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1

Sur l'angle et les côtés ma main la 1 détermine.
L'ignorant le croit plat; j'épaissis sa rondeur :
Je le rends immobile; et la terre chemine.
Bref, je démens mes yeux en toute sa machine:
Ce sens ne me nuit point par son illusion.
Mon âme, en toute occasion,
Développe le vrai caché sous l'apparence;
Je ne suis point d'intelligence

Avecque mes regards peut être un peu trop prompts,
Ni mon oreille, lente à m'apporter les sons.
Quand l'eau courbe un bâton, ma raison le redresse:
La raison décide en maîtresse.

Mes yeux, moyennant ce secours,

Ne me trompent jamais en me mentant toujours.
Si je crois leur rapport, erreur assez commune,
Une tête de femme est au corps de la lune.
Y peut-elle être? Non. D'où vient donc cet objet ?
Quelques lieux inégaux font de loin cet effet.
La lune nulle part n'a sa surface unie :
Montueuse en des lieux, en d'autres aplanie,
L'ombre avec la lumière y peut tracer souvent
Un homme, un boeuf, un éléphant.
Naguère l'Angleterre y vit chose pareille.
La lunette placée, un animal nouveau
Parut dans cet astre si beau;

Et chacun de crier merveille.

Il était arrivé là-haut un changement

Qui présageait sans doute un grand événement.
Savait-on si la guerre entre tant de puissances
N'en était point l'effet? Le monarque accourut:
Il favorise en roi ces hautes connaissances.
Le monstre dans la lune à son tour lui parut.

1. La se rapporte à distance. Cette distance se détermine par une opération fort simple de trigonométrie. La Fontaine s'exprime ici avec une certaine rigueur scientifique; il omet seulement la base du triangle formée par une ligne qui aboutit à deux points opposés de l'orbite de la terre. La base étant donnée avec l'ouverture des angles, le calcul fournit la longueur des côtés, et par conséquent la distance.

2. Ni avec mon oreille. Ellipse.

C'était une souris cachée entre les verres :
Dans la lunette était la source de ces guerres.

On en rit. Peuple heureux ! quand pourront les François'
Se donner, comme vous, entiers à ces emplois !
Mars nous fait recueillir d'amples moissons de gloire :
C'est à nos ennemis de craindre les combats,

A nous de les chercher, certains que la Victoire,
Amante de Louis, suivra partout ses pas.

Ses lauriers nous rendront célèbres dans l'histoire.
Même les filles de Mémoire

Ne nous ont point quittés; nous goûtons des plaisirs :
La paix fait nos souhaits, et non point nos soupirs.
Charles en sait jouir : il saurait dans la guerre
Signaler sa valeur, et mener l'Angleterre
A ces jeux qu'en repos elle voit aujourd'hui.
Cependant s'il pouvait apaiser la querelle,
Que d'encens! Est-il rien de plus digne de lui"?
La carrière d'Auguste a-t-elle été moins belle
Que les fameux exploits du premier des Césars?
O peuple trop heureux! quand la paix viendra-t-elle
Nous rendre, comme vous, tout entiers aux beaux-arts?

1 L'Angleterre était en paix avec toutes les puissances, tandis que la France faisait alors à la fois la guerre à là Hollande, à l'Espagne et à l'Empire.

2. Charles II, roi d'Angleterre.

3. Cette fable a été composée vers le commencement de l'année 1677. Alors toutes les puissances, la France comme ses ennemis, désiraient la paix. L'Angleterre, qui seule était restée neutre, devint l'arbitre des négociations qui se poursuivaient à Nimègue.

FIN DU LIVRE SEPTIEME.

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La Mort ne surprend point le sage":
Il est toujours prêt à partir,

S'étant su lui-même avertir

Du temps où l'on se doit résoudre à ce passage.
Ce temps, hélas ! embrasse tous les temps:
Qu'on le partage en jours, en heures, en moments,
Il n'en est point qu'il ne comprenne

Dans le fatal tribut; tous sont de son domaine;
Et le premier instant où les enfants des rois
Ouvrent les yeux à la lumière

Est celui qui vient quelquefois
Fermer pour toujours leur paupière.
Défendez-vous par la grandeur,

Alléguez la beauté, la vertu, la jeunesse,
La Mort ravit tout sans pudeur :
Un jour le monde entier accroîtra sa richesse.
Il n'est rien de moins ignoré;

Et, puisqu'il faut que je le die,
Rien où l'on soit moins préparé.

1. Abstemius.

2. Parmi les belles fables de La Fontaine, quelques-unes sont plus populaires que celle-ci; mais il n'y en a pas d'un ordre plus élevé. La noblesse du style, la gravité du sentiment, l'importance de la leçon morale font de cet apologue un des chefs-d'œuvre de notre poëte.

3 On lit dans un de nos vieux poëtes s'adressant aussi à la Mort : Ne se peut défendre savoir Vers to prouesse ni avoir.

Un mourant, qui comptait plus de cent ans de vie,
Se plaignait à la Mort que précipitamment
Elle le contraignait de partir tout à l'heure,
Sans qu'il eût fait son testament,

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Sans l'avertir au moins. Est-il juste qu'on meare
Au pied levé? dit-il: attendez quelque peu ;
Ma femme ne veut pas que je parte sans elle;
Il me reste à pourvoir un arrière-neveu;
Souffrez qu'à mon logis j'ajoute encore une aile.
Que vous êtes pressante, & déesse cruelle !
Vieillard, lui dit la Mort, je ne t'ai point surpris;
Tu te plains sans raison de mon impatience:
Eh I n'as-tu pas cent ans? Trouve-moi dans Paris
Deux mortels aussi vieux; trouve-m'en dix en France.
Je devais, ce dis-tu, te donner quelque avis
Qui te disposât à la chose :

J'aurais trouvé ton testament tout fait,
Ton petit-fils pourvu, ton bâtiment parfait.
Ne te donna-t-on pas des avis, quand la cause
Du marcher et du mouvement,

Quand les esprits, le sentiment,

Quand tout faillit en toi? Plus de goût, plus d'ouïe;
Toute chose pour toi semble être évanouie;
Pour toi l'astre du jour prend des soins superflus:
Tu regrettes des biens qui ne te touchent plus.
Je t'ai fait voir tes camarades,

Ou morts, ou mourants, ou malades :
Qu'est-ce que tout cela, qu'un avertissement?
Alions, vieillard, et sans réplique.
Il n'importe à la république

Que tu fasses ton testament.

La Mort avait raison: je voudrais qu'à cet age
On sortit de la vie ainsi que d'un banquet',

1. Souvenir d'Horace.

Ut conviva satur.

Et de Lucrèce quí a dit :

Cur non ut vitæ plenus conviva recedit?

Remerciant son hôte; et qu'on fît son paquet':
Car de combien peut-on retarder le voyage?
Tu-murmures, vieillard! vois ces jeunes mourir;
Vois-les marcher, vois-les courir

A des morts, il est vrai, glorieuses et belles,
Mais sûres cependant, et quelquefois cruelles.
J'ai beau te le crier; mon zèle est indiscret:
Le plus semblable aux morts meurt le plus à regret.

1. Son paquet. Cette trivialité est là pour rimer. Maudite rime? 2. Jeunes, adjectif, est ici pris substantivement.

II. Le Savetier et le Financier 1.

Un savetier chantait du matin jusqu'au soir
C'était merveilles de le voir,

Merveilles de l'ouïr; il faisait des passages,
Plus content qu'aucun des sept sages.
Son voisin, au contraire, étant tout cousu d'or,
Chantait peu, dormait moins encor :
C'était un homme de finance.

Si sur le point du jour parfois il sommeillait,
Le savetier alors en chantant l'éveillait ;
Et le financier se plaignait

Que les soins de la Providence
N'eussent pas au marché fait vendre le dormir 3,
Comme le manger et le boire.

En son hôtel il fait venir

Le chanteur, et lui dit : Or çà, sire Grégoire,

Que gagnez-vous par an?

Par an! ma foi, monsieur,

1. Bonaventure Des Periers. La farce des deux savetiers. 2. Jusqu'au soir. « Tout le long du jour il chantoit et réjouissoil tout le voisinage.» (DES PERIERS.)

3. L'infinitif est un substantif verbal, et peut s'employer substantivement. Cet emploi, très-commun chez les Grecs, où l'infinitif se prend avec l'article, et en latin où il se décline (les gérondifs sont des cas de l'infinitif), est plus rare en français.

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