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acquitter: il fut condamné à la peine capitale et exécuté. Sa mort causa un deuil général. Le sentiment national pleurait en Robert Emmet son martyr, et même ses ennemis politiques ne pouvaient refuser leur sympathie à sa jeunesse, à sa nature chevaleresque, à toutes ces facultés du cœur et de l'esprit sitôt moissonnées et surtout à la douleur inguérissable d'une âme brisée par cette fin cruelle et prématurée.

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• Il me faut un héros, telle est l'épigraphe placée en tête du livre que nous venons d'analyser si brutalement; le héros, l'auteur l'a-t-il trouvé? Non, répondrons-nous sans hésiter, s'il s'agit d'un héros historique. Carlyle ne donnerait certes aucune place dans sa galerie à Robert Emmet; mais si l'auteur voulait un héros de roman, il ne pouvait mieux découvrir. Et qu'on ne s'imagine pas que nous employons ce terme dans un sens ironique et que nous ayons en aucune manière l'intention d'amoindrir la séduisante physionomie qui nous est retracée par une plume si gracieuse. La grandeur des facultés de l'esprit fait le héros historique, mais ce sont les qualités du cœur qui font le héros de roman; et nous savons tous qu'il ne nous suffit pas pour aimer quelqu'un de connaître son génie. Quand donc l'auteur s'est écrié : « Il me faut un héros, » nous croirions volontiers, à considérer le siècle présent, qu'il cherchait un noble caractère et non pas un grand homme. Le dévouement à une cause perdue d'avance, la chaleur dans les convictions politiques, la passion nationale poussée jusqu'au sacrifice inutile d'une vie pleine d'avenir, l'ardeur enfin, la violence d'un amour rempli d'angoisses, voilà, ou nous nous trompons fort, ce qui, aux yeux de son historien, fait de Robert Emmet un héros, non pas de ceux qui mènent un peuple, mais de ceux qui l'honorent. Il y a assez de gens pour dominer la foule; qu'on nous laisse aimer et admirer ceux qui en sortent.

Voilà aussi pourquoi, à considérer cette étude dans son ensemble, nous l'aurions voulue moins historique, plus intime; ce qui nous attire dans Robert Emmet, c'est l'individu et non pas le personnage, l'homme et non le partisan, le cœur et non la tête. Il n'y a dans sa carrière politique qu'une chose sérieuse, c'est l'enjeu qu'il y apportait; mais s'il n'eût pas risqué sa vie et si, en définitive, il ne l'avait pas perdue, il n'y aurait guère place que pour le ridicule dans une conjuration si chétive et si puérilement téméraire. Aussi les développements historiques dans lesquels l'auteur s'est complu ont-ils eu plutôt pour résultat de diminuer à nos yeux la stature de son béros. D'ailleurs, nous l'avouerons, il y a dans le caractère public de Robert Emmet, tel qu'il nous est exposé, un côté qui ne nous inspire aucune sympathie nous goûtons fort peu la tendance révolutionnaire et cosmopo

lite de ses doctrines. Qu'on nous montrât le patriote irlandais, c'est bien: inais nous aurions préféré qu'on laissât dans l'ombre le patriote de 89. Nous savons maintenant à quoi nous en tenir sur cette glorieuse époque, et quel cas il faut faire de tout ce cliquetis de phrases sonores, de systèmes creux, de civisme boursoufflé. Pour nous, nous accordons une sympathie profonde au jeune homme ardent qui s'est laissé entraîner aux illusions d'une noble chimère. Mais quand on nous parle de déclaration des droits de l'homme, d'admiration pour la république française, de prosélytisme philosophique et politique, alors nous sommes ravi que Robert Emmet ait échoué, et la répulsion que nous inspire sa cause égale la sympathie que nous éprouvons pour ses malheurs.

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Encore une fois, Robert Emmet n'est pas un héros historique, c'est donc pour son portrait un mauvais cadre que l'histoire. Aussi est-ce avec quelque regret qu'en lisant ce petit livre, écrit tout de verve, nous avons retrouvé en ce qui concerne l'Irlande le même défaut que nous venons de signaler dans la façon dont a été traitée la figure principale de l'ouvrage. D'une part, la prépondérance excessive donnée à l'élément politique, d'autre part, cette même lacune dans l'étude de la vie intérieure du pays. Il faut le dire, à dater de la bataille de la Boyne, l'histoire proprement dite de l'Irlande n'offre que des péripéties peu dignes d'intérêt; l'histoire vraie, curieuse à rechercher, instructive à connaître, cette histoire-là, on la trouverait dans un examen détaillé de l'organisation sociale du pays. L'auteur aurait pu ainsi écrire une sorte de biographie générale de l'Irlande, d'où serait sortie, comme un des plus nobles rejetons du vieil arbre, la biographie de Robert Emmet.

C'est qu'en effet rien n'était plus curieux que l'état social de l'Irlande à la fin du siècle dernier. Nous en appelons à ceux qui ont lu les romans de M. Lever. La vie irlandaise était une vie de chasse, de rendez-vous joyeux ou tendres, de duels et d'aventures. Pas un gentilhomme irlandais qui ne fût obéré, les châteaux étaient délabrés et les caves pleines, les toits étaient démantelés et les chevaux piaffaient dans les écuries. L'Irlandais est de sa nature insouciant et gai, il ne songe guère au lendemain, mais il a de plus les solides qualités des races vigoureuses, il est brave et loyal, il est prodigue de sa vie comme il est prodigue de sa fortune. Sans doute les économistes, les statisticiens, ceux qui après tout, hélas, finissent par avoir raison, n'auront qu'un profond mépris pour cette pauvre Irlande, si peu préoccupée du développement de ses richesses, si insouciante et si joyeuse jusque dans sa ruine. Mais ceux qui pensent que chez les nations,

comme chez les hommes, en dehors des vertus substantielles qui assurent leur prospérité, il y a d'autres qualités, moins profitables, il est vrai, mais par cela même peut-être plus grandes et certainement plus sympathiques; ceux qui aiment et estiment la grâce, la générosité, l'ouverture du cœur, la bravoure, ceux-là aimeront et estimeront l'Irlande; ils l'aimeront et l'estimeront de cette inaltérable et respectueuse affection qu'on porte au fond du cœur pour ces gracieuses et mélancoliques figures qu'on révère, malgré les faiblesses qu'elles rappellent, et qu'on chérira toujours, parce que le mélange de l'héroïsme, de la tendresse et de l'infortune, est la plus vraie poésie de l'histoire.

C'est ainsi que, pour nous, l'Irlande c'est la poésie. Nous en voulons un peu à l'auteur de Robert Emmet de l'avoir comparée à la prose américaine; mais c'est précisément parce que l'Irlande est l'antipode de l'Amérique, que nous l'aimons; c'est parce que nous trouvons chez elle l'insouciance, l'esprit, la grâce, le courage sans calcul, la gaîté, l'élan, que la verte Erin est pour nous toute remplie d'une irrésistible séduction. Ne comparons pas ce qui est sans ressemblance: la révolte mercantile et sage, si l'on veut, des Etats-Unis, à la révolte généreuse et absurde de l'Irlande; ne comparons pas la boutique silencieuse, âpre, austère, à la hutte misérable et joyeuse; laissons à l'Irlande, laissons-lui son vêtement, car sous ces haillons il y a plus de vraie richesse que sous le frac roide et orgueilleux; il y a la richesse du cœur.

L'auteur nous accusera peut-être de le chicaner sur des minuties; mais il y a un mot qui revient trop souvent dans le cours de l'ouvrage pour que nous puissions le laisser passer sans le relever. On a jugé convenable d'écrire partout monsieur en toutes lettres: monsieur Pitt, monsieur de Talleyrand, monsieur Emmet, etc. Il y a dans cette importance typographique donnée à ce terme insignifiant quelque chose qui non-seulement choque les yeux, mais encore indispose l'esprit. Quoi qu'il en soit et malgré ces légères critiques sur lesquelles nous avons peut-être trop insisté, Robert Emmet est un ouvrage qui a toute notre sympathie. Le talent qui y est déployé n'est point ce qui nous charme le plus, mais il est écrit avec chaleur, avec conviction, nous dirons même avec passion; voilà ce qui nous plaît, car nous sommes, nous l'avouons, de ceux qui, pour aimer un livre, ont besoin que le livre leur fasse aimer l'auteur.

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RÉCITS D'UN CHASSEUR, par Ivan Tourguénef, traduits par H. Delaveau. 1 vol. in-12, fig. Paris, 1858.

Si nombreux que soient les voyageurs qui ont traversé les vastes possessions de l'empire russe, c'est à peine si l'on se fait une idée à l'étranger des mœurs des habitants de ces contrées. Il n'y a cependant rien là qui doive étonner pour rendre compte des mœurs d'un peuple, il faut le connaître, et pour le connaître, il faut avoir vécu avec lui. Or, sans parler de la température, le peu de confort auquel on peut s'attendre au sein de cette immensité si peu peuplée, est une raison suffisante pour ôter l'envie d'un voyage purement instructif dans un pays qui n'offre quelque jouissance qu'au prix de toutes les fatigues et d'à peu près toutes les privations. A défaut de voyageurs étrangers il a pu se faire, et il s'est fait sans doute, que des Russes se soient donné la tâche de nous instruire sur leur pays; mais il paraît que peu d'entre eux jusqu'à présent se sont prêtés aux besoins d'instruction du reste de l'Europe. Voilà ce qui fait qu'à l'exception des grands centres de cet empire que nos propres auteurs nous ont décrit, tout le reste nous est à peu près inconnu.

Il serait injuste d'un autre côté de faire peser sur la censure russe tout le poids de nos regrets, quand elle a laissé passer un livre aussi intéressant que celui dont nos venons d'indiquer le titre. Les Récits de M. Ivan Tourguénef ne sont pas précisément nouveaux dans les pays de notre langue. Alors que la guerre d'Orient attirait tous les regards de l'Europe sur la Russie, il parut en France une traduction de ce livre par M. Charrière. Cette traduction eut même un assez grand succès; mais, lorsqu'après la paix, elle vint à pénétrer en Russie, les Russes se récrièrent. On s'aperçut que M. Charrière s'était borné à la plus libre des imitations, ce que l'auteur confirma du reste par une protestation fort piquante qui fut publiée dans une feuille publique de Saint-Pétersbourg.

La traduction que nous présente aujourd'hui M. Delaveau ne court pas la chance du même sort que la précédente: M. Tourguénef lui-même l'a autorisée, et si l'on peut juger de l'exactitude du fonds russe, par l'élégance de la forme française du volume que nous avons sous les yeux, nous pouvons dire hardiment que M. Tourguénef a bien fait.

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Ces récits, au nombre de vingt-deux, sont des plus divers; les sujets qu'ils traitent sont tous bien choisis et propres à captiver toutes les attentions. Mais c'est surtout par la vivacité de son allure et par la mise en

scène de ses personnages que l'auteur montre le mieux son mérite. Qu'il s'arrête sur un champ de foire pour converser avec des maquignons, dans un cabaret pour réparer ses forces, au bord d'une fontaine pour s'y désaltérer, partout il trouve quelque individualité qu'il crayonne à merveille et qu'il fait jaser le plus pittoresquement possible. Parfois aussi il s'abandonne au charme de la description soit des lieux qu'il parcourt, soit des intérieurs dans lesquels il pénètre: alors, aussi rapide dans ses traits que brillant en sa couleur, il révèle un véritable talent de peintre.

Le sentiment proprement dit, l'étude et la connaissance du cœur et de ses passions se trouvent également fort bien rendus sous la plume de M. Tourguénef. Pour en faire juge le lecteur, nous attirons particulièrement son attention sur le récit vIII, qui a pour titre Karataïef. C'est un jeune propriétaire campagnard, lequel s'est épris des charmes d'une fille du commun» appartenant à une vieille dame outrageusement cruelle qui, bien loin de la lui céder, veut lui faire épouser une fort laide personne. Karataief enlève l'objet de sa passion; l'enlèvement est découvert et la justice s'en mêle si bien que Karataïef est réduit à la dernière indigence. Cependant, la belle Matréna, que sa vieille maîtresse n'a pu reprendre, se résout à sacrifier son bonheur intime pour tirer son ami de la position qu'il endure. Elle veut rentrer en esclavage. Karataïef accepte le sacrifice, mais ce n'est que pour souffrir davantage par la pensée de l'égoïsme qui l'a poussé à cette acceptation, et la souffrance nouvelle, dans laquelle le conteur nous le montre plus tard, est des plus saisissantes sous sa forme éminemment dramatique.

Nous ne pousserons pas plus loin l'analyse. Les impressions qui précedent suffisent à la justification des voeux qui peuvent être faits pour le nouveau succès que ce livre nous paraît mériter. Ph. P.

MÉTHODE A LA PORTÉE DES INSTITUTEURS PRIMAIRES POUR ENSEIGNER AUX SOURDS-MUETS LA LANGUE FRANÇAISE, SANS L'INTERMÉDIAIRE DU LANGAGE DES SIGNES, par Valade Gabel. Paris, libraire Roret, rue Hautefeuille, 1857. 1 vol. in-8.

En 1853, la Société centrale d'éducation et d'assistance mettait au concours la question d'indiquer les moyens les plus propres à mettre l'instituteur d'une école primaire, ou toute autre personne ayant un certain degré d'instruction, en état de commencer l'éducation d'un sourd-muet. Un mé

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