Et notre vieux coq en soi-même Se mit à rire de sa peur; Car c'est double plaisir de tromper le trompeur. XVI. Le Corbeau voulant imiter l'Aigle1. L'oiseau de Jupiter enlevant un mouton, Et plus faible de reins, mais non pas moins glouton, Marque entre cent moutons le plus gras, le plus beau, On l'avait réservé pour la bouche des dieux. Mais ton corps me paraît en merveilleux état : Sur l'animal bêlant à ces mots il s'abat. La moutonnière créature Pesait plus qu'un fromage; outre que sa toison Et mêlée à peu près de la même façon Que la barbe de Polypheme '. Elle empêtra si bien les serres du corbeau, Il faut se mesurer; la conséquence est nette : 1. Ésope. 2. On sacrifiait aux dieux des animaux de choix. 3. Allusion au fromage de la fable 11, liv. I. Le poëte, en rappelant une première mésaventure du corbeau, prépare adroitement le récit de cette nouvelle disgrace. 4. Cyclope auquel Ülysse creva son œil unique pendant qu'il dor 1 Mal prend aux volereaux de faire les voleurs. Tous les mangeurs de gens ne sont pas grands seigneurs; Où la guêpe a passé, le moucheron demeure. 1. Petits voleurs, diminutif dont notre poëte paraît avoir enrichi la langue XVII. Le Paon se plaignant à Junon'. Le paon se plaignait à Junon. Au lieu qu'un rossignol, chétive créature, Oiseau jaloux, et qui devrais te taire, Une si riche queue et qui semble à nos yeux Est-il quelque oiseau sous les cieux Tout animal n'a pas toutes propriétés. 1. Phèdre. 2. Ce vers se lie mal au précédent, 3. Nuancé. 4. Qui te panades. On a tort de donner comme synonymes se panader et se pavaner : le paon se panade lorsqu'il étale sa queue, il se pavane lorsqu'il marche orgueilleusement, Panader est tiré directement de pron, et pavaner de pavo. Les uns ont la grandeur et la force en partage La corneille avertit des malheurs à venir; Cesse donc de te plaindre; ou bien, pour te punir, 1. Imité d'Anacreon. XVIII. Le Lion ei l'Ane chassants1. Le roi des animaux se mit un jour en tête Le gibier du lion, ce ne sont pas moineaux, Mais beaux et bons sangliers, daims et cerfs bons et Pour réussir dans cette affaire, Il se servit du ministère De l'âne à la voix de Stentor ". L'âne à messer lion fit office de cor. Le lion le posta, le couvrit de ramée, Lui commanda de braire, assuré qu'à ce son [beaux. L'air en retentissait d'un bruit épouvantable: N'ai-je pas bien servi dans cette occasion? 1. Esope. Phèdre. 2. Ce mot est ici de deux syllabes, selon l'usage le plus fréquent de ce temps. 3. Stentor, guerrier grec, au siége de Troic, Sa voix, suivant Homère, avait la puissance de cinquante voix humaines. : Dit l'âne en se donnant tout l'honneur de la chasse.- 1. C'est bravement crié. Bravement à un double sens qui rend plus piquante l'ironie du lion. Dans le vieux langage si bien connu de La Fontaine, il signifierait de belle manière. Le peuple dit encore que vous êtes brave! » pour que vous êtes de bonne mine ou bien vetu. Le sens de courage est de date plus moderne. XIX. Testament expliqué par Esope'. Si ce qu'on dit d'Ésope est vrai, Lui seul avait plus de sagesse Que tout l'aréopage. En voici pour essai Un certain homme avait trois filles, 1. Phèdre. 2. L'aréopage, tribunal chargé à Athènes de juger les crimes. Les artifices de l'éloquence en étaient sévèrement bannis, et il était renommé par la sagesse de ses décisions. Son nom est tiré de deux mots grecs qui signifient colline de Mars, lieu où il tenait ses séances. 3. « La Fontaine, dit M. Nodier, ne pense pas ici à son précepte: Il ne faut jamais dire aux gens Ecoutez un bon mot, oyez une merveille. » Cet homme, par son testament, Leur laissa tout son bien par portions égales, Ne posséderait plus sa contigente part. Courent au testament, sans attendre plus tard. La volonté du testateur; Mais en vain car comment comprendre Ne possédera plus sa part héréditaire, En cent et cent mille manières, Y jettent leur bonnet se confessent vaincus, De partager le bien sans songer au surplus. Voici, leur dirent-ils, ce que le conseil treuve Si mieux n'aime la mère en créer une rente, La chose ainsi réglée, on composa trois lots : Les buffets dressés sous la treille, 1. Contingente, qui lui serait échue. : 2. Expression proverbiale; on jette son bonnet, en signe de désespoir, quand on ne trouve aucun moyen de se tirer d'embarras. 3. On disait treuve pour trouve au XVIe siècle. C'était déjà un archaisme au temps de La Fontaine; depuis il est complétement hors d'usage. |