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Les opérations de l'entendement sont au nombre de trois : la pensée, le raisonnement, le jugement.

La volonté suppose la liberté. Il y a cette différence entre l'entendement et la volonté que cette dernière est libre, tandis que l'entendement ne l'est pas; quelques sophistes ont voulu nier la liberté de l'homme, mais ce n'est pas sérieux et eux-mêmes y croient si peu qu'ils s'emporteront contre vous si vous les frappez et qu'ils ne s'emporteront pas contre une tuile que le vent aura fait tomber sur leur tête... Ils reconnaissent donc la liberté, dont ils cherchent à effacer le sentiment profondément gravé dans nos âmes.

L'âme étant immatérielle ne peut périr la destruction n'est que la séparation des parties essentielles qui composent un être; l'âme n'ayant pas de parties ne peut se décomposer.

On a tiré de l'état des enfants, des malades et des vieillards un argument contre l'existence de l'âme... mais l'âme ne peut être altérée dans son essente par le mauvais état de l'instrument; elle attend qu'il puisse servir et est condamnée jusque-là à l'inertie. Ainsi, le brouillard, qui cache le soleil, ne lui enlève ni son foyer de lumière, ni sa chaleur. A mesure qu'il se dissipe, cet astre se montre aux yeux et les éblouit. Par la même raison, une fièvre cérébrale ou la caducité peuvent déranger les facultés intellectuelles. L'homme étant un être complexe, l'harmonie entre l'âme et le corps doit être parfaite. La mémoire et la réflexion ajoutent à ses facultés; de là la supériorité de l'homme sur l'enfant; mais, la vieillesse arrivant, la mémoire se perd, de là son infériorité sur l'âge mûr. Les facultés affectives peuvent rester les mêmes, celles de l'intelligence décroissent.

a On peut ne pas approfondir l'opinion de Copernic, dit Pascal, mais il importe à toute la vie de savoir si l'âme est mortelle ou immortelle. >>

Cela nous importe si fort, en effet, et nous touche si profondément qu'il faut avoir perdu tout sentiment pour être dans l'indifférence à ce sujet. Toutes nos actions, toutes nos pensées doivent prendre des routes si différentes, selon qu'il y aura ou non une autre vie, qu'il est impossible de faire une démarche sensée, si ce n'est en la réglant là-dessus.

Or, le doute est-il raisonnablement permis? Tout ne nous dit-il pas que si notre corps appartient à l'univers, duquel il tire à chaque instant les matériaux qui le composent, et qu'il lui rend par la mort, notre âme est à nous, elle est nous?

La volonté qui, s'affranchissant de l'empire des mouvements organiques, triomphe de la sensation, est la preuve irrécusable de l'immatérialité de l'âme et de sa supériorité sur le corps: une mère veille depuis plusieurs nuits son enfant malade, son corps tombe de fatigue et de sommeil; son amour la tient pourtant éveillée. Le besoin de dormir, le désir plus fort de ne pas dormir peuvent-ils provenir d'une même source? Est-ce le corps qui veut le contraire de ce qu'il veut?

Si l'âme mourait avec le corps, si notre vie était son but à elle-même, son principe et sa fin, elle serait la condition de toute jouissance. Dès lors la nécessité d'obéir au devoir qui, en certaines circonstances, ordonne de se sacrifier, ne serait qu'une contradiction à l'essence de notre être, une tyrannique absurdité; la résignation ne serait que de l'impuissance et de la faiblesse. Il y a cependant plus que cela ainsi, par exemple, à force de malheurs, de réflexion et de conformité à la volonté de Dieu, Louis XVI et sa royale sœur en étaient arrivés à cet état de sublime indifférence où l'homme, impartial entre la crainte et l'espoir, n'a de préférence que pour la décision d'en haut. Etat surnaturel de notre âme où l'humanité s'élevant au-dessus de ses propres désirs, brave les coups de la fortune, ne souffre que de son corps et n'a plus de volonté que celle de la Providence. « La Philosophie avait donné ces conseils, dans les revers, aux sages de l'antiquité, le Christianisme a fait de cette résignation un dogme et en a donné, du haut de la croix, l'exemple au monde nouveau (1). »

Dans le courant de la vie humaine, rien n'est but et tout est moyen; le but est donc à la fin, c'est-à-dire à la mort... Rien ne prouve mieux l'immortalité de l'âme manger, c'est nourrir son corps, moyen de vivre. Dormir, ce n'est pas vivre apparemment, mais c'est un moyen de réparer ses forces. — Étudier, c'est orner son intelligence pour l'avenir, c'est acquérir le moyen

(1) Lamartine.

de passer la vie plus agréablement. Travailler, c'est prendre le moyen de gagner l'or nécessaire à l'existence...

Qu'est-ce donc que cette vie (qui occupe cependant toutes nos pensées) pour qu'on attache de l'importance à ses plus sérieuses vicissitudes? Qu'est-ce que la pauvreté, le malheur, sinon des accidents de position et de forme dans l'immensité des siècles, épreuves nécessaires d'une âme mal affermie ou conditions de l'ordre universel. Ces accidents, qui brisent le courage, doivent concourir peut-être, dans le plan sublime de la création, à l'ensemble de sa merveilleuse harmonie. Ce qui est est ce qui doit être puisque Dieu l'a permis. Nous ne savons pas pourquoi il l'a permis, nous ne pouvons le savoir, mais ce que nous ne savons pas, Dieu le sait.

Si nous voulions accumuler les preuves de l'immortalité de l'âme, nous n'aurions qu'à parcourir les ouvrages des écrivains chrétiens depuis les Pères de l'Église, mais nous n'avons pas besoin de tant d'efforts pour convaincre nos lecteurs. Néanmoins qu'ils nous permettent un argument tout nouveau puisé dans une découverte récente le chloroforme.

Si, comme le prétend la philosophie matérialiste, « l'âme est un composé d'atômes fins et déliés (4)... » Cette âme toute matérielle ne fait qu'un avec le corps, elle doit dès lors souffrir quand il souffre... S'il en est ainsi, comment se fait-il que l'âme fasse des rêves dorés et soit en extase quand on mutile le corps? Les nerfs sont coupés par le chirurgien, le sang s'écoule, un membre se sépare du tronc et elle jouit au moment d'une si affreuse mutilation! Ceci est prouvé par des expériences répétées.

Supposons maintenant la rupture d'un artère indispensable, le corps n'est plus dans les conditions qui constituent sa vie ; pourquoi l'âme, qui jouissait et était séparée du corps par les sensations, mourrait-elle avec lui? Ne semble-t-il pas plus rationnel et plus conséquent de croire qu'elle s'enfuit au plus tôt, ravie d'être débarrassée d'une enveloppe à laquelle elle doit tous ses ennuis, toutes ses souillures et avec laquelle elle n'a cessé d'être en lutte! Socrate semblait avoir deviné cette séparation lorsqu'il disait : « Quand l'âme parvient à s'affranchir des sens et qu'elle examine

(1) Epicure.

elle-même les choses, alors elle se porte à ce qui est pur, éternel, immuable; elle y reste attachée, comme étant de même nature, aussi longtemps qu'elle a la force de demeurer isolée; ses égarements cessent, elle est toujours la même. En se rendant indépendante des passions, en ne se départant jamais de ce qui est vrai et divin, l'âme acquiert la conviction qu'elle doit vivre ainsi tant qu'elle est dans cette vie et qu'après la mort elle ira se réunir à ce qui lui est semblable et sera délivrée des maux de l'humanité...»> Terminons ces réflexions par une page, aussi éloquente que vraie, tirée du livre du Devoir de Jules Simon :

« Les martyrs les plus à plaindre ne sont pas ceux qui meurent tragiquement et dont l'histoire arrache des pleurs il y a des infortunes moins visibles, des douleurs de chaque jour, des déceptions sans cesse renouvelées, des amitiés trahies, des injustices subies; supplices obscurs et sans nom qui durent soixante ans et n'obtiennent pas même cette dernière des consolations humaines : la pitié! Quand une vie s'est ainsi traînée si longtemps de douleurs en douleurs jusqu'à la mort, que lui réserve Dieu pour récompense? Sera-ce le néant? Lui qui a vu la lutte et la victoire intérieure, qui sait la fidélité au devoir et qui a mesuré ce qu'elle a coûté, quand il a refusé à cette âme blessée un bonheur, un répit, une lueur dans ces ténèbres, n'a-t-il rien à lui dire au moment où la force lui manque pour souffrir plus longtemps? Oh! si la religion veille sur le lit de mort, elle murmure à l'oreille du mourant des paroles d'immortalité. Il a souffert de la misère, il a aimé sans être compris, il a créé de grandes œuvres qu'on a rejetées avec dédain; le monde n'a voulu ni de son cœur, ni de son génie... La religion lui répète qu'un père l'attend au delà du tombeau, un père qui l'a éprouvé, qui maintenant le bénit et qui va le recevoir fatigué de la route, brisé, torturé, à bout de force, mais renaissant pour une vie nouvelle... Voilà le véritable oreiller pour s'endormir du dernier sommeil.

Mais... disparaître en perdant le souvenir de son identité, n'estce pas encore mourir ! S'absorber dans le sein de Dieu n'est qu'une contradiction et une absurdité. Est-ce qu'un être fini peut se fondre avec l'infini de manière que ces deux êtres, unis ensemble, n'en fassent plus qu'un seul ? Quelle différence y a-t-il entre cette absorption et l'anéantissement? Si Dieu est la substance

unique, il ne reste rien de moi après que ma conscience s'est éteinte; et quelle plus triste équivoque que d'appeler cette mort. immortalité, ou de proposer ce néant du cœur et de la pensée comme une récompense !

Nous retrouvons là le panthéisme, et nous le retrouvons aussi dénué de preuves, aussi contradictoire et aussi cruel. Oui, c'est une cruelle doctrine qui nous dispute également le présent et l'avenir, qui fait de ce monde un rêve au lieu d'une réalité, et, au moment où nous nous éveillons, nous détruit.

L'immortalité à laquelle nous croyons n'est donc pas cette im mortalité dérisoire de la substance qui rend l'immortalité inutile, la peine et la récompense impossibles et qui ne repose que sur des non sens et des contradictions, c'est l'immortalité de ce qui constitue l'homme de son cœur et de son esprit. En un mot, c'est l'immortalité de la personne. Au moment venu, le trépas jette son ombre sur nous, le monde disparaît et nous nous retrouvons tout entier de l'autre côté de la tombe. »>

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L'aspiration instinctive de l'homme vers l'infini n'indiquet-elle pas qu'il doit y avoir pour lui quelque chose après la mort ? L'homme est en marche vers l'infini, qui lui échappe toujours et que toujours il poursuit. Il le conçoit, il le sent, il le porte, en luimême. Comment sa fin serait-elle ailleurs? De là cette universelle espérance d'une autre vie dont témoignent tous les cultes, toutes les poésies, toutes les traditions. Nous tendons à l'infini de toutes nos puissances; la mort vient interrompre cette destinée qui cherche son terme; elle la surprend inachevée. Il est donc vraj qu'il y a quelque chose après la mort, puisqu'à la mort, en nous rien n'est terminé... Tous les êtres créés atteignent leur fin; l'homme seul n'atteindrait pas la sienne! La plus noble des créatures serait la plus maltraitée ! Mais un être qui demeurerait incomplet, qui n'atteindrait pas la fin que tous ses instincts proclament, serait un monstre dans l'ordre éternel! problème bien autrement difficile que les difficultés qu'on élève contre l'immortalité de l'âme ! (V. Cousin.)

Le mot âme vient du latin: souffle, vie, anima! elle est le siège de la sensibilité, de l'entendement et de la volonté. L'âme soutient le corps aux prises avec la douleur et la mort;

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