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sage modération dans la Chambre introuvable de 1824, et, trois ans plus tard, de réunir les suffrages de sept colléges électoraux.

Quand survint la révolution de juillet Royer-Collard abandonna presque entièrement la scène où il avait si longtemps brillé, ne faisant plus que de rares apparitions à la tribune, et n'interrompant son silence chagrin et frondeur que pour se venger par des mots sur les institutions ou les hommes de ses déconvenues politiques. Enfin, voyant sa carrière politique entiè– rement terminée, blessé au vif d'un oubli qu'il estimait être de l'ingratitude, il se plongea entièrement dans la retraite pour y railler en paix

ses successeurs.

Après sa mort, survenue en 1844, les habitants de Vitry-le-François lui érigèrent un bronze plus grand que nature, et M. Philippe vient de lui consacrer un fort joli in-8° très-bien édité par MM. Michel Lévy, et qui renferme, outre une étude très-complète sur la vie publique de l'orateur, beaucoup d'autres détails de moindre intérêt sur l'homme, ses parents, son intérieur, son extérieur, ses habitudes intimes, ses repas, ses vêtements de jour et de nuit, ses indispositions et ses discussions de famille.

On se souvient peut-être qu'en 1848 la France se prit d'un goût trèsvif pour l'agriculture. Les politiques parlaient de supprimer Paris. Les capitalistes pensaient que quelques bons arpents au soleil représentaient un gage plus solide que deux lignes sur une page du grand-livre. Enfin, les gens effrayés par le spectacle des processions d'ouvriers se rendant du Champ de Mars à l'Hôtel de Ville et de l'Hôtel de Ville au Champ de Mars, aimaient à se figurer des processions de paysans, célébrant à l'ombre de leur bannière patronale quelque fête de village. On a rarement dit d'aussi belles choses qu'à cette époque sur les avantages de la décentralisation, sur la paix des champs, sur les vertus des laboureurs, sur la saine influence des mœurs agricoles. La société ressemble à ce voyageur qui se tient à l'écart dans un dédaigneux isolement et sans se soucier de son compagnon de route. Mais survient un danger: on trouve alors que le drille a les épaules carrées et le poignet solide. Mon ami, lui dit-on, et on lui serre la main. Il est bon d'ajouter que, le péril une fois passé, volontiers on remet son gant.

Royer-Collard, sa vie publique, sa vie privée, sa famille, par M. A. PHILIPPE. Paris, 1857, Michel Lévy frères; 1 vol. in-8°.

M. de LAVERGNE appartient à la catégorie infiniment restreinte de ceux qui, ayant en 1848 saisi les cornes de la charrue, ne les ont plus lâchées. Renonçant aux affaires publiques, dans lesquelles il avait débuté, il s'est voué tout entier à l'agriculture, d'où il résulte qu'aujourd'hui il en peut parler tout à la fois avec l'élégance aisée d'un diplomate et l'autorité d'un homme de métier. Cette union de grâce spirituelle dans le langage et de science réelle, forme le trait caractéristique des ouvrages de M. de Lavergne, et lui ont assigné un rang particulier parmi les écrivains spéciaux. L'ouvrage qu'il a publié, il y a quelques années, sur l'agriculture anglaise a obtenu un succès si notoire qu'il est presque inutile de le rappeler. Il faut dire que la plupart des documents en étaient empruntés au livre de Caird; mais la mise en œuvre appartenait bien tout entière et en propre à M. de Lavergne. Son érudition était facile et sans pédanterie, sa manière précise et juste, sans cesser d'être variée et piquante, avait conquis pour l'agriculture l'intérêt et l'attention d'un auditoire tout

nouveau.

Avec plus d'originalité dans les idées, nous retrouvons les mêmes brillantes qualités dans le petit livre qui est dans ce moment sous nos yeux. C'est avec un vif plaisir que nous avons relu ces chapitres que nous avions lus dans la Revue des Deux Mondes, où ils ont paru en articles distincts, pendant le cours de ces deux dernières années. Les premiers ont été écrits à l'occasion de l'exposition universelle de 1855, et traitent successivement des races de bétail, des produits et des machines agricoles et des produits forestiers. Nous nous contentons d'indiquer ces divers titres; toutefois, qu'il nous soit permis d'extraire de l'article consacré aux races de bétail quelques mots relatifs à nos espèces suisses. Après avoir mentionné les races hollandaises, dont les importations en France n'ont pas eu de succès, l'auteur poursuit: «Il en est de même, au moins sur la plus grande partie du territoire, de ces belles espèces suisses de Berne et de Fribourg; on ne peut en importer que dans le Jura français, où elles retrouvent à peu près leur condition première. Rien n'est plus regrettable assurément, car ces deux familles sont superbes; leur aspect fait rêver des digues de la Hollande et des vallées des Alpes, ces premiers boulevards de la liberté moderne; on se demande par quelles lois mystérieuses les plus beaux produits sont dus aux peuples

L'agriculture et la population, par M. DE LAVERGNE, membre de l'Institut. Paris, Guillaumin et Cie, 1 vol. in-12.

les plus forts et les plus fiers. Les vaches suisses ont l'air d'avoir, comme leurs pâtres, le sentiment de l'indépendance nationale. »

Mais nous avons hâte de signaler à nos lecteurs le chapitre le plus important de l'ouvrage de M. de Lavergne. Ce chapitre est intitulé: Le dénombrement de la population en 1856, et touche à des questions d'une incontestable gravité. Depuis un an, l'esprit public se préoccupe de la crise commerciale et financière qui semble être installée en Europe, et dont nul ne peut prédire le terme. Ceux qui ont voulu n'y voir que la réaction naturelle d'un grand mouvement industriel se sont, croyons-nous, étrangement trompés sur la portée aussi bien que sur l'origine de cette triste situation. Avec M. de Lavergne, consultons les chiffres, les chiffres officiels, et, pour ce qui concerne la France, nous verrons que les affaires sont en stagnation parce que la nation est en dépérissement. Nous nous expliquons en 1854 et en 1855, le nombre des décès a été supérieur à celui des naissances. La statistique nous livre ce fait. M. de Lavergne en recherche la cause, disous mieux, les causes; et avec une honorable sincérité il sonde la plaie jusqu'au fond. Hélas! les enseignements de 1848 ont été oubliés, et les bonnes résolutions inspirées par l'effroi se sont bien vite évanouies à l'ombre de la sécurité. L'agriculture est délaissée. Les champs manquent de bras pour les cultiver. Les villes seules se peuplent d'une foule attirée par le luxe et fauchée par la misère. Le tableau peut sembler un peu chargé, et les optimistes répondront par l'accroissement des revenus. Mais M. de Lavergne remarque avec beaucoup de justesse que ce n'est là qu'un symptôme fallacieux de prospérité. Il faut, dans cet accroissement, distinguer ce qui doit être attribué à de nouveaux impôts, faire la part des grands travaux publics, enfin et surtout examiner la nature même des recettes. Aussi, dit-il, il est impossible de considérer comme un signe de richesse l'augmentation vraiment prodigieuse dans la consommation du tabac. Voilà près de 200 millions qui s'en vont littéralement en fumée tous les ans... Je ne nie pas d'ailleurs la tendance à consommer; c'est la tendance à produire qui me paraît en déclin. Or, l'une ne peut se satisfaire longtemps sans l'autre. Une nation peut vivre quelque temps, comme un particulier, en dissipant ses épargnes antérieures et en entamant son capital, mais un pareil jeu ne peut durer, et il arrive un moment où il faut compter, quoi qu'on fasse. »

Mais où est le remède? M. de Lavergne repousse énergiquement l'intervention directe de l'Etat, qui n'a déjà fait que trop de mal. Le véritable remède, dit-il, est plus simple: il consiste tout uniment à ramener

les dépenses publiques, qui ont dépassé 2 milliards par an depuis trois ans, au chiffre de 1500 millions, qui a suffi dans d'autres temps, et plus encore, s'il est possible, à suspendre tous les travaux publics sans utilité, etc. »

Cet article, publié au mois d'avril 1857, produisit une vive sensation, et de tous côtés on essaya d'en réfuter les conclusions alarmantes. M. de Lavergne fut traité de pessimiste, et dut reprendre la plume afin de soutenir son opinion. La lettre qu'il écrivit dans ce but au directeur de l'Assemblée nationale, et qui fut insérée dans ce journal, a été reproduite dans le volume qu'il publie aujourd'hui. Mais il est temps de nous arrêter. De nouveaux développements nous mèneraient trop loin; nous n'avons voulu qu'attirer la sérieuse attention de nos lecteurs sur ce livre consciencieux, œuvre d'un esprit aussi ferme et sagace qu'il est vif et élégant.

Il y a très-peu de bons livres sur l'Algérie. Elle n'a guère été racontée qu'en passant, par des officiers qui n'y voyaient autre chose que le théâtre de leurs aventures ou le cadre de leurs impressions personnelles. Or, quelque intérêt qu'il puisse offrir, un récit de campagné ou un souvenir de bivouac ne suffit pas à faire connaître une contrée. Les travaux purement scientifiques sont également trop spéciaux, et l'étude d'un pays ne saurait être restreinte à des questions géographiques ou météorologiques. Le général Daumas a entrepris de combler une lacune réelle, et il semble qu'il ait réussi, puisque la librairie Hachette publie aujourd'hui une troisième édition des Mœurs et coutumes de l'Algérie1. Ce livre est, en quelque sorte, un manuel plutôt qu'un traité, manuel à l'usage de ceux qui s'intéressent de quelque façon que ce soit au sort de ce royaume, que la civilisation constitue, en l'arrachant lambeaux par lambeaux, à l'un des plus odieux despotismes qui aient jamais déshonoré l'humanité. Jusqu'ici il a fallu conquérir, et la lutte si glorieusement entreprise par Charles X, si vaillamment continuée par le roi Louis-Philippe, se poursuivait encore l'autre jour. Toutefois, on peut croire que désormais le rôle de l'armée est, sinon complétement terminé, au moins considérablement réduit. Le soc du colon va remplacer le glaive du soldat. Ici une question d'un haut intérêt se présente dès l'abord. Jusqu'à quel point l'Arabe est-il susceptible d'adopter les méthodes agricoles et les habitudes

• Mœurs et coutumes de l'Algérie, par M. le général E. DAUMAS. Troisième édition, 1 vol. in-12. Paris, 1858, Hachette et Cie.

paisibles de l'Europe, en un mot, de coloniser lui-même son propre territoire?

Mais de quel Arabe entendons-nous parler? Est-ce du Berbère ou du Maure, ou de l'Arabe proprement dit? Car toutes ces races, et d'autres encore se mêlent, sans jamais se fondre, sur le sol africain. L'ouvrage de M. Daumas est, à ce sujet, riche en enseignements de toute sorte; la partie relative au Sahara nous a surtout vivement intéressé. Au reste, nul n'était en meilleure position que le général Daumas pour écrire un bon livre sur l'Algérie, puisque sa carrière est consacrée tout entière à ce pays. Ce n'est cependant pas tout, et l'on ignore souvent, quelque intelligence qu'on ait, les lieux où l'on a vécu; il faut encore, pour les bien connaître, les aimer. M. Daumas aime l'Algérie. C'est parce qu'il l'aime qu'il a pris la plume pour la raconter, et c'est là précisément ce qui nous plaît de son ouvrage, c'est qu'il est sincère, sans prétention, et d'autant mieux écrit qu'on n'y sent jamais l'écrivain. Il en est maintenant, comme nous l'avons dit, à sa troisième édition; il ne s'arrêtera pas en si beau chemin, car si le succès des Mœurs et coutumes de l'Algérie a été trèsrapide, il est complétement mérité.

Enfin, avant de clore cette rapide revue, que l'espace nous force aujourd'hui d'abréger, nous tenons à signaler la publication d'un ouvrage fort intéressant, sur lequel nous aurons à revenir. Nous voulons parler du Trésor des livres rares et précieux', que publie M. Græsse, de Dresde, lequel s'est déjà fait connaître du monde savant par une remarquable Histoire littéraire universelle. La première livraison du Trésor, que nous avons sous les yeux, nous a paru aussi exacte qu'elle est intéressante, et le livre de

• Trésor des livres rares et précieux, ou nouveau dictionnaire bibliographique, contenant plus de cent mille articles de livres rares, curieux et recherchés, d'ouvrages de luxe, etc., avec les signes connus pour distinguer les éditions originales des contrefaçons qui en ont été faites, des notes sur la rareté et le mérite des livres cités et les prix que ces livres ont atteints dans les ventes les plus fameuses, et qu'ils conservent encore dans les magasins des bouquinistes les plus renommés de l'Europe, par J.-G.-Th. Græsse, conseiller aulique, bibliothécaire du feu roi Frédéric-Auguste II et directeur du musée japonais à Dresde. (La première livraison de 96 pages va de van der Aa à Amarasinha.) Dresde, R. Kuntze, libraire-éditeur; Genève, H. Georg; Paris, E. Reinwald, 1858; in-4°. (L'ouvrage complet est annoncé comme devant avoir de 12 à 16 livraisons.)

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