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Pour accorder une telle querelle :
Ambassadeurs par le peuple pigeon
Furent choisis, et si bien travaillèrent
Que les vautours plus ne se chamaillèrent '.
Ils firent trêve; et la paix s'ensuivit.
Hélas! ce fut aux dépens de la race
A qui la leur aurait dû rendre grâce.
La gent maudite aussitôt poursuivit
Tous les pigeons, en fit ample carnage,
At dépeupla les bourgades, les champs.
Veu de prudence eurent les pauvres gens
D'accommoder un peuple si sauvage.

Tenez toujours divisés les méchants 2 :
La sûreté du reste de la terre
Dépend de là. Semez entre eux la guerre,
Ou vous n'aurez avec eux nulle paix.
Ceci soit dit en passant : je me tais.

1. Se chamailler est devenu trivial.

2. Divide ut imperes, diviser pour régner. La Fontaine n'adopte pas entièrement cette devise de la tyrannie; il la restreint aux méchants contre lesquels il provoque l'union des gens de bien.

Stagebuch

VII. Le Coche et la Mouche 1.

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Jans un chemin montant, sablonneux, malaisé,
Et de tous les côtés au soleil exposé,

Six forts chevaux tiraient un coche.
Femmes, moine, vieillards, tout était descendu:
L'attelage suait, soufflait, était rendu.

Une mouche survient, et des chevaux s'approche,
Prétend les animer par son bourdonnement;
Pique l'un, pique l'autre, et pense à tout moment
Qu'elle fait aller la machine;

1. Ésope, Phèdre.

S'assied sur le timon, sur le nez du cocher.

Aussitôt que le char chemine, and along
Et qu'elle voit les gens marcher,

Elle s'en attribue uniquement la gloire,

Va, vient, fait l'empressée: il semble que ce soit
Un sergent de bataille allant en chaque endroit
Faire avancer ses gens et håter la victoire.

La mouche, en ce commun besoin,

Se plaint qu'elle agit seule, et qu'elle a tout le soin;
Qu'aucun n'aide aux chevaux à se tirer d'affaire.
Le moine disait son bréviaire :

Il prenait bien son temps ! une femme chantait :
C'était bien de chansons qu'alors il s'agissait !
Dame mouche s'en va chanter à leurs oreilles,
Et fait cent sottises pareilles.

Après bien du travail, le coche arrive au haut '.
Respirons maintenant ! dit la mouche aussitôt :
J'ai tant fait que nos gens sont enfin dans la plaine.
Cà, messieurs les chevaux, payez-moi de ma peine.
Ainsi certaines gens, faisant les empressés,
S'introduisent dans les affaires :

Ils font partout les nécessaires,

Et partout importuns, devraient être chassés.

1. Cette cacophonie achève le tableau et reproduit le dernier effort de l'attelage au terme de ses fatigues. Respirons maintenant.

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VIII. La Laitière et le Pot au lait 1.

Perrette, sur sa tête ayant un pot au lait
Bien posé sur un coussinet,

1. Bonaventure Des Periers.

2. Le pot au lait. « J'ay grand paour, que toute ceste entreprinse sera semblable à la farce du pot au lait, duquel ung cordouanier se faisoyt riche par resverie; puis le poi cassé n'eust de quoy disner.» (RABELAIS).

Prétendait arriver sans encombre à la ville.
Légère et court vêtue, elle allait à grands pas,
Ayant mis ce jour-là, pour être plus agile,
Cotillon simple et souliers plats.

Notre laitière ainsi troussée

Comptait déja dans sa pensée

Tout le prix de son lait; en employait l'argent,
Achetait un cent d'œufs; faisait triple couvée : 4 lutch
La chose allait à bien par son soin diligent.
Il m'est, disait-elle, facile

D'élever des poulets autour de ma maison;
Le renard sera bien habile

S'il ne m'en laisse assez pour avoir un cochon.
Le porc à s'engraisser coûtera peu de son;
Il était, quand je T'eus, de grosseur raisonnable
J'aurai, le revendant, de l'argent bel et bon.
Et qui m'empêchera de mettre en notre étable,
Vu le prix dont il est, une vache et son veau,
Que je verrai sauter au milieu du troupeau? h
Perrette là-dessus saute aussi, transportée :

Le lait tombe; adieu veau, vache, cochon, couvée.
La dame de ces biens, quittant d'un œil marri2
Sa fortune ainsi répandue,

Va s'excuser à son mari,
En grand danger d'être battue.
Le récit en farce en fut fait;
On l'appela le Pot au lait.

Quel esprit ne bat la campagne?

3

Qui ne fait châteaux en Espagne * ?

Quand je suis seul, je fais au plus brave un défi;
Je m'écarte, je vais détrôner le sophi;

1. Dont il est. La laitière parle de son porc, dont le prix doit servir à acheter une vache et un veau.

2. Triste, fàché. Vieux mot.

3. Expression proverbiale qui signifie former des projets ou des entreprises chimèriques. On a fait diverses conjectures sur l'origine de cette locution, qui est bien ancienne.

4. Nom du roi des Persans.

On m'élit roi, mon peuple m'aime;
Les diadèmes vont sur ma tête pleuvant:

Quelque accident fait-il que je rentre en moi-même
Je suis gros Jean comme devant.

IX. L'Homme qui court après la Fortune, et l'Homme qui l'attend dans son lit.

Qui ne court après la Fortune?
Je voudrais être en lieu d'où je pusse aisément
Contempler la foule importune

De ceux qui cherchent vainement
Cette fille du Sort de royaume en royaume,
Fidèles courtisans d'un volage fantôme '.
Quand ils sont près du bon moment,
L'inconstante aussitôt à leurs désirs échappe.
Pauvres gens ! Je les plains; car on a pour les fous
Plus de pitié que de courroux.

Cet homme, disent-ils, était planteur de choux;
Et le voilà devenu pape!

Ne le valons-nous pas ? Vous valez cent fois mieux ;
Mais que vous sert votre mérite?

La Fortune a-t-elle des yeux ใ

Et puis, la papauté vant-elle ce qu'on quitte,
Le repos? le repos, trésor si précieux

Qu'on en faisait jadis le partage des dieux!:
Rarement la Fortune à ses hôtes le laisse.

1. Fantôme. «Bel exemple d'antithèse de mots.» CH. NODIER. L'opposition est aussi dans les idées, et c'est pour cela que le vers est excellent.

2. Pape. Témoin Sixte-Quint et d'autres encore.

3. Le partage des dieux. C'est la doctrine des épicuriens. La Fontaire s'y range volontiers. Il a dit dans son opéra de Daphné : Ce qui fait le bonheur des dieux, C'est de n'avoir aucune affaire, Ne point mourir

El ne rien faire.

Ne cherchez point cette déesse,

Elle vous cherchera: son sexe en use ainsi.

Certain couple d'amis, en un bourg établi,
Possédait quelque bien. L'un soupirait sans cesse
Pour la Fortune; il dit à l'autre un jour :
Si nous quittions notre séjour ?

Vous savez que nul n'est prophète
En son pays cherchons notre aventure ailleurs.
Cherchez, dit l'autre ami : pour moi, je ne souhaite
Ni climats ni destins meilleurs.
Contentez-vous; suivez votre humeur inquiète :
Vous reviendrez bientôt. Je fais vœu cependant
De dormir en vous attendant.
L'ambitieux, ou, si l'on veut, l'avare,
S'en va par voie et par chemin.

Il arriva le lendemain

En un lieu que devait la déesse bizarre

1

Fréquenter sur tout autre; et ce lieu, c'est la cour.
Là donc pour quelque temps il fixe son séjour,
Se trouvant au coucher, au lever, à ces heures
Que l'on sait être les meilleures;

Bref, se trouvant à tout, et n'arrivant à rien.
Qu'est ceci? se dit-il : cherchons ailleurs du bien.
La Fortune pourtant habite ces demeures;
Je la vois tous les jours entrer chez celui-ci,
Chez celui-là: d'où vient qu'aussi

Je ne puis héberger cette capricieuse?
On me l'avait bien dit, que des gens de ce lieu
L'on n'aime pas toujours l'humeur ambitieuse.
Adieu, messieurs de cour; messieurs de cour, adieu :
Suivez jusques au bout une ombre qui vous flatte.
La Fortune a, dit-on, des temples à Surate :
Allons là. Ce fut un de dire et s'embarquer 2.
Ames de bronze, humains, celui-là fut sans doute
Armé de diamant, qui tenta cette route,

1. Fréquenter, inversion forcée.

2. De dire et s'embarquer. Il aurait fallu répéter la préposition Le poëte sacrifie la grammaire à la vivacité du tour.

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