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ÉRASTE. Je regarde de tous côtés, et je n'aperçois rien.

JULIE (à Nérine). Aie aussi l'œil au guet, Nérine; et prends bien garde qu'il vienne personne.

NÉRIVE (se retirant dans le fond du théâtre). Reposez-vous sur moi, et dites hardiment ce que vous avez à vous dire.

JULIE. Avez-vous imaginé pour notre affaire quelque chose de favorable? et croyez-vous, Eraste, pouvoir venir à bout de détourner ce fàcheux mariage que mon père s'est mis en tête?

ERASTE. Au moins y travaillons-nous fortement; et déjà nous avons préparé un bon nombre de batteries pour renverser ce dessein ridicule. NERINE (accourant à Julie). Par ma foi, voilà votre père.

JULIE. Ah! séparons-nous vite.

NERINE. Non, non, non, ne bougez; je m'étais trompée.

JULIE. Mon Dieu! Nérine, que tu es sotte de nous donner de ces frayeurs !

ERASTE. Oui, belle Julie, nous avons dressé pour cela quantité de machines; et nous ne feignons point de mettre tout en usage, sur la permission que vous m'avez donnée. Ne nous demandez point tous les ressorts que nous ferons jouer, vous en aurez le divertissement; et, comme aux comédies, il est bon de vous laisser le plaisir de la surprise, et de ne vous avertir point de tout ce qu'on vous fera voir : c'est assez de vous dire que nous avons en main divers stratagèmes tout prêts à produire

dans l'occasion, et que l'ingénieuse Nérine et l'adroit Sbrigani entreprennent l'affaire.

NERINE. Assurément. Votre père se moque-t-il, de vouloir vous anger de son avocat de Limoges, M. de Pourceaugnac, qu'il n'a vu de sa vie, et qui vient par le coche vous enlever, à notre barbe? Faut-il que trois ou quatre mille écus de plus, sur la parole de votre oncle, lui fassent rejeter un amant qui vous agrée? et une personne comme vous estelle faite pour un Limosin? S'il a envie de se marier, que ne prend-il une Limosine, et ne laisse-t-il en repos les chrétiens? Le seul nom de M. de Pourceaugnac m'a mise dans une colère effroyable. J'enrage de M. de Pourceaugnac. Quand il n'y aurait que ce nom-là, M. de Pourceaugnac, j'y brûlerai mes livres, ou je romprai ce mariage, et vous ne serez point madame de Pourceaugnac. Pourceaugnac ! cela se peutil souffrir? Non. Pourceaugnac est une chose que je ne saurais supporter; et nous lui jouerons tant de pièces, nous lui ferons tant de niches sur niches, que nous renvoierons à Limoges M. de Pourceaugnac. ERASTE. Voici notre subtil Napolitain, qui nous dira des nouvelles.

SCÈNE IV.

JULIE, ERASTE, SBRIGANI, NĖRINE.

SBRIGANI. Monsieur, votre homme arrive. Je l'ai vu à trois lieues d'ici, où a couché le coche; et, dans la cuisine, où il est descendu pour déjeuner, je l'ai étudié une bonne grosse demi-heure, et je le sais déjà par cœur. Pour sa figure, je ne veux point vous en parler; vous verrez de quel air la nature l'a dessiné, et si l'ajustement qui l'accompagne y répond comme il faut mais, pour son esprit, je vous avertis par avance qu'il est des plus épais qui se fassent; que nous trouvons en lui une matière tout à fait disposée pour ce que nous voulons, et qu'il est homme enfin à donner dans tous les panneaux qu'on lui présentera.

ERASTE. Nous dis-tu vrai?

SBRIGANI. Oui, si je me connais en gens.

NERINE. Madame, voilà un illustre. Votre affaire ne pouvait être mise en de meilleures mains, et c'est le héros de notre siècle pour les exploits dont il s'agit; un homme qui, vingt fois en sa vie, pour servir ses amis, a généreusement affronté les galeres ; qui, au péril de ses bras et de ses épaules, sait mettre noblement à fin les aventures les plus difficiles; et qui, tel que vous le voyez, est exilé de son pays pour je ne sais combien d'actions honorables qu'il a généreusement entreprises.

SBRIGANI. Je suis confus des louanges dont vous m'honorez; et je pourrais vous en donner, avec plus de justice, sur les merveilles de votre vie, et principalement sur la gloire que vous acquites, lorsque avec tant d'honnêteté vous pipâtes au jeu, pour douze mille écus, ce jeune seigneur étranger que l'on mena chez vous: lorsque vous fites galamment ce faux contrat qui ruina toute une famille; lorsque avec tant de grandeur d'âme vous sûtes nier le dépôt qu'on vous avait confié, et que si généreusement on vous vit prêter votre témoignage à faire pendre ces deux personnes qui ne l'avaient pas mérité.

NERINE. Ce sont petites bagatelles qui ne valent pas qu'on en parle; et vos éloges me font rougir.

SBRIGANI. Je veux bien épargner votre modestie : laissons cela; et, pour commencer notre affaire, allons vite joindre notre provincial, tandis que, de votre côté, vous nous tiendrez prêts, au besoin, les autres acteurs de la comédie.

ERASTE. Au moins, madame, souvenez-vous de votre rôle; et, pour mieux couvrir notre jeu, feignez, comme on vous a dit, d'être la plus contente du monde des résolutions de votre père.

JULIE. S'il ne tient qu'à cela, les choses iront à merveille. ERASTE. Mais, belle Julic, si toutes nos machines venaient à ne pas réussir?

JULIE. Je déclarerai à mon père mes véritables sentiments.
ÉRASTE. Et si, contre vos sentiments, il s'obtinait à son dessein?
JULIE. Je le menacerais de me jeter dans un couvent.

ÉRASTE. Mais si, malgré tout cela, il voulait vous forcer à ce mariage?
JULIE. Que voulez-vous que je vous dise?
ÉRASTE. Ce que je veux que vous me disiez !

JULIE. Qui.

ÉRASTE. Ce qu'on dit quand on aime bien.
JULIE. Mais quoi ?

ÉRASTE. Que rien ne pourra vous contraindre, et que, malgré tous les efforts d'un père, vous me promettez d'être à moi.

JULIE. Mon Dieu! Eraste, contentez-vous de ce que je fais maintenant, et n'allez point tenter sur l'avenir les résolutions de mon cœur ; ne fatiguez point mon devoir par les propositions d'une fàcheuse extré mité, dont peut-être n'aurons-nous pas besoin; et, s'il y faut venir souffrez au moins que j'y sois entraînée par la suite des choses. ERASTE. Eh bien !...

SBRIGANI. Ma foi, voici notre homme; songeons à nous.
NÉRINE. Ab comme il est bati!

SCÈNE V.

M. DE POURCEAUGNAC, SBRIGANI.

M. DE POURCEAUGNAC (se retournant du côté d'où il est venu, et parlant à des gens qui le suivent). Eh bien! quoi? qu'est-ce? qu'y a-t-il ? Au diantre soient la sotte ville et les sottes gens qui y sout! Ne pouvoir pas faire un pas sans trouver des nigauds qui vous regardent et se mettent à rire! Eh! messieurs les badauds! faites vos affaires, et laissez passer les personnes sans leur rire au nez. Je me donne au diable si je ne baille un coup de poing au premier que je verrai rire.

SBRIGANI (parlant aux mêmes personnes). Qu'est-ce que c'est, messieurs? que veut dire cela? A qui en avez-vous? Faut-il se moquer ainsi des honnêtes étrangers qui arrivent ici?

M. DE POURCEAUGNAC. Voilà un homme raisonnable, celui-là.
SBRIGANI. Quel procédé est le vôtre? Et qu'avez-vous à rire?
M. DE POURCEAUGNAC. Fort bien !

SBRIGANI. Monsieur a-t-il quelque chose de ridicule en soi?
M. DE POURCEAUGNAC. Oui!...

SBRIGANI. Est-il autrement que les autres?
M. DE POURCEAUGNAC. Suis-je tortu ou bossu?
SBRIGANI. Apprenez à connaître les gens.

M. DE POURCEAUGNAC. C'est bien dit.

SBRIGANI. Monsieur est d'une mine à respecter.

M. DE POURCEAUGNAC. Cela est vrai.

SBRIGANI. Personne de condition.

M. DE POURCEAUGNAC, Oui, gentilhomme limosin.

SBRIGANI. Homme d'esprit."

M. DE POURCEAUGNAC. Qui a étudié en droit.

SBRIGANI. Il vous fait trop d'honneur de venir dans votre ville.

M. DE POURCEAUGNAC. Sans doute.

SBRIGANI. Monsieur n'est point une personne à faire rire.

M. DE POURCEAUGNAC. Assurément.

SERIGANI. Et quiconque rira de lui aura affaire à moi.

M. DE POURCEAUGNAC (à Sbrigani). Monsieur, je vous suis infiniment obligé.

SBRIGANI. Je suis fàché, monsieur, de voir recevoir de la sorte une personne comme vous, et je vous demande pardon pour la ville. M. DE POURCEAUGNAC. Je suis votre serviteur.

SBRIGANI. Je vous ai vu ce matin, monsieur, avec le coche, lorsque vous avez déjeuné, et la grâce avec laquelle vous mangiez votre pain m'a fait naître d'abord de l'amitié pour vous; et, comme je sais que vous n'êtes jamais venu en ce pays, et que vous y êtes tout neuf, je suis bien aise de vous avoir trouvé pour vous offrir mon service à cette arrivée, et vous aider à vous conduire parmi ce peuple, qui n'a pas, parfois, pour les honnêtes gens toute la considération qu'il faudrait. M. DE POURCEAUGNAC. C'est trop de grâce que vous me faites. SBRIGANI. Je vous l'ai déjà dit : du moment que je vous ai vu, je me suis senti pour vous de l'inclination.

M. DE POURCEAUGNAC. Je vous suis obligé.

SBRIGANI. Votre physionomie m'a plu.

M. DE POURCEAUGNAC. Ce m'est beaucoup d'honneur.

SBRIGANI. J'y ai vu quelque chose d'honnête...

M. DE POURCEAUGNAC. Je suis votre serviteur.

SBRIGANI. Quelque chose d'aimable...

M. DE POURCEAUGNAC. Ah! ah!

SBRIGANI. De gracieux...

M. DE POURCEAUGNAC. Ah! ah!
SBRIGANI. De doux...

M. DE POURCEAUGNAC. Ah! ah!
SBRIGANI. De majestueux...
M. DE POURCEAUGNAC. Ah! ah!
SBRIGANI. De franc...

M. DE POURCEAUGNAC. Ah! ah!

SBRIGANI. Et de cordial.

M. DE POURCEAUGNAC. Ah! ah!

SBRIGANI. Je vous assure que je suis tout à vous.

M. DE POURCEAUGNAC. Je vous ai beaucoup d'obligation.

SBRIGANI. C'est du fond du cœur que je parle.

M. DE POURCEAUGNAC. Je le crois.

SBRIGANI. Si j'avais l'honneur d'être connu de vous, vous sauriez que

je suis un homme tout à fait sincère...

M. DE POURCEAUGNAC. Je n'en doute point.
SBRIGANI. Ennemi de la fourberie...

M. DE POURCEAUGNAC. J'en suis persuadé.

SBRIGANI. Et qui n'est pas capable de déguiser ses sentiments. Vous regardez mon habit, qui n'est pas fait comme les autres; mais je suis originaire de Naples, à votre service, et j'ai voulu conserver un peu la manière de s'habiller et la sincérité de mon pays.

M. DE POURCEAUGNAC. C'est fort bien fait. Pour moi, j'ai voulu me mettre à la mode de la cour pour la campagne.

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ERASTE. Ab! qu'est-ce ci? Que vols-je ? Quelle heureuse rencontre ! Monsieur de Pourceaugnac ! Que je suis ravi de vous voir ! Comment! il semble que vous ayez peine à me reconnaître !

M. DE POURCEAUGNAC. Monsieur, je suis votre serviteur.

ERASTE. Est-il possible que cinq ou six années m'aient ôté de votre mémoire, et que vous ne reconnaissiez pas le meilleur ami de toute la famille des Pourceaugnacs!

M. DE POURCEAUGNAC. Pardonnez-moi. (Bas à Sbrigani.) Ma foi, je ne sais qui il est.

ÉBASTE. Il n'y a pas un Pourceaugnac à Limoges que je ne connaisse, depuis le plus grand jusqu'au plus petit; je ne fréquentais qu'eux dans le temps que j'y étais, et j'avais l'honneur de vous voir presque tous les jours.

M. DE POURCEAUGNAC. C'est moi qui l'ai reçu, monsieur.
ÉRASTE. Vous ne vous remettez point mon visage?

M. DE POURCEAUGNAC, Si fait. (A Sbrigani.) Je ne le connais point. ÉRASTE. Vous ne vous ressouvenez pas que j'ai eu le bonheur de boire avec vous je ne sais combien de fois ?

M. DE POURCEAUGNAC. Excusez-moi. (A Sbrigani.) Je ne sais ce que c'est. ERASTE. Comment appelez-vous ce traiteur de Limoges qui fait si bonne chère?

M. DE POURCEAUGNAC. Petit-Jean?

ÉRASTE. Le voilà. Nous allions le plus souvent ensemble chez lui nous réjouir. Comment est-ce que vous nommez à Limoges ce lieu où l'on se promène?

M. DE POURCEAUGNAC. Le cimetière des Arènes ?

ÉRASTE. Justement. C'est où je passais de si douces heures à jouir de votre agréable conversation. Vous ne vous remettez pas tout cela ? M. DE POURCEAUGNAC. Excusez-moi, je me le remets. (A Sbrigani.) Diable emporte si je m'en souviens!

SBRIGANI (bas à M. de Pourceaugnac). Il y a cent choses comme cela qui passent de la tête.

ERASTE. Embrassez-moi donc, je vous prie, et resserrons les nœuds de notre ancienne amitié.

SBRIGANI (à M. de Pourceaugnac). Voilà un homme qui vous aime fort. ÉRASTE. Dites-moi un peu des nouvelles de toute la parenté. Comment se porte monsieur votre... là... qui est si honnête homme ?

M. DE POURCEAUGNAC. Mon frère le consul?

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M. DE POURCEAUGNAC. Justement.

ERASTE. Chanoine de l'église de... Comment l'appelez-vous?

M. DE POURCEAUGNAC. De Saint-Etienne.

ERASTE. Le voilà; je ne connais autre.

M. DE POURCEAUGNAC (à Sbrigani). Il dit toute la parenté.

SBRIGANI. Il vous connaît plus que vous ne croyez.

M. DE POURCEAUGNAC. A ce que je vois, vous avez demeuré longtemps

dans notre ville?

ERASTE. Deux ans entiers.

j'en parle; mais il y a plaisir d'être son malade : et j'aimerais mieux mourir de ses remèdes que de guérir de ceux d'un autre; car, quoi qu'il puisse arriver, on est assuré que les choses sont toujours dans l'ordre: et, quand on meurt sous sa conduite, vos héritiers n'ont rien à vous reprocher.

ERASTE. C'est une grande consolation pour un défunt.

L'APOTHICAIRE. Assurément. On est bien aise, au moins, d'être mort méthodiquement. Au reste, il n'est pas de ces médecins qui marchandent les maladies : c'est un homme expéditif, expéditif, qui aime à déM. DE POURCEAUGNAC. Vous étiez donc là quand mon cousin l'élu fit te- pêcher ses malades; et, quand on a à mourir, cela se fait avec lai le nir son enfant à monsieur notre gouverneur ? plus vite du monde.

ERASTE. Vraiment oui, j'y fus convié des premiers.

M. DE POURCEAUGNAC. Cela fut galant.

ERASTE. Très-galant.

M. DE POURCEAUGNAC. C'était un repas bien troussé.

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ERASTE. Oui.

M. DE POURCE AUGNAC. Parbleu! il trouva à qui parler!

ERASTE. Ah! ah!

M. DE POURCEAUGNAC. Il me donna un soufflet; mais je lui dis bien son fait.

ERASTE. Assurément. Au reste, je ne prétends pas que vous preniez d'autre logis que le mien.

M. DE POURCEAUGNAC. Je n'ai garde de...

ERASTE. Vous moquez-vous? Je ne souffrirai point du tout que mon meilleur ami soit autre part que dans ma maison

M. DE POURCEAUGNAC. Ce serait vous...

ERASTE. Non le diable m'emporte! vous logerez chez moi.

SBRIGANI (à M. de Pourceaugnac). Puisqu'il le veut obstinément, je vous conseille d'accepter l'offre.

ERASTE. Où sont vos hardes?

M. DE POURCEAUGNAC. Je les ai laissées, avec mon valet, où je suis descendu.

ERASTE. Envoyons-les querir par quelqu'un.

M. DE POURCEAUGNAC. Non; je lui ai défendu de bouger à moins que j'y fusse moi-même, de peur de quelque fourberie.

SBRIGANI. C'est prudemment avisé.

M. DE POURCEAUGNAC. Ce pays-ci est un peu sujet à caution.

ERASTE. On voit les gens d'esprit cu tout.

SBRIGANI. Je vais accompaguer monsieur, et le ramènerai où vous voudrez.

ÉRASTE. Oui. Je serai bien aise de donner quelques ordres, et vous n'avez qu'à revenir à cette maison-là.

SBRIGANI. Nous sommes à vous tout à l'heure.

BRASTE (à M. de Pourceaugnac). Je vous attends avec impatience. M. DE POURCEAUGNAC (à Sbrigani) Voilà une connaissance où je ne m'attendais point.

SRRIGANI. Il a la mine d'être honnête homme.

ERASTE (seul). Ma foi, monsieur de Pourceaugnac, nous vous en donnerons de toutes les façons : les choses sont préparées, et je n'ai qu'à frapper. Holà !

SCÈNE VII.

UN APOTHICAIRE, ÉRASTE.

ERASTE. Je crois, monsieur, que vous êtes le médecin à qui l'on est venu parler de ma part?

L'APOTHICAIRE. Non, monsieur, ce n'est pas moi qui suis le médecin : à moi n'appartient pas cet honneur; et je ne suis qu'apothicaire, apothicaire indigne, pour vous servir.

ÉRASTE. Et monsieur le médecin est-il à la maison? L'APOTHICAIRE. Oui. Il est là, embarrassé à expédier quelque malades, et je vais lui dire que vous êtes ici.

ERASTE. Non, ne bougez; j'attendrai qu'il ait fait. C'est pour lui mettre entre les mains certain parent que nous avons, dont on lui a parlé, et qui se trouve attaqué de quelque folie que nous serions bien aises qu'il pût guérir avant que de le marier.

L'APOTHICAIRE. Je sais ce que c'est, je sais ce que c'est, et j'étais avec Jui quand on lui a parlé de cette affaire. Ma foi, ma foi, vous ne pouviez vous adresser à un médecin plus habile: c'est un homme qui sait la médecine à fond, comme je sais ma Croix de par Dieu, et qui, quand on devrait crever, ne démordrait pas d'un iota des règles des anciens. Oui, il suit toujours le grand chemin, le grand chemin, et ne va pas chercher midi à quatorze heures: et pour tout l'or du monde il ne voudrait pas avoir guéri une personne avec d'autres remèdes que ceux que la Faculté permet.

ERASTE. Il fait fort bien. Un malade ne doit point vouloir guérir que le Faculté n'y consente.

L'APOTHICAIRE. Ce n'est pas parce que nous sommes grands amis que

Et je ne suis qu'apothicaire, apothicaire indigne.

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L'APOTHICAIRE. Voilà déjà trois de mes enfants dont il m'a fait l'honneur de conduire la maladie, qui sont morts en moins de quatre jours, et qui, entre les mains d'un autre, auraient langui plus de trois mois. ERASTE. Il est bon d'avoir des amis comme cela.

L'APOTHICAIRE. Sans doute, il ne me reste plus que deux enfants, dont il prend soin comme des siens : il les traite et gouverne à sa fantaisie, sans que je me mêle de rien; et le plus souvent, quand je reviens de la ville, je suis tout étonné que je les trouve saignés on purgés par scu ordre.

ERASTE. Voilà des soins fort obligeants.

L'APOTHICAIRE. Le voici, le voici, le voici qui vient.

M. DE POURCEAUGNAC. Vous vous moquez, et c'est trop de grâce que vous me faites.

SCÈNE VIIL

ERASTE, PREMIER MÉDECIN, L'APOTHICAIRE. UN PAYSAN, UNE
PAYSANNE.

LE PAYSAN (au médecin). Monsieur, il n'en peut plus, et il dit qu'il sent dans la tête les plus grandes douleurs du monde.

PREMIER MEDECIN. Le malade est un sot, d'autant plus que, dans la maladie dont il est attaqué, ce n'est pas la tête, selon Galien, mais la rate qui lui doit faire mal.

LE PAYSAN. Quoi que c'en soit, monsieur, il a toujours, avec cela, son cours de ventre depuis six mois.

PREMIER MÉDECIN. Bon: c'est signe que le dedans se dégage. Je l'irai visiter dans deux ou trois jours; mais s'il mourait avant ce temps-là, ne manquez pas de m'en donner avis, car il n'est pas de la civilité qu'un médecin visite un mort.

LA PAYSANNE (au médecin). Mon père, monsieur, est toujours malade de plus en plus.

PREMIER MÉDECIN. Ce n'est pas ma faute. Je lui donne des remèdes, que ne guérit-il? Combien a-t-il été saigné de fois?

LA PAYSANNE. Quinze, monsieur, depuis vingt jours.
PREMIER MÉDECIN. Quinze fois saigné?

LA PAYSANNE. Oui.

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SCÈNE XI.

M. DE POURCEAUGNAC, PREMIER MÉDECIN, SECOND MÉDECIN,
L'APOTHICAIRE.

PREMIER MÉDECIN. Ce m'est beaucoup d'honneur, monsieur, d'être choisi pour vous rendre service.

M. DE FOURCEAUGNAC. Je suis votre serviteur.

PREMIER MÉDECIN. Voilà un habile homme, mon confrère, avec lequel je vais consulter la manière dont nous vous traiterons. M. DE POURCEAUGNAC. Il ne faut point tant de façons, vous dis-je; je suis homme à me coutenter de l'ordinaire. PREMIER MÉDECIN. Allons, des siéges.

(Des laquais entrent et donnent des siéges.)

M. DE POURCEAUGNAC (à part). Voilà, pour un jeune homme, des domestiques bien lugubres.

PREMIER MÉDECIN. Allons, monsieur; prenez votre place, monsieur. (Les deux médecins font asseoir M. de Pourceaugnac entre eux deux.) M. DE POURCEAUGNAC (s'asseyant). Votre très-humble valet. (Les deux médecins lui prennent chacun une main pour lui tâter le pouls.) Que veut dire cela?

PREMIER MÉDECIN. Mangez-vous bien, monsieur?

M. DE POURCEAUGNAC. Oui, et bois encore mieux.

PREMIER MÉDECIN. Tant pis. Cette grande appétition du froid et de l'humide est une indication de la chaleur et sécheresse qui est au-dedans. Dormez-vous fort?

M. DE POURCEAUGNAC. Oui, quand j'ai bien soupé.
PREMIER MÉDECIN. Faites-vous des songes?

M. DE POURCEAUGNAC. Quelquefois.

premier médecin. De quelle nature sont-ils ?

M. DE POURCEAUGNAC. De la nature des songes. Quelle diable de conversation est-ce là?

PREMIER MÉDECIN. Vos déjections, comment sont-elles?

M. DE POURCEAUGNAC. Ma foi, je ne comprends rien à toutes ces questions; et je veux plutôt boire un coup.

PREMIER MÉDECIN. Un peu de patience. Nous allons raisonner sur votre affaire devant vous; et nous le ferons en français pour être plus intell; gibles.

M. DE POURCEAUGNAC. Quel grand raisonnement faut-il pour manger un morceau?

PREMIER MÉDECIN. Comme ainsi soit qu'on ne puisse guérir une maladie qu'on ne la connaisse parfaitement, et qu'on ne la puisse parfaitement connaître sans en bien établir l'idée particulière et la véritable espèce par ses signes diagnostiques et prognostiques, vous me permettrez, monsieur notre ancien, d'entrer en considération de la maladie dont il s'agit, avant que de toucher à la thérapeutique et aux remèdes qu'il nous conviendra faire pour la parfaite curation d'icelle. Je dis donc, monsieur, avec votre permission, que notre malade, ici présent, est malheureusement attaqué, affecté, possédé, travaillé de cette sorte de folie que nous nommons fort bien mélancolie hypocondriaque; espèce de folie très-facheuse, et qui ne demande pas moins qu'un Esculape comme

M. DE POURCEAUGNAC, ÉRASTE, PREMIER MÉDECIN, L'APOTHICAIRE. vous, consommé dans notre art; vous, dis-je, qui avez blanchi, comme

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ERASTE (à M. de Pourceaugnac). Une petite affaire m'est survenue qui m'oblige à vous quitter. (Montrant le médecin.) Mais voilà une personne entre les mains de qui je vous laisse, qui aura soin pour moi de vous traiter le mieux qu'il lui sera possible.

PREMIER MÉDECIN. Le devoir de ma profession m'y oblige, et c'est assez que vous me chargiez de ce soin.

M. DE POURCEAUGNAC (à part). C'est son maître d'hôtel, sans doute; et il faut que ce soit un homme de qualité.

PREMIER MÉDECIN (à Eraste). Oui, je vous assure que je traiterai monsieur méthodiquement, et dans toutes les régularités de notre art. M. DE POURCEAUGNAC. Mon Dieu! il ne faut point tant de cérémonies, et je ne viens pas ici pour incommoder.

on dit, sous le harnais, et auquel il en a tant passé par les mains de toutes les façons. Je l'appelle mélancolie hypocondriaque, pour la distinguer des deux autres; car le célèbre Galien établit doctement, à son ordinaire, trois espèces de cette maladie que nous nommons mélancolie, ainsi appelée non-seulement par les Latins, mais encore par les Grecs; ce qui est bien à remarquer pour notre affaire : la première, qui vient du propre vice du cerveau; la seconde, qui vient de tout le sang fait et rendu atrabilaire; la troisième, appelée hypocondriaque, qui est la nôtre, laquelle procède du vice de quelque partie du bas-ventre et de la région inférieure, mais particulièrement de la rate, dont la chaleur et l'inflammation porte au cerveau de notre malade beaucoup de fuligines épaisses et crasses, dont la vapeur noire et maligne cause dépravation aux fonctions de la faculté princesse, et fait la maladie dont, par notre raisonnement, il est manifestement atteint et convaincu. Qu'ainsi ne soit. Pour diagnostic incontestable de ce que je dis, vous n'avez qu'à considérer ce grand sérieux que vous voyez, cette tristesse accompagnée de crainte et de défiance, signes pathognomoniques et individuels de cette maladie, si bien marqués chez le divin vieillard Ilippocrate; celte physionomie, ces yeux rouges et hagards, cette grande barbe, cette habitude du corps menue, grele, noire et velue; lesquels signes le dénotent très-affecté de cette maladie, procédante du vice des hypocondres; laquelle maladie, par laps de temps naturalisée, envieillie, habituée, et, ayant pris droit de bourgeoisie chez lui, pourrait bien dégénérer ou en manie, ou en phthisic, ou en apoplexie, ou même en fine phrénésie et fureur. Tout ceci supposé, puisqu'une maladie bien connue est à demi ERASTE (à M. de Pourceaugnac). Je vous prie de m'excuser de l'inci- guéric, car ignoti nulla est curatio morbi, il ne vous sera pas difficile vilité que je commets. de convenir des remèdes que nous devons faire à monsieur. Première

PREMIER MÉDECIN. Un tel emploi ne me donne que de la joie. ERASTE (au médecin). Voilà toujours dix pistoles d'avance, en attendant ce que j'ai promis.

M. DE POURCEAUGNAC. Non, s'il vous plaît, je n'entends pas que vous fassiez de dépense, et que vous envoyiez rien acheter pour moi. ERASTE. Mon Dieu, laissez faire; ce n'est pas pour ce que vous pensez. M. DE POURCEAUGNnag. Je vous demande de ne me traiter qu'en ami. ÉRASTE. C'est ce que je veux faire. (Bas au médecin.) Je vous recommande surtout de ne le point laisser sortir de vos mains; car parfois il veut s'échapper.

PREMIER MÉDECIN. Ne vous mettez pas en peine.

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