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avec bonheur le récit des chagrins qu'elle peut amoindrir, comme celui des plaisirs qu'elle ne peut partager.

C'est une aumône encore que le savoir écouter; c'est l'aumône qu'on fait aux riches, qui en sont d'autant plus avides qu'en général tout leur est chagrin : « J'ai fait aujourd'hui une bonne action, disait Champfort, moi, pauvre, souffrant et affligé, j'ai consolé un homme comblé de tous les dons de la naissance, de la fortune et de la santé... »

Ce fait, qui se renouvelle si souvent, que prouve-t-il? - Que le chagrin n'a pas de réalité, que c'est notre imagination qui le crée en créant des chimères que nous nous prenons à adorer avec d'autant plus de passion que nous ne pouvons les posséder.

Et pourtant le bonheur, le vrai bonheur est là, près de nous, dans cette chambre d'ouvriers sans feu, sans meubles, que nous fuyons comme un objet de dégoût et où nous trouverions le remède à nos peines imaginaires, la source d'un bonheur tout nouveau, si nous savions vaincre notre répugnance et y entrer avec le sourire de la bienveillance.

La bienveillance n'est pas douce seulement aux infortunés; elle rapproche les esprits aigris, ramène les cœurs endurcis, console et attache les inférieurs, encourage le mérite timide, rend plus doux et plus forts les nœuds de l'amitié.

On ne sait pas assez quelle est la puissance d'un sourire bienveillant il peut éteindre la haine profonde qu'a trop souvent le triste privilège de faire naître le sourire caustique et railleur du monde.

Mais, répétons-le, pour être vrai : cette bienveillance constante, inaltérable, est impossible sans le secours de Dieu.

Si notre âme n'est elle-même calme et purifiée, comment portera-t-elle le calme dans le cœur de nos frères ? Pourrons-nous donner ce que nous n'avons pas ?

Le cœur troublé par les passions est inhabile à offrir autre chose que le reflet de ces passions, et le sourire factice qu'il donne est de l'hypocrisie.

La bienveillance est la fleur de l'amitié.

(Bernardin de St-Pierre).

Bonald (De). Philosophe français, né dans le Rouergue, en 1754, mort en 1840.

Ses œuvres politiques sont toutes consacrées à la défense ou à la consolidation du trône des Bourbons, ses œuvres littéraires ou philosophiques à la défense de la religion.

La philosophie du XVIIIe siècle n'avait cherché la glorification de la race humaine que dans les facultés de la nature; M. de Bonald ne la trouve que dans le Christianisme. La philosophie du xvIe siècle avait conclu à la jouissance, M. de Bonald conclut au sacrifice...

Des critiques malveillants, parmi lesquels se place J. Chénier, attachent à son nom les épithètes d'obscur, d'inintelligible, la vérité est que, sauf quelques abstractions, ses ouvrages sont clairs pour ceux qui veulent se donner la peine de méditer et de réfléchir.

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Bonheur. La plupart des sectes de la philosophie ancienne bornaient l'homme à lui-même. Socrate plaçait le bonheur dans la vertu et la tranquillité de l'âme. Épicure l'attachait à la volupté exempte du trouble des passions. Pyrrhon voulait soustraire l'homme au joug de l'opinion pour le délivrer de l'assujettissement du devoir, et cette liberté qui livre l'âme à l'instinct lui paraissait la source du bonheur. Le sévère Épictète lui-même renfermait les désirs dans le cercle des plus étroites espérances. Sa félicité négative, isolée, empreinte d'une désolante sécheresse, consistait dans un vain amour-propre, une sorte de jouissance de soi-même exempte à la fois de peines et de plaisirs. Toute sa doctrine pourrait se réduire à ce point: Parmi les choses, les unes dépendent de nous, nos actions, les autres en sont indépendantes. Portons tous nos soins à rectifier les premières, mais il est insensé de rechercher ou de fuir les autres, puisqu'elles ne dépendent pas de nous. En deux mots : sustine et abstine, supportez les peines et privez-vous de plaisirs.

Telle est cette sagesse antique tant prônée, qui accorde tout à la force de l'homme, en fait le centre et le levier du monde, et lui retire Dieu.

Bien autre est la sagesse chrétienne qui donne tout à Dieu, même nos infortunes: notre santé ruinée, nos biens perdus, notre vie calomniée, l'abandon de nos amis, l'ingratitude de nos en

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fants sont des coups de sa main, des mesures de sa Providence. Mais, dira-t-on, si ce sont nos fautes qui ont attiré sur nous nos malheurs, comment Dieu l'a-t-il voulu? Comment y prend-il part? Qu'a-t-il de commun avec le crime ou le péché?

Le problème de la volonté de Dieu et de la liberté de l'homme est résolu, nous n'y reviendrons pas (4). Si l'homme a le germe du péché, il a aussi l'instrument du salut, à lui de faire son choix! Mais si Dieu ne fait pas le crime, il fait au moins nos chagrins, c'est bien à LUI qu'ils appartiennent! — Nous ne le nions pas, et c'est cette idée qui faisait Job s'écrier Le Seigneur m'avait tout donné, santé, fortune, enfants, le Seigneur m'a tout ôté que le nom du Seigneur soit béni! Job le pauvre, le misérable, l'affligé, serait-il sans ces épreuves au nombre des élus? Le temps lui a valu l'éternité.

Dieu, souverainement bon, procède à tout ce qu'il fait avec la plus profonde sagesse. Ne nous troublons donc pas dans les adversités dont nous sommes assaillis, puisque nous savons que, envoyées pour nous éprouver, elles ne peuvent dépasser nos forces.

Êtres faibles et vains, que serions-nous sans tribulations? Le patient, impitoyablement torturé par le chirurgien, lui livre ses membres et supporte sa douleur dans l'espoir douteux de recouvrer une santé perdue,... et si Dieu veut faire de nous son image, nous nous roidissons épouvantés et furieux contre ses coups, sans songer que c'est notre beauté, notre santé morale qui doit en être le résultat.

C'est parce que les cieux ne font aucune résistance aux impressions de l'intelligence qui les gouverne, que leurs mouvements

(1) La liberté de l'homme est consacrée en principe dans tous les écrits des saints Peres. Saint Justin, Tatien, Origène la montrent liée à tous les attributs de Dieu et à la tête de toutes les prérogatives de l'homme. Les contradictions apparentes qu'on rencontre dans les textes de l'Écriture ne forment pas d'assez puissantes objections pour altérer la pureté d'un dogme dont la croyance est nécessaire au repos de l'âme, au développement de toutes ses facultés morales, et dont l'altération detruit toute la dignité de la nature humaine.

Voir sur cette importante question le Traité du libre arbitre par S. Ephrem; Origène. Пept aρxo ou le Livre des principes; S. Cyprien, Traité de l'Unité de l'Église; Tertullien, livres contre Marcion, etc. (V. le mot Prescience).

sont si magnifiques, si réglés, si utiles, qu'ils publient si hautement la gloire de Dieu (1) et que, par leur influence et par la succession invariable des jours et des nuits, ils conservent l'ordre dans tout l'univers. S'ils résistaient à ces impressions, et si, au lieu de suivre le mouvement qui leur est donné, ils en suivaient un autre, bientôt ils tomberaient dans le plus étrange désordre.

Eh bien il en est de même dans la sphère morale: lorsque la volonté de l'homme se laisse gouverner par celle de Dieu, tout ce qui est dans ce petit monde, toutes les facultés de son âme sont dans la plus parfaite harmonie; sa volonté s'écarte-t-elle de celle de son Créateur, le désordre est partout et le malheur le suit.

A ne considérer que l'humaine nature, il y a opposition inconciliable entre l'idée de souffrance, d'humiliation, de misère, et l'idée de bonheur... Pour sentir cette douceur si contraire à nos sens, à nos passions, à tout ce qu'il y a d'humain en nous, il faut un renoncement complet aux biens de la terre, aux consolations du monde; ce renoncement parfait est difficile, et cependant une réflexion bien simple devrait nous y amener : rien ne nous arrive que par la volonté de Dieu, et Dieu n'est-il pas toute bonté, comme il est toute grandeur et toute puissance?

A l'aide de cette conviction nous vivrions avec Dieu comme avec un père tendre et bienveillant, et nous serions aveuglément soumis à ses volontés.

A l'aide de cette conviction nous recevrions les amertumes et les joies, l'infamie et les honneurs, les louanges et la calomnie, avec une égale résignation.

A l'aide de cette conviction, l'ingratitude de nos enfants, de nos meilleurs amis serait, non un bonheur, car Dieu n'ordonne pas l'impossible, mais une preuve de plus de la fragilité du cœur humain et de l'immensité du cœur de Dieu qui a des consolations pour toutes les infortunes...

Mais, pourrait-on m'objecter, si Dieu est supérieur à tout, s'il remplit de joie l'homme qu'il frappe, si le cœur déborde de délices au milieu des tourments quand la foi et la grâce le soutiennent, que peut l'homme abandonné à lui-même, en proie à ces sécheresses désolantes qui le rendent incapable d'une seule

(1) Cæli enarrant gloriam Dei.

bonne pensée? Oh! c'est alors surtout qu'il faut persévérer et prier, car c'est là l'état le plus cruel; c'est le plus méritoire aussi, et il nous vaudra plus tard des joies infinies si nous ne succombons pas. Acceptons-le donc comme le malade accepte de la main du médecin un breuvage amer dont l'effet immédiat est le dégoût et le résultat la santé. C'est encore un combat, car tout est combat dans la vie, et sans combat pas de victoire, pas de mérite, pas de joie. Le combat, qu'il ait lieu contre nos infortunes, contre nos passions, nos langueurs, notre découragement, nos incrédulités même, le combat est la loi de notre existence; cette loi est la conséquence naturelle de la liberté de l'homme, et quel est celui de nous qui voudrait échanger ses périls et sa gloire contre le dogme abrutissant de la fatalité?

Si la force nous manque pour porter tant de maux accumulés sur notre faible nature, éloignons l'idée de l'avenir, qui les rend plus poignants et en accroît l'intensité. Rejetons du fardeau ce qu'y ajoute l'imagination, vivons au jour le jour... La journée de l'infortuné n'est pas plus difficile à supporter que celle de l'homme heureux; à chacun sa tâche à l'un le travail, à l'autre l'ennui, à l'un un repas modeste et de l'appétit, à l'autre une table somptueuse et la satiété; à l'un l'espérance d'une vie meilleure, à l'autre la crainte de la mort; à l'un la conscience d'un devoir accompli, à l'autre la lassitude et le dégoût...

Lorsque l'éducation, les devoirs de famille, la religion et la morale ne poussent pas au bien, ne servent pas de garde-fou, l'esprit et le cœur humain, sans frein et sans mors, courent à l'aventure et ne savent plus que faire de la vie. Alors on se livre à toutes les passions, à tous les vices; on en invente, on n'estime que ce qui est nouveau, et le nouveau c'est le raffinement, l'excès, l'abus.

Il n'y a peut-être de moral et d'honnête que les petites joies et les petits bonheurs relatifs, assez faciles à obtenir, même au milieu des situations les plus tristes et les plus douloureuses.

Dans les hôpitaux, dit un docteur célèbre, j'ai vu des malades se faire des joies avec une fleur qu'ils cultivaient, avec de petits travaux que la maladie leur rendait possibles. J'ai vu bien des malades heureux des paroles consolantes et chrétiennes d'une sœur de Charité. Dans l'adversité, la tendresse d'un ami,

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