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LE MISANTHROPE

COMÉDIE EN CINQ ACTES.-1665.

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PHILINTE. Je ne vois pas, pour moi, que le cas soit pendable;
Et je vous supplirai d'avoir pour agréable

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Qu'affectent la plupart de vos gens à la mode;

Et je ne hais rien tant que les contorsions
De tous ces grands faiseurs de protestations
Ces affables donneurs d'embrassades frivoles,
Ces obligeants diseurs d'inutiles paroles,
Qui de civilités avec tous font combat,

Et traitent du même air l'honnête homme et le fat,
Quel avantage a-t-on qu'un homme vous caresse,
Yous jure amitié, foi. zèle, estime, Lendresse,
Et vous fasse de vous un éloge éclatant.
Lorsqu'au premier faquin il court en faire autant?
Non, non, il n'est point d'ame un peu bien située
Qui veuille d'une estime ainsi prostituée;
Et la plus glorieuse a des réga's peu chers

Dès qu'on voit qu'on nous mêle avec tout l'univers :
Sur quelque préférence une estime se fonde,
Et c'est n'estimer rien qu'estimer tout le monde.
Puisque vous y donnez, dans ces vices du temps,
Morbleu! vous n'êtes pas pour être de mes gens;
Je refuse d'un coeur la vaste complaisance

Qui ne fait de mérite aucune difference:

Je veux qu'on me distingue; et, pour le trancher net,
L'ami du genre humain n'est point du tout mon fait,

PHILINTE. Mais, quand on est du monde, il faut bien que l'on rende
Quelques dehors civils que l'usage demande.

ALCESTE. Non, vous dis-je; on devrait châtier sans pitié
Ce commerce honteux de semblants d'amitié.

Je veux que 1 on soit homme, et qu'en toute rencontre
Le fond de notre coeur dans nos discours se montre,
Que ce soit lui qui parle, et que nos sentiments
Ne se masquent jamais sous de vains compliments.
PHILINTE. Il est bien des endroits où la pleine franchise
Deviendrait ridicule et serait peu permise:

Et parfois, n'en déplaise à votre austère honneur,
Il est bon de cacher ce qu'on a dans le cœur.
Serait-il à propos, et de la bienséance,

De dire à mille gens tout ce que d'eux l'on pense?
Et quand on a quelqu'un qu'on hait ou qui déplaît,
Lui doit-on déclarer la chose comme elle est?
ALCESTE. Oui.
PHILINTE. Quoi! vous iriez dire à la vieille Emilie
Qu'à son âge il sied mal de faire la jolie,
Et que le blanc qu'elle a scandalise chacun?

ALCESTE. Sans doute.
PHILINTE.

A Dorilas qu'il est trop importun, un sield ar

Et qu'il n'est à la cour oreille qu'il ne lasse A conter sa bravoure et l'éclat de sa race? no no air ALCESTE. Fort bien. og nov 90 Dal ou zlev ofioll areas PHILINTE. Vous vous moquez. godo esupeund for and ar Je ne me moque point. oortoll in

ALCESTE.

Et je vais n'épargner personne sur ce point:
Mes yeux sont trop blessés; et la cour et la ville
Ne n'offrent rien qu'objets à m'échauffer la bile;
J'entre en une humeur noire, en un chagrin profond,

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ALCESTE. Mais ce flegme, monsieur, qui raisonne si bien,
Ce flegme pourra-t-il ne s'échauffer de rien?
Et s'il faut, par hasard, qu'un ami vous trabisse,
Que, pour avoir vos biens, on dresse un artifice,
Ou qu'on tâche à semer

Verrez-vous tout cela s de méchants bruits de vous,
vous mettre en courroux?
PHILINTE. Oui, je vois ces défauts, dont votre âme murmure,,
Comme vices unis à l'humaine nature: 10000 95-12910.
Et mon esprit enfin n'est pas plus offensé
(elsen) areas

!

De voir un homme fourbe, injuste, intéressé,
Que de voir des vautours affamés de carnage,
Des singes malfaisants et des loups pleins de rage.
ALCESTE. Je me verrai trahir, mettre en pièces, voler,

Sans que je sois... Morbleu! je ne veux point parler,
Tant ce raisonnement est plein d'impertinence!
PHILINTE. Ma foi, vous ferez bien de garder le silence.
Contre votre partie éclatez un peu moins,

Et donnez au procès une part de vos soins. ALCESTE. Je n'en donnerai point, c'est une chose dite. PHILINTE. Mais qui voulez-vous done qui pour vous sollicite? : ALCESTE. Qui je veux? La raison, mon bon droit, l'équité. PHILINTE. Aucun juge par vous ne sera visité?

ALCESTE. Non. Est-ce que ma cause est injuste ou douteuse? PHILINTE. J'en demeure d'accord; mais la brigue est fàcheuse, Et...

ALCESTE. Non, j'ai résolu de n'en pas faire un pas

J'ai tort ou j'ai raison.

PHILINTE.

Ne vous y fiez pas.

ALCESTE. Je ne remûrai point.

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Que vous voulez en tout avec exactitude,
Cette pleine droiture où vous vous renfermez,
La trouvez-vous ici dans ce que vous aimez?

Je m'étonne, pour moi, qu'étant, comme il le semble,
Vous et le genre humain si fort brouillés ensemble,
Malgré tout ce qui peut vous le rendre odieux,
Vous ayez pris chez lui ce qui charme vos yeux;
Et ce qui me surprend encore davantage,
C'est cet étrange choix où votre cœur s'engage.
La sincère Eliante a du penchant pour vous,
La prude Arsinoé vous voit d'un œil fort doux;
Cependant à leurs vœux votre âme se refuse,
Tandis qu'en ses liens Célimène l'amuse,

De qui l'humeur coquette et l'esprit médisant
Semblent si fort donner dans les mœurs d'à présent,
D'où vient que, leur portant une haine mortelle,
Vous pouvez bien souffrir ce qu'en tient cette belle?
Ne sont-ce plus défauts dans un objet si doux?
Ne les voyez-vous pas, ou les excusez-vous?
ALCESTE. Non l'amour que je sens pour cette jeune veuve
Ne ferme point mes yeux aux défauts qu'on lui treuve
Et je suis, quelque ardeur qu'elle m'ait pu donner,
Le premier à les voir comme à les condamner.
Mais avec tout cela, quoi que je puisse faire,
Je confesse mon faible, elle a l'art de me plaire :-
J'ai beau voir ses défauts, et j'ai beau l'en blâmer,
Eu dépit qu'on en ait elle se fait aimer,

Sa grace est la plus forte; et sans doute ma flamme De ces vices du temps pourra purger son âme. PHILINTE. Si vous faites cèla, vous ne ferez pas peu. Vous croyez être donc aimé d'elle?

ALCESTE.

Oui, parbleu ! Je ne l'aimerais pas, si je ne croyais l'être. PHILINTE. Mais, si son amitié pour vous se fait paraître,

D'où vient que vos rivaux vous causent de l'ennui? ALCESTE. C'est qu'un cœur bien atteint veut qu'on soit tout à lui; Et je ne viens ici qu'à dessein de lui dire Tout ce que là-dessus ma passion m'inspire. PHILINTE. Pour moi, si je n'avais qu'à former des désirs, La cousine Eliante aurait tous mes soupirs; Son cœur, qui vous estime, est solide et sincère, Et ce choix, plus conforme, était mieux votre affaire. ALCESTE. Il est vrai, ma raison me le dit chaque jour : Mais la raison n'est pas ce qui règle l'amour.

PHILISTE. Je crains fort pour vos feux ; et l'espoir où vous êtes Pourrait...

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SCÈNE II.

ORONTE, ALCESTE, PHILINTE.

ORONTE (à Alceste). J'ai su là-bas que, pour quelques emplettes,
Eliante est sortie, et Célimène aussi;

Mais, comme l'on m'a dit que vous étiez ici,

J'ai monté pour vous dire, et d'un cœur véritable,
Que j'ai conçu pour vous une estime incroyable,
Et que depuis longtemps cette estime m'a mis
Dans un ardent désir d'être de vos amis.
Oui, mon cœur au mérite aime à rendre justice,
Et je brûle qu'un noeud d'amitié nous unisse.
Je crois qu'un ami chaud, et de ma qualité,
N'est pas assurément pour être rejeté.

(Pendant le discours d'Oronte, Alceste est rêveur, sans faire attention que c'est à lui qu'on parle, et ne sort de sa rêverie que quand Oronte lui dit :)

C'est à vous, s'il vous plait, que ce discours s'adresse. ALCESTE. A moi, monsieur?

ORONTE.

A vous ? Trouvez-vous qu'il vous blesse ? ALCESTE. Non pas. Mais la surprise est fort grande pour moi,

Et je n'attendais pas l'honneur que je reçoi.

ORONTE. L'estime où je vous tiens ne doit point vous surprendre,
Et de tout l'univers vous la pouvez prétendre.
ALCESTE. Monsieur...
ORONTE.

L'Etat n'a rien qui ne soit au-dessous
Du mérite éclatant que l'on découvre en vous.
ALCESTE. Monsieur...
ORONTE.

Oui, de ma part, je vous tiens préférable
A tout ce que j'y vois de plus considérable.
ALCESTE. Monsieur....

ORONTE.

Sois-je du ciel écrasé si je mens!

Et, pour vous confirmer ici mes sentiments,
Souffrez qu'à cœur ouvert, monsieur, je vous embrasse,
Et qu'en votre amitié je vous demande place.
Touchez là, s'il vous plaît. Vous me la promettez, -
Votre amitié?

ALCESTE.

ORONTE.

Monsieur...

Quoi! vous y résistez?

ALCESTE. Monsieur, c'est trop d'honneur que vous me voulez faire, Mais l'amitié demande un peu plus de mystère,

Et c'est assurément en profaner le nom

Que de vouloir le mettre à toute occasion.
Avec lumière et choix cette union veut naître.

Avant que nous lier, il faut nous mieux connaître ;
Et nous pourrions avoir telles complexions,
Que tous deux du marché nous nous repentirions.
ORONTE. Parbleu! c'est là-dessus parler en homme sage,
Et je vous en estime encore davantage :
Souffrons donc que le temps forme des nœuds si doux.
Mais cependant je m'offre envèrement à vous:
S'il faut faire à la cour pour vous quelque ouverture,

On sait qu'auprès du roi je fais quelque figure;

Il m'écoute, et dans tout il en use, ma foi,
Le plus honnêtement du monde avecque moi.
Eufin, je suis à vous de toutes les manières;
Et, comme votre esprit a de grandes lumières,

Je viens, pour commencer entre nous ce beau nœud,
Vous montrer un sonnet que j'ai fait depuis peu,
Et savoir s'il est bon qu'au public je lexpose.
ALCESTE. Monsieur, je suis mal propre à décider la chose.
Veuillez m'en dispenser.

ORONTE. ALCESTE.

Pourquoi?

J'ai le défaut D'être un peu plus sincère en cela qu'il ne faut. ORONTE. C'est ce que je demande; et j'aurais lien de plainte Si, m'exposant à vous pour me parler sans feinte, Vous alliez me trahir et me déguiser rien. ALCESTE. Puisqu'il vous plaît ainsi, monsieur, je le veux bien. ORONTE. Sonnet. C'est un sonnet. L'espoir... C'est une dame Qui de quelque espérance avait flatté ma flanime. L'espoir... Ce ne sont point de ces grands vers pompeux, Mais de petits vers doux, tendres et langoureux. ALCESTE. Nous verrons bien.

ORONTE.

L'espoir... Je ne sais si le style Pourra vous en paraître assez net et facile, Et si du choix des mots vous vous contenterez. ALCESTE. Nous allons voir, monsieur."

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ALCESTE (bas à part).

Eh! que fais-tu donc, traître?

ORONTE (à Alceste). Mais, pour vous, vous savez quel est notre traité. Parlez-moi, je vous prie, avec sincérité.

ALCESTE. Monsieur, cette matière est toujours délicate,

Et sur le bel esprit nous aimons qu'on nous flatte.
Mais un jour, à quelqu'un dont je tairai le nom,
Je disais, en voyant des vers de sa façon,

Qu'il faut qu'un galant homme ait toujours grand empire
Sur les démangeaisons qui nous prennent d'écrire ;
Qu'il doit tenir la bride aux grands empressements
Qu'on a de faire éclat de tels amusements;

Et que, par la chaleur de montrer ses ouvrages,
On s'expose à jouer de mauvais personnages.
ORONTE. Est-ce que vous voulez me déclarer par là
Que j'ai tort de vouloir...?

ALCESTE.

Je ne dis pas cela.
Mais je lui disais, moi, qu'un froid écrit assomme;
Qu'il ne faut que ce faible à décrier un homme :
Et qu'eût-on d'autre part cent belles qualités,
On regarde les gens par leurs méchanis côtés.
ORONTE. Est-ce qu'à mon sonnet vous trouvez à redire?
ALCESTE. Je ne dis pas cela. Mais pour ne point écrire,

Je lui mettais aux yeux comme, dans notre temps,
Cette soif a gâté de fort honnêtes gens.
ORONTE. Est-ce que j'écris mal, et leur ressemblerais-je ?
ALCESTE. Je ne dis pas cela. Mais enfin, lui disais-je,

Quel besoin si pressant avez-vous de rimer,

Et qui diantre vous pousse à vous faire imprimer?
Si l'on peut pardonner l'essor d'un mauvais livre,
Ce n'est qu'aux malheureux qui composent pour vivre.
Croyez-moi, résistez à vos tentations;
Dérobez au public ces occupations,

Et n'allez point quitter, de quoi que l'on vous somme,
Le nom que dans la cour vous avez d'honnête homme,
Pour prendre de la main d'un avide imprimeur
Celui de ridicule et misérable auteur.
C'est ce que je lâchai de lui faire comprendre.
ORONTE. Voilà qui va fort bien, et je crois vous entendre.
Mais ne puis-je savoir ce que dans mon sonnet...?
ALCESTE. Franchement, il est bon à mettre au cabinet.
Vous vous êtes réglé sur de méchants modèles,
Et vos expressions ne sont pas naturelles.
Qu'est-ce que, nous bercè un temps notre ennui?
Et que, rien ne marche après lui ?

Que, ne vous pas mettre en dépens',
Pour ne me donner que l'espoir?
Et que, Philis, on désespère
Alors qu'on espère toujours?
Ce style figuré, dont on fait vanité,
Sort du bon caractère et de la vérité;

Ce n'est que jeu de mots, qu'affectation pure,

Et ce n'est point ainsi que parle la nature.

Le méchant goût du siècle en cela me fait peur :
Nos pères, tout grossiers, l'avaient beaucoup meilleur,

Et je prise bien moins tout ce que l'on admire
Qu'une vieille chanson que je m'en vais vous dire :

Si le roi m'avait donné

Paris sa grand'ville,
Et qu'il me fallut quitter
L'amour de ma mie,

Je dirais au roi Henri :
Reprenez votre Paris,
J'aime mieux ma mie, ô gué!
J'aime mieux ma mie.

La rime n'est pas riche et le style en est vieux;
Mais ne voyez-vous pas que cela vaut bien mieux
Que ces colitichets dont le bon sens murmure,
Et que la passion parle là toute pure?

Si le roi m'avait donné
Paris sa grand'ville,
Et qu'il me fallût quitter
L'amour de ma mie,

Je dirais au roi Henri :
Reprenez votre Paris,
J'aime mieux ma mic, ô gué !
J'aime mieux ma mic.

Voilà ce que peut dire un cœur vraiment épris.
(A Philinte qui rit.)

Oui, monsieur le ricur, malgré vos beaux esprits,
J'estime plus cela que la pompe fleurie

De tous ces faux brillants où chacun se récric.

ORONTE. Et moi, je vous soutiens que mes vers sont fort bons. ALCESTE. Pour les trouver ainsi vous avez vos raisons;

ORONTE.

Mais vous trouverez bon que j'en puisse avoir d'autres
Qui se dispenseront de se soumettre aux vôtres.
ORONTE. Il me suffit de voir que d'autres en font cas.
ALCESTE. C'est qu'ils ont l'art de feindre; et moi, je ne l'ai pas.
Croyez-vous donc avoir tant d'esprit en partage?
ALCESTE. Si je louais vos vers, j'en aurais davantage.
ORONTE. Je me passerai bien que vous les approuviez.
ALCESTE. Il faut bien, s'il vous plaît, que vous vous en passiez.
ORONTE. Je voudrais bien, pour voir, que de votre manière
Vous en composassiez sur la même matière.

ALCESTE. J'en pourrais, par malheur, faire d'aussi méchants;
Mais je me garderais de les montrer aux gens.

ORONTE. Vous me parlez bien ferme; et cette suffisance...
ALCESTE. Autre part que chez moi cherchez qui vous encense.
ORONTE. Mais, mon petit monsieur, prenez-le un peu moins haut.
ALCESTE. Ma foi, mon grand monsieur, je le prends comme il faut.
PHILINTE (se mettant entre deux).

Eb messieurs, c'en est trop. Laissez cela, de grâce.
ORONTE. Ah! j'ai tort, je l'avoue, et je quitte la place.

Je suis votre valet, monsieur, de tout mon cœur. ALCESTE. Et moi, je suis, monsieur, votre humble serviteur.

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ALCESTE. Madame, voulez-vous que je vous parle net?
De vos façons d'agir je suis mal satisfait;
Contre elles dans mon cœur trop de bile s'assemble,
Et je sens qu'il faudra que nous rompions ensemble.
Oui, je vous tromperais de parler autrement :
Tôt ou tard nous romprons indubitablement ;
Et je vous promettrais mille fois le contraire,
Que je ne serais pas en pouvoir de le faire.

CÉLIMENE. C'est pour me quereller donc, à ce que je voi,
Que vous avez voulu me ramener chez moi?

ALCESTE. Je ne querelle point. Mais votre humeur, madame,
Ouvre au premier venu trop d'accès dans votre âme.
Vous avez trop d'amants qu'on voit vous obséder,
Et mon cœur de cela ne peut s'accommoder.
CÉLIMÈNE. Des amants que je fais me rendez-vous coupable?
Puis-je empêcher les gens de me trouver aimable?
Et lorsque pour me voir ils font de doux efforts,
Dois-je prendre un bâton pour les mettre dehors?
ALCESTE. Non, ce n'est pas, madame, un bâton qu'il faut prendre
Mais un cœur à leurs vœux moins facile et moins tendre.

Je sais que vos appas vous suivent en tous licux:

Mais votre accueil retient ceux qu'attirent vos yeux;
Et sa douceur, offerte à qui vous rend les armes,
Achève sur les cœurs l'ouvrage de vos charmes.
Le trop riant espoir que vous leur présentez
Attache autour de vous leurs assiduités;
Et votre complaisance, un peu moins étendue,
De tant de soupirants chasserait la cohue.
Mais au moins dites-moi, madame, par quel sort
Votre Clitandre a l'heur de vous plaire si fort?
Sur quel fond de mérite et de vertu sublime
Appuyez-vous en lui l'honneur de votre estime?
Est-ce par l'ongle long qu'il porte au petit doigt
Qu'il s'est acquis chez vous l'estime où l'on le voit?
Vous êtes-vous rendue, avec tout le beau monde,
Au mérite éclatant de sa perruque blonde ?
Sont-ce ses grands canons qui vous le font aimer?
L'amas de ses rubans a-t-il su vous charmer?
Est-ce par les appas de sa vaste rheingrave
Qu'il a gagné votre âme en faisant voire esclave?
Ou sa façon de rire et son ton de fausset
Out-ils de vous toucher su trouver le secret?

CÉLIMÈNE. Qu'injustement de lui vous prenez de l'ombrage!
Ne savez-vous pas bien pourquoi je le ménage,
Et que dans mon procès, ainsi qu'il m'a promis,
Il peut intéresser tout ce qu'il a d'amis?
ALCESTE. Perdez votre procès, madame, avec constance,
Et ne ménagez point un rival qui m'offense.
CELIMENE. Mais de tout l'univers vous devenez jaloux !
ALCESTE. C'est que tout l'univers est bien reçu de vous.
CELIMENE. C'est ce qui doit rasseoir votre âme effarouchée,
Puisque ma complaisance est sur tous épanchée;
Et vous auriez plus lieu de vous en offeuser
Si vous me la voyiez sur un seul ramasser.
ALCESTE. Mais moi, que vous blåmez de trop de jalousie,
Qu'ai-je de plus qu'eux tous, madame, je vous prie?
CELIMENE. Le bonheur de savoir que vous êtes aimé.
ALCESTE. Et quel lieu de le croire a mon cœur enflammé?
CELIMENE. Je pense qu'ayant pris le soin de vous le dire,
Un aveu de la sorte a de quoi vous suffire.
ALCESTE. Mais qui m'assurera que dans le même instant

Vous n'en disiez peut-être aux autres tout autant?
CELIMENE. Certes pour un amant la fleurette est mignonne,
Et vous me traitez là de gentille personne !
El bien! pour vous ôter d'un semblable souci.
De tout ce que j'ai dit je me dédis ici,

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Et rien ne saurait plus vous tromper que vous-même : Soyez content.

ALCESTE.

Morbleu! faut-il que je vous aime!
Ah! que si de vos mains je rattrape mon cœur,
Je bénirai le ciel de ce rare bonheur !

Je ne le cèle pas, je fais tout mon possible

A rompre de ce cœur l'attachement terrible;

Mais mes plus grands efforts n'ont rien fait jusqu'ici, Et c'est pour mes péchés que je vous aime ainsi. CELIMÈNE. Il est vrai, votre ardeur est pour moi sans seconde. ALCESTE. Oui, je puis là-dessus défier tout le monde. Mon amour ne se peut concevoir; et jamais Personne n'a, madame, aimé comme je fais. CELIMENE. Eu effet la méthode en est toute nouvelle, Car vous aimez les gens pour leur faire querelle; Ce n'est qu'en mots fâcheux qu'éclate votre ardeur, Et l'on n'a vu jamais un amour si grondeur. ALCESTE. Mais il ne tient qu'à vous que son chagrin ne passe. A tous nos démêlés coupons chemin, de grâce; Parlons à cœur ouvert, et voyons d'arrêter...

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ALCESTE. Quoi! l'on ne peut jamais vous parler tête à tête !
A recevoir le monde on vous voit toujours prête !
Et vous ne pouvez pas, un seul moment de tous,
Vous résoudre à souffrir de n'être pas chez vous!
CÉLIMENE. Voulez-vous qu'avec lui je me fasse une affaire?
ALCESTE. Vous avez des égards qui ne sauraient me plaire.
CELIMENE. C'est un homme à jamais ne me le pardonner
S'il savait que sa vue eût pu m'importuner.
ALCESTE. El que vous fait cela, pour vous gêner de sorte....?
CÉLIMÈNE. Mon Dieu, de ses pareils la bienveillance importe;
Et ce sont de ces gens qui, je ne sais comment,
Ont gagné dans la cour de parler hautement.
Dans tous les entretiens on les voit s'introduire :
Ils ne sauraient servir, mais ils peuvent vous nuire :
Et jamais, quelque appui qu'on puisse avoir d'ailleurs,
On ne doit se brouiller avec ces grands brailleurs.
ALCESTE. Enfin, quoi qu'il en soit, et sur quoi qu'on se fonde,
Vous trouvez des raisons pour souffrir tout le monde;
Et les précautions de votre jugement...

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