LIVRE DOUZIÈME. 1. Les Compagnons d'Ulysse1. Les compagnons d'Ulysse, après dix ans d'alarmes, Où la fille du dieu du jour, Elle leur fit prendre un breuvage Quelques moments après leur corps et leur visage Les autres sous une autre forme : Il sut se défier de la liqueur traîtresse. La mine d'un héros et le doux entretien, Prit un autre poison peu différent du sien. Ulysse était trop fin pour ne pas profiter: A son remède encore; et je viens vous l'offrir: Je n'ai pas la tête si folle; Moi renoncer aux dons que je viens d'acquérir ! Ulysse du lion court à l'ours: Eh! mon frère, Reprit l'ours à sa manière : Comme me voilà fait ! comme doit être un ours. Je me rapporte1 aux yeux d'une ourse mes amours. Je ne veux point changer d'état. Le prince grec au loup va proposer l'affaire; Q'une jeune et belle bergère Au lieu de loup, homme de bien. 1. La Fontaine a déjà écrit: Rapportons-nous, dit-elle, à Raminagrobis. La mesure n'exigeant ici aucun sacrifice, puisque « je m'en rapporte, donnait le même nombre de syllabes, il est clair que l'usage autoriBait cette locution. 2. Pour redeviens. L's à la première personne est une innovation. Les poëtes ont gardé le droit de suivre l'ancien usage. En est-il? dit le loup pour moi, je n'en vois guère. Toi qui parles, qu'es-tu? N'auriez-vous pas, sans moi, Pour un mot quelquefois vous vous étranglez tous: Il vaut mieux être un loup qu'un homme : La liberté, les bois, suivre leur appétit, 1. On écrirait aujourd'hui c'étaient, à cause du pluriel qui suit. cet usage, qui a prévalu, paraît vicieux, puisque dans les phrases de cette espèce le sujet grammatical est le singulier ce pour cela. 2. Louange du mot latin laus. II. Le Chat et les deux Moineaux. A MONSEIGNEUR LE DUC DE BOURGOGNE. 1 Un chat, contemporain d'un fort jeune moineau, 1. « L'idée du poëte, dit M. Guillon, n'est pas que ces animaux vécussent dans le même temps, mais dans la même habitation. Il fallait donc commensal et non contemporain. » Pourquoi supposer que La Fontaine a voulu dire autre chose que ce qu'il a dit, quand ce qu'il dit est net et sensé? Le poëte annonce en langage poétique que le chat est jeune aussi bien que l'oiseau La cage et le panier avaient mêmes pénates. Il se fût fait un grand scrupule Le moins circonspec 2 Entre amis, il ne faut jamais qu'on s'abandonne Comme ils se connaissaient tous deux dès leur bas âge, Cet inconnu, dit-il, nous la vient donner belle, Le moineau du voisin viendra manger le nôtre ! Quelle morale puis-je inférer de ce fait? Sans cela, toute fable est un œuvre imparfait. 1. Le même commentateur fait, à propos de ce vers, la remarque suivante: « On ne peut pas dire qu'une cage et un panier eussent des dieux domestiques. » Aussi le puěte ne le dit-il pas; mais par une métonymie hardie qu'on n'a pas remarquée, il substitue le contenant au contenu, le panier au chat et la cage au moineau, et il donne poétiquement des pénates aux héros de sa fable. 2. La Fontaine écrit ainsi ce mot, par licence poétique et pour la rime. Prince, vous les aurez incontinent trouvés : Ce sont des jeux pour vous, et non point pour ma muse : Elle et ses sœurs n'ont pas l'esprit que vous avez !. 1. La Fontaine oublie son âge et son génie pour se mettre aux pieds d'un enfant de douze ans. III. Du Thésauriseur et du Singe1. Un homme accumulait. On sait que cette erreur Quand ces biens sont oisifs, je tiens qu'ils sont frivoles. Notre avare habitait un lieu dont Amphytrite A compter, calculer, supputer sans relâche, La chambre, bien cadenassée, Les plaisirs de ce singe à ceux de cet avare, 1. Tristan P'ermite. 2. On sait que notre poëte n'aimait pas l'argent au repos. Le sien ne faisait jamais longue demeure. 3. Voilà bien Pavare. « Serf de son argent, » comme dit Jean de Meung. |