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les jours à son époux, en cultivant ses talents, son esprit, et en établissant dans sa demeure l'ordre qui embellit le plus humble réduit. Bientôt cette communauté d'intérêts, cette solidarité des actions, tout concourt à unir leurs cœurs des mille liens d'une sympathie qu'un sentiment plus doux encore, l'amour des enfants, vient fortifier. (E. Voyart).

Amour filial. L'amour filial n'est pas seulement un sentiment; c'est encore un devoir, une dette de reconnaissance. Est-il une obligation plus douce que de chérir ceux à qui nous devons le jour? Mais, il faut le dire, notre piété envers eux s'accroît par le respect que leurs vertus nous inspirent. « Celui qui honore son père, dit l'Écriture, trouvera lui-même sa joie dans ses enfants, et il sera exaucé au jour de sa prière. » Par contre, elle maudit celui qui n'accomplit pas ce devoir : « Combien est infâme celui qui abandonne son père et maudit de Dieu celui qui aigrit l'esprit de sa mère. »

L'amour filial est notre premier code moral et religieux. C'est lui qui nous fait faire le doux apprentissage de nos devoirs envers Dieu. De là cette affection un peu craintive, mais passionnée, cette profonde gratitude, cette soumission respectueuse, mais tendre que les anciens révéraient sous le nom de piété filiale.

Amour paternel. L'amour paternel est inné en nous; la nature l'a mis dans nos cœurs comme la loi la plus douce à accomplir et l'a étendu jusqu'aux animaux; mais en même temps quel devoir pour l'homme qui pense et ne s'en tient pas aux inspirations de la nature! Le plus sûr moyen de comprendre tout ce que doit être l'amour paternel, c'est de réunir les traits les plus aimables et les plus frappants de l'amour divin: l'amour paternel doit être désintéressé, il est tendre et plein de charme; il est indulgent dans sa sévérité même; il sait fortifier la faiblesse, réveiller le courage, ranimer l'espérance, écarter les obstacles ou donner la force de les vaincre; tout disposer enfin pour rendre nos enfants heureux de ce bonheur que donne la vertu... « Quelle mission que celle de faire épanouir ces faibles intelligences, de dresser ces volontés naissantes pour leur assurer la connaissance

et l'amour de cet être infini qu'on ne peut connaître sans l'aimer, qu'on ne peut aimer sans être heureux ! »

A ces paroles si vraies d'Ambroise Rendu, ajoutons ces quelques lignes d'un philosophe de nos jours:

« Il faut que l'âme de l'enfant apprenne à sentir et à penser dans le voisinage de l'âme paternelle. Les croyances et les souvenirs qu'il puisera à cette source ne s'effaceront jamais entièrement; ce sera comme le fond de sa pensée et de son cœur. S'il ne trouve près de son berceau que d'honnêtes exemples, des paroles douces et affectueuses, si les traditions de famille ne lui apprennent que la sainteté des mœurs, il n'est pas à craindre qu'il oublie jamais ses devoirs.

En général, nous ne voyons dans l'éducation des enfants qu'un moyen d'arriver à une carrière; quand nous avons assuré leur fortune, nous nous croyons quitte envers eux et nous mourons tranquilles. Tout au plus, leur donnons-nous quelques sentences banales sur la vertu ou la probité, trop souvent démenties par nos exemples ! Après cela on dit volontiers : « J'ai mis mon fils en état de faire son chemin. » Ne vaudrait-il pas mieux pouvoir dire « Je l'ai préparé à faire son devoir dans quelque circonstance qu'il se trouve?»

Les parents doivent, autant qu'il est en leur pouvoir, fournir à leurs enfants tous les avantages en rapport avec leur condition, mais ils doivent éviter d'encourager l'oisiveté. Les enfants sont trop souvent traités comme des jouets. Que l'on ne s'imagine pas que l'éducation morale soit peu essentielle au début de la vie. Elle ne saurait commencer trop tôt. (J. Beattie).

Amour du pays. Que le berceau de notre enfance soit fertile ou aride, qu'il soit embelli par des monuments grandioses, animé par une riche civilisation ou pauvre, isolé au sein des Alpes, au bord de l'Océan, le même amour nous y attache,. car cet amour a sa source dans les premières impressions que notre cœur a ressenties dans ces jours où la jeunesse embellit tout de ses douces illusions... Plus tard, les illusions se sont enfuies, une réalité décolorée a pris leur place et c'est au milieu de nos chagrins, souvent à travers nos larmes, que nous voyons, que nous jugeons les lieux où le destin a jeté notre vieillesse.

S'il n'est pas de sentiment plus moral, plus doux, plus irréprochable que l'amour du pays, il n'est pas de maladie plus poignante et plus touchante à la fois que la nostalgie. Rien de si à plaindre que cette âme aimante, pauvre fleur qui se dessèche et dépérit loin du sol qui l'a vue naître, de l'arbre qui l'a abritée, de la main qui a soutenu sa première tige! tous les soins tardifs sont impuissants à ranimer la fleur, aucune consolation humaine ne peut apporter de remède à l'âme. Elle évoque ses amis perdus, elle regrette le foyer de la famille, l'air, l'odeur de l'atmosphère, un je ne sais quoi dont le souvenir est enivrant et qu'on ne retrouve plus; elle regrette jusqu'aux objets inanimés qui ont partagé ses destinées; une partie d'elle-même reste attachée à la couche où a reposé son bonheur, où a souffert son infortune.

L'histoire nous donne de ce sentiment des preuves innombrables on lit dans Thacydide que Thémistocle, banni de son pays, pria en mourant ses amis de porter ses restes dans l'Attique, au lieu de sa naissance, pour les inhumer secrètement. Tant que les Juifs demeurèrent en pays étranger, ils ne cessaient de pleurer Sion dont ils aimaient jusqu'aux pierres dispersées: «O Jérusalem, disaient-ils, comment puis-je jamais t'oublier! » (4). « J'habite l'Ile d'Ithaque, dit Ulysse, la plus pauvre et la plus petite des îles de la Grèce, son sol est âpre, mais il a nourri ma jeunesse... Homère retrace avec amour les mœurs de l'Ionie qui le vit naître. « Quoi de plus beau que Rome! disait Ovide, quoi de plus affreux que les rivages des Scythes! et pourtant le barbare fuit Rome pour revenir en Scythie (2). » Le paysan d'Islande, où l'on n'est occupé qu'à disputer sa vie à une nature ingrate, n'oublie jamais son bær (3), malgré les privations, les volcans, les tremblements de terre; son île est pour lui « la plus belle contrée qu'éclaire le soleil ! On a vu des Islandais, transportés dans nos grandes villes, y mourir sous l'influence de la nostalgie; tout le luxe de notre civilisation était sans charme pour eux; il leur fallait la vue de leurs lacs, de leurs falaises et

(1) Psaume CXXXVI.

(2) Quid meliùs Româ ? Scythico quid littore pejus ! hâc tamen ex illâ barbaros urba fugit!

(3) Sa maison.

les récits des temps anciens pendant les longues soirées d'hiver, quand la tempête gronde sur le bær couvert de neige. L'un d'eux refusa le séjour de l'Italie en s'écriant: « Pourrai-je dire aux ossements de mes pères: Levez-vous et suivez-moi dans une terre étrangère ? » On a vu des Groenlandais, conduits en Europe, s'échapper sur de frêles canots et s'exposer à une mort presque certaine pour revoir leur pays, terre stérile où règnent des glaces éternelles. L'habitant de l'Helvétie regrette, même sous le beau ciel de Naples, ses précipices et ses montagnes neigeuses, et il n'a souvent fallu aux soldats enrôlés au service de l'étranger, pour les pousser à la désertion, que l'expression plaintive de leur chant national (1), entendu par hasard.

« Tant qu'on habite son pays, dit avec autant de vérité que de sentiment un éminent magistrat du midi de la France (2), on s'imagine que les rues vous sont indifférentes, que ces fenêtres, ces toits de brique rouge ne vous sont rien, que ces arbres sont les premiers venus, que ces pavés ne sont que des pierres, mais plus tard, quand on n'y est plus, que la folie de la jeunesse vous a fait abandonner le pays, on s'aperçoit que ces rues vous sont chères, que ces toits, ces fenêtres vous manquent, que ces arbres sont vos bien aimés, et qu'on a laissé de ses entrailles, de son sang et de son cœur dans ces pavés raboteux... ces lieux qu'on ne voit plus, qu'on ne reverra peut-être jamais et dont on a gardé l'image, prennent alors, en effet, un charme douloureux; ils vous reviennent avec la mélancolie d'une apparition; on les aime, on les invoque tels qu'ils sont et l'on ne veut rien y changer, car on tient à la figure de la patrie, comme on tient au visage de sa mère bien-aimée. »>

De là cette amère tristesse qui nous suit dans les pays lointains et contre laquelle Dieu nous offre cependant un remède.

Si, au sein de cette tristesse, nous ne voyons que le passé pour le regretter et le présent pour le maudire, si l'idée d'un céleste avenir ne vient pas nous consoler, oh! alors malheur à nous, car nous mourrons comme nous avons vécu, dans les angoisses du désespoir; mais si, au contraire, nous nous persuadons bien que

(1) Le ranz des vaches.

(2) M. Sorbier, premier président de la cour d'Agen.

notre passage dans ce monde est un exil, si nous nous considérons comme des voyageurs qui atteindront le port après un long et pénible trajet, si nous croyons que cette terre, quelle que soit sa beauté, sa fécondité, sa richesse, n'est belle, féconde et riche que par cette chaleur qui vient d'en haut, cette rosée qui tombe du ciel, ce soleil qui éclaire tant de mondes... alors, nous tournerons les yeux vers la patrie promise aux justes et la terre sera oubliée; alors nous aurons retrouvé le bonheur que nous croyons à jamais perdu : la montagne ne se dressera plus menaçante devant nous, la plaine ne nous paraîtra plus monotone, l'immensité de la mér n'épouvantera plus notre âme, le sombre voile d'un ciel de plomb n'attristera plus notre cœur, car la vie sera derrière la montagne, au-delà des mers, au-dessus des nuages, elle sera avec Dieu !

Amour-propre.

L'amour-propre est une réunion

de mots qui n'a point de sens dans la langue chrétienne. C'est un ressort qui se développe dans le monde et se rouille dans la solitude. Il demande un théâtre, un auditoire, des bravos.

Ce ressort est utile quelquefois à l'éducation de l'enfant et même à la vie de l'homme, mais il s'agit de le bien placer. Dans les bagnes, l'amour-propre se vante du vol, du sang versé et de la récidive; il y a là l'aristocratie du crime... et il n'est pas rare d'y voir les hommes s'y pousser, d'échelons en échelons, à une perfection dont le dernier terme est l'échafaud.

Ailleurs on a vu des héros d'amour-propre mourir pour avoir bu une bouteille d'alcool ou mangé une oie après dîner, des hommes plus glorieux de ne rouler sous la table qu'une demi-heure après les autres, que Napoléon d'avoir gagné la bataille de Marengo ou Jean-Jacques d'avoir écrit le Contrat social.

L'amour-propre, par une singulière aberration d'esprit, se trompe quelquefois d'objet : c'est ainsi qu'on a vu un des plus grands ministres de notre époque, un homme d'État très sérieux, mettre son amour-propre à chanter la musique de Gluck et de Sacchini... et le malheureux chantait faux !...

Dieu nous a créés avec deux amours: l'un pour lui, qui est infini; l'autre pour nous qui a débordé et est souvent resté seul, en grandissant outre-mesure. Il naît de là une fausseté perpé

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