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LA THORILLIÈRE. Je suis homme sans cérémonic, vous dis-je ; et vous pouvez répéter ce qu'il vous plaira.

MOLIÈRE. Monsieur, ces demoiselles ont peine à vous dire qu'elles souhaiteraient fort que personne ne fût ici pendant cette répétition. LA THORILLIÈRE. Pourquoi? Il n'y a point de danger pour moi. MOLIERE. Monsieur, c'est une coutume qu'elles observent, et vous au rez plus de plaisir quand les choses vous surprendront.

LA THORILLIERE. Je m'en vais donc dire que vous êtes prêts.
NOLIERE. Point du tout, monsieur; ne vous hâtez pas, de grâce.

SCÈNE III.

MOLIÈRE, BRÉCOURT, LA GRANGE, DU CROISY, MESDEMOISELLES DU PARC, BÉJART, DE BRIE, MOLIÈRE, DU CROISY, HERVÉ.

MOLIÈRE. Ah! que le monde est plein d'impertinents! Or sus, commençons. Figurez-vous donc premièrement que la scène est dans l'antichambre du roi, car c'est un lieu où il se passe tous les jours des scè nes assez plaisantes. Il est aisé de faire venir là toutes les personnes qu'on veut, et on peut trouver des raisons même pour autoriser la venue des femmes que j'introduis. La comédie s'ouvre par deux marquis qui se rencontrent. (A la Grange.) Souvenez-vous bien, vous, de venir, comme je vous ai dit, là, avec cet air qu'on nomme le bel air, peignant votre perruque, et grondant une petite chanson entre vos dents. La, la, la, la, la, la, la. (A ses autres camarades.) Rangez-vous donc, vous autres; car il faut du terrain à deux marquis, et il ne sont pas gens à tenir leur personne dans un petit espace. (A la Grange.) Allons, parlez.

LA GRANGE. « Bonjour, marquis. >>>

MOLIÈRE. Mon Dicu! ce n'est point là le ton d'un marquis il faut le prendre un peu plus haut: et la plupart de ces messieurs affectent une manière de parler particulière pour se distinguer du commun. « Bonjour, marquis. » Recommencez donc.

LA GRANGE. « Bonjour, marquis. >>

MOLIÈRE. « Ah! marquis, ton serviteur. >>

LA GRANGE. «Que fais-tu là? »

MOLIÈRE. « Parbleu! tu vois; j'attends que tous ces messieurs aient débouché la porte pour présenter là mon visage. »>

LA GRANGE. « Têtebleu! quelle foule! je n'ai garde de m'y aller frotter, et j'aime bien mieux entrer des derniers. >>

MOLIÈRE. «Il y a là vingt gens qui sont fort assurés de n'entrer point, et qui ne laissent pas de se presser et d'occuper toutes les avenues de la porte. >>

LA GRANGE. « Crions nos deux noms à l'huissier, afin qu'il appelle. »> MOLIÈRE. « Cela est bon pour toi; mais, pour moi, je ne veux pas être joué par Molière. »>

LA GRANGE. « Je pense pourtant, marquis, que c'est toi qu'il joue dans la Critique. >>

MOLIERE. « Moi! je suis ton valet! c'est toi-même en propre per

sonne. »>

LA GRANGE. « Ah! ma foi, tu es bon de m'appliquer ton personnage.»> MOLIÈRE. « Parbleu! je te trouve plaisant de me donner ce qui t'appartient. >>

LA GRANGE (riant). « Ha! ha! ha' Cela est drôle »

MOLIERE (riant). « Ha! ha! ha! Cela est bouffon. »>

LA GRANGE. «Quoi! tu veux soutenir que ce n'est pas toi qu'on joue dans le marquis de la Critique?»

MOLIÈRE. «Il est vrai, c'est moi. Detestable, morbleu! détestable! tarie

à la crème. C'est moi, c'est moi; assurément, c'est moi. >>

LA GRANGE. « Oui, parblcu! c'est toi; tu n'as que faire de railler; et,

si tu veux, nous gagerons et verrons qui a raison des deux. >>

MOLIÈRE. « Et que veux-tu gager encore? >>

LA GRANGE. « Je gage cent pistoles que c'est toi. >>

MOLIERE. « Et moi cent pistoles que c'est toi. »

LA GRANGE. « Cent pistoles comptant. >>

MOLIÈRE. « Comptant. Quatre-vingt-dix pistoles sur Amyntas, et dix

pistoles comptant. >>

LA GRANGE. «Je le veux. >>

MOLIÈRE. « Cela est fait. >>

LA GRANGE. « Ton argent court grand risque. »

MOLIÈRE. « Le tien est bien aventuré. »>

LA GRANGE. « A qui nous en rapporter? »

MOLIÈRE. « Voici un homme qui nous jugera. (A Brécourt.) Cheva

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MOLIÈRE. « Nous disputons qui est le marquis de la Critique de Molière : il gage que c'est moi; et moi, je gage que c'est lui. >> BRECOURT. « Et moi, je juge que ce n'est ni l'un ni l'autre, Vous êtes fous tous deux de vouloir vous appliquer ces sortes de choses; et voilà de quoi j'ouïs l'autre jour se plaindre Molière, parlant à des personnes qui le chargeaient de même chose que vous. Il disait que rien ne lui donnait du déplaisir comme d'être accusé de regarder quelqu'un dans les portraits qu'il fait: que son dessein est de peindre les mœurs sans vouloir toucher aux personnes, et que tous les personnages qu'il représente sont des personnages en l'air, et des fantômes proprement, qu'il habille à sa fantaisie pour réjouir les spectateurs; qu'il serait bien faché d'y avoir jamais marqué qui que ce soit et que, si quelque chose était capable de le dégoûter de faire des comédies, c'étaient les ressemblances qu'on y voulait toujours trouver, et dont ses ennemis tachaient malicieusement d'appuyer la pensée pour lui rendre de mauvais offices auprès de certaines personnes à qui il n'a jamais pensé. En effet, je trouve qu'il a raison; car pourquoi vouloir, je vous prie, appliquer tous ses gestes et toutes ses paroles, et chercher à lui faire des affaires en disant hautement Il joue un tel, lorsque ce sont des choses qui peuvent convenir à cent personnes? Comme l'affaire de la comédie est de représenter en général tous les défauts des hommes, et principalement des hommes de notre siècle, il est impossible à Molière de faire aucun caractère qui ne rencontre quelqu'un dans le monde; et, s'il faut qu'on l'accuse d'avoir songé à toutes les personnes où l'on peut trouver les défauts qu'il peint, il faut, sans doute, qu'il ne fasse plus de comédies.>>

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MOLIÈRE. « Ma foi, chevalier, tu veux justifier Molière, et épargner notre ami que voilà. >>

LA GRANGE. «Point du tout, c'est toi qu'il épargne; et nous trouverons d'autres juges. »> MOLIÈRE. «Soit. Mais, dis-moi, chevalier, crois-tu pas que ton MoBRÉCOURT. « Plus de matière ! Eh! mon pauvre marquis, nous lui en

MOLIÈRE. «Juge-nous un peu sur une gageure que nous avons faite.» lière est épuisé maintenant, et qu'il ne trouvera plus de matière pour...» BRÉCOURT. « Et quelle? »

fournirons toujours assez ; et nous ne prenons guère le chemin de nous rendre sages, pour tout ce qu'il fait et tout ce qu'il dit. »

MOLIÈRE. Attendez. Il faut marquer davantage tout cet endroit. Ecoutez-le-moi dire un peu... « Et qu'il ne trouvera plus de matière pour... - Plus de matière ! Eh! mon pauvre marquis, nous lui en fournirons toujours assez; et nous ne prenons guère le chemin de nous rendre sages, pour tout ce qu'il fait et tout ce qu'il dit. Crois-tu qu'il ait épuisé dans ses comédies tout le ridicule des hommes? et, sans sortir de la cour, n'a-t-il pas encore vingt caractères de gens où il n'a point touché? Na-t-il pas, par exemple, ceux qui se font les plus grandes amitiés du monde, et qui, le dos tourné, font galanterie de se déchirer F'un l'autre? N'a-t-il pas ces adulateurs à outrance, ces flatteurs insipides qui n'assaisonnent d'aucun sel les louanges qu'ils donnent, et dont toutes les flatteries ont une douceur fade qui fait mal au cœur à ceux qui les écoutent? N'a-t-il pas ces lâches courtisans de la faveur, ces perfides adorateurs de la fortune, qui vous encensent dans la prospérité et vous accablent dans la disgrâce? N'a-t-il pas ceux qui sont toujours mécontents de la cour, ces suivants inutiles, ces incommodes assidus, ces gens, dis-je, qui, pour services, ne peuvent compler que des importunités, et qui veulent qu'on les récompense d'avoir obsédé le prince dix ans durant? N'a-t-il pas ceux qui caressent également tout le monde, qui promènent leurs civilités à droite et à gauche, et courent à tous ceux qu'ils voient avec les mêmes embrassades et les mêmes protestations d'amitié? - Monsieur, votre très-humble serviteur. Monsieur, je suis tout à votre service. Tenez-moi des vôtres, mon cher. Faites état de moi, monsieur, comme du plus chaud de vos amis. Monsieur, je suis ravi de vous embrasser. Ah! monsieur, je ne vous voyais pas. Faites-moi la grâce de m'employer; soyez persuadé que je suis entièrement à vous. Vous êtes l'homme du monde que je révère le plus. It n'y a personne que j'honore à l'égal de vous. Je vous conjure de le croire. Je vous supplie de n'en point douter. Serviteur. Très-humble valet. Va, va, marquis, Molière aura toujours plus de sujets qu'il n'en voudra; et tout ce qu'il a touché jusqu'ici n'est rien que bagatelle au prix de ce qui reste. »>

Voilà à peu près comme cela doit être joué.

BRECOURT. C'est assez.

MOLIÈRE. Poursuivez.

BRECOURT. «Voici Climène et Elise. »

MOLIÈRE (à mesdemoiselles du Parc et Molière). Là-dessus vous arriverez toutes deux. (A mademoiselle du Parc.) Prenez bien garde, vous, à vous déhancher comme il laut, et à bien faire des façons. Cela vous contraindra un peu; mais qu'y faire? Il faut parfois se faire violence. MADEMOISELLE MOLIÈRE. « Certes, madame, je vous ai reconnue de loin; et j'ai bien vu, à votre air, que ce ne pouvait être une autre que vous. >> MADEMOISELLE DU PARC. « Vous voyez, je viens attendre ici la sortie d'un homme avec qui j'ai une affaire à démêler. >>

MADEMOISELLE MOLIÈRE. « Et moi de même. »

MOLIÈRE. Mesdames, voilà des coffres qui vous serviront de fauteuils. MADEMOISELLE DU PARC. « Allons, madame, prenez place, s'il vous plait. »

MADEMOISELLE MOLIÈRE. « Après vous, madame. »>

MOLIÈRE. Bon. Apres ces petites cérémonies muettes, chacun prendra place, et parlera assis, hors les marquis, qui tantôt se lèveront et tantôt s'asseoiront, suivant leur inquiétude naturelle. « Parbleu, chevalier, tu devrais faire prendre médecine à tes canons. >>

BRÉCOURT. « Comment? »

MOLIÈRE. «Ils se portent fort mal. >>

BRECOURT. «Serviteur à la turlupinade. »

MADEMOISELLE MOLIÈRE. « Mon Dieu! madame, que je vous trouve le teint d'une blancheur éblouissante, et les lèvres d'une couleur de feu surprenante! >>

MADEMOISELLE DU PARC. « Ah! que dites-vous là, madam e? ne meregardez point, je suis du dernier laid aujourd'hui. >>

MADEMOISELLE MOLIÈRE « Eh! madame, levez un peu votre coiffe. » MADEMOISELLE DU PARC. « Fi! je suis épouvantable, vous dis-je, et je me fais peur à moi-même. »

MADEMOISELLE MOLIÈRE. « Vous êtes si belle ! »

MADEMOISELLE DU PARC. «Point, point. »
MADEMOISELLE MOLIÈRE. « Montrez-vous. »

MADEMOISELLE DU PARC. « Ah! fi donc! je vous prie. »>
MADEMOISELLE MOLIÈRE. « De grâce. »

MADEMOISELLE DU PARC. « Mon Dieu, non. »

MADEMOISELLE MOLIÈRE. « Si fait. »>

MADEMOISELLE DU PARC. « Vous me désespérez. >> MADEMOISELLE MOLIÈRE. « Un moment. »

MADEMOISELLE DU PARC. « Hai. »

MADEMOISELLE MOLIERE. « Résolûment, vous vous montrerez. On ne peut point se passer de vous voir. »

MADEMOISELLE DU PARC « Mon Dieu, que vous êtes une étrange personne! Vous voulez furieusement ce que vous voulez. >>

MADEMOISELLE MOLIÈRE. « Ah! madame, vous n'avez aucun désavantage à paraître au grand jour, je vous jure. Les méchantes gens, qui as suraient que vous mettiez quelque chose! Vraiment, je les démentirai bien maintenant. »

MADEMOISELLE DU PARC. « Hélas! je ne sais pas seulement ce qu'on appelle mettre quelque chose. Mais où vont ces dames? >> MADEMOISELLE DE BRIE. « Vous voulez bien, mesdames, que nous vous donnions en passant la plus agréable nouvelle du monde Voil M. Lysidas qui vient de nous avertir qu'on a fait une pièce contre Molière, que les grands comédiens font jouer. »

MOLIÈRE. «Il est vrai; on me l'a voulu lire. C'est un nommé Br... Brou... Brossaut qui l'a faite. »>

DU CROISY. « Monsieur, elle est affichée sous le nom de Boursaut: mais, à vous dire le secret, bien des gens ont mis la main à cet ouvrage, et l'on en doit concevoir une assez haute attente. Comme tous les auteurs et tous les comédiens regardent Molière comme leur plus grand ennemi, nous nous sommes tous unis pour le desservir. Chacun de nous a donné un coup de pinceau à son portrait; mais nous nous sommes bien ga: dés d'y mettre nos noms il lui aurait été trop glorieux de succomber, aux yeux du monde, sous les efforts de tout le Parnasse; et, pour rendre sa défaite plus ignominieuse, nous avons voulu choisir tout exprès un auteur sans réputation. »

:

MADEMOISELLE DU PARC. « Pour moi, je vous avoue que j'en ai toutes les joies imaginables. »

MOLIÈRE. « Et moi aussi. Par la sambleu ! le railleur sera raillé : il aura sur les doigts, ma foi. »>

MADEMOISELLE DU PARC. « Cela lui apprendra à vouloir satiriser tout. Comment! cet impertinent ne veut pas que les femmes aient de l'esprit ! il condamne toutes nos expressions élevées, et prétend que nous parlions toujours terre à terre! »

MADEMOISELLE DE BRIE. « Le langage n'est rien mais il censure tous nos attachements, quelque innocents qu'ils puissent être; et, de la façon qu'il en parle, c'est être criminelle que d'avoir du mérite. »

MADEMOISELLE DU CROISY. « Cela est insupportable. Il n'y a pas une femme qui puisse plus rien faire. Que ne laisse-t-il en repos nos maris, sans leur ouvrir les yeux, et leur faire prendre garde à des choses dont ils ne s'avisent pas? »

MADEMOISELLE BÉJART. « Passe pour tout cela; mais il satirise même les femmes de bien, et ce méchant plaisant leur donne le titre d honnêtes diablesses. >>

MADEMOISELLE MOLIÈRE. « C'est un impertinent. Il faut qu'il en ait tout le soul. »

DU CROISY. « La représentation de cette comédie, madame, aura besoin d'être appuyée, et les comédiens de l'hôtel... » MADEMOISELLE DU PARC. « Mon Dieu, qu'ils n'appréhendent rien : je leur garantis le succès de leur pièce, corps pour corps. »

MADEMOISELLE MOLIÈRE. « Vous avez raison, madame. Trop de gens sont intéressés à la trouver belle. Je vous laisse à penser si tous ceux qui se croient satirisés par Molière ne prendront point l'occasion de se venger de lui eu applaudissant à cette comédie. »

BRÉCOURT (ironiquement). « Sans doute; et pour moi, je réponds de douze marquis, de six précieuses, de vingt coquettes, et de trente cocus, qui ne manqueront pas d'y battre des mains. >>

MADEMOISELLE MOLIÈRE. « En effet, pourquoi aller offenser toutes ces personnes-là, et particulièrement les cocus, qui sont les meilleures gens du monde?»

MOLIÈRE. «Par la sambleu! on m'a dit qu'on va le dauber, lui et toutes ses comédies, de la belle manière; et que les comédiens et les auteurs, depuis le cèdre jusqu'à l'hysope, sont diablement animés contre lui. »>

MADEMOISELLE MOLIÈRE. « Cela lui sied fort bien. Pourquoi fait-il de méchantes pièces que tout Paris va voir, et où il peint si bien les gens que chacun s'y connaît? Que ne fait-il des comédies comme celles de M. Ly. sidas? Il n'aurait personne contre lui, et tous les auteurs en diraient du bien. Il est vrai que de semblables comédies n'ont pas ce grand coucours de moude; mais, en revanche, elles sont toujours bien écrites perde les trouver belles. » sonne n'écrit contre elles, et tous ceux qui les voient meurent d'envie

DU CROISY. « Il est vrai que j'ai l'avantage de ne me point faire d'ennemis, et que tous mes ouvrages ont l'approbation des savants. »

MADEMOISELLE MOLIÈRE. « Vous faites bien d'être content de vous : cela vaut mieux que tous les applaudissements du public et que tout l'argent qu'on saurait gagner aux pièces de Molière. Que vous importe qu'il vienne du monde à vos comédies, pourvu qu'elles soient approuvées par MM. vos confrères? »

LA GRANGE. « Mais quand jouera-t-on le Portrait du Peintre? » DU CROISY. « Je ne sais; mais je me prépare fort à paraître des premiers sur les rangs, pour crier : Voilà qui est beau! »

MOLIÈRE. « Et moi de même, parbleu! »>

LA GRANGE. « Et moi aussi, Dieu me sauve ! »

MADEMOISELLE DU PARC. « Pour moi, j'y payerai de ma personne comme il faut, et je réponds d'une bravoure d'approbation qui mettra en déroute tous les jugements ennemis. C'est bien la moindre chose que nous devions faire, que d'épauler de nos louanges le vengeur de nos in térêts. »

MADEMOISELLE MOLIÈRE. « C'est fort bien dit. »

MADEMOISELLE DE BRIE. « Et ce qu'il nous faut faire toutes. >>
MADEMOISELLE BÉJART. « Assurément. >>

MADEMOISELLE DU CROISY. « Sans doute. »

MADEMOISELLE HERVÉ. « Point de quartier à ce contrefaiseur de gens. >> MOLIÈRE. «Ma foi, chevalier mon ami, il faudra que ton Molière se cache. »

BRECOURT. « Qui? lui? Je te promets, marquis, qu'il fait dessein d'aller sur le théâtre rire, avec tous les autres, du portrait qu'on a fait de lui. »

MOLIÈRE. « Parbleu! ce sera donc du bout des dents qu'il y rira. » BRÉCOURT. « Va, va, peut-être qu'il y trouvera plus de sujets de rire que tu ne penses. On m'a montré la pièce, et comme tout ce qu'il y a d'agréable sont effectivement les idées qui ont été prises de Molière, la joie que cela pourra douner n'aura pas lieu de lui déplaire, sans doute; car, pour l'endroit où l'on s'efforce de le noircir, je suis le plus trompé du monde si cela est approuvé de personne. Et, quant à tous les gens qu'ils ont tâché d'animer contre lui, sur ce qu'il fait, dit-on, des portraits trop ressemblants, outre que cela est de fort mauvaise grâce, je ne vois rien de plus ridicule et de plus mal repris, et je n'avais pas cru jusqu'ici que ce fût un sujet de blame pour un comédieu que de peindre trop bien les hommes. »>

LA GRANGE. « Les comédiens m'ont dit qu'ils l'attendaient sur la réponse,

et que... >>

BRÉCOURT. « Sur la réponse? Ma foi, je le trouverais un grand fou s'il se mettait en peine de répondre à leurs invectives. Tout le monde sait assez de quel motif elles peuvent partir, et la meilleure réponse qu'il leur puisse faire, c'est une comédie qui réussisse comme toutes ses autres voila le vrai moyen de se venger d'eux comme il faut. Et, de l'humeur dont je les connais, je suis fort assuré qu'une pièce nouvelle qui leur enlèvera le monde les fàchera bien plus que toutes les satires qu'on pourrait faire de leurs personnes. »>

MOLIÈRE. «Mais, chevalier... >>

MADEMOISELLE BÉJART. Souffrez que j'interrompe pour un peu la répétition. (A Molière.) Voulez-vous que je vous die? Si j'avais été en votre place, j'aurais poussé les choses autrement. Tout le monde attend de vous une réponse vigoureuse; et, après la manière dont on m'a dit que vous étiez traité dans cette comédie, vous étiez en droit de tout dire contre les comédiens, et vous deviez n'en épargner aucun.

MOLIÈRE. J'enrage de vous ouïr parler de la sorte. Et voilà votre manie à vous autres femmes: vous voudriez que je prisse feu d'abord contre eux, et qu'à leur exemple j'allasse éclater promptement en invectives et en injures. Le bel honneur que j'en pourrais tirer, et le grand dépit que je leur ferais! Ne se sont-ils pas préparés de bonne volonté à ces sortes de choses? et lorsqu'ils ont délibéré s'ils joueraient le Portrait du Peintre, sur la crainte d'une riposte, quelques-uns d'entre eux n'ontils pas répondu : Qu'il nous rende toutes les injures qu'il voudra, pourvu que nous gaguions de l'argent? N'est-ce pas là la marque d'une âme fort sensible à la honte? et ne me vengerai-je pas bien d'eux en leur donnant ce qu'ils veulent bien recevoir?

MADEMOISELLE DE BRIE. Ils se sont fort plaints, toutefois, de trois ou quatre mots que vous avez dits d'eux dans la Critique et dans vos Précieuses.

MOLIÈRE. Il est vrai, ces trois ou quatre mols sont fort offensants, et ils ont grande raison de les citer. Allez, allez, ce n'est pas cela. Le plus grand mal que je leur aie fait, c'est que j'ai eu le bonheur de plaire un peu plus qu'ils n'auraient voulu; et tout leur procédé, depuis que nous sommes venus à Paris, a trop marqué ce qui les touche. Mais laissons-les faire tant qu'ils voudront: toutes leurs entreprises ne doivent point m'inquiéter. Ils critiquent mes pièces, tant mieux, et Dieu me garde d'en faire jamais qui leur plaisent! ce serait une mauvaise affaire pour moi.

MADEMOISELLE DE BRIE. Il n'y a pas grand plaisir pourtant à voir déchirer ses ouvrages.

MOLIÈRE. Et qu'est-ce que cela me fait ! N'ai-je pas obtenu de ma comédie tout ce que j'en voulais obtenir, puisqu'elle a eu le bonheur d'agréer aux augustes personnes à qui particulierement je m'efforce de plaire? N'ai-je pas lieu d'être satisfait de sa destinée, et toutes leurs censures ne viennent-elles pas trop tard ? Est-ce moi, je vous pric, que cela regarde maintenant? et lorsqu'on attaque une pièce qui a eu du succès, n'est-ce pas attaquer plutôt le jugement de ceux qui l'ont approuvée, que l'art de celui qui l'a faite?

MADEMOISELLE DE BRIE. Ma foi, j'aurais joué ce petit monsieur l'auteur qui se mêle d'écrire contre des gens qui ne songent pas à lui.

MOLIERE. Vous êtes folle. Le beau sujet à divertir la cour que M. Boursaut! Je voudrais bien savoir de quelle façon on pourrait l'ajuster pour le rendre plaisant, et si, quand on le bernerait sur le théâtre, il serait assez heureux pour faire rire le monde. Ce lui serait trop d'honneur que d'être joué devant une auguste assemblée; il ne demanderait pas mieux, et il m'attaque de gaieté de cœur pour se faire connaitre de quelque façon que ce soit. C'est un homme qui n'a rien à perdre, et les coniédiens ne me l'ont dechaîné que pour m'engager à une solte guerre, et me détourner, par cet artifice, des autres ouvrages que j'ai à faire et cependant vous êtes assez simples pour donner dans tout ce panneau!

Mais enfin j'en ferai ma déclaration publiquement: je ne prétends faire aucune réponse à toutes leurs critiques et leurs contre-critiques. Qu'ils disent tous les maux du monde de mes pièces, j'en suis d'accord. Qu'ils s'en saisissent après nous, qu'ils les retournent comme un habit pour les mettre sur leur théâtre, et tàchent à profiter de quelque agrément qu'on y trouve et d'un peu de bonheur que j'ai, j'y consens, ils en ont besoin, et je serai bien aise de contribuer à les faire subsister, pourvu qu'ils se contentent de ce que je puis leur accorder avec bienséance. La courtoisie doit avoir des bornes, et il y a des choses qui ne font rire ni les spectateurs ni celui dont on parle. Je leur abandonne de bon cœur mes ouvrages, ma figure, mes gestes, mes paroles, mon ton de voix et ma façon de réciter, pour en faire et dire tout ce qu'il leur plaira, s'ils en peuvent tirer quelque avantage. Je ne m'oppose point à toutes ces choses, et je serai ravi que cela puisse réjouir le monde; mais, en leur abandonnant tout cela, ils me doivent faire la grâce de me laisser le reste, et de ne point toucher à des matières de la nature de celles sur lesquelles on m'a dit qu'ils m'attaquaient dans leurs comé-` dies. C'est de quoi je prierai civilement cet honnête mousieur qui se mêle d'écrire pour eux; et voilà toute la réponse qu'ils auront de moi. MADEMOISELLE BEJART. Mais enlin...

MOLIERE Mais enfin vous me feriez devenir fou. Ne parlons point de cela davantage; nous nous amusons à faire des discours au lieu de répéter notre comédie. Où en étions-nous? je ne m'en souviens plus. MADEMOISELLE DE BRIE. Vous en étiez à l'endroit...

MOLIÈRE. Mon Dieu! j'entends du bruit : c'est le roi qui arrive, assurément, et je vois bien que nous n'aurons pas le temps de passer outre. Voilà ce que c'est de s'amuser. Oh bien! faites donc, pour le reste, du mieux qu'il vous sera possible.

MADEMOISELLE BÉJART. Par ma foi! la frayeur me prend, et je ne sau-
rais aller jouer mon rôle, si je ne le répète tout entier.
MOLIÈRE. Comment! vous ne sauriez aller jouer votre rôle?
MADEMOISELLE BEJART. Non.

MADEMOISELLE DU PARC. Ni moi le mien.
MADEMOISELLE DE BRIE. Ni moi non plus.
MADEMOISELLE MOLIÈRE. Ni moi.
MADEMOISELLE HERVÉ. Ni moi.

MADEMOISELLE DU CROISY. Ni moi.

MOLIÈRE. Que pensez-vous donc faire? Vous moquez-vous toutes de moi?

SCÈNE IV.

BEJART, MOLIERE, LA GRANGE, DU CROISY; MESDEMOISELLES DU PARC, BÉJART, DE BRIE, MOLIÈRE, DU CROISY, HERVÉ.

BEJART. Messieurs, je viens vous avertir que le roi est venu, et qu'il attend que vous commenciez.

MOLIÈRE. Ah! monsieur, vous me voyez dans la plus grande peine du monde; je suis désespéré à l'heure que je vous parle. Voici des femmes qui s'effrayent, et qui disent qu'il leur faut répéter leurs ròles avant que d'aller commencer. Nous demandons, de grâce, encore un moment. Le roi a de la bonté, et il sait bien que la chose a été précipitée.

SCÈNE V.

MOLIÈRE, et les mêmes acteurs, à l'exception de Béjart.

MOLIERE. Eh! de grâce, tâchez de vous remettre; prenez courage, je vous prie.

MADEMOISELLE DU PARC. Vous devez vous aller excuser.
MOLIÈRE. Comment, m'excuser?

SCÈNE VI.

MOLIÈRE, et les mêmes acteurs; UN NÉCESSAIRE.

LE NÉCESSAIRE. Messieurs, commencez donc.

MOLIÈRE. Tout à l'heure, monsieur. Je crois que je perdrai l'esprit de cette affaire-ci, el...

SCÈNE VII.

MOLIÈRE, et les mêmes acteurs: UN SECOND NÉCESSAIRE.

LE SECOND NÉCESSAIRE. Messieurs, commencez donc.

MOLIÈRE. Dans un moment, monsieur. (A ses camarades.) En quoi donc voulez-vous que j'aie l'affront?...

SCÈNE VIII.

MOLIERE, et les mêmes acteurs; UN TROISIÈME NÉCESSAIRE.

LE TROISIÈME NÉCESSAIRE. Messieurs, commencez donc. MOLIÈRE. Oui, monsieur, nous y allons. Eh! que de gens se font fète, et viennent dire: Commencez donc, à qui le roi ne l'a pas commandé!

SCÈNE IX

MOLIÈRE, et les mêmes acteurs; UN QUATRIÈME NÉCESSAIRE.

LE QUATRIÈME NÉCESSAIRE. Messieurs, commencez donc.

SCÈNE X.

BÉJART, MOLIÈRE, et les mêmes acteurs.

MOLIERE. Monsieur, vous venez pour nous dire de commencer, mais...

BÉJART. Non, messieurs; je viens pour vous dire qu'on a dit au roi l'embarras où vous vous trouviez, et que, par une bonté toute particulière, il remet votre nouvelle comédie à une autre fois, et se contente, pour aujourd'hui, de la première que vous pourrez donner.

MOLIÈRE. Ah! monsieur! vous me redonnez la vie. Le roi nous fait la plus grande grâce du monde de nous donner du temps pour ce qu'il a MOLIÈRE. Voilà qui est fait, monsieur. (A ses camarades.) Quoi donc! souhaité, et nous allons tous le remercier des extrêmes bontés qu'il recevrai-je la confusion?... nous fait paraître.

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