Page images
PDF
EPUB

A recharger ce bois; tu ne tarderas guère'.
Le trépas vient tout guérir;

Mais ne bougeons d'où nous sommes:
Plutôt souffrir que mourir,

C'est la devise des hommes.

1. Cela ne te retiendra pas longtemps.- C'est dans le même sens qu'Horace a dit (liv. I, od. xvIII):

Quamquam festinas, non est mora langa.

XV. Le Renard et la Cigogne1.

[ocr errors]

Compère le renard se mit un jour en frais,
Et retint à dîner commère la cigogne.
Le régal fut petit et sans beaucoup d'apprêts:
Le galant, pour toute besogne,
Avait un brouet clair; il vivait chichement.
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :
La cigogne au long bec n'en put attraper miette;
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.
Pour se venger de cette tromperie,
A quelque temps de là, la cigogne le prie.
Volontiers, lui dit-il; car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie.
A l'heure dite, il courut au logis,
De la cigogne son hôtesse;
Loua très-fort sa politesse;

Trouva le dîner cuit à point:

Bon appétit surtout; renards n'en manquent point1.
Il se réjouissait à l'odeur de la viande

Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande.

1. Phèdre.

[ocr errors]
[ocr errors]

2. Ces titres de compère et de commère supposent une familiarité affectueuse qui rend le tour du renard plus pendable.

3. On dit familièrement, dans le même sens, pour tout potage. 4. Ces deux vers sont passés en proverbe.

On servit, pour l'embarrasser,

En un vase à long col et d'étroite embouchure.
Le bec de la cigogne y pouvait bien passer;
Mais le museau du sire était d'autre mesure.
Il lui fallut à jeun retourner au logis,

Honteux comme un renard qu'une poule aurait pris",
Serrant la queue, et portant bas l'oreille.

Trompeurs, c'est pour vous que j'écris :
Attendez-vous à la pareille.

1. Ce vers est devenu proverbe.

XVI. L'Enfant et le Maitre d'école1.

Dans ce récit je prétends faire voir
D'un certain sot la remontrance vaine.

Un jeune enfant dans l'eau se laissa choir
En badinant sur les bords de la Seine.
Le ciel permit qu'un saule se trouva,
Dont le branchage, après Dieu, le sauva.
S'étant pris, dis-je, aux branches de ce saule,
Par cet endroit passe un maître d'école,
L'enfant lui crie: Au secours! je péris!
Le magister se tournant à ses cris,
D'un ton fort grave à contre-temps s'avise
De le tancer: Ah! le petit babouin
Voyez, dit-il, où l'a mis sa sottise!
Et puis, prenez de tels fripons le soin!
Que les parents sont malheureux, qu'il faille
Toujours veiller à semblable canaille !

Qu'ils ont de maux! et que je plains leur sort!
Ayant tout dit, il mit l'enfant à bord.

1. Lokman.

2. Nom d'une espèce de singe.

3. L'abbé Guillon fait sur ce trait une réflexion pleine de goût et

Je blâme ici plus de gens qu'on ne pense.
Tout babillard, tout censeur, tout pédant,
Se peut connaître au discours que j'avance.
Chacun des trois fait un peuple fort grand:
Le Créateur en a béni l'engeance'.
En toute affaire, ils ne font que songer
Au moyen d'exercer leur langue.
Eh! mon ami, tire-moi de danger;
Tu feras, après, ta harangue.

de finesse: «Heureusement qu'il ne lui restait plus rien à dire, sans quoi l'enfant était perdu. »

1. Engeance emporte une idée défavorable qui s'attache souvent aussi aux mots race et créature.

XVII. Le Coq et la Perle1.

Un jour un coq détourna
Une perle, qu'il donna

2

Au beau premier lapidaire.
Je la crois fine, dit-il;

Mais le moindre grain de mil
Serait bien mieux mor, affaire.

Un ignorant hérita

D'un manuscrit, qu'il porta
Chez son voisin le libraire.
Je crois, dit-il, qu'il est bon;
Mais le moindre ducaton

Serait bien mieux mon affaire.

1. Phèdre.

2. Détourner n'est pas soustraire frauduleusement une chose, mais la distraire de sa destination. Le détournement n'implique pas l'intention de vol.

3. Au beau premier; cette locution est un idiotisme du langage familier. Le lapidaire n'est pas beau, mais ii se rencontre a propue pour l'échange que le coq veut faire.

4. Petite pièce de monnaie, diminutif de ducat.

XVIII. Les Frelons et les Mouches à miei'.

A l'œuvre on connaît l'artisan.

Quelques rayons de miel sans maître se trouvèrent: Des frelons les réclamèrent;

Des abeilles s'opposant,

Devant certaine guêpe on traduisit la cause.
Il était malaisé de décider la chose :

Les témoins déposaient qu'autour de ces rayons
Des animaux ailés, bourdonnants, un peu longs,
De couleur fort tannée, et tels que les abeilies,
Avaient longtemps paru. Mais quoi! dans les frelons
Ces enseignés étaient pareilles.

La guêpe, ne sachant que dire à ces raisons,
Fit enquête nouvelle, et, pour plus de lumière,
Entendit une fourmilière 2

Le point n'en put être éclairci.
De grâce, à quoi bon tout ceci?
Dit une abeille fort prudente.

Depuis tantôt six mois que l'affaire est pendante,
Nous voici comme aux premiers jours.
Pendant cela le miel se gâte.

Il est temps désormais que le juge se hâte :
N'a-t-il point assez léché l'ours?

Sans tant de contredits, et d'interlocutoires *,
Et de fatras, et de grimoires,
Travaillons, les frelons et nous :

On verra qui sait faire, avec un suc si doux,

1. Esope. Phèdre.

2. Ceci est une satire indirecte des témoignages dont le nombre ne sert qu'à embrouiller les affaires.

3. C'est-à-dire n'a-t-il point, par ses longueurs, assez grossi le procès et les profits qu'il en espère?

4. Termes de procédure.

Des cellules si bien bâties.

Le refus des frelons fit voir

Que cet art passait leur savoir;

Et la guêpe adjugea le miel à leurs parties'.

Plût à Dieu qu'on réglât ainsi tous les procès !
Que des Turcs en cela l'on suivît la méthode!
Le simple sens commun nous tiendrait lieu de code :
Il ne faudrait point tant de frais;

Au lieu qu'on nous mange, on nous gruge;
On nous mine par des longueurs;

On fait tant à la fin, que l'huître est pour le juge,
Les écailles pour les plaideurs"."

1. Parties, adversaires.

2. Comme La Fontaine le fera voir plus loin.

XIX. Le Chêne et le Roseau1.

Le chêne un jour dit au roseau 2:
Vous avez bien sujet d'accuser la nature;
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau ·
Le moindre vent qui d'aventure

Fait rider la face de l'eau

Vous oblige à baisser la tête";
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,
Brave l'effort de la tempête.

Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr.
Encor si vous naissiez à l'abri du feuiliage

1 Escpe.

Avienus.

2. Cet apologue est un des chefs-d'œuvre de La Fontaine et de notre langue.

3. L'auteur entre en matière sans prologue, sans morale. Chaque mot que dit le chêne fait sentir au roseau sa faiblesse.»

(CHAMFORT.)

« PreviousContinue »