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SGANARELLE

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OU LE COCU IMAGINAIRE,

COMÉDIE EN UN ACTE. - 1660

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LA FEMME DE SGANARELLE.
VILLEBREQUIN, père de Valère.

LA SUIVANTE DE CÉLIE.

UN PARENT DE LA FEMME DE SGANARELLE,

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La scène est dans une place publique.

SCÈNE PREMIÈRE.
GORGIBUS, CÉLIE, LA SUIVANTE DE CELIE.

CELIE (Sortant tout éplorée).

Ah! N'espérez jamais que mon cœur y consente.

Sganarelle.

GORGIBUS. Que marmottez-vous là, petite impertinente?
Vous prétendez choquer ce que j'ai résolu?
Je n'aurai pas sur vous un pouvoir absolu?
Et, par soltes raisons, votre jeune cervelle
Voudrait régler ici la raison paternelle?
Qui de nous deux à l'autre a droit de faire loi?

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A votre avis, qui mieux ou de vous ou de moi, O sotte! peut juger ce qui vous est utile? Par la corbleu! gardez d'échauffer trop ma bile; Vous pourriez éprouver, sans beaucoup de longueur, Si mon bras sait encor montrer quelque vigueur. Votre plus court sera, madame la mutine, D'accepter sans façon l'époux qu'on vous destine. «J'ignore, dites-vous, de quelle humeur il est, Et dois auparavant consulter, s'il vous plaît. >> Informé du grand bien qui lui tombe en partage, Dois-je prendre le soin d'en savoir davantage? Et cet époux, ayant vingt mille bons ducats, Pour être aimé de vous doit-il manquer d'appas? Allez tel qu'il puisse être, avecque cette somme Je vous suis caution qu'il est très-honnête homme. CÉLIE. Hélas!

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GORGIBUS. Eh bien! hélas! Que veut dire ceci?
Voyez le bel hélas qu'elle nous donne ici!
Eh!... Que si la colère une fois me transporte,
Je vous ferai chanter hélas de belle sorte.
Voilà, voilà le fruit de ces empressements
Qu'on vous voit nuit et jour à lire vos romans;
De quolibets d'amour votre tête est remplie,
Et vous parlez de Dieu bien moins que de Lélie.
Jetez-moi dans le feu tous ces méchants écrits
Qui gàtent tous les jours tant de jeunes esprits :
Lisez-moi, comme il faut, au lieu de ces sornettes,
Les Quatrains de Pibrac et les doctes Tablettes
Du conseiller Matthieu; l'ouvrage est de valeur,
Et plein de beaux dictons à réciter par cœur.
Le Guide des pécheurs est encore un bon livre :
C'est là qu'en peu de temps on apprend à bien vivre;
Et si vous n'aviez lu que ces moralités,
Vous sauriez un peu mieux suivre mes volontés.
CELIE. Quoi! Vous prétendez donc, mon père, que j'oublie
La constante amitié que je dois à Lélie?
J'aurais tort si sans vous je disposais de moi;
Mais vous-même à ses vœux engageàtes 'ma foi.
GORGIBUS. Lui fût-elle engagée encore davantage,

Un autre est survenu dont le bien l'en dégage.

Lélie est fort bien fait; mais apprends qu'il n'est rien

Qui ne doive céder au soin d'avoir du bien;

Que l'or donne aux plus laids certains charmes pour plaire, que sans lui le reste est une triste affaire.

Et

Valère, je crois bien, n'est pas de toi chéri,

Mais s'il ne l'est amant, il le sera mari.

Plus que l'on ne le croit, ce nom d'époux engage,

Et l'amour est souvent un fruit du mariage.

Mais suis-je pas bien fat de vouloir raisonner
Où de droit absolu j'ai pouvoir d'ordonuer?
Trêve donc, je vous prie, à vos impertinences :
Que je n'entende plus vos sottes doléances.
Ce gendre doit venir vous visiter ce soir :
Manquez un peu, manquez à le bien recevoir :
Si je ne vous lui vois faire un fort bon visage,
Je vous... Je ne veux pas en dire davantage.

SCÈNE II.

CÉLIE, LA SUIVANTE DE CÉLIE.

LA SUIVANTE. Quoi! refuser, madame, avec cette rigueur,
Ce que tant d'autres gens voudraient de tout leur cœur!
A des offres d'hymen répondre par des larmes,
Et tarder tant à dire un oui si plein de charmes !
Hélas! que ne veut-on aussi me marier!

Ce ne serait pas moi qui se ferait prier;

Et, loin qu'un pareil oui me donnat de la peine,
Croyez que j'en dirais bien vite une douzaine.
Le précepteur qui fait répéter la leçon

A votre jeune frère a fort bonne raison

Lorsque, nous discourant des choses de la terre,

Il dit que la femelle est ainsi que le lierre,

Qui croit beau tant qu'à l'arbre il se tient bien serré,
Et ne profite point s'il en est séparé.

Il n'est rien de plus vrai, ma très-chère maîtresse,

Et je l'éprouve en moi, chétive pécheresse.

Le bon Dieu fasse paix à mon pauvre Martin!
Mais j'avais, lui vivant, le teint d'un chérubin,
L'embonpoint merveilleux, l'œil gai, l'âme contente,
Et maintenant je suis ma commère dolente.
Pendant cet heureux temps, passé comme un éclair,
Je me couchais sans feu dans le cœur de l'hiver;
Sécher même les draps me semblait ridicule :

Ah! ne m'accable point par ce triste présage.
Vois attentivement les traits de ce visage;

Ils jurent à mon cœur d'éternelles ardeurs :

Je veux croire, après tout, qu'ils ne sont pas menteurs,
Et que, comme c'est lui que l'art y représente,

Il conserve à mes feux une amitié constante.

LA SUIVANTE. Il est vrai que ces traits marquent un digne amant, Et que vous avez lieu de l'aimer tendrement.

CELIE. Et cependant il faut... Ah! soutiens-moi.

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SGANARELLE (en passant la main sur le sein de Célie).
Elle est froide partout, et je ne sais qu'en dire.
Approchons-nous pour voir si sa bouche respire.
Ma foi, je ne sais pas ; mais j'y trouve encor, moi,
Quelque sigue de vie.

LA FEMME DE SGANARELLE (regardant par la fenêtre).
Ah! qu'est-ce que je voi?

Mon mari daus ses bras!... Mais je m'en vais descendre :
Il me trabit sans doute, et je veux le surprendre.
SGANARELLE. Il faut se dépêcher de l'aller secourir;
Certes, elle aurait tort de se laisser mourir.
Aller en l'autre monde est très-grande sottise,
Tant que dans celui-ci l'on peut être de mise.
(Il la porte chez elle.)

SCÈNE V.

LA FEMME DE SGANARELLE.

Il s'est subitement éloigné de ces lieux,
Et sa fuite a trompé mon désir curieux :
Mais de sa trahison je ne suis plus en doute,
Et le peu que j'ai vu me la découvre toute.
Je ne m'étonne plus de l'étrange froideur
Dont je le vois répondre à ma pudique ardeur;
Il réserve, l'ingrat, ses caresses à d'autres,

Et nourrit leurs plaisirs par le jeûne des nôtres.
Voilà de nos maris le procédé commun;
Ce qui leur est permis leur devient importun.
Dans les commencements ce sont toutes merveilles,
Ils témoignent pour nous des ardeurs nonpareilles;
Mais les traitres bientôt se lassent de nos feux,
Et portent autre part ce qu'ils doivent chez eux.
Ah! que j'ai de dépit que la loi n'autorise

A changer de mari comme on fait de chemise!

Cela serait commode; et j'en sais telle ici
Qui, comme moi, ma foi, le voudrait bien aussi.

(En ramassant le portrait que Célie avait laissé tomber.

Mais quel est ce bijou que le sort me présente? L'émail en est fort beau, la gravure charmante. Ouvrons.

SCÈNE VI.

SGANARELLE, la femme de SGANARELLE.

SGANARELLE (se croyant seul).

On la croyait morte, et ce n'était rien.

Il n'en faut plus qu'autant; elle se porte bien. Mais j'aperçois ma femme.

FEMME DE SGANARELLE (se croyant seule).

O ciel! c'est miniature!

Et voilà d'un bel homme une vive peinture!

ANARELLE (à part, et regardant par-dessus l'épaule de sa femme).
Que considère-t-elle avec attention?

Ce portrait, mon honneur, ne nous dit rien de bon.
D'un fort vilain soupçon je me sens l'àme émue.
LA FEMME DE SGANARELLE (sans apercevoir son mari).
Jamais rien de plus beau ne s'offrit à ma vue;
Le travail plus que l'or s'en doit encor priser.
Oh! que cela sent bon!

SGANARELLE (à part).

Ah! j'en tiens.

Quoi, peste! le baiser?

LA FEMME DE SGANARELLE (poursuit). Avouons qu'on doit être ravie Quand d'un homme ainsi fait on se peut voir servie,

Ει

que, s'il en contait avec attention,

Le penchant serait grand à la tentation.

Ah! que n'ai-je un mari d'une aussi bonne mine,
Au lieu de mon pelé, de mon rustre ..!

SGANARELLE (lui arrachant le portrait).

Ah, matine!

Nous vous y surprenons en faute contre nous,
Et diffamant l'honneur de votre cher époux.
Donc, à votre calcul, ô ma trop digne femme,
Monsieur, tout bien compté, ne vaut pas bien madame?
Et, de par Belzébut, qui vous puisse emporter,
Quel plus rare parti pourriez-vous souhaiter!
Peut-on trouver en moi quelque chose à redire?
Cette taille, ce port, que tout le monde admire,

Ce visage si propre à donner de l'amour,

Pour qui mille beautés soupirent nuit et jour;

Bref, en tout, et partout ma personne charmante

N'est donc pas un morceau dont vous soyez contente?

Et pour rassasier votre appétit gourmand,

Il faut joindre au mari le ragoût d'un galant?

LA FEMME DE SGANARELLE. J'entends à demi-mot où va la raillerie :

Tu crois par ce moyen...

SGANARELLE.

A d'autres, je vous prie.

La chose est avérée, et je tiens dans mes mains

Un bon certificat du mal dont je me plains.

LA FEMME DE SGANARELLE. Mon courroux n'a déjà que trop de violence, Sans le charger encor d'une nouvelle offense.

Ecoute, ne crois pas retenir mon bijou,

Et songe un peu...

SGANARELLE.

Je songe à te rompre le cou.

Que ne puis-je, aussi bien que je tiens la copie,
Tenir l'original!

LA FEMME DE SGANARELLE. Pourquoi ?

SGANARELLE.

Pour rien, ma mie,

Doux objet de mes vœux, j'ai grand tort de crier, Et mon front de vos dons doit vous remercier.

(Regardant le portrait de Lélic.)

Le voilà, le beau fils, le miguon de couchette,

Le malheureux tison de ta flamme secrète,

Le drôle avec lequel...

LA FEMME DE SGANARELLE. Avec lequel? Poursuis.

SGANARELLE. Avec lequel, te dis-je... et j'en crève d'ennuis.

LA FEMME DE SGANARELLE. Que me veut donc conter par là ce maître ivrogne?

SGANARELLE. Tu ne m'entends que trop, madame la caregue.
Sganarelle est un nom qu'on ne me dira plus,

Et l'on va m'appeler seigneur Cornélius.

J'en suis pour mon honnenr; mais, à toi qui me l'ôtes,
Je t'en ferai du moins pour un bras ou deux côtes.

LA FEMME DE SGANARELLE. Et tu m'oses tenir de semblables discours?
SGANARELLE. Et tu m'oses jouer de ces diables de tours?

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Tu prends d'un feint courroux le vain amusement
Pour prévenir l'effet de mon ressentiment?

D'un pareil procédé l'insolence est nouvelle !
Celui qui fait l'offense est celui qui querelle.

SGANARELLE. Eh! la bonne effrontée ! A voir ce fier maintien,

Ne la croirait-on pas urte femme de bien ?

LA FEMME DE SGANARELLE. Va, poursuis ton chemin, cajole tes maîtresses, Adresse-leur tes vœux et fais-leur des caresses :

Mais rends-moi mon portrait sans te jouer de moi.

(Elle lui arrache le portrait et s'enfuit.)

SGANARELLE. Oui, tu crois m'échapper; je l'aurai malgré toi.

SCÈNE VII.

LÉLIE, GROS-RENÉ.

GROS-RENÉ. Enfin, nous y voici. Mais, monsieur, si je l'ose,
Je voudrais vous prier de me dire une chose.
LELIE. Eh bien, parle.
GROS-RENÉ.
Avez-vous le diable dans le corps,
Pour ne point succomber à de pareils efforts?
Depuis huit jours entiers, avec nos longues traites,
Nous sommes à piquer des chiennes de mazettes
De qui le train maudit nous a tant secoués

Que je m'en sens, pour moi, tous les membres roués;
Sans préjudice encor d'un accident bien pire
Qui n'afflige un endroit que je ne veux pas dire :
Cependant, arrivé, vous sortez bien et beau
Sans prendre de repos ni manger un morceau.
LÉLIE. Ce grand empressement n'est pas digne de blâme;
De l'hymen de Célie on alarme mon âme :
Tu sais que je l'adore, et je veux être instruit,
Avant tout autre soin, de ce funeste bruit.
GROS-RENÉ. Oui; mais un bon repas vous serait nécessaire
Pour s'aller éclaircir, monsieur, de cette affaire;
Et votre cœur, sans doute, en deviendrait plus fort
Pour pouvoir résister aux attaques du sort.
J'en juge par moi-même: et la moindre disgrâce
Lorsque je suis à jeun me saisit, me terrasse;

Mais, quand j'ai bien mangé, mon âme est ferme à tour, Et les plus grands revers n'en viendraient pas à bout. Croyez-moi, bourrez-vous, et sans réserve aucune, Contre les coups que peut vous porter la fortune; Et, pour fermer chez vous l'entrée à la douleur, De vingt verres de vin entourez votre cœur. LÉLIE. Je ne saurais manger.

GROS RENÉ (bas, à part). Si fait bien moi ; je meure. (Hlaut.) Votre diner pourtant serait prêt tout à l'heure. LÉLIE. Tais-toi, je te l'ordonne.

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SGANARELLE (à part). Faut-il que désormais à deux doigts on te montre,

Qu'on te mette en chanson, et qu'en toute rencontre
On te rejette au nez le scandaleux affront
Qu'une femme mal née imprime sur ton front!
LÉLIE (à part). Me trompé-je?

SGANARELLE (a part).

Ah! truande! As-tu bien le courage

De m'avoir fait cocu dans la fleur de mon âge?
Et, femme d'un mari qui peut passer pour beau,
Faut-il qu'un marmouset, un maudit étourneau ?...

LELIE (à part, et regardant encore le portrait que tient Sganarelle).
Je ne m'abuse point, c'est mon portrait lui-même.
SGANARELLE (lui tourne le dos). Cet homme est curieux.
LÉLIE (à part).

SCANARELLE (à part). A qui donc en a-t-il?
LÉLIE (à part).

(Haut.) (Sganarelle veut s'éloigner.)
Puis-je?... Eh! de grâce, un mot.

Ma surprise est extrême.

Je le veux accoster.

SGAGARELLE (à part, s'éloignant encore). Que me veut-il conter? LELIE. Puis-je obtenir de vous de savoir l'aventure

Qui fait dedans vos mains trouver cette peinture?

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SCANAREILE (à part). D'où lui vient ce désir? Mais je m'avise ici...
(11 examine Lélie et le portrait qu'il tient.)
Ah! ma foi! me voilà de son trouble éclairci;
Sa surprise à présent n'étonne plus mon âme :
C'est mon homme, ou plutôt c'est celui de ma femme
LÉLIE. Retirez-moi de peine, et dites d'où vous vient...
SGANARELLE. Nous savons, Dieu merci, le souci qui vous tient
Ce portrait qui vous fàche est votre ressemblance:

Il était en des mains de votre connaissance;
Et ce n'est pas un fait qui soit secret pour nous
Que les douces ardeurs de la dame et de vous.
Je ne sais pas si j'ai, dans sa galanterie,
L'honneur d'être connu de Votre Seigneurie :
Mais faites-moi celui de cesser désormais
Un amour qu'un mari peut trouver fort mauvais.
Et songez que les nœuds du sacré mariage...

LELIE. Quoi! celle, dites-vous, dont vous tenez ce gage?...
SGANARELLE. Est ma femme, et je suis son mari.

LÉLIE.
Son mari?
SGANARELLE. Oui, son mari, vous dis-je, et mari très-marri;
Vous en savez la cause, et je m'en vais l'apprendre
Sur l'heure à ses parents

SCÈNE X. LÉLIE.

Ah! que viens-je d'entendre! On me l'avait bien dit, et que c'était de tous L'homme le plus mal fait qu'elle avait pour époux. Ah! quand mille serments de ta bouche infidèle Ne m'auraient pas promis une flamme éternelle, Le seul mépris d'un choix si bas et si honteux Devait bien soutenir l'intérêt de mes feux, Ingrate; et quelque bien... Mais ce sensible outrage, Se mêlant aux travaux d'un assez long voyage,

Me donne tout à coup un choc si violent,

Que mon cœur devient faible, et mon corps chancelant

SCÈNE XI.

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LE PARENT. D'un mari sur ce point j'approuve le souci :

Mais c'est prendre la chèvre un peu bien vite aussi;

Et tout ce que de vous je viens d'ouïr contre elle Ne conclut point, parent, qu'elle soit criminelle. C'est un point délicat; et de pareils forfaits Sans les bien avérer ne s'imputent jamais. SGANARELLE. C'est-à-dire qu'il faut toucher au doigt la chose. LE PARENT. Le trop de promptitude à l'erreur nous expose. Qui sait comme en ses mains ce portrait est venu, Et si l'homme, après tout, lui peut être connu? Informez-vous en donc? et, si c'est ce qu'on pense, Nous serons les premiers à punir son offense.

SCÈNE XIII.

SGANARELLE.

On ne peut pas mieux dire: en effet, il est bon
D'aller tout doucement. Peut-être sans raison
Me suis-je en tête mis ces visions cornues,

Et les sueurs au front m'en sont trop tôt ventics.
Par ce portrait enfin dont je suis alarmé
Mon déshonneur n'est pas tout à fait confirmé.
Tâchons donc, par nos soins...

SCÈNE XIV.

SGANARELLE, LA FEMME DE SGANARELLE (sur la porte de sa maison, reconduisant Lélic), LELIE.

SGANARELLE (à part, les voyant). Ah! que vois-je! je mcure!
Il n'est plus question de portrait à cette heure;
Voici, ma foi, la chose en propre orignal.

LA FEMME DE SGANARELLE. C'est par trop vous håter, monsieur; et votre mal,
Si vous sortez sitôt, pourra bien vous reprendre.

LÉLIE. Non, non, je vous rends grace, autant qu'on puisse rendre,
Du secours obligeant que vous m'avez prêté.

SGANARELLE (à part). La masque encore après lui fait civilité!
(La femme de Sganarelle rentre dans sa maison.)

SCÈNE XV.

SGANARELLE, LÉLIE.

SCANARELLE (à part). Il m'aperçoit; voyons ce qu'il me pourra dire. LELIE (à part). Ah! mon âme s'émeut, et cet objet m'inspire...

Mais je dois condamner cet injuste transport,

Et n'imputer mes maux qu'aux rigueurs de mon sort.
Envions seulement le bonheur de sa flamme

(En s'approchant de Sganarelle.)

Oh! trop heureux d'avoir une si belle femme !

SCÈNE XVI.

SGANARELLE, CÉLIE (à sa fenêtre, voyant Lélie qui s'en va).

SGANARELLE (seul). Ce n'est point s'expliquer en termes ambigus.
Cet étrange propos me rend aussi confus
Que s'il m'était venu des cornes à la tête.

(Regardant le côté par où Lélie est sorti.)

Allez, ce procédé n'est point du tout honnête.

CÉLIE (à part, en entrant). Quoi ! Lélie a paru tout à l'heure à mes yeux! Qui pourrait me cacher son retour en ces lieux?

SGANARELLE (sans voir Célie).

«Oh! trop heureux d'avoir une si belle femme ! »
Malheureux bien plutôt de l'avoir, cette infàme!
Dont le coupable feu, trop bien vérifié,

Sans respect ni demi nous a cocufié!

Mais je le laisse aller après un tel indice,

Et demeure les bras croisés comme un jocrisse!
Ah! je devais du moins lui jeter son chapeau,
Lui ruer quelque pierre, ou crotter son manteau,
Et sur lui hautement, pour contenter ma rage,
Faire au larron d'honneur crier le voisinage.

(Pendant le discours de Sganarelle, Célie s'approche peu à peu, et attend, pour lui parler, que son transport soit fini.)

CÉLIE (à Sganarelle). Celui qui maintenant devers vous est venu,
Et qui vous a parlé, d'où vous est-il connu ?
SGANARELLE. Hélas! ce n'est pas moi qui le connais, madame;
C'est ma femme.

CÉLIE.

Quel trouble agite ainsi votre âme? SGANARELLE. Ne me condamnez point d'un deuil hors de saison, Et laissez-moi pousser des soupirs à foison. CÉLIE. D'où vous peuvent venir ces douleurs non communes ? SGANARELLE. Si je suis affligé, ce n'est pas pour des prunes; Et je le donnerais à bien d'autres qu'à moi De se voir sans chagriu au point où je me voi. Des maris malheureux vous voyez le modèle. On dérobe l'honneur au pauvre Sganarelle : Mais c'est peu que l'honneur dans mon affliction; L'on me dérobe encor la réputation.

CÉLIE. Comment?

SGANARELLE. Ce damoiseau, parlant par révérence,
Me fait cocu, madame, avec toute licence;
Et j'ai su par mes yeux avérer aujourd'hui
Le commerce secret de ma femme et de lui.
CÉLIE. Celui qui maintenant...?

SGANARELLE.

Oui, oui, me déshonore; Il adore ma femme et ma femme l'adore. CELIE. Ah! j'avais bien jugé que ce secret retour Ne pouvait me couvrir que quelque láche tour; Et j'ai tremblé d'abord, en le voyant paraître, Par un pressentiment de ce qui devait être. SCANARELLE. Vous prenez ma défense avec trop de bouté; Tout le monde n'a pas la même charité;

Et plusieurs, qui tantôt ont appris mon martyre,
Bien loin d'y prendre part, n'en ont rien fait que rire.
CÉLIE. Est-il rien de plus noir que ta làche action?
Et peut-on lui trouver une punition?

Dois-tu ne te pas croire indigne de la vie
Après l'être souillé de cette perfidie?
O'ciel! est-il possible?

SCANARELLE.

Il est trop vrai pour moi.

CÉLIE. Ah! traître, scélérat, âme double et sans foi! SGANARELLE. La bonne ame!

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Que le ciel la préserve à jamais de danger
Voyez quelle bonté de vouloir me venger!
En effet son courroux, qu'excite ma disgrâce,
M'enseigne hautement ce qu'il faut que je fasse;
Et l'on ne doit jamais souffrir sans dire inot

De semblables affronts, à moins qu'être un vrai sot.
Courons donc le chercher, ce pendard qui m'affronte;
Montrons notre courage à venger notre honte.
Vous apprendrez, maroufle, à rire à nos dépeus,
Et, sans aucun respect, faire cocus les gens.

(Il revient après avoir fait quelques pas.)
Doucement, s'il vous plaît; cet homme a bien la mine
D'avoir le sang bouillant et l'âme un peu mutine;
Il pourrait bien, mettant affront dessus affront,
Charger de bois mon dos, comme il a fait mon front.
Je hais de tout mon cœur les hommes colériques,
Et porte grand amour aux hommes pacifiques.
Je ne suis point battant, de peur d'être battu,
Et l'humeur débonnaire est ma grande vertu.
Mais mon honneur me dit que d'une telle offense
Il faut absolument que je prenne vengeance:
Ma foi, laissons-le dire autant qu'il lui plaira;
Au diantre qui pourtant rien du tout en fera.
Quand j'aurai fait le brave, et qu'un fer pour ma peine
M'aura d'un vilain coup transpercé la bedaine,
Que par la ville ira le bruit de mou trépas,
Dites-moi, mon honneur, en serez-vous plus gras?
La bière est un séjour par trop mélancolique,
Et trop malsain pour ceux qui craignent la colique,
Et quant à moi, je trouve, ayant tout compassé,
Qu'il vaut mieux être encor cocu que trépassé.
Quel mal cela fait-il? La jambe en devient-elle
Plus tortue, après tout, et la taille moins belle?
Peste soit qui premier trouva l'invention
De s'affliger l'esprit de cette vision,

Et d'attacher l'honneur de l'homine le plus sage
Aux choses que peut faire une femme volage!
Puisqu'on tient, à bon droit, tout crime personnel,
Que fait là notre honneur pour être criminel?
Des actions d'autrui l'on nous donne le blâme!

Si nos femmes sans nous font un commerce infâme,
Il faut que tout le mal tombe sur notre dos!
Elles font la sottise, et nous sommes les sots!
C'est un vilain abus, et les gens de police
Nous devraient bien régler une telle injustice.
N'avons-nous pas assez des autres accidents
Qui nous viennent happer en dépit de nos dents ?
Les querelles, procès, faim, soif, et maladie,
Troublent-ils pas assez le repos de la vie,
Sans s'aller, de surcroît, aviser soltement
De se faire un chagrin qui n'a nul fondement ?
Moquons-nous de cela, méprisons les alarmes,
Et mettons sous nos pieds les soupirs et les larmes.

Si ma femme a failli, qu'elle pleure bien fort.

Mais pourquoi moi pleurer, puisque je n'ai point tor!,
En tout cas ce qui peut m'ôter ma fächerie,
C'est que je ne suis pas seul de ma confrérie.
Voir cajoler sa femme et n'en témoigner rien
Se pratique aujourd'hui par force gens de bien.
N'allons donc point chercher à faire une querelle
Pour un affront qui n'est que pure bagatelle.
L'on m'appellera sot de ne me venger pas,
Mais je le serais fort de courir au trépas.
(Mettant sa main sur sa poitrine.)

Je me sens là pourtant remuer une bile
Qui veut me conseiller quelque action virile.
Oui, le courroux me prend; c'est trop être poltron :

Je veux résolument me venger du larron.

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