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Je n'ai trouvé que vous qui fût digne de moi.
Cependant j'ai quelque tristesse
Qu'en vain je voudrais vous cacher;
Un noir chagrin se mêle à toute ma tendresse,
Dont je ne la puis détacher.

Ne m'en demandez point la cause;

Peut-être, la sachant, voudrez-vous m'en punir;
Et, si j'ose aspirer encore à quelque chose,

Je suis sûre du moins de ne point l'obtenir.

L'AMOUR. Et ne craignez-vous point qu'à mon tour je m'irrite
Que vous connaissiez mal quel est votre mérite,
Ou feigniez de ne pas savoir

Quel est sur moi votre absolu pouvoir?
Ah! si vous en doutez, soyez désabusée.
Parlez.

ISYCHÉ. J'aurai l'affront de me voir refusée.
L'AMOUR. Prenez en ma faveur de meilleurs sentiments,
L'expérience en est aisée.

Parlez tout se tient prêt à vos commandements.
Si, pour m'en croire, il vous faut des serments,
J'en jure vos beaux yeux, ces maîtres de mnou âme,
Ces divins auteurs de ma flamme;

Et, si ce n'est assez d'en jurer vos beaux yeux,
J'en jure par le Styx, comme jurent les dieux.
PSYCHÉ. J'ose craindre un peu moins après cette assurance.
Seigneur, je vois ici la pompe et l'abondance;
Je vous adore, et vous m'aimez :

Mon cœur en est ravi, mes sens en sont charmés;
Mais, parmi ce bonheur suprême,

J'ai le malheur de ne savoir qui j'aime.
Dissipez cet aveuglement,

Et faites-moi connaître un si parfait amant.
Psyché, que venez-vous de dire?

L'AMOUR. PSYCHÉ.

Que c'est le bonheur où j'aspire;
Et si vous ne me l'accordez...
L'AMOUR. Je l'ai juré, je n'en suis plus le maître;

Mais vous ne savez pas ce que vous demandez.
Laissez-moi mon secret. Si je me fais connaître,
Je vous perds, et vous me perdez.
Le seul remède est de vous en dédire.
PSYCHE. C'est là sur vous mon souverain empire!
L'AMOUR. Vous pouvez tout, et je suis tout à vous.

Mais si nos feux vous semblent doux,

Ne mettez point d'obstacle à leur charmante suite;
Ne me forcez point à la fuite;

C'est le moindre malheur qui nous puisse arriver
D'un souhait qui vous a séduite.
Seigneur, vous voulez m'éprouver;
Mais je sais ce que j'en dois croire.

PSYCHÉ.

De grâce, apprenez-moi tout l'excès de ma gloire,
Et ne me cachez plus pour quel illustre choix
J'ai rejeté les vœux de tant de rois.

L'AMOUR. Le voulez-vous?

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L'AMOUR. Pensez-y bien, je puis encor me taire.

PSYCHE. Faites-vous des serments pour n'y point satisfaire ?
L'AMOUR. Eh bien! je suis le dieu le plus puissant des dieux,
Absolu sur la terre, absolu dans les cieux :

Dans les eaux, dans les airs, mon pouvoir est suprême;
En un mot, je suis l'Amour même,

Qui de mes propres traits m'étais blessé pour vous;
Et sans la violence, hélas! que vous me faites,

Et qui vient de changer mon amour en courroux,
Vous m'alliez avoir pour époux.

Vos volontés sont satisfaites,
Vous avez su qui vous aimiez,

Vous connaissez l'amant que vous charmiez,
Psyché, voyez où vous en êtes:
Vous me forcez vous-même à vous quitter;
Vous me forcez vous-même à vous ôter
Tout l'effet de votre victoire.

Peut-être vos beaux yeux ne me reverront plus.
Ce palais, ces jardins, avec moi disparus,
Vont faire évanouir votre naissante gloire.

Vous n'avez pas voulu m'en croire;
Et, pour tout fruit de ce doute éclairci,
Le Destin, sous qui le ciel tremble,
Plus fort que mon amour, que tous les dieux ensemble,
Vous va montrer sa haine, et me chasse d'ici.

(L'Amour s'envole, et le jardin s'évanouit.)

SCÈNE IV.

Le théâtre représente un désert et les bords sauvages d'un fleuve.

PSYCHÉ, LE DIEU DU FLEUVE (assis sur un amas de roseaux et appuyé sur une urne.)

PSYCHE. Cruel destin! funeste inquiétude!

Fatale curiosité !

Qu'avez-vous fait, affreuse solitude,

De toute ma félicité?

J'aimais un dieu, j'en étais adorée,

Mon bonheur redoublait de moment en moment;
Et je me vois, seule, éplorée,

Au milieu d'un désert, où, pour accablement,
Et confuse et désespérée,

Je sens croître l'amour quand j'ai perdu l'amant.
Le souvenir m'en charme et m'empoisonne ;

Sa douceur tyrannise un cœur infortuné

Qu'aux plus cuisants chagrins ma flamme a condamné.
O ciel! quand l'Amour m'abandonne,
Pourquoi me laisse-t-il l'amour qu'il m'a donné?
Source de tous les biens inépuisable el pure,
Maître des hommes et des dieux,
Cher auteur des maux que j'endure,
Êtes-vous pour jamais disparu de mes yeux ?
Je vous en ai banni moi-même;

Dans un excès d'amour, dans un bonheur extrême,
D'un indigne soupçon mon cœur s'est alarmé.
Coeur ingrat, tu n'avais qu'un feu mal allumé ;
Et l'on ne peut vouloir, du moment que l'on aime,
Que ce que veut l'objet aimé.

Mourons: c'est le parti qui seul me reste à suivre
Après la perte que je fais.

Pour qui, grands dieux! voudrais-je vivre î
Et pour qui former des souhaits?

Fleuve, de qui les eaux baignent ces tristes sables,
Ensevelis mon crime dans les flots;

Et, pour finir des maux si déplorables,
Laisse-moi dans ton lit assurer mon repos.

le dieu du fleuvE. Ton trépas souillerait mes ondes,
Psyché, le ciel te le défend;

Et peut-être qu'après des douleurs si profondes
Un autre sort t'attend.

Fuis plutôt de Vénus l'implacable colère.
Je la vois qui te cherche et qui te veut punir;
L'amour du fils a fait la haine de la mère.
Fuis; je saurai la retenir.

PSYCHÉ.

J'attends ses fureurs vengeresses; Qu'auront-elles pour moi qui ne me soit trop doux? Qui cherche le trépas ne craint dieux ni déesses, Et peut braver tout leur courroux.

SCÈNE V.

VÉNUS, PSYCHÉ, LE DIEU DU FLEUVE.

VENUS. Orgueilleuse Psyché, vous m'osez donc attendre,
Après m'avoir sur terre enlevé mes honneurs,

Après que vos traits suborneurs

Ont reçu les encens qu'aux miens seuls on doit rendre?
J'ai vu mes temples désertés;

J'ai vu tous les mortels, séduits par vos beautés,
Idolatrer en vous la beauté souveraine,

Vous offrir des respects jusqu'alors inconnus,
Et ne se mettre pas en peine

S'il était une autre Vénus.

Et je vous vois encor l'audace

De n'en pas redouter les justes châtiments,
Et de me regarder en face,

Comme si c'était peu que mes ressentiments!
PSYCHÉ. Si de quelques mortels on m'a vue adorée,
Est-ce un crime pour moi d'avoir eu des appas
Dont leur âme inconsidérée

VENUS.

Laissait charmer des yeux qui ne vous voyaient pas
Je suis ce que le ciel m'a faite,

Je n'ai que les beautés qu'il m'a voulu prêter:
Si les voeux qu'on m'offrait vous ont mal satisfaite
Pour forcer tous les cœurs à vous les reporter,
Vous n'aviez qu'à vous présenter,

Qu'à ne leur cacher plus cette beauté parfaite
Qui, pour les rendre à leur devoir
Pour se faire adorer n'a qu'à se faire voir.
Il fallait vous en mieux défendre.

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VÉNUS.

Oui, c'est mon fils; mais un fils qui m'irrite, Un fils qui me rend mal ce qu'il sait me devoir, Un fils qui fait qu'on m'abandonne, Et qui, pour mieux flatter ses indigues amours, Depuis que vous l'aimez ne blesse plus personne Qui vienne à mes autels implorer mon secours. Vous m'en avez fait un rebelle.

On m'en verra vengée, et hautement, sur vous; Et je vous apprendrai s'il faut qu'une mortelle Souffre qu'un dieu soupire à ses genoux. Suivez-moi vous verrez, par votre expérience, A quelle folle confiance

Vous portait cette ambition.

Venez, et préparez autant de patience

Qu'on vous voit de présomption.

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Parmi vos Ixions et parmi vos Tantales,

Parmi tant de tourments qui n'ont point d'intervalles, Est-il, dans votre affreux séjour,

Quelques peines qui soient égales

Aux travaux où Vénus condamne mon amour?
Elle n'en peut être assouvie;

Et depuis qu'à ses lois je me trouve asservie,
Depuis qu'elle me livre à ses ressentiments,
Il m'a fallu, dans ces cruels moments,
Plus d'une âme et plus d'une vie
Pour remplir ses commandements.
Je souffrirais tout avec joie,

Si, parmi les rigueurs que sa haine déploie,
Mes yeux pouvaient revoir, ne fût-ce qu'un moment,
Ce cher, cet adorable amant.

Je n'ose le nommer: ma bouche, criminelle
D'avoir trop exigé de lui,

S'en est rendue indigne; et, dans ce dur ennui,
La souffrance la plus mortelle,

Dont m'accable à toute heure un renaissant trépas,
Est celle de ne le voir pas.

Si son courroux durait encore,
Jamais aucun malheur n'approcherait du mien;
Mais, s'il avait pitié d'une âme qui l'adore,
Quoi qu'il fallut souffrir, je ne souffrirais rien.
Oui, Destins, s'il calmait cette juste colère,
Tous mes malheurs seraient finis;
Pour me rendre insensible aux fureurs de la mère,
Il ne faut qu'un regard du fils.

Je n'en veux plus douter, il partage ma peine;
Il voit ce que je souffre, et souffre comme moi;
Tout ce que j'endure le gêne,

Lui-même il s'en impose une amoureuse loi.
En dépit de Vénus, en dépit de mon crime,
C'est lui qui me soutient, c'est lui qui me ranime
Au milieu des périls où l'on me fait courir ;
Il garde la tendresse où son feu le convie,
Et prend soin de me rendre une nouvelle vie
Chaque fois qu'il me faut mourir.

Mais que me veulent ces deux ombres Qu'à travers le faux jour de ces demeures sombres J'entrevois s'avancer vers moi?

SCÈNE II.

PSYCHÉ, CLÉOMÈNE, AGÉNOR.

Cléomène, Agénor, est-ce vous que je voi!
Qui vous a ravi la lumière?

CLEOMÈNE. La plus juste douleur qui d'un beau désespoir
Nous eût pu fournir la matière ;

Cette pompe funèbre où du sort le plus noir
Vous attendiez la rigueur la plus fière,
L'injustice la plus entière.

AGENOR. Sur le même rocher où le ciel en courroux
Vous promettait, au lieu d'époux,

Un serpent dont soudain vous seriez dévorée,
Nous tenions la main préparée

A

repousser sa rage, ou mourir avec vous. Vous le savez, princesse; et, lorsqu'à notre vue

Par le milieu des airs vous êtes disparue,

Du haut de ce rocher, pour suivre vos beautés,

Ou plutôt pour goûter cette amoureuse joie
D'offrir pour vous au monstre une première proie,
D'amour et de douleur l'un et l'autre emportés,
Nous nous sommes précipités.

CLEOMÈNE. Heureusement déçus au sens de votre oracle
Nous en avons ici reconnu le miracle.

Et su que le serpent prêt à vous dévorer
Etait le dieu qui fait qu'on aime,

Et qui, tout dieu qu'il est, vous adorant lui-même,
Ne pouvait endurer

AGÉNOR.

Qu'un mortel comme nous osât vous adorer.
Pour prix de vous avoir suivie,
Nous jouissons ici d'un trépas assez doux.
Qu'avions-nous affaire de vie,

Si nous ne pouvions être à vous?
Nous revoyons ici vos charmes,
Qu'aucun des deux là-haut n'aurait revus jamais.
lleureux si nous voyons la moindre de vos larmes
Honorer des malheurs que vous nous avez faits!
Puis-je avoir des larmes de reste,
Après qu'on a porté les miens au dernier point?
Unissons nos soupirs dans un sort si funeste:
Les soupirs ne s'épuisent point.

PSYCHIE.

Mais vous soupircriez, princes, pour une ingrate.
Vous n'avez point voulu survivre à mes malheurs,
Et, quelque douleur qui m'abatte,

Ce n'est point pour vous que je meurs.

CLEOMÈNE. L'avons-nous mérité, nous, dont toute la flamme
N'a fait que vous lasser du récit de nos maux?
PSYCHE. Vous pouviez mériter, princes, toute mon ame,
Si vous n'eussiez été rivaux;
Ces qualités incomparables,

Qui de l'un et de l'autre accompagnaient les vœux,
Vous rendaient tous deux trop aimables
Pour mépriser aucun des deux.
AGENOR. Vous avez pu, sans être injuste ni cruelle,
Nous refuser un cœur réservé pour un dieu.
Mais revoyez Vénus. Le Destin nous rappelle,
Et nous force à vous dire adieu.

PSYCHÉ. Ne vous donne-t-il point le loisir de me dire
Quel est ici votre séjour ?

CLÉOMÈNE. Dans des bois toujours verts, où d'amour on respire.

Aussitôt qu'on est mort d'amour,

D'amour on y revit, d'amour on y soupire,

Sous les plus douces lois de son heureux empire,
Et l'éternelle nuit n'ose en chasser le jour
Que lui-même il attire

Sur nos fantômes qu'il inspire,

Et dont aux enfers même il se fait une cour. AGENOR. Vos envieuses sœurs. après nous descendues, Pour vous perdre se sont perdues;

Et l'une et l'autre tour à tour,

Pour le prix d'un conseil qui leur coûte la vie,
A côté d'Ixion, à côté de Titye,

Souffrent tantôt la roue, et tantôt le vautour.

L'Amour, par les Zéphyrs, s'est fait prompte justice
De leur envenimée et jalouse malice:

Ces ministres ailés de son juste courroux,

Sous couleur de les rendre encore auprès de vous,
Ont plongé l'une et l'autre au fond d'un précipice,
Où le spectacle affreux de leurs corps déchirés
N'étale
que le moindre et le premier supplice

De ces conseils dont l'artifice

Fait les maux dont vous soupirez.

PSYCHE. Que je les plains!

CLÉOMÈNE.

Vous êtes seule à plaindre.

Mais nous demeurons trop à vous entretenir.
Adieu! Puissions-nous vivre en votre souvenir !

Puissiez-vous, et bientôt, n'avoir plus rien à craindre'
Puisse, et bientôt, l'Amour vous enlever aux cieux,
Vous y mettre à côté des dieux;

El, rallumant un feu qui ne se puisse éteindre,
Affranchir à jamais l'éclat de vos beaux yeux
D'augmenter le jour en ces lieux!

SCÈNE III. PSYCHÉ.

Pauvres amants! leur amour dure encore!
Tout morts qu'ils sont, l'un et l'autre m'adore,
Moi dont la dureté reçut si mal leurs vœux !
Tu n'en fais pas ainsi, toi qui seul m'as ravie,
Amant que j'aime encor cent fois plus que ma vie,
Et qui brises de si beaux noeuds!
Ne me fuis plus, et souffre que j'espère
Que tu pourras un jour rabaisser l'œil sur moi;
Qu'à force de souffrir j'aurai de quoi te plaire,
De quoi me rengager ta foi.

Mais ce que j'ai souffert m'a trop défigurée
Pour rappeler un tel espoir;

L'oeil abattu, triste, désespérée,
Languissante et décolorée,

De quoi puis-je me prévaloir,

Si par quelque miracle, impossible à prévoir,
Ma beauté qui l'a plu ne se voit réparée ?

Je porte ici de quoi la réparer.

Ce trésor de beauté divine,

Qu'en mes mains, pour Vénus, a remis Proserpine,
Enferme des appas dont je puis in'emparer;

Et l'éclat en doit être extrême,
Puisque Vénus, la beauté même,
Les demande pour se parer.

En dérober un peu, serait-ce un si grand crime?
Pour plaire aux yeux d'un dieu qui s'est fait mon amant,
Pour regagner son cœur et finir mon tourment,
Tout n'est-il pas trop légitime?

Ouvrons. Quelles vapeurs m'offusquent le cerveau !

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Quoi! je dis et redis tout haut que je vous aime,
Et vous ne dites point, Psyché, que vous m'aimez!
Est ce que pour jamais vos beaux yeux sont fermés,
Qu'à jamais la clarté leur vient d'être ravie?

O Mort! devais-tu prendre un dard si criminel,
Et, sans aucun respect pour mon être éternel,
Attenter à ma propre vie?
Combien de fois, ingrate déité,

Ai-je grossi ton noir empire

D'une orgueilleuse ou farouche beauté!
Combien même, s'il faut le dire,
T'ai-je immolé de fidèles amants
A force de ravissements!

Va, je ne blesserai plus d'âmes,
Je ne percerai plus de cœurs

Qu'avec des dards trempés aux divines liqueurs

Qui nourrissent du ciel les immortelles flammes,
Et n'en lancerai plus que pour faire à tes yeux
Autant d'amants, autant de dieux.

Et vous, impitoyable mère,

Qui la forcez à m'arracher

Tout ce que j'avais de plus cher,

Craignez, à votre tour, l'effet de ma colere.

Vous me voulez faire la loi,

Vous, qu'on voit si souvent la recevoir de moi!
Vous, qui portez un cœur sensible comme un autre,
Vous enviez au mien les délices du vôtre !
Mais dans ce même cœur j'enfoncerai des coups
Qui ne seront suivis que de chagrins jaloux;
Je vous accablerai de honteuses surprises,
Et choisirai partout, à vos vœux les plus doux,
Des Adonis et des Anchises

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Et vous pourriez vous souvenir
Que vous me devez la naissance.
Et vous pourriez n’oblier pas
Que vous avez un cœur et des appas
Qui relèvent de ma puissance;
Que mon arc de la vôtre est l'unique soutien;
Que sans mes traits elle n'est rien:
Et que, si les cœurs les plus braves

Eu triomphe par vous se sont laissé traîner,

Vous n'avez jamais fait d'esclaves
Que ceux qu'il m'a plu d'enchaîner.

Ne me vantez donc plus ces droits de la naissance
Qui tyrannisent mes désirs;

VÉNUS.

Et, si vous ne voulez perdre mille soupirs,
Songez, en me voyant, à la reconnaissance,
Vous qui tenez de ma puissance
Et votre gloire et vos plaisirs.
Comment l'avez-vous defendue,
Cette gloire dont vous parlez?
Comment me l'avez-vous rendue?
Et quand vous avez vu mes autels désolés,
Mes temples violés,

Mes honneurs ravalés,

Si vous avez pris part à tant d'ignominie,
Comment en a-t-on vu punie
Psyché, qui me les a volés?

Je vous ai commandé de la rendre charmée
Du plus vil de tous les mortels,

Qui ne daiguát répondre à son âme enflammée
Que par des rebuts éternels,

Par les mépris les plus cruels :

Et vous-même l'avez aimée!

Vous avez contre moi séduit des immortels;

C'est pour vous qu'à mes yeux les Zéphyrs l'ont cachée,

Qu'Apollon même, suborné,

Par un oracle adroitement tourné,

Me l'avait si bien arrachée,

Que si sa curiosité,

Par une aveugle défiance,

Ne l'eût rendue à ma vengeance,

Elle échappait à mon cœur irrité.

Voyez l'état où votre amour l'a mise,
Votre Psyché; son àme va partir,

Voyez; et si la vôtre en est encore éprise,

Recevez son dernier soupir.

Menacez, bravez-moi, cependant qu'elle expire.
Tant d'insolence vous sied bien!

Et je dois endurer quoi qu'il vous plaise dire,
Moi qui sans vos traits ne puis rien !
L'AMOUR. Vous ne pouvez que trop, déesse impitoyable;
Le Destin l'abandonne à tout votre courroux.
Mais soyez moins inexorable

Aux prières, aux pleurs d'un fils à vos genoux.
Ce doit vous être un spectacle assez doux
De voir d'un œil Psyché mourante,
Et de l'autre ce fils, d'une voix suppliante,
Ne vouloir plus tenir son bonheur que de vous.

Rendez-moi ma Psyché; rendez-lui tous ses charmes; Rendez-la, déesse, à mes larmes ;

VÉNUS.

Rendez à mon amour, rendez à ma douleur
Le charme de mes yeux et le choix de mon cœur.
Quelque amour que Psyché vous donne,

De ses malheurs par moi n'attendez pas la fin;
Si le Destin me l'abandonne,

Je l'abandonne à son destin.
Ne m'importunez plus; et, dans cette infortune,
Laissez-la, sans Vénus, triompher ou perir.
Hélas! si je vous importune,

L'AMOUR.

VÉNUS.

Je ne le ferais pas si je pouvais mourir.
Cette douleur n'est pas commune
Qui force un immortel à souhaiter la mort.
L'AMOUR. Voyez, par son excès, si mon amour est fort.
Ne lui ferez-vous grâce aucune?

VENUS. Je vous l'avoue, il me touche le cœur,
Votre amour; il désarme, il fléchit ma rigueur.
Votre Psyché reverra la lumière.

L'AMOUR. Que je vous vais partout faire donner d'encens!
VENUS. Oui, vous la reverrez dans sa beauté première :
Mais de vos voeux reconnaissants

Je veux la déférence entière;

Je veux qu'un vrai respect laisse à mon amitié
Vous choisir une autre moitié.

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L'AMOUR.

SCÈNE VI.

JUPITER, VÉNUS, L'AMOUR; PSYCHÉ (évanouie).

Vous à qui seul tout est possible,
Père des dieux, souverain des mortels,
Fléchissez la rigueur d'une mère inflexible,
Qui sans moi n'aurait point d'autels.
J'ai pleuré, j'ai prié, je soupire, menace,
Et perds menaces et soupirs.

Elle ne veut pas voir que de mes déplaisirs
Dépend du monde entier l'heureuse ou triste face ;<
Et que, si Psyché perd le jour,

Si Psyché n'est à moi, je ne suis plus l'Amour.
Oui, je romprai mon arc, je briserai mes flèches,
J'éteindrai jusqu'à mon flambeau,

Je laisserai languir la nature au tombeau;

Ou, si je daigne aux cœurs faire encor quelque brèches

Avec ces pointes d'or qui me font obéir,

Je vous blesserai tous là-haut pour des mortelles,
Et ne décocherai sur elles

Que des traits émoussés qui forcent à baïr,
Et qui ne font que des rebelles,
Des ingrates et des cruelles.

Par quelle tyrannique loi

Tiendrai-je à vous servir mes armes toujours prêtes,
Et vous ferai-je à tous conquêtes sur conquêtes,
Si vous me défendez d'en faire une pour moi?
JUPITER (à Vénus). Ma fille, sois-lui moins sévère.
Tu tiens de sa Psyché le destin en tes mains :
La Parque, au moindre mot, va suivre ta colère;
Parle, et laisse-toi vaincre aux tendresses de mère,
Ou redoute un courroux que moi-même je crains.
Veux-tu donner le monde en proie

A la haine, au désordre, à la confusion,
Et d'un dieu d'union,
D'un dieu de douceur et de joie,
Faire un dieu d'amertume et de division?
Considère ce que nous sommes,

Et si les passions doivent nous dominer:
Plus la vengeance a de quoi plaire aux hommes,
Plus il sied bien aux dieux de pardonner.
Je pardonne à ce tils rebelle:

VÉNUS.

Mais voulez-vous qu'il me soit reproché
Qu'une misérable mortelle,
L'objet de mon courroux, l'odiense Psyché,
Sous ombre qu'elle est un peu belle,
Par un hymen dont je rougis,
Souille mon alliance et le lit de mon fils?

JUPITER.

Eh bien! je la fais immortelle,
Afin d'y rendre tout égal,

VÉNUS. Je n'ai plus de mépris ni de haine pour elle,
Et l'admets à l'honneur de ce noeud conjugal.

Psyché, reprenez la lumière,

Pour ne la reperdre jamais :
Jupiter a fait votre paix !
Et je quitte cette humeur fière
Qui s'opposait à vos souhaits.

PSYCHE (sortant de son évanouissement).

C'est donc vous, ô grande déesse,

Qui redonnez la vie à ce cœur innocent!

VÉNUS. Jupiter vous fait grace, et ma colère cesse.

Vivez, Vénus l'ordonne; aimez elle

y

consent

PSYCHE (à l'Amour). Je vous revois enfin, cher objet de ma flamme! L'AMOUR (à Psyché). Je vous possède enfin, délices de mon âme!

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Le théâtre représente le ciel. Le palais de Jupiter descend, et laisse voir dans l'éloignement, par trois suites de perspectives, les autres palais des dieux du ciel les plus puissants Un nuage sort du théâtre, sur lequel l'Amour et l'syché se placent, et sont enlevés par un second nuage, qui vient en descendant, se joindre au premier

Jupiter et Vénus se croisent en l'air dans leurs machines et se rangent près de l'Amour et de Psyché

Les Divinités qui avaient été partagées entre Vénus et son fils se réunissent en les voyant d'accord, et toutes ensemble, par des concerts, des chants et des danses, célèbrent la fête de l'Amour et de Psyché.

JUPITER, VÉNUS, L'AMOUR, PSYCHÉ, CHŒUR DES DIVINITÉS CÉLESTES, APOLLON, LES MUSES, LES ARTS, travestis en bergers; BACCHUS, SILÈNE, SATYRES ÉGIPANS, MÉNADES. MOME, POLICHINELLES, MATASSINS, MARS, TROUPES DE GUERRIERS.

APOLLON.

Unissons-nous, troupe immortelle,

Le dieu d'amour devient heureux amant,
Et Vénus a repris sa douceur naturelle
En faveur d'un fils si charmant;

Il va goûter en paix, après un long tourment,
Une félicité qui doit être éternelle.

CHOEUR DES DIVINITÉS CÉLESTES.

Célébrons ce grand jour;

Célébrons tous une fête si belle;

Que nos chants en tous lieux en portent la nouvelle;
Qu'ils fassent retentir le céleste séjour!

Chantons, répétons tour à tour
Qu'il n'est point d'âme si cruelle
Qui tôt ou tard ne se rende à l'Amour.

BACCHUS.

Si quelquefois,
Suivant nos douces lois,

La raison se perd et s'oublie,
Ce que le vin nous cause de folie
Commence et finit en un jour:

Mais, quand un cœur est enivré d'amour, Souvent c'est pour toute la vic.

MONE.

Je cherche à médire

Sur la terre et dans les cieux;

Je soumets à nia satire

Les plus grands des dieux

Il n'est dans l'univers que l'Amour qui m'étonne

Il est le seul que j'épargne aujourd'hui ;

Il n'appartient qu'à lui

De n'épargner personne.

MARS.

Mes plus fiers ennemis, vaincus ou pleins d'effro, Ont vu toujours ma valeur triomphante;

L'Amour est le seul qui se vante

D'avoir pu triompher de moi.

CHŒUR DES DIVINITÉS CÉLESTES

Chantons les plaisirs charmants

Des heureux amants;

Que tout le ciel s'empresse

A leur faire sa cour.

Célébrons ce beau jour

Par mille doux chants d'allégresse,

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Admirons le jus de la treille :
Qu'il est puissant, qu'il a d'attraits!
Il sert aux douceurs de la paix;
Et dans la guerre il fait merveille;
Mais surtout pour les amours
Le vin est d'un grand secours.

SILENE, monté sur un ânc. Bacchus veut qu'on boive à longs traits. On ne se plaint jamais

Sous son heureux empire;

Tout le jour on n'y fait que rire,
Et la nuit on y dort en paix.
Ce dieu rend nos vœux satisfaits:
Que sa cour a d'attraits!
Chantons-y bien sa gloire.
Tout le jour on n'y fait que boire,
Et la nuit on y dort en paix.

SILÈNE ET DEUX SATYRES ENSEMBLE.
Voulez-vous des douceurs parfaites?
Ne les cherchez qu'au fond des pots.

PREMIER SATYRE.

Les grandeurs sont sujettes

A mille peines secrètes.

SECOND SATYRE.

L'Amour fait perdre le repos.

TOUS TROIS ENSEMBLE.

Voulez-vous des douceurs parfaites? Ne les cherchez qu'au fond des pots.

PREMIER SATYRE.

C'est là que sont les ris, les jeux, les chansonnettes.

SECOND SATYRE.

C'est dans le vin qu'on trouve les bons mots.

TOUS TROIS ENSEMBLE.

Voulez-vous des douceurs parfaites? Ne les cherchez qu'au fond des pots.

TROISIÈME ENTRÉE DE BALLET.

Deux autres Satyres enlèvent Silène de dessus son âne ai leur sert à voltiger

et à former des jeux agréables et surprenants.

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