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A tant par mois, dit-il, j'en donnerai leçon.-
J'enseignerai la politique,

Reprit le fils de roi. Le noble poursuivit :
Moi, je sais le blason; j'en veux tenir école :
Comme si, devers l'Inde, on eût eu dans l'esprit
La sotte vanité de ce jargon frivole!

Le pâtre dit: Amis, vous parlez bien; mais quoi!
Le mois a trente jours: jusqu'à cette échéance
Jeûnerons-nous, par votre foi?

Vous me donnez une espérance Belle, mais éloignée; et cependant j'ai faim. Qui pourvoira de nous au dîner de demain? Ou plutôt sur quelle assurance Fondez-vous, dites-moi, le souper d'aujourd'hui? Avant tout autre, c'est celui

Dont il s'agit. Votre science

Est courte là-dessus: ma main y suppléera.
A ces mots le pâtre s'en va

Dans un bois: il y fit des fagots, dont la vente,
Pendant cette journée et pendant la suivante,
Empêcha qu'un long jeûne à la fin ne fît tant
Qu'ils allassent là-bas exercer leur talent.
Je conclus de cette aventure

Qu'il ne faut pas tant d'art pour conserver ses jours; Et, grâce aux dons de la nature,

La main est le plus sûr et le plus prompt secours.

FIN DU LIVRE DIXIÈME.

LIVRE ONZIÈME.

1. Le Lion.

Sultan léopard autrefois

Eut, ce dit-on, par mainte aubaine',
Force bœufs dans ses prés, force cerfs dans ses bois,
Force moutons parmi la plaine.

Il naquit un lion dans la forêt prochaine.
Après les compliments et d'une et d'autre part,
Comme entre grands il se pratique,

2

Le sultan fit venir son vizir le renard,

Vieux routier, et bon politique.

Tu crains, ce lui dit-il, lionceau mon voisin ;
Son père est mort; que peut-il faire?
Plains plutôt le pauvre orphelin.

Il a chez lui plus d'une affaire,
Et devra beaucoup au 'Destin

S'il garde ce qu'il a, sans tenter de conquête.
Le renard dit, branlant la tête :

Tels orphelins, seigneur, ne me font point pitié,
Il faut de celui-ci conserver l'amitié,

Ou s'efforcer de le détruire
Avant que la griffe et la dent

Lui soit crûe, et qu'il soit en état de nous nuire.
N'y perdez pas un seul moment.

J'ai fait son horoscope: il croftra par la guerre ;
Ce sera le meilleur lion

1. Par les successions des étrangers, confisquées à son profit én vertu du droit d'aubaine dont il jouissait comme sultan.

2. Vizir, ministre du sultan.

Pour ses amis, qui soit sur terre :
Tâchez donc d'en être; sinon

Tâchez de l'affaiblir. La harangue fut vaine.
Le sultan dormait lors; et dedans son domaine
Chacun dormait aussi, bêtes, gens: tant qu'enfin
Le lionceau devint vrai lion. Le tocsin
Sonne aussitôt sur lui; l'alarme se promène
De toutes parts; et le vizir,
Consulté là-dessus, dit avec un soupir:

Pourquoi l'irritez-vous? La chose est sans remède.
En vain nous appelons mille gens à notre aide :
Plus ils sont, plus il coûte; et je ne les tiens bons
Qu'à manger leur part des moutons.
Apaisez le lion seul il passe en puissance
Ce monde d'alliés vivant sur notre bien.
Le lion en a trois qui ne lui coûtent rien,
Son courage, sa force, avec sa vigilance.
Jetez-lui promptement sous la griffe un mouton,
S'il n'en est pas content, jetez-en davantage :
Joignez-y quelque bœuf, choisissez, pour ce don,
Tout le plus gras du pâturage.

Sauvez le reste ainsi. Ce conseil ne plut pas.
Il en prit mal; et force États
Voisins du sultan en pâtirent:
Nul n'y gagna, tous y perdirent.
Quoi que fit ce monde ennemi,
Celui qu'ils craignaient fut le maître.

Proposez-vous d'avoir le lion pour ami,
Si vous voulez le laisser crafttre 1.

1. Voltaire a aussi employé, dans l'intérêt de la rime, craître pour croftre:

Qui suis-je et qui dois-je être?

Germe inconnu sur la terre jeté,

Sur quel terrain puis-je espérer de craître ?

II. Le Fermier, le Chien et le Renard',

Le loup et le renard sont d'étranges voisins!
Je ne bâtirai point autour de leur demeure 2.
Ce dernier guettait à toute heure

Les poules d'un fermier; et, quoique des plus fins,
Il n'avait pu donner d'atteinte à la volaille.
D'une part l'appétit, de l'autre le danger,
'étaient pas au compère un embarras léger.
Hé quoi! dit-il, cette canaille

Se moque impunément de moi !

Je vais, je viens, je me travaille,
J'imagine cent tours : le rustre, en paix chez soi,
Vous fait argent de tout, convertit en monnoie
Ses chapons, sa poulaille; il en a même au croc ;
Et moi, maître passé, quand j'attrape un vieux coq,
Je suis au comble de la joie !
Pourquoi sire Jupin m'a-t-il donc appelé
Au métier de renard? Je jure les puissances
De l'Olympe et du Styx, il en sera parlé.

Roulant en son cœur ces vengeances,
Il choisit une nuit libérale en pavots:
Chacun était plongé dans un profond repos;
Le maître du logis, les valets, le chien même,
Poules, poulets, chapons, tout dormait. Le fermier,
Laissant ouvert son poulailler,

Commit une sottise extrême.

1. Abstemius.

2. Allusion au vieux proverbe :

On dit qui a mal voisin.

Que il a souvent mal matin.

(Renard le nouvel, v. 3527.)

3. Joie. Ce mot ne rime plus avec monnoie, même pour les yeur, car ou écrit monnaie. On disait autrefois monnoye et monusgear.

4. Le pavot d'où se tire l'opium est la fleur attribut du som

Le voleur tourne tant qu'il entre au lieu guetté,
Le dépeuple, remplit de meurtres la cité.
Les marques de sa cruauté

Parurent avec l'aube on vit un étalage
De corps sanglants et de carnage.
Peu s'en fallut qué le soleil

Ne rebroussât d'horreur vers le manoir liquide.
Tel, et d'un spectable pareil,
Apollon irrité contre le fier Atride 2

Joncha son camp de morts; on vit presque détruit
L'ost des Grecs; et ce fut l'ouvrage d'une nuit.
Tel encore autour de sa tente

Ajax, à l'âme impatiente,

De moutons et de boucs fit un vaste débris,
Croyant tuer en eux son concurrent Ulysse
Et les auteurs de l'injustice

Par qui l'autre emporta le prix.

Le renard, autre Ajax aux volailles funeste,
Emporte ce qu'il peut, laisse étendu le reste.
Le maître ne trouva de recours qu'à crier
Contre ses gens, son chien: c'est l'ordinaire usage.
Ah! maudit animal, tu n'es bon qu'à noyer,
Que n'avertissais-tu dès l'abord du carnage?
Que ne l'évitiez-vous, c'eût été plus tôt fait:
Si vous, maître et fermier, à qui touche le fait,
Dormez sans voir soin que la porte soit close,
Voulez-vous que moi, chien, qui n'ai rien à la chose,
Sans aucun intérêt je perde le repos?

1. Allusion au festin d'Atrée que le soleil n'osa pas éclairer. Cly. temnestre dit dans Racine :

Et toi, soleil, et toi....

Recule: ils t'ont appris ce funeste chemin !

2. Agamemnon, l'aîné des Atrides ou des petits-fils d'Atrée, ayaut enlevé Chrysćis à Chrysès son père, pontife d'Apollon, le dieu, pour venger l'outrage fait à son ministre, envoya dans le camp des Grecs la peste et la mort Ilinde, I).

3. Le camp ou l'armée. Ce vieux mot est encore en usage en provençal et en languedocien.

4. Ajax, après avoir disputé les armes d'Achille sans pouvoir les obtenir, se jeta, dans un accès de rage, sur un troupeau qu'il massacra, croyant y voir les Grecs qui avaient prononcé contre lui.

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