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je quittai ce chalet hospitalier, j'emportai de la jeune fille qui l'habitait un souvenir touchant. J'avais à peine remarqué sa beauté: elle m'avait compris, elle avait chanté mes vers, et elle ne les avait pas chantés des lèvres; c'en était assez.

Huit jours plus tard, je fus plus heureux à la chasse. Je revins fier et gai, portant une fleur de rosage à ma boutonnière et un jeune chamois d'une année sur mes épaules. Je crus que la généreuse hospitalité que j'avais reçue au vallon exigeait un témoignage de reconnaissance; je me dirigeai donc du côté des Plans pour offrir à la bonne femme, qui m'avait si bien accueilli, le produit de ma chasse; à sa fille, ma fleur de rosage. En approchant de leur demeure, j'aperçus de loin Marie, c'était le nom de la jeune fille; je ralentis ma marche, j'hésitai; quand je me trouvai devant elle, j'étais sur le point de fuir. Elle était dans son jardin, rattachant un buisson de chèvre-feuille, qui grimpait autour d'un rucher, et dont les grappes odorantes retombaient en mille festons. En entendant mes pas, elle se retourna; je crus la voir rougir. « Vous avez fait bonne chasse, » me dit-elle; je bégayai quelques mots de réponse, puis je m'avançai vers sa mère qui venait à nous, et je lui offris gauchement mon chamois. Elle l'accepta, à condition, toutefois, que j'en aurais ma part, et que j'assisterais au festin, dont il devait être la pièce d'honneur. Elle voulut me faire entrer; mais le trouble me gagnait de plus en plus, j'étais pressé de fuir. En prenant congé de Marie, je portai la main à ma boutonnière; j'en détachai ma fleur; mais le courage me manqua, et je partis, ma fleur à la main.

Le dimanche suivant, je cheminais d'un pas alerte sur le sentier qui conduit aux Plans. Ce sentier, qu'on va, dit-on, remplacer par une route, s'engage dans une gorge pittoresque: il va serpentant sous d'épais ombrages; il se cache dans l'épaisseur de la forêt; il est bordé de blocs épars tapissés de mousses et de fleurs. Tantôt il suit l'Avençon, dont les eaux pures et blanches descendent de cascade en cascade; tantôt il

s'élève au-dessus des ravins que creuse sans cesse le fougueux torrent. Mais ce jour-là, contre toutes mes habitudes, je ne songeai ni à la pureté des eaux, ni à la fraîcheur des mousses, ni aux ombrages de la forêt: mes pensées se hâtaient vers le chalet de Marie.

Je m'étais promis de réparer mes maladresses de l'avantveille. Chose curieuse, j'y réussis assez bien. En présence de Marie, je me sentis à l'aise; les paroles coulèrent de mes lèvres, abondantes et faciles. Mon cœur était au large: j'étais heureux.

Je la trouvai de nouveau dans son jardin; elle m'en fit examiner les fleurs. C'étaient des verveines, des pensées, des roses; toutes poussaient des jets magnifiques, en reconnaissance des soins assidus de l'aimable jardinière. Puis la jeune fille me conduisit à ce qu'elle appelait son jardin favori, C'était au bord du torrent, sur un quartier de roc que l'Avençon, dans un jour de colère, avait transporté du haut des montagnes, mais qu'il n'avait pas eu la force de rouler jusqu'à la plaine. Marie avait profité de tous les angles de la pierre pour y déposer de la terre végétale, et elle y avait semé quelques fleurs des Alpes, que l'écume des flots couvrait de sa roséc. J'y vis de brillantes touffes de campanule, dont les mille corolles tremblaient au souffle de la brise; la grande ancolie des Alpes, riche parure des pics solitaires; des gentianes étoilées, d'un bleu plus pur que le ciel; enfin un buisson de rosage, qui couronnait le rocher de la pourpre de ses grappes.

J'aime les fleurs, et ma sympathie est acquise à quiconque les aime. Partout où s'ouvre une fleur, pénètre un rayon de poésie. Il y a dans la plus misérable des demeures, pourvu qu'une main de femme arrose sur la croisée une plante de violettes, quelque consolation aux amertumes de la pauvreté. Il suffit d'une feuille qui pousse, d'un bouton qui s'ouvre, pour distraire une âme des rudes soucis, et pour l'empêcher de plier sous le poids des réalités de la vie. L'histoire d'une plante est

tout un poëme. Comme nous, elle a son enfance, sa virilité, son déclin. Au printemps, quand monte la sève, elle nous parle des années où nous naissions à la vie, années de joie et d'insouciance, que l'on traverse une fois, et que souvent l'on regrette toujours. En été, lorsque dans le sein de la fleur s'accomplit la loi d'amour qui préside à la nature, elle nous rappelle le temps où notre âme s'est épanouie au souffle des affections de la jeunesse. En automne, lorsque ses fruits sont mûrs, elle nous prédit la vieillesse. Quelques mois lui suffisent pour parcourir le cercle fatal: naître, aimer et mourir. Sa destinée varie moins que la nôtre; mais elle en offre l'image. La plante accomplit à sa manière les lois immuables de la vie. Être d'un jour, produit d'une force éternelle, elle manifeste à la fois ce qu'il y a de plus fugitif et de plus constant dans le sein fécond de l'immense nature.

Marie me montra ses trésors; elle me dit quelles étaient ses fleurs favorites, et me demanda des conseils sur la manière de les soigner. Elle me parla aussi des plantes dont elle avait vainement essayé la culture, plantes jalouses de leur liberté, et rebelles à tous les soins. Notre entretien se prolongea ainsi jusqu'à ce que l'heure du repas eût sonné.

La table était dressée dans une chambre que je n'avais pas encore vue, mais que je reconnus aussitôt pour celle de Marie. C'était non la moins rustique, mais la plus élégante de la maison. Tout dans cette simple demeure annonçait le séjour d'une âme qui aime à s'entourer de poésie. Autour des croisées grimpait un lierre touffu; un pot de réséda, placé sur un vieux bahut, y répandait ses parfums; au-dessus s'inclinait une grande croix, symbole sublime et touchant, dont la présence signifie peu de chose dans une maison catholique, mais est un sûr indice de poésie dans une maison protestante; puis, sur une étagère, dont le grossier travail était masqué par de fraiches guirlandes de verdure, reposaient quelques livres, choisis, il est vrai, un peu au hasard.

Vous aimez à lire, dis-je à Marie, en parcourant les

titres des volumes.

Oui, dit-elle, mais les livres que vous voyez là sont presque les seuls qu'il y ait au vallon; je n'ai personne qui m'en prête de nouveaux. J'en demande parfois à notre pasteur, quand je descends dans la plaine; mais il veut me faire lire des ouvrages qu'il appelle de controverse, et je n'y comprends rien, sinon qu'ils sont pleins de querelles.

Vraiment, répondis-je, je ne connais pas ces livres-là. Je n'en ai jamais entendu parler à un bon chanoine de SaintMaurice, qui m'a donné toute une petite bibliothèque. Si vous vous fiez à mon goût, je vous en apporterai qui me plaisent, peut-être vous plairont-ils.

Elle accepta avec reconnaissance; sa mère me remercia trèschaleureusement. Pauvre femme! elle préparait, sans s'en douter, son malheur, celui de sa fille et le mien.

Je tins ma promesse dès le lendemain. En partant pour la chasse, je glissai dans ma gibecière les Nouvelles genevoises, Paul et Virginie, les OEuvres de Xavier de Maistre, le Dernier Abencerage, et quelques livres semblables. Arrivé aux Plans, je trouvai la petite maison déserte: personne aux environs. Je me dirigeai vers le jardin de Marie: elle y était, assise sur son bane, et travaillant à une broderie. Je m'approchai, je sortis mes trésors, et j'obtins la permission de lire à haute voix, pendant qu'elle continuait à broder. Je choisis la première des Nouvelles genevoises, le Presbytère. Bientôt commença entre nous une scène analogue à celle que Töpffer raconte lui-même quelque part, lorsque, assis au pied de la tour du lépreux, il lit le chef-d'œuvre de Xavier de Maistre à une jeune fille candide et ingénue comme Marie. Dès les premières pages, cette lecture fit sur Marie une prodigieuse impression. Elle paraissait découvrir un monde nouveau. Elle travailla d'abord d'une manière distraite, puis elle laissa tomber sa broderie sur ses genoux; enfin, je compris à quelques mouvements mal dissimu

lés qu'elle dévorait une larme. Quand nous arrivâmes au moment suprême de cette simple et touchante histoire, au moment où Charles quitte le presbytère, et jette un dernier regard sur la demeure de Louise, Marie ne fut plus maitresse de son émotion un torrent de larmes s'échappa de ses yeux. Je posai le livre, je me levai, troublé comme elle, et, sans oser lui dire un seul mot, sans oser lui serrer la main, je repris le sentier de la montagne.

Ce jour-là je ne chassai pas; je marchai sans but, songeant à ce qui venait de se passer entre Marie et moi. Sa douce figure était devant mes yeux. Une larme était tombée de sa paupière sur la manche de mon habit, j'en baisai la trace cent fois. Quand vint le soir, il se trouva qu'après avoir cheminé de montagne en montagne, j'étais de nouveau à deux pas du vallon, à deux pas du chalet de Marie.

Je passai trois semaines sans la voir. Chaque jour je venais jusqu'à l'entrée du vallon; chaque jour j'étais sur le point de heurter à sa porte, et chaque jour je retournais sur mes pas. Moi aussi, j'avais entrevu un monde nouveau. Une affection d'une autre nature que celle que j'avais éprouvée jadis pour mon ami le chanoine s'était emparée de mon cœur. Souvent j'avais rêvé quelque créature idéale, quelque figure céleste, quelque figure d'ange et de femme; mais ces filles de mon imagination ne ressemblaient guère aux filles d'Adam. Cette fois, ce n'était plus un rêve. Mon cœur battait pour une créature vivante, pour un enfant de la réalité. Tout un avenir s'ouvrait devant moi, immense, mais inconnu. L'aiguillon d'une passion naissante, le pressentiment confus des joies du cœur, mille rêves pleins de charme et de mystères, l'embellissaient à mes yeux, et pourtant j'avais peur. Et de quoi donc avais-je peur? je ne sais. Présentez à un vieillard un breuvage enchanté qui renouvelle pour lui la jeunesse avec tout le cortége de ses plaisirs : il tremblera en saisissant la coupe. La foi la plus inébranlable, les plus magnifiques promesses ne suf

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