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essayais aussi de le prier..... Tu ne réponds pas, Charles, c'est le dernier vœu de ta fiancée.

J'essaierai, murmurai-je avec un douloureux effort. Charles, il faut que je te dise encore que j'emporte de toi dans le ciel un doux souvenir. Je meurs heureuse de t'avoir aimé. Adieu.

Adieu, repris-je en posant sur son front pâle mes lèvres brûlantes, adieu! ce mot-là est trop dur pour moi.

Non, il n'en est point de plus consolant. Adieu! c'est un rendez-vous que je te donne dans la maison céleste. Celui qui en est le maître nous y a préparé des demeures. Charles, si tu le pries, tu m'y rejoindras un jour.

Je l'embrassai une dernière fois. Nous pleurions tous deux; mais ses larmes étaient moins amères que les miennes. Elle mourait, et c'était elle qui consolait les vivants.

- J'ai encore, dit-elle, quelque chose à vous demander, à toi, mon ami, à toi aussi, ma mère. Charles, tu crois avoir des fautes à réparer. Eh bien, je te laisse ma mère; tout le bien que tu lui feras, tu le feras à moi..... Et toi, bonne et chère maman, veux-tu aussi m'accorder une grâce? prends Charles pour ton fils.

La mère de Marie, debout auprès du lit, pleurait autant que moi. Ses traits, ridés par l'âge et contractés par la souffrance, annonçaient un violent combat: -Ah! Marie, dit-elle, ce que tu me demandes est difficile.

- Maman, reprit la jeune fille mourante, en s'emparant à la fois de la main de sa mère et de la mienne, je sais que mon désir sera sacré pour toi. Je ne veux pas faire violence à ton cœur, mais il me serait si cruel de penser que je vous laisse désunis, et que les deux seules personnes qui verseront des pleurs sur ma tombe n'oseront pas y venir pleurer ensemble. Je voudrais qu'il y eût sur ma tombe quelques fleurs des montagnes; mais laissez-la toute nue, plutôt que de ne pas les planter ensemble. Si le parfum en vient jusqu'à moi,

je veux qu'il me parle de vous deux. Unissez votre deuil. Que le foyer du chalet vous voie quelquefois parlant de celle qui aimait à s'y asseoir entre vous... Oh! j'aurais voulu vivre longtemps pour vous deux! Mère, si tu aimes ta fille, adopte son fiancé.

- J'essaierai, répondit la pauvre femme, en jetant sur moi un regard triste et sévère.

-Maintenant, s'écria Marie, maintenant, je puis mourir. Souvenez-vous de vos promesses; je m'en souviendrai dans l'éternité.... Adieu, mes bien-aimés, adieu, mais non pas pour toujours.

En disant ces mots, les derniers qui soient sortis de sa bouche, elle serra convulsivement nos mains; puis elle retomba sur son oreiller, exténuée de fatigue. Quelques minutes après, elle parut s'endormir, et nous la vimes passer, sans agonie, des bras du sommeil daus les bras de la mort.

Je fus quelques jours sans bien comprendre ce qui se passait. Je vis coucher dans la bière les restes de ma fiancée; je vis la maison se remplir des invités au convoi funèbre; je les suivis au cimetière ; je vis creuser la fosse ; j'entendis la terre retomber sur le cercueil; mais mon œil resta sec. J'étais épuisé, je n'avais plus la force de souffrir.

Le jour même où j'accompagnai Marie au champ du repos, sa mère m'écrivit : « J'ai promis à ma fille de vous aimer, disait-elle; je veux, quoi qu'il en coûte à mon cœur, essayer de tenir ma promesse. Venez, dès demain, demeurer chez moi. S'il est au-dessus de mes forces de retrouver en vous l'enfant que j'ai perdu, je vous le dirai. » J'obéis; le lendemain même je fus installé dans une petite chambre au-dessus de celle de Marie. Voici dix ans que je l'habite.

Biblioth. Univ. T. I. Février 1848.

17

La mère de Marie fut longtemps sans me parler. Nous prenions nos repas ensemble, l'un en face de l'autre; puis nous nous retirions aussitôt. Le soir, nous restions quelquefois devant le foyer; mais ce n'était jamais pour longtemps et nous ne parlions pas. Je respectais sa douleur; elle respectait la

mienne.

:

Petit à petit il s'établit entre nous quelques rapports de plus. J'épargnai à la mère de Marie les soins qu'exigeaient ses affaires je fis cultiver ses champs; je fis soigner ses récoltes. Je l'entourai de toutes les prévenances possibles, mais en dérobant à ses regards la main qui lui rendait service. Cependant une année s'écoula sans qu'il y eût entre nous un rapprochement sensible.

Lorsque ma présence me paraissait lui devenir trop importune, je m'absentais pour quelques jours; j'allais chasser. J'y allais aussi lorsque je me sentais trop accablé par la douleur. C'est encore aujourd'hui le seul plaisir qui puisse m'arracher à moi-même, et me distraire un instant.

La veille du premier jour anniversaire de la mort de Marie, je pensai que sa mère désirerait passer seule ce jour de deuil. Je m'apprêtai à partir. Mais au moment où j'allais quitter le chalet: «Charles, dit-elle, c'était la première fois qu'elle m'appelait ainsi, jusqu'à quand me quittez-vous?

répondis-je. Un, deux, trois jours : décidez. demain soir.>>

Je ne sais,

Soyez ici

Le lendemain, un peu après le coucher du soleil, je rentrais dans le chalet des Plans. Nous passàmes la soirée assis l'un auprès de l'autre. Nous étions bien tristes. A neuf heures, elle alla chercher dans la chambre de sa fille un gros livre; puis, le posant devant moi: «Charles, dit-elle, voici la Bible de Marie, lisez-en quelques pages.» J'ouvris au hasard ; je tombai sur l'endroit où le livre avait été ouvert le plus souvent, sur la parabole de l'enfant prodigue. Quand j'eus achevé, la mère de

Marie vint à moi et me tendit la main : « Charles, dit-elle, j'ai prié Dieu de me secourir. Maintenant je crois pouvoir vous pardonner; je crois pouvoir vous aimer. Charles, voulez-vous être mon fils? Ma mère! m'écriai-je, ma mère!.... et moi aussi j'ai prié. Je me jetai dans ses bras; nous pleurâmes longtemps. C'était la première fois, depuis la mort de Marie, que je versais des larmes bienfaisantes.

-

Le lendemain, nous allâmes planter sur la tombe de ma fiancée les fleurs qu'elle aimait. »

Tel fut le récit de M. Charles. Quand il eut terminé, je ne sus que lui tendre la main. Dans ce moment un de nos chasseurs s'éveilla. Il fit quelques pas hors de la grotte, il consulta les étoiles: « Il doit être à peu près minuit, dit-il, encore quatre heures. >> Puis il tourna la pierre qui lui servait d'oreiller, il y posa la tête et se rendormit aussitôt.

EUGENE RAMBERT.

LA LITTÉRATURE DU JOUR.

Souvent il m'est arrivé de contempler notre lac ridé par une brise si légère que rien, dans le mouvement des flots, n'en révèle la direction, et que je ne saurais dire si c'est le vent du nord qui souffle ou le vent du midi; la surface de l'eau est à peine agitée; au ciel, les nuages semblent immobiles et le feuillage des peupliers tremble d'un frémissement imperceptible. Je cherche alors si je n'aperçois point quelque barque détachant ses ailes blanches sur l'azur des ondes ou sur le bleuatre horizon. Voyant où elle va, je saurai d'où vient l'orage, car si faible qu'il puisse être, il n'est pas une voile qui ne s'enfle à son haleine.

C'est ainsi que, sur les eaux de la pensée, le vent souffle toujours de quelque part, remuant les idées et, jusque dans les jours de calme, alors qu'il paraît ne point les pousser dans une voie unique, imprimant cependant à toutes leurs manifestations une direction générale. Ceux-là même qui lui résistent subissent son influence; à la difficulté de leurs efforts, aux fatigues de leur marche incessamment entravée, à la lenteur pénible de leurs progrès, le spectateur assis sur le rivage reconnaît d'où vient la brise avec autant de certitude qu'à la vue de la multitude des esquifs qui se laissent nonchalemment entraîner où la vague les mène.

Oui, dans toutes les époques, même les plus tranquilles, il règne une tendance universelle qui préside aux mouvements de l'esprit humain, et à laquelle nul ne peut se flatter d'échapper complétement. L'existence intellectuelle, artistique, littéraire, se trouve, aussi bien que l'existence maté

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