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l'aiguille aimantée pour connaître la direction du sud, et on s'en servait plutôt pour les voyages sur terre ferme. La boussole primitive était une sorte de petit chariot portant une figurine grossière qui nageait sur l'eau, et dont le bras aimanté se dirigeait vers le sud. Cet appareil (fse-nan, indicateur du sud) fut donné en présent à des ambassadeurs de la Cochinchine, sous la dynastie des Tschen, vers l'an 1100 avant l'ère chrétienne. Vingt-six siècles plus tard, en l'an 1500, on se servait encore dans ce pays du même chariot. Cependant, dans le douzième siècle, on attacha l'aiguille à un fil de soie verticalement suspendu, afin d'avoir une plus grande mobilité. Avec l'instrument ainsi perfectionné, les Chinois déterminèrent, déjà alors, la déclinaison, c'est-à-dire l'angle formé par l'aiguille avec le méridien. Peu à peu l'emploi de cette boussole encore imparfaite s'étendit aux voyages sur mer. Vers le quatrième siècle, des navires chinois arrivèrent dans les ports de l'Inde et même de l'Afrique orientale. Deux siècles auparavant, sous le règne de Marc-Aurèle, des vaisseaux romains s'étaient rendus en Chine, mais sans connaître le fameux appareil, et sans en importer l'usage dans l'Europe méridionale. Ce n'est que plus tard, par l'intermédiaire des Arabes et peut-être des Croisés, dans le onzième siècle, que la boussole arriva entre les mains des navigateurs européens. Il n'est pas possible de fixer la date exacte du premier emploi de l'aiguille aimantée pour la navigation dans la Méditerranée; seulement, dans le poëme satirique de Guyot des Provins (1199) et dans la description de la Palestine de l'évêque Jean de Vitry (1204), il est question de cet instrument comme d'un objet précieux pour les gens de mer.

C'est par erreur que Gilbert attribue à Marco Polo la gloire d'avoir apporté la boussole de Chine; ce célèbre voyageur ne commença son expédition qu'en 1271, et déjà soixante et dix ans plus tôt on en faisait usage sur les côtes de l'Italie. Ce qui montre du reste que les Arabes ont été des intermédiaires entre

la Chine et les peuples occidentaux, c'est que, dans un ouvrage de 1254, on trouve les deux expressions arabes de zohron et aphron pour désigner le nord et le sud de l'aiguille. Grâce à la boussole, les Espagnols se hasardèrent vers les régions tropicales de l'Afrique, jusqu'au nord de l'Ecosse, et même jusqu'à la recherche de la baleine; les Normands se rendirent aux Açores. On peut dire que ce n'est qu'à partir du douzième siècle que l'emploi de la boussole s'étendit au delà des limites restreintes de la Méditerranée, et ce sont surtout les marins maures, gênois, vénitiens et catalans qui en firent d'abord usage.

On s'aperçut bientôt que l'aiguille ne se dirige pas exactement vers le nord, mais on n'avait que des indications incertaines et approximatives sur cette déviation. Colomb, qui ne la connaissait pas, trouva à 20 /, des Açores, le 13 septembre 1492, un point où la boussole indiquait exactement le nord. Le hardi navigateur, étonné de cette circonstance, laissa s'égarer son esprit vers des opinions ou des pressentiments imaginaires; il crut que ce point devait être la limite d'un changement dans les climats, dans l'aspect du ciel et dans les mouvements des astres. Ce fut là l'origine de cette fameuse ligne de démarcation que la puissance papale essaya de tracer pour déterminer les domaines de la couronne de Castille.

L'aiguille aimantée fait donc en général un certain angle avec le méridien, c'est sa déclinaison, et un certain angle avec le plan horizontal, c'est son inclinaison. La déclinaison mesure par conséquent la déviation de l'aiguille relativement à la direction du pôle. Cet élément du magnétisme terrestre varie d'un point à un autre, et en un même point, il varie avec le temps. En 1663, l'aiguille de la boussole se dirigeait exactement vers le nord, à Paris; en 1851, elle se dirigeait de 200 vers l'ouest, mais cette déclinaison diminue chaque année. Il est très-important, au point de vue de l'état magnétique du globe, de connaître la déclinaison de chaque lieu, de suivre

ses variations, de voir comment se déplacent, avec le temps, les lignes sans déclinaison, c'est-à-dire la série des points où l'aiguille se dirige exactement vers le nord. Chaque ligne sans déclinaison a toute une histoire; cette histoire, malheureusement, ne remonte pas au delà de deux siècles. On trouve, par exemple, qu'une ligne semblable, traversant l'Asie, s'est déplacée de 24o 3, vers l'ouest en cent treize ans. Certains points du globe ne présentent que des variations minimes; ainsi la Jamaïque et le sud de l'Australie.

L'inclinaison change également d'un lieu à un autre; elle augmente vers les pôles, et en certains points, l'aiguille, libre de se mouvoir sur un axe horizontal, devient parfaitement verticale; ces points sont les pôles magnétiques. L'idée de points d'attraction, vers lesquels se dirige constamment l'aiguille, se rencontre déjà chez les marins arabes et indous. On en vint même, en mélangeant aux notions précises tirées de l'observation des spéculations imaginaires, à se figurer une montagne magnétique vers les pôles. On trouve sur une carte de 1508, accompagnant une édition de la Géographie de Ptolémée, une petite ile située un peu au nord du Groënland, considérée comme l'extrémité occidentale de l'Asie, et indiquée comme le pôle magnétique nord. On s'attendait à de grandes découvertes pour le moment où la navigation pourrait amener l'homme jusque vers ce lieu remarquable. La découverte du pôle magnétique nord s'est faite à une époque assez rapprochée de nous; c'est le 1er juin 1830 que Ross arriva, au nord de l'Amérique, à un point où l'aiguille prenait une position parfaitement verticale, ce qui indiquait un centre d'attraction situé directement au-dessous du lieu de l'observation; mais il n'y avait là aucun indice extérieur de cette station exceptionnelle. Une côte basse s'élevant à 15 ou 20 mètres au-dessus du niveau de la mer, un sol aride, quelques huttes abandonnées de pauvres Esquimaux, tels étaient les seuls ornements du pôle magnétique.

Halley, vers la fin du dix-septième siècle, donna sa fameuse théorie des quatre pôles magnétiques ou points de convergence des lignes sans déclinaison. Il admit, dans chaque hémisphère, un pôle plus énergique et un pôle moins énergique ; mais cette conception hypothétique fut moins précieuse pour la science que les célèbres cartes de déclinaison, qu'il tenta le premier de construire.

Dans la zone tropicale, on remarque une série de positions où l'aiguille se maintient parfaitement horizontale; c'est la ligne sans inclinaison ou l'équateur magnétique, qui ne se confond point avec l'équateur géographique, mais qui le coupe plusieurs fois.

Les lignes sans inclinaison, les pôles et l'équateur magnétiques se déplacent continuellement. Notre globe éprouve donc, sous ce rapport, des variations continuelles; mais ces variations n'ont pu jusqu'ici être soumises à aucune loi simple, et on ne peut en indiquer la cause. Est-ce un résultat de la chaleur centrale ou de l'action solaire? M. de Humboldt se contente d'examiner avec détail ces variations; il signale comme digne du plus haut intérêt le rapport trouvé récemment entre la plus ou moins grande fréquence des taches du soleil et les perturbations de l'aiguille aimantée. Sabine croit qu'il faut chercher dans les variations qu'éprouve la photosphère solaire, la cause de certaines variations régulières et périodiques qu'éprouvent divers éléments du magnétisme terrestre. Sabine remarque, en outre, que les époques auxquelles l'intensité magnétique du globe atteint son maximum sont précisément celles où, dans son mouvement elliptique, notre terre se trouve animée de la plus grande vitesse, et située le plus proche du soleil, c'est-à-dire d'octobre à février. Il semble qu'un lien invisible, et assurément incompris dans l'état actuel de la science, relie les phénomènes, quels qu'ils soient, qui sont la source de la lumière et de la chaleur solaires avec les conditions magnétiques qui, sur la terre, déterminent la di

rection d'une aiguille aimantée. M. de Humboldt considère comme d'une grande importance le fait que l'oxygène, l'un des corps composant l'enveloppe gazeuse qui entoure d'une couche de 12 à 16 lieues d'épaisseur notre planète, soit, d'après les découvertes récentes de la physique, un corps magnétique. C'est même, après le fer, le nickel et le cobalt, et à poids égal, le plus magnétique de tous les corps.

Dans les régions polaires, là où l'aiguille de la boussole tend à prendre une position verticale, de brillants phénomènes lumineux apparaissent fréquemment et illuminent les longues nuits de ces parages glacés. Les aurores boréales sont, pour M. de Humboldt, des «orages magnétiques. » Leur production se rattache aux conditions magnétiques de notre terre, et leur présence est indiquée par les perturbations, souvent trèsnotables, des aiguilles de boussole. L'orage magnétique peut être accusé (et l'a été parfois), par les mouvements d'un barreau aimanté très-délicatement suspendu, alors même que cet orage n'est point visible du lieu où l'on observe le barreau. Telle aurore boréale, aperçue de l'Ecosse ou de la Scandinavie seulement, a provoqué des mouvements irréguliers des aiguilles magnétiques dans les observatoires de Paris et de Bruxelles. On a vu de semblables perturbations se manifester simultanément sur un grand nombre de points, comme si un orage magnétique éclatait partout. Ainsi, le 25 septembre 1841, des perturbations se produisirent au même instant au Canada, en Bohême, au cap de Bonne-Espérance, à la Terre de VanDiémen. D'autres fois, le phénomène est beaucoup plus localisé; ainsi, la direction de l'aiguille a présenté des irrégularités notables à Berlin, alors que rien de pareil ne se produisait à Freiberg; il est difficile, sans doute, de se rendre compte de cette localisation lorsqu'on songe à la pénétrabilité, en quelque sorte, de l'influence magnétique, analogue à la pénétrabilité de la force que nous nommons gravitation.

C'est un phénomène beaucoup plus fréquent qu'on ne le

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