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ment, la chaleur et la lumière, et constituent pour ces forces comme un second mode de transformation. Ici la théorie est impuissante, et les propriétés connues de la matière ne suffisent plus à expliquer les phénomènes. Cette considération, appuyée d'ailleurs d'une manière péremptoire par la théorie des ondulations lumineuses, montre que la matière pondérable n'est pas seule dans l'univers, et qu'il en existe une autre ne possédant pas cette propriété de la pesanteur que l'on est trop porté à regarder comme le caractère exclusif de toute matière. La théorie complète de l'électricité et de l'affinité chimique parviendra sans doute à mieux définir l'éther. Peut-on espérer que la science pénétrera jusqu'au fond le mystère de la constitution intime des corps, et qu'il arrivera un jour où, après avoir énoncé les propriétés primitives de la matière ou des matières, on verra en découler tous les phénomènes de la nature? Il est permis de croire que ce grand problème ne sera pas complétement résolu, et que la science, tout en s'approchant sans cesse de ce but final, ne l'atteindra jamais. Il en est ainsi de tout ce qui touche de près ou de loin au progrès indéfini des facultés humaines.

On ne saurait terminer sans indiquer l'importance du principe de transformation dans l'étude des questions relatives à l'équilibre des forces naturelles. La chaleur émanée du soleil produit sur notre globe les mouvements de l'air et les courants de l'Océan, et ces mouvements, se propageant au loin, finissent sans doute par reproduire la chaleur.

Les actions chimiques qui se développent à chaque instant dans l'intérieur et à la surface de la terre, sont une source sans cesse active de chaleur et d'électricité, et l'électricité accumulée dans l'atmosphère se transforme, on le sait, en lumière et en chaleur. Enfin, le mouvement de rotation de la terre donne probablement naissance à des courants d'induction qui, circulant autour de l'équateur, sont la cause du magnétisme ter

restre. C'est seulement lorsqu'on connaîtra toutes les circonstances de ces transformations multiples, que l'on pourra expliquer comment, malgré ces productions incessantes, rien ne parait s'user ni se détruire dans l'univers; comment, en un mot, les phénomènes généraux du monde semblent avoir résolu le problème du mouvement perpétuel. Ainsi, quand on saura ce qu'est l'éther et quelles sont ses relations avec la matière pondérable, on trouvera peut-être que les mouvements planétaires peuvent restituer au soleil la chaleur et la lumière qu'il émet, car, pour que cette source de forces naturelles soit inépuisable, les modifications qu'elle fait subir aux autres corps doivent lui être renvoyées sous une forme quelconque, et reproduire en elle les phénomènes qui leur avaient donné naissance. «< Rien ne se crée, rien ne se perd dans la nature. »

L. DE LA RIVE.

CHARLES

OU

LA CONFESSION DU CHASSEUR.

Il est dans nos Alpes, au pied des rochers du Muveran, un vallon retiré, peu connu des voyageurs. Éloigné des grandes routes, c'est un des rares et derniers refuges de l'antique hospitalité. Là, point de somptueux hôtels, mais de simples maisons construites en bois; point de luxe, mais aussi point de corruption. Les habitants de cette paisible contrée fauchent le foin de leurs pâturages, soignent leurs troupeaux, exploitent de vastes forêts et enseignent à leurs enfants l'amour de la probité et du travail. Ils cultivent un sol rebelle; ils n'ont ni industrie, ni commerce; mais l'habitude d'une vie frugale et laborieuse les préserve de la pauvreté. Ils échangent dans la plaine les produits de leurs troupeaux contre le blé dont ils ont besoin. Ils sont heureux, parce qu'ils ne portent envie à personne; ils sont unis, parce qu'ils ignorent les vices qui divisent les familles. Chaque soir, ils jouissent auprès du foyer domestique d'un repos dont l'homme oisif ne connaît pas les charmes; chaque matin, avant le retour du soleil, ils reprennent gaiment les travaux de la veille.

Les Plans, ainsi se nomme mon vallon, sont une oasis de verdure au milieu des sapins et des rochers. Cachés dans un pli de la montagne, ils sont dominés par les terribles parois du Muveran; d'autres sommités moins élevées les entourent d'un rideau de forêts, et l'Avençon les arrose de ses eaux toujours jaillissantes. Tout autour la nature est sévère; le vallon seul

est riant. On dirait un jardin mystérieux créé par les sylphes des Alpes.

J'y fis, il y a quatre ans, la connaissance de quelques montagnards, pâtres, bûcherons et chasseurs de chamois. Ils me proposèrent de me joindre à eux, le lendemain, pour une partie de chasse. J'acceptai. Comme on peut le croire, je fus exact au rendez-vous. Les premières lueurs de l'aube n'avaient pas encore blanchi les hautes cimes, et déjà nous avions dépassé les derniers pâturages. Animé par l'espoir de la chasse, je suivais gaîment, sur les flancs des ravins, un sentier à peine tracé, qu'en tout autre temps j'eusse trouvé dangereux. J'étais joyeux et leste; j'étais plus léger qu'à l'ordinaire; j'aspirais à pleine poitrine l'air vif de la montagne: je croyais, pour la première fois de ma vie, avoir l'entière jouissance de mes forces. Je n'ai jamais passé sur les Alpes une belle matinée sans éprouver quelque chose de semblable; mais ce jour-là j'en eus plus distinctement conscience. A quoi comparerai-je ce sentiment délicieux pour le faire comprendre de ceux qui ne l'ont point goûté? Je ne vois rien qui lui ressemble, sinon le plaisir d'avoir accompli une bonne action. L'homme qui a fait le bien est heureux par le sentiment de sa force et de sa liberté morales; il babite un instant un monde plus pur, une région plus élevée. C'est aussi la joie de la liberté que l'on trouve sur la montagne : l'air est plus excitant, le jeu des poumons est plus rapide, tous les mouvements sont plus faciles; il semble que l'âme soit enfin maîtresse du corps et que cette matière inerte et rebelle, devenant un organe plus souple, se laisse pénétrer de toutes parts par la puissance de l'esprit.

Après quelques heures de marche nous atteignîmes un col élevé nommé, dans le pays, la frête de Sailles, d'où le regard domine toute la vallée du Rhône. Le soleil allait se lever derrière les grandes Alpes du Valais. Déjà ses rayons passant entre les dentelures des cimes, comme par les créneaux d'une haute muraille, coloraient dans l'espace quelques nuées fugi

tives que dispersait le vent du matin. Autour de nous, ce n'était que masses en désordre, confusément entassées. Point de verdure, pas même, suspendus au bord des abîmes, quelques vieux sapins décrépits partout un sol aride, partout une roche grise et délitéc. Aucun oiseau n'était là pour fêter le réveil de la nature. On n'entendait que le bruit du vent qui s'engouffrait dans les crevasses des rochers, et qui nous apportait de la vallée le murmure de quelque cascade lointaine. On eût dit, à voir cette terre dépouillée, sur laquelle passent les siècles sans y laisser de trace, que les grandes eaux du déluge l'avaient abandonnée la veille.

Nos montagnards, après avoir fait circuler entre eux un flacon d'eau-de-vie, tinrent conseil pour fixer les opérations de la journée. L'un d'eux était un homme de trente à trente-deux ans, fort, grand, bien taillé. Il était vêtu à peu près comme les autres; il portait une ample veste et un pantalon de milaine, un chapeau de feutre à larges bords, de robustes souliers armés de pointes de fer; mais sa physionomie, ses manières, et son langage n'étaient pas d'un paysan. Ses compagnons paraissaient reconnaître en lui leur chef; ils l'abordaient avec respect et le nommaient toujours monsieur Charles. Ce fut lui qui organisa la chasse.

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Etes-vous bon tireur? me dit-il.

Ne comptez pas trop sur moi, repris-je. C'est la première fois que je chasse le chamois, et l'émotion pourrait bien m'ôter le peu d'adresse que j'ai.

-Vous viendrez avec moi; nous aurons le meilleur poste. S'adressant alors à d'autres, il distribua les rôles. Au bout de vingt minutes tout fut prêt, et nos hommes se dispersèrent, prêts à bien remplir leur devoir.

Ce devait être une vraie battue. L'un de nous devait faire le chien, comme disaient nos montagnards. Il avait pour mission d'aller, par un long circuit, prendre à revers un vaste massif

Bib. Un. T. I.

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- Janvier 1858.

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