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est le fait du désintéressement et de la privation; cette origine

en fait la vraie noblesse.

Charron.

en 1603.

(Emile Loubens).

Pierre Charron, né à Paris en 1541, mort

Son père était libraire et avait vingt-cinq enfants. Il donna cependant à chacun d'eux une bonne éducation, mais ce devoir accompli, il les abandonna à eux-même.

Pierre, après avoir fait son droit à Orléans, exerça pendant quelques années la profession d'avocat qu'il abandonna pour embrasser l'état ecclésiastique. Il prêcha plusieurs stations en Languedoc et revint plus tard à Paris pour entrer dans un ordre religieux, suivant un vœu qu'il avait fait, mais son âge l'ayant fait refuser à la Chartreuse et chez les Célestins, il s'en crut dégagé et retourna à Bordeaux où il se lia très-intimement avec Montaigne.

Il est probable que cette étroite amitié influa sur ses idées religieuses, si l'on en juge par les ouvrages qu'il a laissés. Le plus célèbre est le traité de la sagesse, jugé bien différemment par le jésuite Garasse qui appelle l'auteur le patriarche des esprits forts et par l'abbé de St.-Cyran qui le justifie. Le parlement se disposait, malgré cet essai de justification, à supprimer l'ouvrage, quand le président Jeannin y fit des corrections, au moyen desquelles il put être imprimé en 4704. On cite parmi les passages incriminés cette phrase qui trahit son intimité avec Montaigne : << encore que l'immortalité de l'âme soit la chose la plus universellement reçue, elle est la plus faiblement prouvée... ce qui porte les meilleurs esprits à douter de beaucoup de choses. »

Avant ce moment, il avait publié un livre dans lequel il prouve, contre les athées, qu'il y a une religion; contre les païens et les Juifs, que la religion chrétienne est la seule vraie; contre les schismatiques, qu'il n'y a de salut que dans l'Église.

Son scepticisme n'était donc pas aussi enraciné que celui de Montaigne; peut-être a-t-il voulu seulement excuser son ami.

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Chasteté. La chasteté est une vertu toute chrétienne. On a dit, et avec de nombreuses preuves à l'appui, que la philosophie n'arrive pas à rendre chastes, même les philosophes.

Quoiqu'il en soit, nous ne pouvons ignorer ces pages empreintes de la plus éloquente indignation, dans lesquelles saint Paul a décrit les orgies sensuelles des maîtres de l'antique sagesse. Dans le temps même où Socrate et Platon faisaient entendre à l'Académie leurs leçons de sagesse, on voyait le scepticisme, le matérialisme, le cynisme même, se promener dans les murs d'Athènes sous les noms de Pyrrhon, Diogène et Aristippe, insultant par la débauche de leurs mœurs, autant que par leurs doctrines, à la morale et à la philosophie convaincues d'impuissance pour créer des mœurs pures. Les voluptueux étaient restés voluptueux avec l'orgueil de plus et le remords de moins. Tout ce bruit de sagesse n'avait abouti qu'à faire douter de tout, même de la vertu.

La philosophie moderne n'est pas plus efficace pour créer des générations marquées du signe de la chasteté. Ce ne sont pas les hommes qu'il faut en accuser, mais les choses: Ce dévouement des maîtres peut bien modérer le mal, il ne peut suppléer la puissance qui fait défaut à tout ce qui n'est pas rationnel, naturel et humain. Eh bien! ce que l'éducation humaine ne peut faire, l'éducation chrétienne le fait... La pureté est une si difficile et si céleste chose que pour la faire sortir de ce fond corrompu de notre nature, il faut plus que des forces naturelles et des doctrines humaines; et c'est là ce qui donne à l'éducation chrétienne une puissance qui ne connait.pas de rivale.

Christianisme.

Religion du Christ.

Le Christia

nisme prêché par les apôtres, se répandit de la Judée, son berceau, dans l'Europe et le nord de l'Afrique. Il fit d'immenses et rapides progrès dans l'Empire romain, et prit peu à peu la place du paganisme.

Les supplices les plus atroces furent inventés pour lasser la constance des martyrs, mais leur sang ne faisait que consolider le culte naissant. Le Christianisme devint enfin, sous Constantin, la religion de l'État. Il pénétra dans les Gaules en 170.

L'Europe compte aujourd'hui plus de deux cent millions de chrétiens, l'Asie dix-sept millions: l'Amérique est presque toute chrétienne.

Qu'est-ce qui explique ou justifie ces progrès ? Les faits répondent à cette question.

La sagesse divine pouvait seule substituer une vaste et égale clarté aux illuminations vacillantes de la sagesse humaine : Pythagore, Socrate, Platon sont des flambeaux; le Christ c'est le jour...

Et quand ce jour radieux et pur a-t-il paru? Au moment où les hommes, fatigués de mensonges, n'avaient plus foi à rien, au moment où la terre corrompue tremblait sous le despotisme abrutissant des maîtres du monde.

Naître, s'élever, vieillir et mourir, telle est la destinée des choses humaines, telle a été celle du Polythéisme. Les anciens Grecs ont adoré, comme les peuples d'Égypte et les sauvages de l'Amérique, des objets matériels et des animaux malfaisants; à ce fétichisme grossier succédèrent des divinités plus raisonnables, telles que l'esprit des héros morts pour leur défense (1), des fondateurs de leurs villes, enfin le soleil et les diverses planètes. (2).

Uranus, Saturne furent remplacés par de nouveaux dieux plus en harmonie avec le degré de leur civilisation; l'imagination des poètes peupla bientôt un Olympe brillant, sans cesse agrandi par les traditions et les fables superstitieuses (3); toutes les vertus et tous les vices eurent leurs autels (4).

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(1) En examinant l'antiquité. dit Cicéron, les Dieux ont habité la terre avant d'habiter les cieux. Tacite rapporte que les Germains déifiaient aussi les héros. Les chants d'Ossian nous confirment dans l'opinion que les peuples du nord ont pris leurs divinités chez les hommes. - Enfin Tertullien, après avoir rappelé l'origine humaine des Dieux payens, leur patrie et leur tombeau, ajoute: « Nec ego per singulos decurram, tot ac tantos novos, veteres, barbaros, Græcos, Romanos, peregrinos, captivos, adoptivos, proprios, communos, masculos. fœminas, rusticos, urbanos, nauticos, militares... »

(2) Homère, Platon et Sophocle viennent à l'appui de cette dernière assertion. Le savant Bottiger prétend qu'il n'a existé que deux religions l'une se rattache au ciel comme l'astrolatrie, l'autre à la terre et aux phénomènes naturels, comme le fétichisme dont les modifications sont le culte des plantes, des animaux, etc.

(3) Le fétichisme grossier d'Egypte fut idéalisé par les poètes et les artistes des Grecs et acquit chez ce peuple la forme la plus noble. (BOTTIGER: Idean zur kuntz mythol.)

(4) Les vertus d'abord, les vices plus tard, lorsque la corruption s'introduisit dans Rome. Les poètes eux-mêmes rirent de leurs Dieux. Partout on voit ces Dieux cyniques, voleurs, poltrons et

Les premiers romains adoptèrent ce culte Romulus, fils de Mars, fut déifié par le Sénat, et son successeur, accommodant la religion à sa politique, en fit la principale base de son gouvernement. Depuis Numa, chaque époque lui imprima une forme nouvelle, jusqu'au moment de sa décadence. Les efforts des prêtres pour conserver des dieux impuissants ne tendirent qu'à leur ruine; chaque dieu de l'Olympe a écrasé, en tombant, des milliers de chrétiens, mais sa chute n'en a pas été moins réelle.

Le peuple le plus puissant de la terre en était le plus malheureux que l'on parcoure l'histoire, on ne trouvera aucune époque où l'espèce humaine ait tant souffert que dans les siècles qui suivirent la proscription de Sylla. La guerre sur tous les points du globe, la dévastation au dehors, la dépravation au dedans. Si le règne d'Auguste et ceux de quelques bons princes ont fait luire sur l'Europe un rayon de bonheur, ils n'ont rien donné aux géné rations à venir; si Socrate et Platon ont éclairé autour d'eux quelques disciples, ils n'ont rien pu modifier, rien établir d'une manière stable, et pouvons-nous en être étonnés ? Leur doctrine n'était qu'un système et ils n'étaient que des hommes.

On a dit que saint Augustin confondait, dans sa pensée, le Platonisme et le Christianisme. Nous ne pouvons en convenir; la philosophie, nous dit-il lui-même, peut éclairer la raison, mais elle n'agit qu'imparfaitement sur la volonté. Elle nous enseigne des vérités spéculatives, mais elle ne nous donne pas la force de les transformer en vérités pratiques; elle nous dévoile d'un côté une âme spirituelle, libre, ardemment éprise de vertu, de perfection, de bonheur, de l'autre un Dieu, principe de toute vérité, de toute félicité.... Mais comment cette âme atteindrat-elle ce Dieu ! C'est ce que la philosophie n'enseigne pas... »

Augustin fait ressortir ailleurs, avec une force et une profondeur de sentiments extraordinaire, le vide immense que laisse au cœur de l'homme la meilleure philosophie, vide que la religion seule peut combler, et il termine sa pensée par cette phrase: a Platon m'a fait connaître Dieu, Jésus-Christ m'en a montré la voie. »

méchants. Apollon garde les troupeaux, Mercure nettoie les étables, Mars est mis en prison, Adonis, Priape, Crepitus et Cybèle ont des cultes infames.

A l'époque où Rome reçut le premier enseignement chrétien, on y voyait un mélange discordant de toutes les philosophies: les écoles de la Grèce s'y heurtaient confusément le stoïcisme, Épicure, Pythagore, l'Académie y avaient leurs partisans et aucun système n'y prédominait, parce qu'aucun ne conservait. assez de puissance pour subsister par lui-même. L'humanité corrompue n'avait pas la force de maîtriser ses passions, la raison s'éloignait de dieux avilis et méprisés, une longue habitude de sensualité la retenait encore. Un vague besoin de morale et de religion vraie se faisait sentir au milieu de cet abrutissement, mais il fallait plus qu'une philosophie, il fallait une révolution, une rénovation complète.

Les moralistes de la Grèce et de Rome avaient vu le mal, avaient appelé la guérison, mais leur science s'arrêtait là. Qui eût osé mettre à la place de l'orgueil, de la splendeur, de la volupté, de l'ivresse des plaisirs, la pénitence et la mortification! Quel homme eût espéré dominer, avec ces singulières armes, un peuple, vingt peuples, l'univers ? Cette révolution inouïe s'opéra cependant: commencée par la parole du Christ, elle fut achevée par ses disciples. D'innombrables martyrs l'affermirent par leur supplice. Paul, terrassé persécuteur sur le chemin de Damas, se releva apôtre intrépide. Son mâle langage étonna l'Aréopage: à sa vue, le proconsul romain trembla sur son siège, les philosophes prêtèrent l'oreille à l'étrangeté de sa doctrine et le palais des Césars entendit de sa bouche l'évangile de la Croix. Cette croix, Pierre la planta au sein même de Rome. Arrosće des flots de sang chrétien, ses rameaux couvrirent la terre. A Rome, au siège de la force fut posé le siège de la vertu, au siège de la servitude, celui de la liberté; au siège des idées honteuses, des ordres sanguinaires de Néron, le siège de ce vieillard désarmé qui répand sur l'univers la paix et la bénédiction...

Conquérants nouveaux, les apôtres ne restreignirent pas leurs victoires aux hommes réservés qu'ils venaient de relever; ils rallièrent sous leur bannière triomphante des peuples innombrables l'Indien, le Scythe, le Persan, l'Arabe, l'Ethiopien entendirent leur parole; elle retentit comme un puissant tonnerre jusqu'aux extrémités du monde, et les nations, réveillées d'un

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