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CLEANTE. Tout ce que vous voudrez. HARPAGON. Et je te donne ma malédiction. CLEANTE. Je n'ai que faire de vos dons.

SCÈNE VI.

CLÉANTE, LA FLÈCHE.

et tâcher doucement d'attraper quelques preuves, afin de procéder après, par la rigueur, au recouvrement des deniers qui vous ont été pris. SCÈNE II.

HARPAGON, LE COMMISSAIRE, MAITRE JACQUES.

MAÎTRE JACQUES (dans le fond du théâtre en se retournant du côté par

LA FLÈCHE (Sortant du jardin avec une cassette). Ah, monsieur! que lequel il est entré). Je m'en vais revenir: qu'on me l'égorge tout à je vous trouve à propos! Suivez-moi vite.

CLEANTE. Qu'y a-t-il ?

LA FLÈCHE Suivez moi, vous dis-je : nous sommes bien.

CLEANTE. Comment?

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HARPAGON (criant au voleur dès le jardin).

Au voleur! au voleur ! à l'assassin! au meurtrier! Justice, juste ciel! Je suis perdu, je suis assassiné. On m'a coupé la gorge en me dérobant mon argent. Qui peut-ce être? Qu'est-il devenu? Où est-il? Où se cache-t-il? Que ferai-je pour le trouver? Où courir ? Où ne pas courir? N'est-il point la? N'est-il point ici? Qui est-ce? Arrête. (A lui-même se prenant par le bras). Rends-moi mon argent, coquin!... Ah! c'est moi!... Mon esprit est troublé, et j'ignore où je suis, qui je suis, et ce que je fais. Hélas! mon pauvre argent, mon pauvre argent, mon cher ami, on m'a privé de toi! Et, puisque tu m'es enlevé, j'ai perdu mon support, ma consolation, ma joie tout est fini pour moi, et je n'ai plus que faire au monde! Sans toi il m'est impossible de vivre. C'en est fait ! je n'en puis plus, je me meurs, je suis mort, je suis enterré. N'y a-t-il personne qui veuille me ressusciter en me rendant mon argent, ou en m'apprenant qui l'a pris? Eub! que dites-vous? Ce n'est personne. Il faut, qui que ce soit qui ait fait le coup, qu'avec beaucoup de soin on ait épié l'heure; et l'on a choisi justement le temps que je parlais à mon traître de fils. Sortons. Je veux aller quérir la justice, et faire donner la question à toute ma maison: à servantes, à valets, à fils, à fille, et à moi aussi. Que de gens assemblés ! Je ne jette mes regards sur personne qui ne me donne des soupçons, et tout me semble mon voleur. Eh! de quoi est-ce qu'on parle là? de celui qui m'a dérobé? Quel bruit fait-on là-haut? Est-ce mon voleur qui y est? De grâce, si l'on sait des nouvelles de mon voleur, je supplie que l'on m'en dise. N'est-il point caché là parmi vous ? Ils me regardent tous et se mettent à rire. Vous verrez qu'ils ont part, sans doute, au vol que l'on m'a fait. Allons vite, des commissaires, des archers, des prévôts, des juges, des gênes, des potences et des bourreaux. Je veux faire pendre tout le monde; et, si je ne retrouve mon argent, je rne pendrai moi-même après.

ACTE CINQUIÈME.

SCÈNE PREMIÈRE.

HARPAGON, UN COMMISSAIRE.

LE COMMISSAIRE. Laissez-moi faire, je sais mon métier, Dieu merci. Ce n'est pas d'aujourd'hui que je me mêle de découvrir des vols, et je voudrais avoir autant de sacs de mille francs que j'ai fait pendre de per

sonnes.

HARPAGON. Tous les magistrats sont intéressés à prendre cette affaire en main; et si l'on ne me fait retrouver mon argent, je demanderai justice de la justice.

LE COMMISSAIRE. Il faut faire toutes les poursuites requises. Vous dites qu'il y avait dans cette cassette?...

HARPAGON. Dix mille écus bien comptés.

LE COMMISSAIRE. - Dix mille écus!

HARPAGON. Dix mille écus.

LE COMMISSAIRE Le vol est considérable.

HARPAGON. Il n'y a point de supplice assez grand pour l'énormité de ce crime; et, s'il demeurait impuni, les choses les plus sacrées ne sont plus en sûreté!

LE COMMISSAIRE. En quelles espèces était cette somme?
HARPAGON. En bons louis d'or et pistoles bien trébuchantes.
LE COMMISSAIRE. Qui soupçonnez-vous de ce vol?

HARPAGON. Tout le monde; et je veux que vous arrêtiez prisonniers la ville et les faubourgs.

le commissaire, Il faut, si vous m'en croyez, n'effaroucher personne,

l'heure; qu'on me lui fasse griller les pieds; qu'on me le mette dans l'eau bouillante; et qu'on me le pende au plancher.

HARPAGON (à Maître Jacques). Qui? celui qui m'a dérobé?

MAITRE JACQUES. Je parle d'un cochon de lait que votre intendant me vient d'envoyer, et je veux vous l'accommoder à ma fantaisie.

HARPAGON. Il n'est pas question de cela, et voilà monsieur à qui il faut parler d'autre chose.

LE COMMISSAIRE (à Maître Jacques). Ne vous épouvantez point : je suis homme à ne vous point scandaliser, et les choses iront dans la douceur. MAÎTRE JACQUES. Monsieur est de votre souper?

LE COMMISSAIRE. Il faut ici, mon cher ami, ne rien cacher à votre maître.

MAÎTRE JACQUES. Ma foi, monsieur, je montrerai tout ce que je sais faire, et je vous traiterai du mieux qu'il me sera possible. HARPAGON. Ce n'est pas là l'affaire.

MAITRE JACQUES. Si je ne vous fais pas aussi bonne chère que je voudrais, c'est la faute de monsieur notre intendant, qui m'a rogné les ailes avec les ciseaux de son économie.

HARPAGON. Traitre! il s'agit d'autre chose que de souper; et je veux que tu me dises des nouvelles de l'argent qu'on m'a pris. MAÎTRE JACQUES. On vous a pris de l'argent?

HARPAGON. Qui, coquin! et je m'en vais te faire pendre si tu ne le rends. LE COMMISSAIRE (à Harpagon). Mon Dieu! ne le maltraitez point. Je vois à sa mine qu'il est honnête homme, et que, sans se faire mettre en prison, il vous découvrira ce que vous voulez savoir. Oui, mon ami, si vous nous confessez la chose, il ne vous sera fait aucun mal, et vous serez récompensé comme il faut par votre maître. On lui a pris aujourd'hui son argent, et il n'est pas que vous ne sachiez quelque nouvelle de cette affaire.

MAÎTRE JACQUES (bas à part). Voici justement ce qu'il me faut pour me venger de notre intendant. Depuis qu'il est entré céans, il est le favori; on n'écoute que ses conseils; et j'ai aussi sur le cœur les coups de bâton de tantôt.

HARPAGON. Qu'as-tu à ruminer?

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MAÎTRE JACQUES (à Harpagon). Monsieur, le voici qui revient. Ne lui allez pas dire, au moins, que c'est moi qui vous ai découvert cela.

SCÈNE III.

HARPAGON, LE COMMISSAIRE, VALÈRE, MAITRE JACQUES. HARPAGON. Approche: viens confesser l'action la plus noire, l'attentat le plus horrible qui jamais ait été commis.

VALERE. Que voulez-vous, monsieur ?

HARPAGON. Comment! traître, tu ne rougis pas de ton crime!
VALERE. De quel crime voulez-vous donc parler?

HARPAGON. De quel crime je veux parler, infame! comme si tu ne savais pas ce que je veux dire! C'est en vain que tu prétendrais de le déguiser l'affaire est découverte, et l'on vient de m'apprendre tout. Comment! abuser ainsi de ma bonté, et s'introduire exprès chez moi pour me trahir, pour me jouer un tour de cette nature!

VALERE. Monsieur, puisqu'on vous a découvert tout, je ne veux point chercher de détours, et vous nier la chose.

MAITRE JACQUES (à part). Oh, oh! aurais-je deviné sans y penser? VALÈRE. C'était mon dessein de vous en parler, et je voulais attendre pour cela des conjonctures favorables; mais puisqu'il est ainsi, je vous conjure de ne vous point fàcher, et de vouloir entendre mes raisons. HARPAGON. Et quelles belles raisons peux-tu me donner, voleur infame?

VALERE Ab, monsieur! je n'ai pas mérité ces noms. Il est vrai que j'ai commis une offense envers vous; mais, après tout, ma faute est pardonnable.

HARPAGON. comment, pardonnable! un guet-apens, un assassinat de la sorte!

VALERE. De grâce, ne vous mettez point en colère. Quand vous m'aurez oui, vous verrez que le mal n'est pas si grand que vous le faites HARPAGON. Le mal n'est pas si grand que je le fais! Quoi ! mon sang, mes entrailles, pendard!

VALERE. Votre sang, monsieur, n'est pas tombé dans de mauvaises mains. Je suis d'une condition à ne lui point faire de tort; et il n'y a rien en tout ceci que je ne puisse bien réparer.

HARPAGON. Hlé! dis-moi un peu ; tu n'y as point touché? VALERE. Moi, y toucher! Ah! vous lui faites tort aussi bien qu'à moi; et c'est d'une ardeur toute pure et respectueuse que j'ai brûlé pour elle. HARPAGON (à part). Brûlé pour ma cassette !

VALERE. J'aimerais mieux mourir que de lui avoir fait paraître aucune pensée offensante; elle est trop sage et trop honnête pour cela. HARPAGON (à part). Ma cassette trop honnête!

VALERE. Tous mes désirs se sont bornés à jouir de sa vue; et rien de criminel n'a profané la passion que ses beaux yeux m'ont inspirée. HARPAGON (à part.) Les beaux yeux de ma cassette! Il parle d'elle comme un amant de sa maitresse.

VALERE. Dame Claude, monsieur, sait la vérité de cette aventure; et elle vous peut rendre témoignage.....

HARPAGON. Quoi! ma servante est complice de l'affaire ?

VALERE. Oui, monsieur; elle a été témoin de notre engagement; et c'est après avoir connu l'honnêteté de ma flamme, qu'elle m'a aidé à persuader votre fille de me donner sa foi et de recevoir la mienne.

HARPAGON. Eh! (A part.) Est-ce que la peur de la justice le fait extravaguer? (A Valère.) Que nous brouilles-tu ici de ma fille? VALERE. Je dis, monsieur, que j'ai eu toutes les peines du monde à faire consentir sa pudeur à ce que voulait mon amour.

HARPAGON.

La pudeur de qui?

VALERE. De votre fille; et c'est seulement depuis hier qu'elle a pu se résoudre à nous signer mutuellement une promesse de mariage. HARPAGON. Ma fille t'a signé une promesse de mariage?

VALERE. Oui, monsieur, comme de ma part je lui en ai signé une.
HARPAGON. O ciel! autre disgrâce!

MAITRE JACQUES (au commissaire). Ecrivez, monsieur, écrivez. HARPAGON. Rengrègement de mal! surcroît de désespoir! (Au commissaire.) Allons, monsieur, faites le dû de votre charge, et dressez-lui son procès comme larron et comme suborneur.

MAITRE JACQUES. Comme larron et comme suborneur. VALERE. Ce sont des noms qui ne me sont point dus; et quand on saura qui je suis...

SCÈNE IV.

HARPAGON. C'est bien mon intention, et que tu me restitues ce que tu HARPAGON, ELISE, MARIANE, VALÈRE, FROSINE, MAITRE JACQUES,

m'as ravi.

VALERE. Votre honneur, monsieur, sera pleinement satisfait. HARPAGON. Il n'est pas question d'honneur là-dedans. Mais, dis-moi, qui l'a porté à cette action?

VALERE Hélas! me le demandez-vous ?

HARPAGON. Oui vraiment, je te le demande.

VALERE. Un dieu qui porte les excuses de tout ce qu'il fait faire : l'Amour.

HARPAGON. L'Amour? VALÈRE. Oui.

HARPAGON. Bel amour! bel amour, ma foi! l'amour de mes louis d'or! VALERE. Non, monsieur, ce ne sont pas vos richesses qui n'ont tenté, ce n'est pas cela qui m'a ébloui; et je proteste de ne prétendre rien à tous vos biens, pourvu que vous me laissiez celui que j'ài.

HARPAGON. Non ferai, de par tous les diables! je ne te le laisserai pas. Mais voyez quelle insolence, de vouloir retenir le vol qu'il m'a fait! VALERE. Appelez-vous cela un vol?

HARPAGON. Si je l'appelle un vol! un trésor comme celui-là! VALERE. C'est un trésor, il est vrai, et le plus précieux que vous ayez sans doute mais ce ne sera pas le perdre que de me te laisser. Je vous le demande à genoux, ce trésor plein de charmes: et, pour bien faire, il faut que vous me l'accordiez.

HARPAGON. Je n'en ferai rien. Qu'est-ce à dire, cela?

VALÈRE. Nous nous sommes promis une foi mutuelle, et avons fait serment de ne nous point abandonner.

HARPAGON. Le serment est admirable, et la promesse plaisante! VALÈRE. Qui, nous nous sommes engagés d'être l'un à l'autre à jamais. HARPAGON. Je vous en empêcherai bien, je vous assure. VALERE. Rien que la mort ne nous peut séparer. HARPAGON. C'est être bien endiablé après mon argent! VALERE. Je vous ai déjà dit, monsieur, que ce n'était point l'intérêt qui m'avait poussé à faire ce que j'ai fait. Mon cœur n'a point agi par les ressorts que vous pensez, et un motif plus noble m'a inspiré cette résolution.

HARPAGON. Vous verrez que c'est par charité chrétienne qu'il veut avoir mon bien. Mais j'y donnerai bon ordre; et la justice, pendard effronté, me va faire raison.

VALÈRE. Vous en userez comme vous voudrez, et me voilà prêt à souffrir toutes les violences qu'il vous plaira, mais je vous prie de croire au moins que, s'il y a du mal, ce n'est que moi qu'il en faut accuser, el que votre fille, en tout ceci, n'est aucunement coupable.

HARPAGON. Je le crois bien, vraiment: il serait fort étrange que ma fille eût trempé dans ce crime. Mais je veux ravoir mon affaire, et que tu me confesses en quel endroit tu me l'as enlevée.

VALERE. Moi? je ne l'ai point enlevée; et elle est encore chez vous. HARPAGON (à part). O ma chère cassette! (Haut.) Elle n'est pas sortie de ma maison ?

VALÈRE. Non, monsieur.

LE COMMISSAIRE.

HARPAGON. Ah, fille scélérate! fille indigne d'un père comme moi! c'est ainsi que tu pratiques les leçons que je t'ai données! Tu te laisses prendre d'amour pour un voleur infàme, et tu lui engages ta foi sans mon consentement! Mais vous serez trompés l'un et l'autre (A Elise.) Quatre bonnes murailles me répondront de ta conduite (à Valère) et une bonne potence, pendard effronté, me fera raison de ton audace.

VALÈRE. Ce ne sera point votre passion qui jugera l'affaire ; et l'on m'écoutera au moins avant que de me condamner.

HARPAGON. Je me suis abusé de dire une potence; et tu seras roué tout vif.

ÉLISE (aux genoux d'Harpagon). Ah, mon père ! prenez des sentiments un peu plus humains, je vous prie; et n'allez point pousser les choses dans les dernières violences du pouvoir paternel. Ne vous laissez point entraîner aux premiers mouvements de votre passion, et donnez-vous le temps de considérer ce que vous voulez faire. Prenez la peine de mieux voir celui dont vous vous offensez. Il est tout autre que vos yeux ne le jugent; et vous trouverez moins étrange que je me sois donnée à lui, lorsque vous saurez que sans lui vous ne m'auriez plus depuis longtemps. Oui, mon père, c'est lui qui me sauva de ce grand péril que vous savez que je courus dans l'eau, et à qui vous devez la vie de cette même fille dont...

HARPAGON Tout cela n'est rien; et il valait mieux pour moi qu'il te laissât noyer que de faire ce qu'il a fait.

ELISE. Mon père, je vous conjure, par l'amour paternel, de me... HARPAGON. Non, non, je ne veux rien entendre'; et il faut que la justice fasse son devoir.

MAÎTRE JACQUES (à part). Tu me payeras mes coups de bâton.
FROSINE (à part). Voici un étrange embarras!

SCÈNE V.

ANSELME, HARPAGON, ÉLISE, MARIANE, FROSINE, VALÈRE, LE COMMISSAIRE, MAITRE JACQUES.

ANSELME. Qu'est-ce, seigneur Harpagon? je vous vois tout ému. HARPAGON. Ah! seigneur Anselme! vous me voyez le plus infortuné de tous les hommes, et voici bieu du trouble et du désordre au contrat que vous venez faire. On m'assassine dans le bien, on m'assassine dans l'honneur et voilà un traître, un scélérat qui a violé tous les droits les plus saints, qui s'est coulé chez moi, sous le titre de domestique, pour me dérober mon argent et pour me suborner ma fille.

VALÈRE. Qui songe à votre argent, dont vous me faites un galimatias? HARPAGON. Oui, ils se sont donné l'un à l'autre une promesse de mariage. Cet affront vous regarde, seigneur Anselme, et c'est vous qui devez vous rendre partie contre lui, et faire toutes les poursuites de la justice pour vous venger de son insolence,

ANSELME. Ce n'est pas mon dessein de me faire épouser par force, et de rien prétendre à un coeur qui se serait donné; mais, pour vos inté rêts, je suis prêt à les embrasser ainsi que les miens propres.

HARPAGON. Voilà monsieur, qui est un honnête commissaire, qui n'oubliera rien, à ce qu'il m'a dit, de la fonction de son office. (Au commissaire, montrant Valère.) Chargez-le comme il faut, monsieur, et rendez les choses bien criminelles.

VALÈRE. Je ne vois pas quel crime on me peut faire de la passion que j'ai pour votre fille, et le supplice où vous croyez que je puisse êire condamné pour notre engagement, lorsqu'on saura ce que je suis. HARPAGON. Je me moque de tous ces contes, et le monde aujourd'hui n'est plein que de ces larrons de noblesse, que de ces imposteurs qui tirent avantage de leur obscurité, et s'habillent insolemment du premier nom illustre qu'ils s'avisent de prendre.

VALERE. Sachez que j'ai le cœur trop bon pour me parer de quelque chose qui ne soit point à moi, et que tout Naples peut rendre témoignage de ma naissance.

ANSELME. Tout beau! prenez garde à ce que vous allez dire. Vous risquez ici plus que vous ne pensez, et vous parlez devant un homme à qui tout Naples est connu, et qui peut aisément voir clair dans l'histoire que vous ferez.

VALERE (en mettant fièrement son chapeau). Je ne suis point homme à rien craindre; et si Naples vous est connu, vous savez qui était don Thomas d'Alburci.

ANSELME. Sans doute, je le sais; et peu de gens l'ont connu mieux que moi.

HARPAGON. Je ne me soucie ni de don Thomas ni de don Martin.

(Harpagon, voyant deux chandelles allumées, en souffle une.) ANSELME. De grâce, laissez-le parler; nous verrons ce qu'il en veut dire.

VALERE. Je veux dire que c'est lui qui m'a donné le jour.
ANSELME. Lui?

VALERE. Oui.

ANSELME. Allez, vous vous moquez. Cherchez quelque autre histoire qui vous puisse mieux réussir, et ne prétendez pas vous sauver sous cette imposture.

VALÈRE. Songez à mieux parler. Ce n'est point une imposture, et je 'avance rien qu'il ne me soit aisé de justifier.

ANSELME. Quoi! vous osez vous dire fils de don Thomas d'Alburci? VALERE. Oui, je l'ose; et je suis prêt de soutenir cette vérité contre qui que ce soit.

ANSELME. L'audace est merveilleuse! Apprenez, pour vous confondre, qu'il y a seize ans, pour le moins, que l'homme dont vous nous parlez périt sur mer avec ses enfants et sa femme, en voulant dérober leur vie aux cruelles persécutions qui ont accompagné les désordres de Naples, et qui en firent exiler plusieurs nobles familles.

VALÈRE. Qui; mais apprenez, pour vous confondre, vous, que son fils, âgé de sept ans, avec un domestique, fut sauvé de ce naufrage par un vaisseau espagnol, et que ce fils sauvé est celui qui vous parle. Apprenez que le capitaine de ce vaisseau, touché de ma fortune, prit amitié pour moi, qu'il me fit élever comme son propre fils, et que les armes furent mon emploi dès que je m'en trouvai capable; que j'ai su depuis peu que mon père n'était point mort, comme je l'avais toujours cru; que, passant ici pour l'aller chercher, une aventure par le ciel concertée me fit voir la charmante Elise; que cette vue me rendit esclave de ses beautés, et que la violence de mon amour et les sévérités de son père me firent prendre la résolution de m'introduire dans son logis et d'envoyer un autre à la quête de mes parents.

ANSELME. Mais quels témoignages encore, autre que vos paroles, nous peuvent assurer que ce ne soit point une fable que vous ayez bâtie sur une vérité?

VALERE. Le capitaine espagnol, un cachet de rubis qui était à mon père, un bracelet d'agate que ma mère m'avait mis au bras, le vieux Pédro, ce domestique qui se sauva avec moi du naufrage.

MARIANE. Hélas! à vos paroles, je puis ici répondre, moi, que vous n'imposez point; et tout ce que vous dites me fait connaître clairement que vous êtes mon frère.

VALERE. Vous, ma sœur!

MARIANE. Oui mon cœur s'est ému dès le moment que vous avez ouvert la bouche; et notre mère, que vous allez ravir, m'a mille fois entretenue des disgrâces de notre famille. Le ciel ne nous fit point aussi périr dans ce triste naufrage: mais il ne nous sauva la vie que par la perte de notre liberté; et ce furent des corsaires qui nous recueillirent, ma mère et moi, sur un débris de notre vaisseau. Après dix ans d'esclavage, une heureuse fortune nous rendit notre liberté, et nous retournames dans Naples, où nous trouvâmes tout notre bien ven lu, sans y pouvoir trouver des nouvelles de notre père. Nous passâmes à Gênes, où ma mère alla ramasser quelques malheureux restes d'une succession qu'on avait déchirée; et de là, fuyant la barbare injustice de ses parents, elle vint en ces lieux, où elle n'a presque vécu que d'une vie languissante.

ANSELME. O ciel! quels sont les traits de ta puissance! et que tu fais bien voir qu'il n'appartient qu'à toi de faire des miracles! Embrassezmoi, mes enfants, et mêlez tous deux vos transports à ceux de votre père !

VALERE. Vous êtes notre père !

MARIANE. C'est vous que ma mère a tant pleuré !

ANSELME. Oui, ma fille, oui, mon fils, je suis don Thomas d'Alburci, que le ciel garantit des ondes avec tout l'argent qu'il portait, et qui, vous ayant tous crus morts durant plus de seize ans, se préparait, après de longs voyages, à chercher dans l'hymen d'une douce et sage personne la consolation de quelque nouvelle famille. Le peu de sûreté que j'ai vu pour ma vie de retourner à Naples m'a fait y renoncer pour toujours; et, ayant su trouver moyen d'y faire vendre ce que j'avais, je me suis habitué ici, où, sous le nom d'Anselme, j'ai voulu m'élɔigner les chagrins de cet autre nom qui m'a causé tant de traverses HARPAGON (à Anselme). C'est là votre fils?

ANSELME. Oui.

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CLEANTE. Rien du tout. Voyez si c'est votre dessein de souscrire à ce mariage, et de joindre votre consentement à celui de sa mère, qui lui laisse la liberté de faire un choix entre nous deux.

MARIANE (à Cléante). Mais vous ne savez pas que ce n'est pas assez que ce consentement; et que le ciel (montrant Valère), avec un frère que vous voyez, vient de me rendre un père (montrant Anselme), dont vous avez à m'obtenir.

ANSELME. Le ciel, mes enfants, ne me redonne point à vous pour être contraire à vos voeux. Seigneur Harpagon, vous jugez bien que le choix d'une jeune personne tombera sur le fils plutôt que sur le père. Allons, ne vous faites point dire ce qu'il n'est point nécessaire d'entendre, et consentez, ainsi que moi, à ce double hyménée.

HARPAGON. Il faut, pour me donner conseil, que je voie ma cassette. CLEANTE. Vous la verrez saine et entière.

HARPAGON. Je n'ai point d'argent à donner en mariage à mes enfants. ANSELME. Eh bien! j'en ai pour eux; que cela ne vous inquiète point. HARPAGON. Vous obligerez-vous à faire tous les frais de ces deux mariages?

ANSELME. Oui, je m'y oblige. Etes-vous satisfait?

HARPAGON. Oui, pourvu que, pour les noces, vous me fassiez faire un habit.

ANSELME. D'accord. Allons jouir de l'allégresse que cet heureux jour nous présente.

LE COMMISSAIRE. Holà! messieurs, holà! Tout doucement, s'il vous plaît. Qui me payera mes écritures?

HARPAGON. Nous n'avons que faire de vos écritures.

LE COMMISSAIRE. Qui; mais je ne prétends pas, moi, les avoir faites pour rien.

HARPAGON (montrant Maitre Jacques). Pour votre payement, voilà un homme que je vous donne à pendre.

MAITRE JACQUES. Hélas! comment faut-il donc faire? On me donne des coups de bâton pour dire vrai, et on me veut pendre pour mentir. ANSELME. Seigneur Harpagon, il faut lui pardonner cette imposture. HARPAGON. Vous payerez donc le commissaire?

ANSELME. Soit. Allons vite faire part de notre joie à votre mère.
HARPAGON. Et moi, voir ma chère cassette.

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Le théâtre représente un jardin orné de termes et de plusieurs jets d'eau.

UNE NAIADE (sortant des eaux dans une coquille).

Pour voir en ces beaux lieux le plus grand roi du monde,
Mortels, je viens à vous de ma grotte profonde.
Faut-il, en sa faveur, que la terre ou que l'eau
Produisent à vos yeux un spectacle nouveau?

Qu'il parle ou qu'il souhaite, il n'est rien d'impossible.
Lui-même n'est-il pas un miracle visible?
Son règne, si fertile en miracles divers,
N'en demande-t-il pas à tout cet univers?
Jeune, victorieux, sage, vaillant, auguste,
Aussi doux que sévère, aussi puissant que juste ;
Régler et ses Etats et ses propres désirs;

Joindre aux nobles travaux les plus nobles plaisirs;
En ses justes projets jamais ne se méprendre;
Agir incessamment, tout voir et tout entendre;
Qui peut cela peut tout : il n'a qu'à tout oser,
Et le ciel à ses vœux ne peut rien refuser.
Ces termes marcheront, et, si Louis l'ordonne,
Ces arbres parleront mieux que ceux de Dodone.
Hôtesses de leurs troncs, moindres divinités,
C'est Louis qui le veut, sortez, nymphes, sortez;
Je vous montre l'exemple: il s'agit de lui plaire.
Quittez pour quelque temps votre forme ordinaire,
Et paraissons ensemble aux yeux des spectateurs
Pour ce nouveau théâtre autant de vrais acteurs.
(Plusieurs dryades, accompagnées de faunes et de satyres, sortent des arbres et
des termes.)

Vous, soin de ses sujets, sa plus charmante étude,
Héroïque souci, royale inquiétude,
Laissez-le respirer, et souffrez qu'un moment
Son grand cœur s'abandonne au divertissement :
Vous le verrez demain, d'une force nouvelle,
Sous le fardeau pénible où votre voix l'appelle,
Faire obéir les lois, partager les bienfaits,
Par ses propres conseils prévenir vos souhaits,

SCÈNE PREMIÈRE.

ERASTE, LA MONTAGNE.

ÉRASTE. Sous quel astre, bon Dieu, faut-il que je sois né,
Pour être de fâcheux toujours assassiné?

Il semble que partout le sort me les adresse,
Et j'en vois chaque jour quelque nouvelle espèce.
Mais il n'est rien d'égal au facheux d'aujourd'hui ;
J'ai cru n'être jamais débarrassé de lui:

Et cent fois j'ai maudit cette innocente envie
Qui m'a pris, à dîner, de voir la comédie,
Où, pensant m'égayer, j'ai misérablement
Trouvé de mes péchés le rude châtiment.
Il faut que je te fasse un récit de l'affaire,
Car je m'en sens encor tout ému de colère.
J'étais sur le théâtre, en humeur d'écouter
La pièce, qu'à plusieurs j'avais ouï vanter :
Les acteurs commençaient, chacun prêtait silence,
Lorsque, d'un air bruyant et plein d'extravagance,
Un homme à grands canons est entré brusquement
En criant: « Holà! ho! un siége promptement! >>
Et, de son grand fracas surprenant l'assemblée,
Dans le plus bel endroit a la pièce troublée.
Eh! mon Dieu! nos Français, si souvent redressés,
Ne prendront-ils jamais un air de gens sensés,
Ai-je dit, et faut-il, sur nos défauts extrêmes,
Qu'en théâtre public nous nous jouïons nous-mêmes,

Et confirmions ainsi, par des éclats de fous,

Ce que chez nos voisins on dit partout de nous!
Tandis que là-dessus je haussais les épaules,
Les acteurs ont voulu continuer leurs rôles;

Mais l'homme, pour s'asseoir, a fait nouveau fracas;
Et, traversant encor le théâtre à grands pas,
Bien que dans les côtés il pût être à son aise,
Au milieu du devant il a planté sa chaise,

Et, de son large dos morguant les spectateurs,
Aux trois quarts du parterre a caché les acteurs.
Un bruit s'est élevé, dont un autre eût eu honte;
Mais lui, ferme et constant, n'en a fait aucun compte,

Et se serait tenu comme il s'était posé,

Si, pour mon infortune, il ne m'eût avisé.

« Ah! marquis! m'a-t-il dit, prenant près de moi place,
Comment te portes-tu? Souffre que je l'embrasse.»
Au visage sur l'heure un rouge m'est monté

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Tu n'as point vu ceci, marquis! Ah! Dieu me damne!

Je le trouve assez drôle, et je n'y suis pas âne;

Je sais par quelle loi un ouvrage est parfait.
Et Corneille me vient lire tout ce qu'il fait. »>
Là-dessus, de la pièce il m'a fait un sommaire,
Scène à scène averti de ce qui s'allait faire,
Et jusques à des vers qu'il en savait par cœur,
Il me les récitait tout haut avant l'acteur.

J'avais beau m'en défendre, il a poussé sa chance,
Et s'est devers la fin levé longtemps d'avance;
Car les gens du bel air, pour agir galamment,
Se gardent bien surtout d'ouïr le dénoûment.
Je rendais grâce au ciel, et croyais, de justice,
Qu'avec la comédie eût fini mon supplice;
Mais, comme si c'en eût été trop bon marché,
Sur nouveaux frais mon homme à moi s'est attaché,
M'a conté ses exploits, ses vertus non communes,
Parlé de ses chevaux, de ses bonnes fortunes,
Et de ce qu'à la cour il avait de faveur,
Disant qu'à m'y servir il s'ofirait de grand cœur.
Je le remerciais doucement de la tête,
Minutant à tous coups quelque retraite honnête;
Mais lui, pour le quitter me voyant ébranlé,

« Sortons, ce m'a-t-il dit, le monde est écoulé. »>
Et, sortis de ce lieu, me la donnant plus sèche :
« Marquis, allons au cours faire voir ma calèche;
Elle est bien entendue, et plus d'un duc et pair
En fait à mon faiseur faire une du même air. »

Moi de lui rendre grâce, et, pour mieux m'en défendre,

De dire que j'avais certain repas à rendre.

« Ah, parbleu ! j'en veux être, étant de tes amis,

El manque au maréchal à qui j'avais promis.

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Non, m'a-t-il répondu, je suis sans compliment,

Et j'y vais pour causer avec toi seulement;

Je suis de grands repas fatigué, je te jure.

Mais si l'on vons attend, ai-je dit, c'est injure.

Tu te moques, marquis, nous nous connaissons tous,

Et je trouve avec toi des passe-temps plus doux. >>

Je pestais contre moi, l'âme triste et confuse

Du funeste succès qu'avait eu mon excuse,

Et ne savais à quoi je devais recourir
Pour sortir d'une peine à me faire mourir,
Lorsqu'un carrosse fait de superbe manière,
Et comblé de laquais et devant et derrière,
S'est avec un grand bruit devant nous arrêté,
D'où sautant un jeune homme amplement ajusté,
Mon importun et lui, courant à l'embrassade,

Ont surpris les passants de leur brusque incartade :
Et, tandis que tous deux étaient précipités

Dans les convulsions de leurs civilités,

Je me suis doucement esquivé sans rien dire;
Non sans avoir longtemps gémi d'un tel martyre,
Et maudit le fàcheux dont le zèle obstiné
M'ôtait au rendez-vous qui m'est ici donné.

LA MONTAGNE. Ce sont chagrins mêlés aux plaisirs de la vie.
Tout ne va pas, monsieur, au gré de notre envie ;
Le ciel veut qu'ici-bas chacun ait ses fâcheux,
Et les hommes seraient, sans cela, trop heureux.
ERASTE. Mais de tous mes fàcheux le plus fàcheux encore,
C'est Damis, le tuteur de celle que j'adore,
Qui rompt ce qu'à mes vœux elle donne d'espoir,
Et, malgré ses bontés, lui défend de me voir.
Je crains d'avoir déjà passé l'heure promise;

Et c'est dans cette allée où devait être Orphise.

LA MONTAGNE. L'heure d'un rendez-vous d'ordinaire s'étend,
Et n'est pas resserrée aux bornes d'un instant.
ÉRASTE. Il est vrai : mais je tremble; et mon amour extrême
D'un rien se fait un crime envers celle que j'aime.
LA MONTAGNE. Si ce parfait amour, que vous prouvez si bien,
Se fait vers votre objet un grand crime de rien,
Ce que son cœur pour vous sent de feux légitimes
En revanche lui fait un rien de tous vos crimes.
ÉRASTE. Mais, tout de bon, crois-tu que je sois d'elle aimé?
LA MONTAGNE. Quoi! vous doutez encor d'un amour confirmé?

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Sottise sans pareille!

Tu m'as d'un coup de dent presque emporté l'oreille.
LA MONTAGNE. Vos canons...
ÉRASTE.

Laisse-les; tu prends trop de souci.

LA MONTAGNE. Ils sont tout chiffonnés.
ÉRASTE.
Je veux qu'ils soient ainsi.
LA MONTAGNE. Accordez-moi du moins, par grâce singulière,
De frotter ce chapeau qu'on voit plein de poussière.
ÉRASTE. Frotte donc, puisqu'il faut que j'en passe par là.
LA MONTAGNE. Le voulez-vous porter fait comme le voilà?
ÉRASTE. Mon Dieu ! dépêche-toi.
Ce serait conscience.

LA MONTAGNE.

ERASTE (aprèsavoir attendu). C'est assez.

LA MONTAGNE.

ÉRASTE. Il me tuc!

LA MONTAGNE.

Donnez-vous un peu de patience.

En quel lieu vous êtes-vous fourré?

ÉRASTE. T'es-tu de ce chapeau pour toujours emparé?
LA MONTAGNE. C'est fait.
ÉRASTE.

Donne-moi donc.

LA MONTAGNE (laissant tomber le chapeau). Hai!

ÉRASTE.

Le voilà par terre !

Je suis fort avancé. Que la fièvre te serre ! LA MONTAGNE. Permettez qu'en deux coups j'ôte... ÉRASTE.

Au diantre tout valet qui vous est sur les bras,
Qui fatigue son maître, et ne fait que déplaire
A force de vouloir traucher du nécessaire!

SCÈNE II.

Il ne me plait pas.

ORPHISE, ALCIDOR, ÉRASTE, LA MONTAGNE.
(Orphise traverse le fond du théâtre; Alcidor lui donne la main.)

ÉRASTE. Mais vois-je pas Orphise? Oui, c'est elle qui vient.
Où va-t-elle si vite? et quel homme la tient?

(Il la salue comme elle passe; et elle, en passant, détourne la tête.)

SCÈNE III.

ÉRASTE, LA MONTAGNE.

ÉRASTE. Quoi! me voir en ces lieux devant elle paraître,
Et passer en feignant de ne me pas connaître !
Que croire? Que dis-tu? Parle donc, si tu veux.
LA MONTAGNE. Monsieur, je ne dis rien de peur d'être fàcheux
ÉRASTE. Et c'est l'être en effet que de ne me rien dire
Dans les extrémités d'un si cruel martyre.
Fais donc quelque réponse à mon cœur abattu.
Que dois-je présumer? Parle, qu'en penses-tu?
Dis-moi ton sentiment.

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