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trop avant dans les replis de leur cœur ; ils ont | l'on entretient, et leur céder aisément l'avansouvent de la peine à laisser voir tout ce qu'ils tage de décider, sans les obliger de répondre en connoissent, et ils en ont encore davantage quand ils n'ont pas envie de parler. quand on pénètre ce qu'ils ne connoissent pas bien. Que le commerce que les honnêtes gens ont ensemble leur donne de la familiarité, et leur fournisse un nombre infini de sujets de se parler sincèrement.

Personne presque n'a assez de docilité et de bon sens pour bien recevoir plusieurs avis qui sont nécessaires pour maintenir la société. On veut être averti jusqu'à un certain point, mais on ne veut pas l'être en toutes choses, et on craint de savoir toutes sortes de vérités.

Comme on doit garder des distances pour voir les objets, il en faut garder aussi pour la société; chacun a son point de vue, d'où il veut être regardé. On a raison le plus souvent de ne vouloir pas être éclairé de trop près; et il n'y a presque point d'homme qui veuille en toutes choses se laisser voir tel qu'il est.

V.

De la Conversation.

Ce qui fait que peu de personnes sont agréables dans la conversation, c'est que chacun songe plus à ce qu'il a dessein de dire, qu'à ce que les autres disent, et que l'on n'écoute guère quand on a bien envie de parler.

Néanmoins il est nécessaire d'écouter ceux qui parlent. Il faut leur donner le temps de se faire entendre, et souffrir même qu'ils disent des choses inutiles. Bien loin de les contredire et de les interrompre, on doit au contraire entrer dans leur esprit et dans leur goût, montrer qu'on les entend, louer ce qu'ils disent autant qu'il mérite d'être loué, et faire voir que c'est plutôt par choix, qu'on les loue que par complaisance.

Pour plaire aux autres, il faut parler de ce qu'ils aiment et de ce qui les touche, éviter les disputes sur des choses indifférentes, leur faire rarement des questions, et ne leur laisser jamais croire qu'on prétend avoir plus de raison qu'eux.

On doit dire les choses d'un air plus ou moins sérieux, et sur des sujets plus ou moins relevés, selon l'humeur et la capacité des personnes que

Après avoir satisfait de cette sorte aux devoirs de la politesse, on peut dire ses sentiments en montrant qu'on cherche à les appuyer de l'avis de ceux qui écoutent, sans marquer de présomption ni d'opiniâtreté.

Évitons surtout de parler souvent de nousmêmes, et de nous donner pour exemple. Rien n'est plus désagréable qu'un homme qui se cite lui-même à tout propos.

On ne peut aussi apporter trop d'application à connoître la pente et la portée de ceux à qui l'on parle, pour se joindre à l'esprit de celui qui en a le plus, sans blesser l'inclination ou l'intérêt des autres par cette préférence.

Alors on doit faire valoir toutes les raisons qu'il a dites, ajoutant modestement nos propres pensées aux siennes, et lui faisant croire, autant qu'il est possible, que c'est de lui qu'on les prend.

Il ne faut jamais rien dire avec un air d'autorité, ni montrer aucune supériorité d'esprit. Fuyons les expressions trop recherchées, les termes durs ou forcés, et ne nous servons point de paroles plus grandes que les choses.

Il n'est pas défendu de conserver ses opinions, si elles sont raisonnables. Mais il faut se rendre à la raison aussitôt qu'elle paroît, de quelque part qu'elle vienne; elle seule doit régner sur nos sentiments: mais suivons-la sans heurter les sentiments des autres, et sans faire paroître du mépris de ce qu'ils ont dit.

Il est dangereux de vouloir être toujours le maître de la conversation, et de pousser trop loin une bonne raison quand on l'a trouvée. L'honnêteté veut que l'on cache quelquefois la moitié de son esprit, et qu'on ménage un opiniatre qui se défend mal, pour lui épargner la honte de céder.

On déplaît sûrement quand on parle trop long-temps et trop souvent d'une même chose, et que l'on cherche à détourner la conversation sur des sujets dont on se croit plus instruit que les autres. Il faut entrer indifféremment sur tout ce qui leur est agréable, s'y arrêter autant qu'ils le veulent, et s'éloigner de tout ce qui ne leur convient pas.

Toute sorte de conversation, quelque spiri- | tuelle qu'elle soit, n'est pas également propre à toutes sortes de gens d'esprit. Il faut choisir ce qui est de leur goût, et ce qui est convenable à leur condition, à leur sexe, à leurs talents, et choisir même le temps de le dire.

Observons le lieu, l'occasion, l'humeur où se trouvent les personnes qui nous écoutent car s'il y a beaucoup d'art à savoir parler à propos, il n'y en a pas moins à savoir se taire. Il y a un silence éloquent qui sert à approuver et à condamner; il y a un silence de discrétion et de respect. II y a enfin des tons, des airs et des manières qui font tout ce qu'il y a d'agréable ou de désagréable, de délicat ou de choquant dans la conversation.

Mais le secret de s'en bien servir est donné à peu de personnes. Ceux même qui en font des règles s'y méprennent souvent; et la plus sûre qu'on en puisse donner, c'est écouter beaucoup, parler peu, et ne rien dire dont on puisse avoir sujet de se repentir.

De la Conversation 1.

Ce qui fait que si peu de personnes sont agréables dans la conversation, c'est que chacun songe plus à ce qu'il veut dire, qu'à ce que les autres disent. Il faut écouter ceux qui parlent si on en veut être écouté; il faut leur laisser la liberté de se faire entendre, et même de dire des choses inutiles. Au lieu de les contraindre et de les interrompre, comme on fait souvent, on doit au contraire entrer dans leur esprit et dans leur goût, montrer qu'on les entend, leur parler de ce qui les touche, louer ce qu'ils disent autant qu'il mérite d'être loué, et faire voir que c'est plus par choix qu'on les loue que par complaisance.

Il faut éviter de contester sur des choses indifférentes,

et

on parle, pour se joindre à l'esprit de celui qui en a le plus, pour ajouter ses pensées aux siennes, en lui faisant croire, autant qu'il est possible, que c'est de lui qu'on les prend. Il y a de l'habileté à n'épuiser pas les sujets qu'on traite, et à laisser toujours aux autres quelque chose à penser et à dire.

On ne doit jamais parler avec des airs d'autorité, ni se servir de paroles ni de termes plus grands que les choses. On peut conserver ses opinions si elles sont raisonnables; mais en les conservant, il ne faut jamais blesser les sentiments des autres, ni paroître choqué de ce qu'ils ont dit. Il est dangereux de vouloir être toujours le maître de la conversation, et de parler trop souvent d'une même chose. On doit entrer indifféremment sur tous les sujets agréables

qui se présentent, et ne faire jamais voir qu'on veut entraîner la conversation sur ce qu'on a envie de dire.

Il est nécessaire d'observer que toute sorte de conver

sation, quelque honnête et quelque spirituelle qu'elle soit, n'est pas également propre à toute sorte d'honnêtes gens; il faut choisir ce qui convient à chacun, et choisir même le temps de le dire.

Mais s'il y a beaucoup d'art à parler, il n'y en a pas moins

à se taire. Il y a un silence éloquent; il sert quelquefois à approuver et à condamner; il y a un silence moqueur ; il y

a un silence respectueux.

Il y a des airs, des tours et des manières qui font souvent ce qu'il y a d'agréable ou de désagréable, de délicat ou de choquant dans la conversation. Le secret de s'en bien servir est donné à peu de personnes; ceux même qui en font des règles s'y méprennent quelquefois : la plus sûre à mon avis, c'est de n'en point avoir qu'on ne puisse changer, de laisser plutôt voir des négligences dans ce qu'on dit, que de l'affectation; d'écouter, de ne parler guère, et de ne se forcer jamais à parler.

VI.

Du Faux.

On est faux en différentes manières. Il y a des hommes faux qui veulent toujours paroître ce qu'ils ne sont pas. Il y en a d'autres de meilleure foi, qui sont nés faux, qui se trompent eux-mêmes, et qui ne voient jamais les choses comme elles sont. Il y en a dont l'esprit est droit et le goût faux; d'autres ont l'esprit faux, et moins sérieuses, selon l'humeur ou l'inclination des per quelque droiture dans le goût; et il y en a qui

faire rarement des questions inutiles, ne laisser jamais croire qu'on prétend avoir plus de raison que les autres, et céder aisément l'avantage de décider.

On doit dire des choses naturelles, faciles, et plus ou

sonnes que l'on entretient ; ne les presser pas d'approuver ce qu'on dit, ni même d'y répondre.

Quand on a satisfait de cette sorte aux devoirs de la politesse, on peut dire ses sentiments sans prévention et sans opiniâtreté, en faisant paroître qu'on cherche à les appuyer

de l'avis de ceux qui écoutent.

Il faut éviter de parler long-temps de soi-même, et de se donner souvent pour exemple. On ne sauroit avoir trop d'application à connoître la pente et la pensée de ceux à qui

Nous croyons utile de donner ici cette seconde leçon du morceau qu'on vient de lire. Elle se trouve dans l'édition de M. de Fortia.

n'ont rien de faux dans le goût ni dans l'esprit. Ccux-ci sont très rares, puisqu'à parler généralement, il n'y a personne qui n'ait de la fausseté dans quelque endroit de l'esprit ou du goût.

Ce qui fait cette fausseté si universelle, c'est que nos qualités sont incertaines et confuses, et que nos goûts le sont aussi. On ne voit point les choses précisément comme elles sont; on les estime plus ou moins qu'elles ne valent, et on ne les fait point rapporter à nous en la manière

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qui leur convient, et qui convient à notre état et à nos qualités.

Ce mécompte met un nombre infini de faussetés dans le goût et dans l'esprit ; notre amourpropre est flatté de tout ce qui se présente à nous sous les apparences du bien.

Mais comme il y a plusieurs sortes de biens, qui touchent notre vanité ou notre tempérament, on les suit souvent par coutume ou par commodité. On les suit parceque les autres les suivent, sans considérer qu'un même sentiment ne doit pas être également embrassé par toutes sortes de personnes, et qu'on s'y doit attacher plus ou moins fortement, selon qu'il convient plus ou moins à ceux qui le suivent.

On craint encore plus de se montrer faux par le goût que par l'esprit. Les honnêtes gens doivent approuver sans prévention ce qui mérite d'être approuvé, suivre ce qui mérite d'être suivi, et ne se piquer de rien; mais il faut une grande proportion et une grande justesse. Il faut savoir discerner ce qui est bon en général, et ce qui nous est propre, et suivre alors avec raison la pente naturelle qui nous porte vers les choses qui nous plaisent.

Si les hommes ne vouloient exceller que par leurs propres talents, et en suivant leurs devoirs, il n'y auroit rien de faux dans leur goût et dans leur conduite : ils se montreroient tels qu'ils sont; ils jugeroient des choses par leurs lumières, et s'y attacheroient par raison. Il y auroit de la proportion dans leurs vues, dans leurs sentiments: leur goût seroit vrai, il viendroit d'eux, et non pas des autres; ils le suivroient par choix, et non pas par coutume et par hasard. Si on est faux en approuvant ce qui ne doit pas être approuvé, on ne l'est pas moins le plus souvent par l'envie de se faire valoir par des qualités qui sont bonnes de soi, mais qui ne nous conviennent pas. Un magistrat est faux quand il se pique d'être brave, bien qu'il puisse être hardi dans de certaines rencontres. Il doit être ferme et assuré dans une sédition qu'il a droit d'apaiser, sans craindre d'être faux, et il seroit faux et ridicule de se battre en duel.

Une femme peut aimer les sciences; mais toutes les sciences ne lui conviennent pas, et l'entêtement de certaines sciences ne lui convient jamais et est toujours faux.

Il faut que la raison et le bon sens mettent le prix aux choses, et qu'elles déterminent notre goût à leur donner le rang qu'elles méritent, et qu'il nous convient de leur donner. Mais presque tous les hommes se trompent dans ce prix et dans ce rang; et il y a toujours de la fausseté dans ce mécompte.

VII.

De l'Air et des Manières.

Il y a un air qui convient à la figure et aux talents de chaque personne : on perd toujours quand on le quitte pour en prendre un autre.

Il faut essayer de connoître celui qui nous est naturel, n'en point sortir, et le perfectionner autant qu'il nous est possible.

Ce qui fait que la plupart des petits enfants plaisent, c'est qu'ils sont encore renfermés dans cet air et dans ces manières que la nature leur a donnés, et qu'ils n'en connoissent point d'autres. Ils les changent et les corrompent quand ils sortent de l'enfance: ils croient qu'il faut imiter ce qu'ils voient, et ils ne le peuvent parfaitement imiter; il y a toujours quelque chose de faux et d'incertain dans cette imitation. Ils n'ont rien de fixe dans leurs manières et dans leurs sentiments; au lieu d'être en effet ce qu'ils veulent paroître, ils cherchent à paroître ce qu'ils ne sont pas.

Chacun veut être un autre, et n'être plus ce qu'il est ils cherchent une contenance hors d'eux-mêmes, et un autre esprit que le leur; ils prennent des tons et des manières au hasard; ils en font des expériences sur eux, sans considérer que ce qui convient à quelques uns ne convient pas à tout le monde, qu'il n'y a point de règle générale pour les tons et pour les manières, et qu'il n'y a point de bonnes copies.

Deux hommes néanmoins peuvent avoir du rapport en plusieurs choses, sans être copie l'un de l'autre, si chacun suit son naturel ; mais personne presque ne le suit entièrement : on aime à imiter. On imite souvent, même sans s'en apercevoir, et on néglige ses propres biens pour des biens étrangers, qui d'ordinaire ne nous conviennent pas.

Je ne prétends pas, par ce que je dis, nous renfermer tellement en nous-mêmes, que nous

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RÉFLEXIONS DIVERSES DE LA ROCHEFOUCAULD.

n'ayons pas la liberté de suivre des exemples, | convient de marcher à la tête d'un régiment et et de joindre à nous des qualités utiles et néces- à une promenade. saires que la nature ne nous a pas données. Les arts et les sciences conviennent à la plupart de ceux qui s'en rendent capables. La bonne grace | et la politesse conviennent à tout le monde; mais ces qualités acquises doivent avoir un certain rapport, et une certaine union avec nos propres qualités, qui les étende et les augmente imperceptiblement.

Nous sommes élevés à un rang et à des dignités au-dessus de nous; nous sommes souvent engagés dans une profession nouvelle où la nature ne nous avoit pas destinés. Tous ces états ont chacun un air qui leur convient, mais qui ne convient pas toujours avec notre air naturel. Ce changement de notre fortune change souvent notre air et nos manières, et y ajoute l'air de la dignité, qui est toujours faux quand il est trop marqué, et qu'il n'est pas joint et confondu avec l'air que la nature nous a donné. Il faut Les unir et les mêler ensemble, et faire en sorte qu'ils ne paroissent jamais séparés.

On ne parle pas de toutes choses sur un même ton, et avec les mêmes manières. On ne marche pas à la tête d'un régiment comme on marche en se promenant. Mais il faut qu'un même air nous fasse dire naturellement des choses différentes, et qu'il nous fasse marcher différemment, mais toujours naturellement et comme il

Il y en a qui ne se contentent pas de renoncer à leur air propre et naturel pour suivre celui du rang et des dignités où ils sont parvenus. Il y en a même qui prennent par avance l'air des dignités et du rang où ils aspirent. Combien de lieutenants généraux apprennent à être maréchaux de France! combien de gens de robe répètent inutilement l'air de chancelier, et combien de bourgeoises se donnent l'air de duchesse!

Ce qui fait qu'on déplaît souvent, c'est que personne ne sait accorder son air et ses manières avec sa figure, ni ses tons et ses paroles avec ses pensées et ses sentiments: on s'oublie soimême, et on s'en éloigne insensiblement ; tout le monde presque tombe par quelque endroit dans ce défaut; personne n'a l'oreille assez juste pour entendre parfaitement cette sorte de cadence.

Mille gens déplaisent avec des qualités aimables; mille gens plaisent avec de moindres talents. C'est que les uns veulent paroître ce qu'ils ne sont pas, les autres sont ce qu'ils paroissent, et enfin quelques avantages ou quelques désavantages que nous ayons reçus de la nature, on plaît à proportion de ce qu'on suit l'air, les tons, les manières et les sentiments qui conviennent à notre état et à notre figure, et on déplaît à proportion de ce qu'on s'en éloigne.

FIN DES RÉFLEXIONS DIVERSES.

EXAMEN CRITIQUE

DES

RÉFLEXIONS OU
OU SENTENCES

ET MAXIMES MORALES

DE LA ROCHEFOUCAULD;

PAR LOUIS AIMÉ-MARTIN.

Intueri naturam et sequi. QUINT.

INTRODUCTION.

VOULANT écrire de l'Homme, et se tracer une route nouvelle, l'illustre auteur des Maximes nie, dès l'abord, l'existence de la vertu. Ainsi débarrassé du seul titre que nous avons devant Dieu, il nous livre au néant et marche rapidement à l'athéisme. Cette accusation, qui peut surprendre, ne restera pas sans preuve 2. Les Doctrines de La Rochefoucauld sont beaucoup plus mauvaises que leur réputation. Elles s'appuient sur l'égoïsme, vice honteux qui isole l'homme, mais que l'auteur confond à dessein avec l'amour de soi, sentiment conservateur qui unit les sociétés. Il est donc indispensable de remarquer cette confusion, presque toujours inaperçue, parcequ'elle donne à son système une apparence de vérité : elle est le trait le plus subtil de son génie, et c'est ainsi que l'incertitude où il nous jette nous persuade trop souvent qu'il prend dans notre conscience le principe fondamental de son livre.

Ce n'est point ici le lieu d'examiner le fond de ce système 3; mais je ne puis m'empêcher de remarquer que l'idée de soumettre toutes nos actions à un mobile unique, est peut-être la plus grande injure que l'homme ait jamais faite à l'homme. Les animaux n'ont reçu qu'un rayon d'intelligence qui, sous le nom d'instinct, règle leur vie entière; ils sont commandés par la nécessité : mais notre ame est une sphère parfaite d'intelligence et d'amour; elle s'étudie, se connoit et se juge. Le signe de son excellence est la liberté de choisir entre le bien et le mal, et la preuve

1 Voyez la Maxime 504.

Voyez les Maximes 44 et 504.

3 Voyez la Maxime 262,

de cette liberté est le repentir qui nous presse lorsque ce choix est mauvais. Borner notre ame à une seule passion, c'est ravaler la nature de l'homme; c'est l'assimiler à l'instinct des animaux. Telle est la conclusion rigoureuse du livre des Maximes: il faut, ou rejeter le système, ou en subir les conséquences.

Frappé des vices de la cour, La Rochefoucauld s'est contenté de les peindre. Il a vu l'homme ouvrage de la société, il a oublié l'homme ouvrage de Dieu. Son livre est un tableau du siècle, digne d'être étudié; et l'histoire y répand une vive lumière qui nous en fait reconnoître les personnages. A le considérer sous ce rapport, il offre des lignes admirables. Jamais, dans un espace si court, on ne renferma tant de vérités de détails, d'aperçus neufs, et de ces observations déliées qui entrent dans la partie perverse des cœurs. C'est quelquefois le pinceau de Tacite, ce n'est jamais son ame! Tacite nous émeut pour la vertu, La Rochefoucauld nous laisse froid devant la dégradation humaine on voit que le but de son livre n'est pas de faire haïr le vice, mais de faire croire à son triomphe. Plein de cette pensée, il nie jusqu'à la possibilité de le combattre ': sa confiance est dans le mal 2, sa vertu dans l'intérêt, sa volonté dans la disposition de ses organes 3. Il commence par nous fletrir et finit par nous corrompre; et c'est en nous inspirant le mépris de notre cœur qu'il nous accoutume aux actions méprisables. Sent-on en soi quelque penchant à la vanité, à l'envie, à l'égoïsme, à l'ingratitude, on s'applique ses maximes insidieuses qui se gravent si facilement dans la mémoire; puis on se dit: La nature est ainsi faite; et l'on cesse de rougir de soi-même.

Voyez la Maxime 177.

2 Voyez la Maxime 238.

3 Voyez la Maxime 44.

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