Page images
PDF
EPUB

losophie. Quand l'auteur est un esprit absolu, hardi, tourné au paradoxe, comme Hobbes et Berkeley, l'homme succombe et la philosophie l'emporte; les croyances les plus enracinées dans le cœur humain tombent devant les enseignements souvent faux de l'explication adoptée. Mais quand l'auteur est un esprit incertain ou timide comme Locke, le philosophe prend moins d'empire et le bon sens résiste à un système moins décidé. Alors la lutte est égale, et, l'emportant tour à tour, la philosophie domine dans une page et le sens commun dans l'autre. A travers mille efforts pour se mettre d'accord avec lui-même, l'auteur, toujours indécis, arrive à la conclusion qui n'est encore que le résumé de ses incertitudes !...

Cette impuissance de l'homme à donner une base à sa croyance et un but à sa vie a été la pierre d'achoppement et l'écueil de la philosophie de toutes les nations et de tous les siècles; elle est la meilleure preuve qu'une révélation était nécessaire. Quand nous avons épuisé la coupe des douleurs de la vie ou la vanité du bonheur humain, essayé de nous fortifier par l'étude de la philosophie, éprouvé enfin le tourment de douter de tout sans pouvoir nous appuyer sur une vérité consolante, alors se présente le Christianisme avec son histoire, ses miracles, ses preuves, son éclatante vérité, sa réponse à tous les doutes de l'esprit, à tous les besoins du cœur...

Le cœur de l'homme renfermait, en effet, des mystères d'amour, d'abnégation que le Christianisme a développés ; mais la révélation seule a pu les formuler et les enseigner à tous. Dieu est amour et nous devons l'aimer de tout notre cœur et de tout notre être ; nous devons chérir nos frères et nous dévouer pour eux. La conscience nous disait tout cela d'une manière confuse, le Christ a expliqué la conscience par sa vie et par sa mort; il s'est fait chair pour montrer à l'homme le cas qu'il doit faire de la chair; il est mort humilié, souffrant, pour apprendre à l'homme le mérite de la souffrance et de l'humilité, pour lui apprendre surtout que la vie commence à la mort.

Tel a été l'enseignement du Christ.

On nous fait souvent admirer dans les œuvres de la création les preuves de la perfection de Dieu et de son amour pour les hommes; le Christianisme est une autre création divine, dont est

merveilles, encore plus touchantes, nous parlent des mêmes perfections et du même amour. Que deviennent aujourd'hui toutes les doctrines devant sa doctrine ? toutes les lois devant sa loi ?... Tous les systèmes de philosophie tombent devant la sublime simplicité de l'Évangile !

Le Christianisme n'est pas seulement un perfectionnement de la loi de Moïse, dit avec raison un éminent écrivain (4); il est encore le magnifique résumé de tous les anciens systèmes de morale et de philosophie, dégagé de leurs erreurs et ramené à des principes plus élevés et plus complets; c'est le point de jonction. de toutes les vérités partielles du monde oriental et occidental qui vont se confondre dans une vérité plus pure, plus claire et plus vaste; c'est le progrès final par lequel l'humanité a été mise en possession des principes de la vraie civilisation universelle. Est-ce la science philosophique des apôtres qui peut avoir donné cela ?

Loin de moi cependant l'idée de mépriser les travaux des philosophes chrétiens et surtout ceux de Descartes, Malebranche et Leibnitz; ils sont tous membres de cette famille privilégiée dont Socrate et Platon ont été les pères; ils ont vécu dans les régions sereines de la pensée, et le spectacle du monde ne leur a pas dérobé la vue du modèle éternel dont la libre-folie de l'homme peut s'écarter, mais qu'il lui est impossible de méconnaître ou d'oublier entièrement. Ce sont des hommes de génie, mais ce sont des hommes, c'est-à-dire des flambeaux vacillants divisés entre eux; comment pouvaient-ils nous guider ? C'est de plus haut que devait venir la lumière.

J'admets que les progrès de la civilisation fassent comprendre à l'homme que le sensualisme est une doctrine fausse, que la sagesse ancienne est une transaction vicieuse, que le spiritualisme même est incomplet. Quelle loi suivra-t-il ? le renoncement à luimême, l'abnégation, l'amour du bien? Soit! Mais où prendra-t-il la force pour cette abnégation? Comment parviendra-t-il à faire ce bien qu'il aime ? Peut-il, pour servir une abstraction, sacrifier son corps, souffrir, faire taire ses appétits, ses passions et souvent ses plus doux sentiments? Non, une idée, une abstraction, quel

(1) M. Troplong.

que admirables qu'elles paraissent, n'ont pas cette puissance (4)!

(1) Les meilleures preuves d'une vérité se trouvent souvent dans la bouche des hommes chez lesquels on serait le moins disposé à aller la chercher. C'est ainsi que nous lisons dans le Dictionnaire de Bayle: «Notre raison n'est propre qu'à brouiller tout, à faire douter de tout. Elle n'a pas plutôt bâti un ouvrage qu'elle nous montre les moyens de le miner. C'est une véritable Pénélope qui, pendant la nuit, défait la toile qu'elle avait faite pendant le jour. Ainsi, le meilleur usage qu'on puisse faire de la philosophie est de connaître qu'elle est une voie d'égarement et que nous devons chercher un autre guide qui est la lumière révélée. »

Cette pensée si juste, arrachée à Bayle par la conviction, a été reproduite et développée par un spirituel écrivain peu accoutumé à ces sortes de profession de foi, mais que la force de la vérité a emporté :

Où sont-ils ces faiseurs de système

Qui savent, sans la foi, trouver la vérité ?

Sophistes impuissants qui ne croient qu'en eux-mêmes,
Quels sont leurs arguments et leur autorité?

L'un me montre ici-bas deux principes en guerre,
Qui, vaincus tour à tour. sont tous deux immortels.
L'autre découvre au loin, dans le ciel solitaire,
Un inutile Dieu qui ne veut pas d'autels.
Je vois rêver Platon et penser Aristote;
J'écoute, j'applaudis et poursuis mon chemin.
Sous les rois absolus je vois un Dieu despote,
On nous parle aujourd'hui d'un Dieu républicain.
Pythagore et Leibnitz transfigurent mon être,
Descartes m'abandonne au sein des tourbillons.
Montaigne s'examine et ne peut se connaître ;
Pascal fuit en tremblant ses propres visions,
Pyrrhon me rend aveugle et Zénon insensible.
Voltaire jette à bas tout ce qu'il voit debout.
Spinosa, fatigué de tenter l'impossible,
Cherchant en vain son Dieu, croit le trouver partout.
Pour le sophiste anglais, l'homme est une machine.
Enfin sort des brouillards un rétheur allemand

Qui, du philosophisme activant la ruine,
Déclare le ciel vide et conclut... au néant!

Voilà donc les débris de l'ancienne science!

Et depuis cinq mille ans qu'on a toujours douté,
Après tant de fatigue et de persévérance.
C'est là le dernier mot qui nous en est resté !...
(ALFRED DE MUSSET.)

L'homme n'aurait jamais cru à la possibilité d'un pareil sacrifice si l'exemple ne lui eût été donné avec le précepte, s'il ne lui eût été démontré humainement que le passage dans ce monde est une épreuve et que la mort du corps est le commencement de la vie de l'âme.

Alors seulement il a pu, avec la foi, comprendre l'espérance et la charité; alors seulement il a su être patient sans apathie, courageux sans orgueil, humble sans lâcheté. C'est que le mystère de l'humilité et de la souffrance lui a été expliqué.

Appelons-en une dernière fois à l'histoire que voyons-nous quelques siècles avant l'ère chrétienne chez tous les peuples en voie de civilisation? En Chine, Confucius; dans l'Inde, Boudha; en Perse, Zoroastre; en Grèce, Pithagore et Socrate entreprennent sur l'homme et la société un grand travail de réformation. Confucius a été un moraliste pratique, habile dans l'observation; le Boudha Càkia-Mouni, un prédicateur mystique; Zoroastre, un législateur religieux; Socrate, un philosophe spiritualiste; ni la puissance ni la gloire ne leur ont manqué, ils ont fondé des écoles célèbres... Mais ont-ils fait ce qu'ils ont dit, accompli ce qu'ils ont tenté? Ont-ils changé l'état moral et social des peuples? Ont-ils imprimé à l'humanité un grand progrès et ouvert des horizons qu'elle ne connût pas ? Nullement. Ils ont agi à la surface plus qu'au fond; ils n'ont point retiré leurs nations des ornières où elles vivaient; ils n'ont point transformé les âmes. Bien plus, la décadence s'est bientôt établie au sein de l'immobilité (4).....

Cinq ou six siècles après ces stériles efforts, dans les plus grandes nations du monde, Jésus-Christ apparaît chez un petit peuple obscur, faible et méprisé. Il est faible et méprisé lui-même au milieu de ce peuple; il ne possède, il ne cherche aucune force sociale, il ne s'entoure que de disciples vulgaires, pauvres et ignorants..., et il change la face du monde, il transforme la morale et ravive la civilisation prète à s'éteindre; la religion qu'il apporte produit sur la terre une immense révolution. Des myriades de martyrs donnent leur sang pour attester sa vérité ; répan– due par des hommes du peuple inspirés, elle est attaquée par des

(1) V. Guizot: Méditations sur l'essence de la religion chrétienne.

savants, des rhéteurs et des sophistes; elle lutte contre tous ses ennemis; elle répond victorieusement à toutes les controverses, subit toutes les railleries, triomphe de toutes les épreuves...

Le Christianisme a exercé sur l'esprit des peuples une telle action qu'aucune révolution religieuse et politique ne saurait être durable dans les temps modernes, si elle ne rend pas meilleure la condition de la multitude. (Lacordaire).

Cicéron.

Cicéron fut le plus célèbre des orateurs romains. Il naquit à Arpinum 106 ans avant Jésus-Christ.

Longtemps mêlé aux affaires publiques de son pays et plusieurs fois consul, il ne négligea pour cela ni le barreau, auquel il devait sa gloire, ni la philosophie et la morale qui nous intéressent plus spécialement. Nous ne parlerons donc pas de la conspiration de Catilina qu'il fit échouer et qui lui valut le titre de Père de la patrie, ni de ses discours et de ses philippiques, mais nous mentionnerons ses traités sur les devoirs (de officiis) les biens et les maux, la vieillesse (de Senectule) et les Tusculanes. Parmi les ouvrages de Cicéron qui ont été perdus on regrette surtout ceux sur la philosophie.

Cicéron n'a pas fait école et n'a pas eu de disciples; le peu d'originalité et de fermeté de ses opinions ne le comportait pas. Dans celles qu'il expose il se borne le plus souvent à réunir et à présenter sous une nouvelle forme les arguments que les différentes écoles s'adressent l'une à l'autre et se met peu en peine de les apprécier. Il fait une exception à l'égard de l'Épicuréisme qu'il combat assez vivement.

Civilisation.

La civilisation n'est pas seulement, comme on l'a dit trop souvent, le développement des arts, des sciences et des lettres; elle n'est pas seulement non plus l'état des croyances, des lois, des institutions et des mœurs d'un peuple, elle est l'ensemble de toutes ces choses. Elle comprend à la fois le développement de l'industrie et du commerce des nations, le progrès des lumières et du goût, l'affermissement de l'ordre général et l'amélioration des mœurs.

Les influences de la religion et de la morale agissent puissam

« PreviousContinue »