et je vous demande : Qu'est-ce donc qu'une femme que l'on dirige? Je vous entends, c'est une femme qui a un directeur.

Si le confesseur et le directeur ne conviennent point sur une règle de conduite, qui sera le tiers qu'une femme prendra pour surarbitre?

Le capital pour une femme n'est pas d'avoir un directeur, mais de vivre si uniment qu'elle s'en puisse passer.

Si une femme pouvoit dire à son confesseur, avec ses autres foiblesses, celles qu'elle a pour son directeur, et le temps qu'elle perd dans son entretien, peut-être lui seroit-il donné pour pénitence d'y renoncer.

Je voudrois qu'il me fût permis de crier de toute ma force à ces hommes saints qui ont été autrefois blessés des femmes: Fuyez les femmes, ne les dirigez point; laissez à d'autres le soin de leur salut.

C'est trop contre un mari d'être coquette et dévote une femme devroit opter.

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J'ai différé à le dire, et j'en ai souffert; mais

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enfin il m'échappe, et j'espère même que ma | joli sermon. Elles alloient le lundi perdre leur franchise sera utile à celles qui, n'ayant pas argent chez Ismène; le mardi, leur temps chez assez d'un confesseur pour leur conduite, n'u- Climène; et le mercredi, leur réputation chez sent d'aucun discernement dans le choix de leurs Célimène: elles savoient dès la veille toute la directeurs. Je ne sors pas d'admiration et d'é- joie qu'elles devoient avoir le jour d'après et le tonnement à la vue de certains personnages lendemain elles jouissoient tout à-la-fois du que je ne nomme point. J'ouvre de fort grands plaisir présent et de celui qui ne leur pouvoit yeux sur eux; je les contemple: ils parlent, je manquer; elles auroient souhaité de les pouvoir prête l'oreille, je m'informe; on me dit des rassembler tous en un seul jour. C'étoit alors faits, je les recueille; et je ne comprends pas leur unique inquiétude, et tout le sujet de leurs comment des gens en qui je crois voir toutes distractions; et, si elles se trouvoient quelquechoses diametralement opposées au bon esprit, fois à l'opéra, elles y regrettoient la comédie. au sens droit, à l'expérience des affaires du Autres temps, autres mœurs elles outrent monde, à la connoissance de l'homme, à la l'austérité et la retraite; elles n'ouvrent plus les science de la religion et des mœurs, présu- yeux qui leur sont donnés pour voir; elles ne ment que Dieu doive renouveler en nos jours mettent plus leurs sens à aucun usage, et, chose la merveille de l'apostolat, et faire un miracle incroyable! elles parlent peu: elles pensent en leurs personnes, en les rendant capables, encore et assez bien d'elles-mêmes, comme astout simples et petits esprits qu'ils sont, du sez mal des autres. Il y a chez elles une émulaministère des ames, celui de tous le plus déli- tion de vertu et de réforme qui tient quelque cat et le plus sublime : et, si au contraire ils se chose de la jalousie. Elles ne haïssent pas de pricroient nés pour un emploi si relevé, si difficile, mer dans ce nouveau genre de vie, comme elles accordé à si peu de personnes, et qu'ils se per- faisoient dans celui qu'elles viennent de quitter suadent de ne faire en cela qu'exercer leurs ta- par politique ou par dégoût. Elles se perdoient lents naturels et suivre une vocation ordinaire, gaiement par la galanterie, par la bonne chère, je le comprends encore moins. et par l'oisiveté; et elles se perdent tristement par la présomption et par l'envie.

Je vois bien que le goût qu'il y a à devenir le dépositaire du secret des familles, à se rendre nécessaire pour les réconciliations, à procurer des commissions ou à placer des domestiques, à trouver toutes les portes ouvertes dans les maisons des grands, à manger souvent à de bonnes tables, à se promener en carrosse dans une grande ville, et à faire de délicieuses retraites à la campagne, à voir plusieurs personnes de nom et de distinction s'intéresser à sa vie et à sa santé, et à ménager pour les autres et pour soi-même tous les intérêts humains: je vois bien, encore une fois, que cela seul a fait imaginer le spécieux et irrépréhensible prétexte du soin des ames, et semé dans le monde cette pépinière intarissable de direc

teurs.

La dévotion vient à quelques uns, et sur-tout aux femmes, comme une passion, ou comme le foible d'un certain âge, ou comme une mode qu'il faut suivre. Elles comptoient autrefois une semaine par les jours de jeu, de spectacle, de concert, de mascarade, ou d'un

Si j'épouse, Hermas, une femme avare, elle ne me ruinera point; si une joueuse, elle pourra s'enrichir; si une savante, elle saura mʼinstruire; si une prude, elle ne sera point emportée; si une emportée, elle exercera ma patience; si une coquette, elle voudra me plaire; si une galante, elle le sera peut-être jusqu'à m'aimer; si une dévote1, répondez, Hermas, que dois-je attendre de celle qui veut tromper Dieu, et qui se trompe elle-même?

Une femme est aisée à gouverner, pourvu que ce soit un homme qui s'en donne la peine. Un seul même en gouverne plusieurs; il cultive leur esprit et leur mémoire, fixe et détermine leur religion; il entreprend même de régler leur cœur. Elles n'approuvent et ne désapprouvent, ne louent et ne condamnent qu'après avoir consulté ses yeux et son visage. Il est le dépositaire de leurs joies et de leurs chagrins, de leurs desirs, de leurs jalousies, de leurs haines et de leurs

1 Fausse dévote. (Note de La Bruyère.)

amours; il les fait rompre avec leurs galants; il | deur qui est petitesse ; une fausse vertu qui est

les brouille et les réconcilie avec leurs maris; et il profite des interrègnes. Il prend soin de leurs affaires, sollicite leurs procès, et voit leurs juil leur donne son médecin, son marchand, ges; ses ouvriers; il s'ingère de les loger, de les meubler; et il ordonne de leur équipage. On le voit avec elles dans leurs carrosses, dans les rues d'une ville, et aux promenades, ainsi que dans leur banc à un sermon, et dans leur loge à la comédie. Il fait avec elles les mêmes visites; il les accompagne au bain, aux eaux, dans les voyages; il a le plus commode appartement chez elles à la campagne. Il vieillit sans déchoir de son autorité : un peu d'esprit et beaucoup de temps à perdre lui suffit pour la conserver. Les enfants, les héritiers, la bru, la nièce, les domestiques, tout en dépend. Il a commencé par se faire estimer; il finit par se faire craindre. Cet ami si ancien, si nécessaire, meurt sans qu'on le pleure; et dix femmes dont il étoit le tyran héritent, par sa mort, de la liberté.

Quelques femmes ont voulu cacher leur conduite sous les dehors de la modestie; et tout ce que chacune a pu gagner par une continuelle affectation, et qui ne s'est jamais démentie, a été de faire dire de soi: On l'auroit prise pour une vestale.

C'est dans les femmes une violente preuve d'une réputation bien nette et bien établie, qu'elle ne soit pas même effleurée par la familiarité de quelques unes qui ne leur ressemblent point, et qu'avec toute la pente qu'on a aux malignes explications, on ait recours à une tout autre raison de ce commerce qu'à celle de la convenance des mœurs.

Un comique outre sur la scène ses personnages; un poëte charge ses descriptions; un peintre qui fait d'après nature force et exagère une passion, un contraste, des attitudes; et celui qui copie, s'il ne mesure au compas les grandeurs et les proportions, grossit ses figures, donne à toutes les pièces qui entrent dans l'ordonnance de son tableau plus de volume que n'en ont celles de l'original : de même la pruderie est une imitation de la sagesse.

Il y a une fausse modestie qui est vanité; une fausse gloire qui est légèreté ; une fausse gran

hypocrisie; une fausse sagesse qui est pruderie. Une femme prude paie de maintien et de paroles; une femme sage paie de conduite. Cellelà suit son humeur et sa complexion, celle-ci sa raison et son cœur. L'une est sérieuse et austère; l'autre est, dans les diverses rencontres, précisément ce qu'il faut qu'elle soit. La première cache des foibles sous de plausibles dehors; la seconde couvre un riche fonds sous un air libre et naturel. La pruderie contraint l'esprit, ne cache ni l'âge ni la laideur; souvent elle les suppose. La sagesse, au contraire, pallie les défauts du corps, ennoblit l'esprit, ne rend la jeunesse que plus piquante, et la beauté que plus périlleuse.

Pourquoi s'en prendre aux hommes de ce que les femmes ne sont pas savantes? Par quelles lois, par quels édits, par quels rescrits, leur a-ton défendu d'ouvrir les yeux et de lire, de retenir ce qu'elles ont lu, et d'en rendre compte ou dans leur conversation ou dans leurs ouvrages? Ne se sont-elles pas au contraire établies elles-mêmes dans cet usage de ne rien savoir, ou par la foiblesse de leur complexion, ou par la paresse de leur esprit, ou par le soin de leur beauté, ou par une certaine légèreté qui les empêche de suivre une longue étude, ou par le talent et le génie qu'elles ont seulement pour les ouvrages de la main, ou par les distractions que donnent les détails d'un domestique, ou par un éloignement naturel des choses pénibles et sérieuses, ou par une curiosité toute différente de celle qui contente l'esprit, ou par un tout autre goût que celui d'exercer leur mémoire? Mais, à quelque cause que les hommes puissent devoir cette ignorance des femmes, ils sont heureux que les femmes, qui les dominent d'ailleurs par tant d'endroits, aient sur eux cet avantage de moins.

On regarde une femme savante comme on fait une belle arme : elle est ciselée artistement, d'une polissure admirable, et d'un travail fort recherché; c'est une pièce de cabinet que l'on montre aux curieux, qui n'est pas d'usage, qui ne sert ni à la guerre ni à la chasse, non plus qu'un cheval de manége, quoique le mieux instruit du monde.

Si la science et la sagesse se trouvent unies en

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