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DES

RELATIONS MUTUELLES DES FORCES PHYSIQUES.

La grande branche des connaissances humaines que l'on nomme physique générale comprend l'étude entière du monde matériel. La description des êtres et des corps, leurs propriétés différentes et semblables, leurs actions réciproques, enfin tous les phénomènes qu'ils présentent, tel est le vaste domaine de cette science. Au milieu des formes multiples que revêt la matière, d'une part la différence dans les connaissances acquises, de l'autre l'inégalité des obstacles à vaincre, conduisirent promptement les observateurs à partager le champ de leurs recherches déjà restreint par le fait que l'étude des mouvements célestes constituait une science à part, l'astronomie. Une ligne profonde de démarcation vint donc séparer les phénomènes de la nature inerte de ceux de la nature vivante. Ainsi réduite à n'embrasser que les faits indépendants du principe de la vie, la physique dut encore être soumise plus tard à une autre division: les phénomènes de la matière inorganique et terrestre furent, les uns laissés à la physique, les autres attribués à la chimie, et tandis que celle-ci décompose les corps et s'occupe de leurs combinaisons, la première considère leurs propriétés générales, les modifications qui n'entraînent pas de changement dans leur constitution la plus intime et semblent dépendre d'un certain nombre d'agents universels ou forces dont elle cherche les lois. La physique étudia chacune de ces forces dans ses effets les plus nettement définis, et se subdivisa en autant de sciences spéciales qu'elle crut re

connaître d'agents distincts. C'est ainsi que la pesanteur, le son, la chaleur, la lumière, l'électricité et le magnétisme furent étudiés séparément. On crut alors que les développements de la physique, tendant à la subdiviser à l'infini, rendraient par là son étude toujours plus difficile et plus complexe, et que ces branches s'écartant dans toutes les directions s'isoleraient de plus en plus. Il ne devait pas en être longtemps ainsi, car les progrès de toutes ces sciences spéciales, bien loin de les éloigner les unes des autres, curent pour résultat de créer entre elles des rapprochements multipliés et inattendus. On savait déjà que le son, attribué autrefois à l'un de ces agents mystérieux, dont la science confuse des anciennes écoles disposait avec une singulière facilité, est un mouvement de la matière pondérable, et rentre avec tous les phénomènes qui l'accompagnent dans les lois rationnelles de la mécanique. On reconnut que la chaleur et la lumière, à les étudier dans leur mode commun de propagation, présentent avec le son une analogie si évidente, qu'il faut, elles aussi, les ramener au mouvement. De son côté l'électricité, produite par le mouvement, par la chaleur, par la lumière et surtout par la combinaison chimique des corps, reproduit elle-même tous les phénomènes qui peuvent lui donner naissance; se retrouvant ainsi partout où la matière, sous l'influence d'une force, subit une modification, l'électricité, en même temps qu'elle sert de lien entre toutes les parties de la physique, unit intimement la physique et la chimie.

que

Dès à présent, et par le simple énoncé des faits que nous venons rapidement de passer en revue, on peut entrevoir les rapprochements, chaque jour plus nombreux, entre les diverses sciences, aboutiront peut-être une fois à la découverte des lois générales des phénomènes naturels. Si nous insistons sur ce point, c'est qu'il nous semble qu'il n'est pas sans intérêt d'observer combien l'esprit moderne s'est, en quelques années, rapproché de ce but, que l'antiquité tout entière et le moyen åge

ont en vain poursuivi pendant des siècles. Rien ne nous semble plus propre à faire toucher au doigt la supériorité scientifique de notre âge et à mieux montrer, dans tout ce qui concerne l'étude de la nature, le vice radical des spéculations métaphysiques, même tentées par les plus grands esprits et l'excellence de la méthode d'expérimentation, pourvu qu'elle soit pratiquée avec sincérité. Tandis que les anciens philosophes voulaient inventer le monde, les savants se sont contentés de l'observer, soit dans ses phénomènes physiques et dans ses détails, par des recherches patientes, par des analyses minutieuses, disséquant en quelque sorte la matière, soit aussi dans les vérités plus générales que leur offrait une contemplation exacte des choses. L'observation a donc été, avec un égal succès, appliquée aux faits partiels jusqu'alors trop souvent négligés et aux idées générales jusqu'alors trop souvent chimériques. Et la science, qui semblait avoir choisi une voie lente et ingrate, parvient ainsi à des résultats non-seulement plus sûrs, mais de l'ordre le plus élevé. C'est ainsi que la grande idée de la corrélation des forces physiques, c'est-à-dire de leur transformation, idée que nous avons tout à l'heure indirectement mentionnée, en parlant de l'électricité, est une application aux phénomènes de la nature des lois générales que l'observation nous révèle. En effet, tout ce que nous voyons nous démontre qu'en dehors de la création originelle de la matière et de ses propriétés, la matière ne peut pas plus naître de rien qu'être anéantie; or la matière ne se manifeste jamais à nous que par l'intermédiaire des forces physiques qui seules peuvent nous en révéler l'existence. Il faut par conséquent admettre que, lorsqu'une force disparaît, une autre se développe, et l'inverse; en un mot, que pour la force qui nous rend sensible la matière, aussi bien que pour la matière soumise à la force, c'est une simple transformation qui a lieu. On l'a dit: «Rien ne se crée, rien ne se perd dans la nature. >> On pouvait donc, sur l'observation générale de l'existence

permanente de la matière, établir d'une façon positive la vérité de cette théorie, qu'on a désignée par la corrélation des forces physiques, et, en réalité, elle aurait pu être considérée moins comme une hypothèse que comme un axiome. Mais il y a plus, et tandis que des faits spéciaux observés avec soin lui donnaient une éclatante confirmation, les recherches, les expériences et les découvertes auxquelles elle a conduit, ont montré qu'elle est aussi importante pour le développement de la science qu'elle est vraie en elle-même. On le voit, l'application de ce principe de transformation à la dépendance étroite que les phénomènes naturels nous présentent en se produisant successivement, est pour l'esprit une satisfaction philosophique, en même temps qu'elle donne à la science un instrument puissant de recherches. Et bien que, dans l'état actuel de la physique et de la chimie, il puisse manquer encore des anneaux à cette chaîne qui reliera sans doute un jour tous les modes d'action des forces matérielles, il n'en est pas moins intéressant de la suivre partout où on en retrouve les fragments, et d'étudier quelles sont les circonstances où le mouvement, la chaleur, la lumière, l'électricité, le magnétisme et l'affinité chimique'se produisent mutuellement. Dans ce but, il convient de prendre ces modifications différentes de la matière successivement comme point de départ, et de chercher pour chacune ce que l'on sait, d'une part sur sa nature propre, de l'autre sur ses transformations. Cette division méthodique risque, il est vrai, de rendre l'étude que nous entreprenons plus aride qu'elle ne l'est en réalité, mais dans un sujet de cette nature nous pensons qu'il faut tout sacrifier à la clarté. Enfin, on le comprendra facilement, pour citer à propos les noms des physiciens qui ont contribué aux progrès d'une théorie qui embrasse la physique entière et la chimie, il faudrait pouvoir entrer dans des détails et des discussions purement techniques; il est juste toutefois de dire que, dans cette énumération, les travaux les plus importants et les plus nombreux appartiendraient à l'école

anglaise. Dans un ouvrage publié, il y a quelques années, par un savant anglais, M. Grove, des faits nombreux relatifs à la corrélation des forces physiques ont été réunis avec soin, et l'on ne saurait aborder cette grande question scientifique sans le consulter et le signaler.

I. Mouvement.

C'est surtout à l'observation attentive des phénomènes simples et bien définis du mouvement que la science est redevable d'avoir appliqué aux forces physiques l'idée générale de transformation, car cette idée se présente naturellement à l'esprit lorsqu'on voit le mouvement d'un corps produire celui d'un autre corps, en cessant lui-même d'exister; et d'ailleurs, en observant combien un mouvement peut différer par sa nature et ses propriétés de celui qui lui a donné naissance, on est conduit à admettre que les phénomènes les moins semblables en apparence procèdent les uns des autres par une simple transformation. Mais il y a plus, et si l'on considère à la fois comment les mouvements se transforment entre eux et comment ils produisent les autres modifications de la matière, on ne peut méconnaitre qu'il est logique de supposer que toutes ces modifications sont elles-mêmes des mouvements. En effet, quand un corps en mouvement rencontre un corps immobile, il l'entraine, mais sa vitesse diminue, et elle diminue d'autant plus que ce second corps est plus considérable, c'est-à-dire d'autant plus que le mouvement se répartit sur une plus grande quantité de matière. C'est ainsi qu'en agitant la main dans l'air, on lui donne un ébranlement qui se communique à toutes les couches d'air environnantes, et qui, par le fait même de sa répartition dans tous les sens, cesse d'être perceptible à une faible distance. Par conséquent, lorsqu'on pourrait croire à un anéantissement du mouvement, il

que transformé, c'est-à-dire subdivisé. D'un autre côté, au moment où le mouvement cesse ainsi d'être perceptible,

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