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Les regards de ma bien-aimée brillaient d'un éclat céleste. On eût dit qu'un rayon d'amour s'échangeait entre le ciel et son âme. Ce n'était plus une fille de la terre.

--Charles, reprit-elle, n'as-tu pas dit qu'il y avait deux conditions à ton bonheur?

— Oui, il y en a deux ; et la seconde ne dépend ni de tói, ni de personne elle ne dépend que de Dieu.

-Et quelle est-elle ?

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Marie se tut; elle réfléchit longtemps; elle joignit les mains et parut prier, et moi, agenouillé devant elle, j'attendais sa réponse.

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Que je vive, dit-elle. Charles, tu crois en Dieu; tu sais que la mort n'est qu'un passage à une vie meilleure. Charles, je vivrai; mais, peut-être, n'ai-je plus longtemps à demeurer ici-bas.

-Ici-bas, ici-bas! C'est ici-bas qu'il faut que tu vives. Que m'importe la vie à venir? C'est la vie présente que je veux. Quand tu vivrais dans le sein de Dieu, en serions-nous moins séparés? Je t'ai offensée, Marie, il faut que je répare mon offense; il faut que Dieu l'accorde à mon repentir; il faut que tu ne meures pas de mes mains.

-Ah! si hier j'avais dû mourir, j'aurais eu de la peine à mourir en paix. Mourir, alors que je t'attendais ! mourir avant de t'avoir revu! Charles, cela eût été trop fort pour moi. Mais, à présent, je ne crains plus la mort. La Providence en décidera.

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Quand je reviens, désires-tu me quitter, Marie? Tu es bien cruelle; chacune de tes paroles me déchire le cœur. Non, mon ami, je ne désire pas te quitter. Je voudrais vivre avec toi et pour toi. Depuis ce matin j'ai demandé à Dieu, plus d'une fois déjà, de m'accorder encore quelques jours, quelques années..... Tu m'as mal compris, mon bien-aimé ;

je voulais dire seulement que je t'aimais trop pour pouvoir mourir sans t'avoir dit adieu.

- Adieu! ne prononce plus ce mot-là; il est affreux!

- Charles, mon bien-aimé, ta douleur me fait mal. Veux-tu savoir ce que je pense de mon état; je te dirai toute la vérité. Je suis mieux, aujourd'hui, beaucoup mieux; je le serai peut-être quelques jours encore. C'est le bonheur qui réagit contre la maladie: pourra-t-il la vaincre?... Le médecin la juge très-grave.... Je ne sais, d'ailleurs, quelle voix mystérieuse m'a plus d'une fois avertie; je crains, mon ami, qu'il ne faille nous quitter. Je n'éprouve pas de grandes douleurs; mais je m'affaiblis chaque jour. Jusqu'à ce matin, il me semblait que ma vie s'en allait, souffle après souffle.... Charles, mets tes deux mains dans les miennes; espérons et prions.

Je lui abandonnai mes deux mains. Elle tourna ses regards vers la croix; elle pria. Pour moi, je ne priai pas. A ce nom de mort, si souvent répété, le tumulte des passions avait de nouveau envahi mon cœur.

- Charles, reprit Marie, depuis que je te sens auprès de moi, et que je sais que tu m'aimes encore, je me surprends parfois à compter de nouveau sur la vie. Ne te parlais-je pas tout à l'heure du jour où nous irions nous asseoir sur mon banc de mousse? ne te disais-je pas que je voulais y être conduite par toi et par toi seul? Ils sont bien beaux ces rêves s'ils pouvaient se réaliser!........ Aujourd'hui même il y avait une noce au village. Le cortége a passé devant ma fenêtre. J'ai vu l'époux et l'épouse, les parents et les amis. Ils avaient tous l'air bien joyeux. Devines-tu à qui j'ai pensé en voyant tous ces couples? Eh, mon ami, c'est à nous. J'étais éveillée, et j'ai fait un songe. J'ai cru voir notre noce. Tu étais si beau et si gai.... Moi, j'étais belle aussi; du moins tu me le disais, et je le croyais. J'avais mis une robe blanche; je ne sais quelle en était l'étoffe ; je n'en ai jamais vu de pareille: elle était légère comme la gaze, riche comme la soie, brillante comme la lu

mière... Je portais une fleur de rosage à la poitrine et un bouquet de fleurs d'oranger à la main... Ma mère me donna un baiser sur le front; le ministre nous parla longtemps. Je n'ai

pas oublié le texte de son discours : « L'amour est fort comme la mort.>>-Oh! j'étais bien heureuse, mon ami, bien heureuse et bien fière. Tout le village était en fête; mais il y avait plus de joie dans mon cœur que dans celui de tous nos amis ensemble.

Marie était émue. Elle se pencha de nouveau vers moi, et me regarda longtemps.

Hélas! reprit-elle, pourquoi faut-il que ce soit sur un lit de douleurs que je rêve ainsi? Mon Dieu! mon Dieu! je sens que je me rattache à la vie. Si tout cela ne doit être qu'un songe, donne-moi la force de me soumettre.

Se soumettre! jamais! Non, Marie, je ne puis pas, je ne veux pas me soumettre. Il faut que tu vives, il le faut à tout prix. Sais-tu bien que, si tu meurs, je suis coupable de ta mort? Les hommes, sans doute, ne me condamneront pas comme meurtrier..... mais ma conscience!

Charles, que dis-tu? Toi, mon meurtrier !.... au moment où tu me rends le bonheur et la vie.

Marie, tu es un ange; tu me pardonnes; mais pensestu que ma conscience soit aussi facile à fléchir? Si tu meurs, je n'ai plus devant moi que le remords et ses tourments! Marie, tu priais tout à l'heure; moi, je ne puis pas prier. Je ne crois plus à la bonté de Dieu, et je ne prierai qu'un Dieu clément. Veux-tu que je m'incline devant un maître inexorable, qui ne prolonge ta vie que pour me rendre témoin de ta mort? Ah! s'il est avide du spectacle de mes souffrances, s'il veut s'accorder le plaisir de mon supplice, qu'il le fasse.... il est le maître; mais qu'il ne me demande ni de le prier, ni de le bénir. La brebis qu'on traîne à l'abattoir bénira-t-elle la main qui l'égorge?.... Marie, sais-tu ce que m'a dit ta mère, quand hier je me suis présenté devant elle? Elle ne m'a dit que ces deux

mots: « Trop tard!.... » Trop tard! Est-il donc vrai qu'il y ait des maux irréparables, des repentirs qui viennent trop tard? Marie, il faut que je te rende heureuse; il faut que le ciel m'en accorde le temps. Il ne se peut pas qu'il te fasse mourir devant moi!..... Ah! s'il était vrai qu'il fût trop tard, si tu devais mourir, si mes pleurs étaient inutiles, si le ciel était inflexible.... maudits soient le ciel et sa justice!

Un nuage flottait devant mes yeux; le démon de la révolte frémissait dans mon sein.... Marie avait retiré son bras; elle gardait un morne silence.... je la vis pålir. Ses joues, qui s'étaient colorées dans notre long entretien, devinrent de nouveau livides; son regard parut s'éteindre.

- Mon Dieu! m'écriai-je, mon Dieu! je m'égare, Marie, pardonne-moi.

-Charles, reprit-elle, d'une voix affaiblie, si tu parles ainsi, tu me feras vraiment mourir.

Je ne répondis que par un flot de larmes.

La mère de Marie rentra; elle avait entendu mes sombres imprécations; elle craignit que mon désespoir ne fit du mal à son enfant; elle me pria de ne pas trop prolonger ma visite. Je pris la main de Marie; je la suppliai d'oublier mes discours insensés et je sortis.

Le soir je la revis encore, mais elle était lasse. Je ne fis que lui donner son bouquet de myosotis: « Revenez demain, de bonne heure, dit-elle, j'ai encore tant de choses à vous dire, il nous faut profiter de tous les instants..... mais, si vous 'aimez, ne parlez plus comme vous l'avez fait aujourd'hui. Peut-être Dieu me rendra-t-il à ma mère et à vous! Charles, espérez et priez.>>

Il me répugnait de chercher un asile pour la nuit dans le vallon. J'y étais connu de chacun, et, d'ailleurs, je n'étais guère

disposé à m'associer aux réjouissances d'une noce. Je résolus donc d'aller demander l'hospitalité dans quelque chalet de la montagne. Je passai une nuit assez calme; j'entrevoyais quelques lueurs d'espérance. Je me disais que Marie était dans l'âge où la nature triomphe souvent des maladies les plus graves, que son bonheur, dont elle aimait tant à parler, devait lui faire du bien, que son mal, né de souffrances morales, devait disparaître avec la cause qui l'avait produit: je me promis de ne plus me laisser aller devant elle à la fougue de mes transports. Dans cette disposition d'esprit, nouvelle pour moi, je pus jouir de la beauté de la soirée. En voyant ces Alpes, mon berceau, ces Alpes, toujours si grandes, toujours si belles, je sentis renaître en moi la poésie. Le murmure des cascades et le son des clochettes argentines s'associaient au silence de la nuit; la paix de la nature calmait les inquiétudes de mon cœur. Peu s'en fallut que je ne rêvasse, comme Marie, au jour où, la conduisant à l'autel, je pourrais réparer mes fautes et lui consacrer ma vie.

Le lendemain, Marie continuait à se trouver mieux. L'espoir nous gagna tous. Sa mère, qui m'avait à peine adressé la parole, me regarda d'un œil moins sévère. Marie seule paraissait résister à l'espérance. Cependant elle parlait souvent de l'avenir; elle faisait, comme la veille, des rêves heureux. Plusd'une fois, elle s'entretint avec moi de notre prochain mariage: elle dit comment elle voulait sa couronne d'épouse; elle nomma le pasteur dont elle souhaitait la bénédiction. Mais c'étaient là des moments d'oubli; bientôt le sentiment de la réalité reprenait le dessus, et tous ces rêves aboutissaient à quelque parole de mauvais augure, triste et résignée.

Le soir, comme nous étions seuls, la conversation tomba sur mon séjour à Paris. Marie désira entendre le récit de mes fautes. Je le fis avec une sincérité parfaite : je lui dis tout, absolument tout. Puis je m'agenouillai devant elle :

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