Je n'ai trouvé que vous qui fût digne de moi. Ne m'en demandez point la cause; Peut-être, la sachant, voudrez-vous m'en punir; Je suis sûre du moins de ne point l'obtenir. L'AMOUR. Et ne craignez-vous point qu'à mon tour je m'irrite Quel est sur moi votre absolu pouvoir? ISYCHÉ. J'aurai l'affront de me voir refusée. Parlez tout se tient prêt à vos commandements. Et, si ce n'est assez d'en jurer vos beaux yeux, Mon cœur en est ravi, mes sens en sont charmés; J'ai le malheur de ne savoir qui j'aime. Et faites-moi connaître un si parfait amant. L'AMOUR. PSYCHÉ. Que c'est le bonheur où j'aspire; Mais vous ne savez pas ce que vous demandez. Mais si nos feux vous semblent doux, Ne mettez point d'obstacle à leur charmante suite; C'est le moindre malheur qui nous puisse arriver PSYCHÉ. De grâce, apprenez-moi tout l'excès de ma gloire, L'AMOUR. Le voulez-vous? L'AMOUR. Pensez-y bien, je puis encor me taire. PSYCHE. Faites-vous des serments pour n'y point satisfaire ? Dans les eaux, dans les airs, mon pouvoir est suprême; Qui de mes propres traits m'étais blessé pour vous; Et qui vient de changer mon amour en courroux, Vos volontés sont satisfaites, Vous connaissez l'amant que vous charmiez, Peut-être vos beaux yeux ne me reverront plus. Vous n'avez pas voulu m'en croire; (L'Amour s'envole, et le jardin s'évanouit.) SCÈNE IV. Le théâtre représente un désert et les bords sauvages d'un fleuve. PSYCHÉ, LE DIEU DU FLEUVE (assis sur un amas de roseaux et appuyé sur une urne.) PSYCHE. Cruel destin! funeste inquiétude! Fatale curiosité ! Qu'avez-vous fait, affreuse solitude, De toute ma félicité? J'aimais un dieu, j'en étais adorée, Mon bonheur redoublait de moment en moment; Au milieu d'un désert, où, pour accablement, Je sens croître l'amour quand j'ai perdu l'amant. Sa douceur tyrannise un cœur infortuné Qu'aux plus cuisants chagrins ma flamme a condamné. Dans un excès d'amour, dans un bonheur extrême, Mourons: c'est le parti qui seul me reste à suivre Pour qui, grands dieux! voudrais-je vivre î Fleuve, de qui les eaux baignent ces tristes sables, Et, pour finir des maux si déplorables, le dieu du fleuvE. Ton trépas souillerait mes ondes, Et peut-être qu'après des douleurs si profondes Fuis plutôt de Vénus l'implacable colère. PSYCHÉ. J'attends ses fureurs vengeresses; Qu'auront-elles pour moi qui ne me soit trop doux? Qui cherche le trépas ne craint dieux ni déesses, Et peut braver tout leur courroux. SCÈNE V. VÉNUS, PSYCHÉ, LE DIEU DU FLEUVE. VENUS. Orgueilleuse Psyché, vous m'osez donc attendre, Après que vos traits suborneurs Ont reçu les encens qu'aux miens seuls on doit rendre? J'ai vu tous les mortels, séduits par vos beautés, Vous offrir des respects jusqu'alors inconnus, S'il était une autre Vénus. Et je vous vois encor l'audace De n'en pas redouter les justes châtiments, Comme si c'était peu que mes ressentiments! VENUS. Laissait charmer des yeux qui ne vous voyaient pas Je n'ai que les beautés qu'il m'a voulu prêter: Qu'à ne leur cacher plus cette beauté parfaite VÉNUS. Oui, c'est mon fils; mais un fils qui m'irrite, Un fils qui me rend mal ce qu'il sait me devoir, Un fils qui fait qu'on m'abandonne, Et qui, pour mieux flatter ses indigues amours, Depuis que vous l'aimez ne blesse plus personne Qui vienne à mes autels implorer mon secours. Vous m'en avez fait un rebelle. On m'en verra vengée, et hautement, sur vous; Et je vous apprendrai s'il faut qu'une mortelle Souffre qu'un dieu soupire à ses genoux. Suivez-moi vous verrez, par votre expérience, A quelle folle confiance Vous portait cette ambition. Venez, et préparez autant de patience Qu'on vous voit de présomption. Parmi vos Ixions et parmi vos Tantales, Parmi tant de tourments qui n'ont point d'intervalles, Est-il, dans votre affreux séjour, Quelques peines qui soient égales Aux travaux où Vénus condamne mon amour? Et depuis qu'à ses lois je me trouve asservie, Si, parmi les rigueurs que sa haine déploie, Je n'ose le nommer: ma bouche, criminelle S'en est rendue indigne; et, dans ce dur ennui, Dont m'accable à toute heure un renaissant trépas, Si son courroux durait encore, Je n'en veux plus douter, il partage ma peine; Lui-même il s'en impose une amoureuse loi. Mais que me veulent ces deux ombres Qu'à travers le faux jour de ces demeures sombres J'entrevois s'avancer vers moi? SCÈNE II. PSYCHÉ, CLÉOMÈNE, AGÉNOR. Cléomène, Agénor, est-ce vous que je voi! CLEOMÈNE. La plus juste douleur qui d'un beau désespoir Cette pompe funèbre où du sort le plus noir AGENOR. Sur le même rocher où le ciel en courroux Un serpent dont soudain vous seriez dévorée, A repousser sa rage, ou mourir avec vous. Vous le savez, princesse; et, lorsqu'à notre vue Par le milieu des airs vous êtes disparue, Du haut de ce rocher, pour suivre vos beautés, Ou plutôt pour goûter cette amoureuse joie CLEOMÈNE. Heureusement déçus au sens de votre oracle Et su que le serpent prêt à vous dévorer Et qui, tout dieu qu'il est, vous adorant lui-même, AGÉNOR. Qu'un mortel comme nous osât vous adorer. Si nous ne pouvions être à vous? PSYCHIE. Mais vous soupircriez, princes, pour une ingrate. Ce n'est point pour vous que je meurs. CLEOMÈNE. L'avons-nous mérité, nous, dont toute la flamme Qui de l'un et de l'autre accompagnaient les vœux, PSYCHÉ. Ne vous donne-t-il point le loisir de me dire CLÉOMÈNE. Dans des bois toujours verts, où d'amour on respire. Aussitôt qu'on est mort d'amour, D'amour on y revit, d'amour on y soupire, Sous les plus douces lois de son heureux empire, Sur nos fantômes qu'il inspire, Et dont aux enfers même il se fait une cour. AGENOR. Vos envieuses sœurs. après nous descendues, Pour vous perdre se sont perdues; Et l'une et l'autre tour à tour, Pour le prix d'un conseil qui leur coûte la vie, Souffrent tantôt la roue, et tantôt le vautour. L'Amour, par les Zéphyrs, s'est fait prompte justice Ces ministres ailés de son juste courroux, Sous couleur de les rendre encore auprès de vous, De ces conseils dont l'artifice Fait les maux dont vous soupirez. PSYCHE. Que je les plains! CLÉOMÈNE. Vous êtes seule à plaindre. Mais nous demeurons trop à vous entretenir. Puissiez-vous, et bientôt, n'avoir plus rien à craindre' El, rallumant un feu qui ne se puisse éteindre, SCÈNE III. PSYCHÉ. Pauvres amants! leur amour dure encore! Mais ce que j'ai souffert m'a trop défigurée L'oeil abattu, triste, désespérée, De quoi puis-je me prévaloir, Si par quelque miracle, impossible à prévoir, Je porte ici de quoi la réparer. Ce trésor de beauté divine, Qu'en mes mains, pour Vénus, a remis Proserpine, Et l'éclat en doit être extrême, En dérober un peu, serait-ce un si grand crime? Ouvrons. Quelles vapeurs m'offusquent le cerveau ! Quoi! je dis et redis tout haut que je vous aime, O Mort! devais-tu prendre un dard si criminel, Ai-je grossi ton noir empire D'une orgueilleuse ou farouche beauté! Va, je ne blesserai plus d'âmes, Qu'avec des dards trempés aux divines liqueurs Qui nourrissent du ciel les immortelles flammes, Et vous, impitoyable mère, Qui la forcez à m'arracher Tout ce que j'avais de plus cher, Craignez, à votre tour, l'effet de ma colere. Vous me voulez faire la loi, Vous, qu'on voit si souvent la recevoir de moi! Et vous pourriez vous souvenir Eu triomphe par vous se sont laissé traîner, Vous n'avez jamais fait d'esclaves Ne me vantez donc plus ces droits de la naissance VÉNUS. Et, si vous ne voulez perdre mille soupirs, Mes honneurs ravalés, Si vous avez pris part à tant d'ignominie, Je vous ai commandé de la rendre charmée Qui ne daiguát répondre à son âme enflammée Par les mépris les plus cruels : Et vous-même l'avez aimée! Vous avez contre moi séduit des immortels; C'est pour vous qu'à mes yeux les Zéphyrs l'ont cachée, Qu'Apollon même, suborné, Par un oracle adroitement tourné, Me l'avait si bien arrachée, Que si sa curiosité, Par une aveugle défiance, Ne l'eût rendue à ma vengeance, Elle échappait à mon cœur irrité. Voyez l'état où votre amour l'a mise, Voyez; et si la vôtre en est encore éprise, Recevez son dernier soupir. Menacez, bravez-moi, cependant qu'elle expire. Et je dois endurer quoi qu'il vous plaise dire, Aux prières, aux pleurs d'un fils à vos genoux. Rendez-moi ma Psyché; rendez-lui tous ses charmes; Rendez-la, déesse, à mes larmes ; VÉNUS. Rendez à mon amour, rendez à ma douleur De ses malheurs par moi n'attendez pas la fin; Je l'abandonne à son destin. L'AMOUR. VÉNUS. Je ne le ferais pas si je pouvais mourir. VENUS. Je vous l'avoue, il me touche le cœur, L'AMOUR. Que je vous vais partout faire donner d'encens! Je veux la déférence entière; Je veux qu'un vrai respect laisse à mon amitié L'AMOUR. SCÈNE VI. JUPITER, VÉNUS, L'AMOUR; PSYCHÉ (évanouie). Vous à qui seul tout est possible, Elle ne veut pas voir que de mes déplaisirs Si Psyché n'est à moi, je ne suis plus l'Amour. Je laisserai languir la nature au tombeau; Ou, si je daigne aux cœurs faire encor quelque brèches Avec ces pointes d'or qui me font obéir, Je vous blesserai tous là-haut pour des mortelles, Que des traits émoussés qui forcent à baïr, Par quelle tyrannique loi Tiendrai-je à vous servir mes armes toujours prêtes, A la haine, au désordre, à la confusion, Et si les passions doivent nous dominer: VÉNUS. Mais voulez-vous qu'il me soit reproché JUPITER. Eh bien! je la fais immortelle, VÉNUS. Je n'ai plus de mépris ni de haine pour elle, Psyché, reprenez la lumière, Pour ne la reperdre jamais : PSYCHE (sortant de son évanouissement). C'est donc vous, ô grande déesse, Qui redonnez la vie à ce cœur innocent! VÉNUS. Jupiter vous fait grace, et ma colère cesse. Vivez, Vénus l'ordonne; aimez elle y consent PSYCHE (à l'Amour). Je vous revois enfin, cher objet de ma flamme! L'AMOUR (à Psyché). Je vous possède enfin, délices de mon âme! Le théâtre représente le ciel. Le palais de Jupiter descend, et laisse voir dans l'éloignement, par trois suites de perspectives, les autres palais des dieux du ciel les plus puissants Un nuage sort du théâtre, sur lequel l'Amour et l'syché se placent, et sont enlevés par un second nuage, qui vient en descendant, se joindre au premier Jupiter et Vénus se croisent en l'air dans leurs machines et se rangent près de l'Amour et de Psyché Les Divinités qui avaient été partagées entre Vénus et son fils se réunissent en les voyant d'accord, et toutes ensemble, par des concerts, des chants et des danses, célèbrent la fête de l'Amour et de Psyché. JUPITER, VÉNUS, L'AMOUR, PSYCHÉ, CHŒUR DES DIVINITÉS CÉLESTES, APOLLON, LES MUSES, LES ARTS, travestis en bergers; BACCHUS, SILÈNE, SATYRES ÉGIPANS, MÉNADES. MOME, POLICHINELLES, MATASSINS, MARS, TROUPES DE GUERRIERS. APOLLON. Unissons-nous, troupe immortelle, Le dieu d'amour devient heureux amant, Il va goûter en paix, après un long tourment, CHOEUR DES DIVINITÉS CÉLESTES. Célébrons ce grand jour; Célébrons tous une fête si belle; Que nos chants en tous lieux en portent la nouvelle; Chantons, répétons tour à tour BACCHUS. Si quelquefois, La raison se perd et s'oublie, Mais, quand un cœur est enivré d'amour, Souvent c'est pour toute la vic. MONE. Je cherche à médire Sur la terre et dans les cieux; Je soumets à nia satire Les plus grands des dieux Il n'est dans l'univers que l'Amour qui m'étonne Il est le seul que j'épargne aujourd'hui ; Il n'appartient qu'à lui De n'épargner personne. MARS. Mes plus fiers ennemis, vaincus ou pleins d'effro, Ont vu toujours ma valeur triomphante; L'Amour est le seul qui se vante D'avoir pu triompher de moi. CHŒUR DES DIVINITÉS CÉLESTES Chantons les plaisirs charmants Des heureux amants; Que tout le ciel s'empresse A leur faire sa cour. Célébrons ce beau jour Par mille doux chants d'allégresse, Admirons le jus de la treille : SILENE, monté sur un ânc. Bacchus veut qu'on boive à longs traits. On ne se plaint jamais Sous son heureux empire; Tout le jour on n'y fait que rire, SILÈNE ET DEUX SATYRES ENSEMBLE. PREMIER SATYRE. Les grandeurs sont sujettes A mille peines secrètes. SECOND SATYRE. L'Amour fait perdre le repos. TOUS TROIS ENSEMBLE. Voulez-vous des douceurs parfaites? Ne les cherchez qu'au fond des pots. PREMIER SATYRE. C'est là que sont les ris, les jeux, les chansonnettes. SECOND SATYRE. C'est dans le vin qu'on trouve les bons mots. TOUS TROIS ENSEMBLE. Voulez-vous des douceurs parfaites? Ne les cherchez qu'au fond des pots. TROISIÈME ENTRÉE DE BALLET. Deux autres Satyres enlèvent Silène de dessus son âne ai leur sert à voltiger et à former des jeux agréables et surprenants. |