La faute à votre amant doit-elle être imputée? Il est noble chez lui, bien fait de sa personne; DORINE. Quelle allégresse aurez-vous dans votre âme, Quand d'un époux si beau vous vous verrez la femme! MARIANE. Oh! cessé, je te prie, un semblable discours, Et contre cet hymen ouvre-moi du secours. C'en est fait, je me rends et suis prête à tout faire. DORINE. Non, il faut qu'une fille obéisse à son père, Voulût-il lui donner un singe pour époux. Votre sort est fort beau: de quoi vous plaignez-vous? Qui d'un siége pliant vous feront honorer. Le bal et la grand'bande, à savoir, deux musettes, MARIANE. Ah! tu me fais mourir. De tes conseils plutôt songe à me secourir. DORINE. Je suis votre servante. DORINE. Non, vous serez, ma foi, tartufiće. MARIANE. Eh bien! puisque mon sort ne saurait l'émouvoir, C'est de lui que mon cœur empruntera de l'aide; Et je sais de mes maux l'infaillible remède. (Mariane veut s'en aller.) DORINE. Hé ! là, là, revenez. Je quitte mon courroux. MARIANE. Vois-tu, si l'on m'expose à ce cruel martyre, DORINE. Ne vous tourmentez point. On peut adroitement Le choix est glorieux, et vaut bien qu'on l'écoute. MARIANE. Eh bien ! c'est un conseil, monsieur, que je reçois. VALÈRE. Vous n'aurez pas grand'peine à le suivre, je crois. MARIANE. Pas plus qu'à le donner en a souffert votre âme. VALERE. Moi, je vous l'ai donné pour vous plaire, madame. MARIANE. Et moi je le suivrai pour vous faire plaisir. DORINE (se retirant dans le fond du théâtre). MARIANE. Voyons ce qui pourra de ceci réussir. VALERE. C'est donc ainsi qu'on aime? Et c'était tromperie Quand vous... Ne parlons point de cela, je vous prie. Vous m'avez dit tout franc que je dois accepter Celui que pour époux on me veut présenter: Et je déclare, moi, que je prétends le faire, Puisque vous m'en donnez le conseil salutaire. VALERE. Ne vous excusez point sur mes intentions : Vous aviez déjà pris vos résolutions ; Et vous vous saisissez d'un prétexte frivole Pour vous autoriser à manquer de parole. MARIANE. Il est vrai; c'est bien dit. VALÈRE. Sans doute; et votre cœur N'a jamais eu pour moi de véritable ardeur. MARIANE. Hélas! permis à vous d'avoir cette pensée. VALÈRE. Oui, oui, permis à moi : mais mon âme offensée Vous préviendra peut-être en un pareil dessein ; Et je sais où porter et mes vœux et ma main. MARIANE. Ah! je n'en doute point; et les ardeurs qu'excite Le mérite... Mon Dieu, laissons là le mérite : J'en ai fort peu, sans doute, et vous en faites foi. Mais j'espère aux bontés qu'une autre aura pour moi; Et j'en sais de qui l'âme, à ma retraite ouverte, Consentira, sans honte, à réparer ma perte. MARIANE. La perte n'est pas grande; et de ce changement Vous vous consolerez assez facilement. VALÈRE. VALÈRE. J'y ferai mon possible; et vous le pouvez croire. Il faut à l'oublier mettre aussi tous nos soins : De montrer de l'amour pour qui nous abandonne. Eh quoi! vous voudriez qu'à jamais, dans mon âme, Je gardasse pour vous les ardeurs de ma flamme, Et vous visse, à mes yeux, passer en d'autres bras, Sans mettre ailleurs un cœur dont vous ne voulez pas ? MARIANE. Au contraire pour moi, c'est ce que je souhaite; Et je voudrais déjà que la chose fût faite. VALERE. Vous le voudriez? MARIANE. VALÈRE. Oui. C'est assez m'insulter, (Il fait un pas pour s'en aller. ) Madame, et de ce pas je vais vous contenter. MARIANE. Fort bien. MARIANE. Non, non, Dorine; en vain tu me veux retenir. DORINE (quittant Mariane, et courant après Valère). Encor! Diantre soit fait de vous! Si je le veux. (Elle prend Valère et Mariane par la main, et les ramènc. j VALERE (à Dorine). Mais quel est ton dessein? Qu'est-ce que tu veux faire? DORINE (à Mariane). Etes-vous folle, vous, de vous être emportée? (A Mariane.) Il n'aime que vous seule, et n'a point d'autre envie VALERE (en donnant sa main à Dorine). A quoi bon ma main? MARIANE (en donnant aussi sa main). De quoi sert tout cela? DORINE. Ali çà, la vôtre. Mon Dieu, vite, avancez. Vous vous aimez tous deux plus que vous ne pensez. (Valèra et Mariane se tiennent quelque temps par la main sans se regarder.) VALERE se tournant vers Mariane). Mais ne faites donc point les choses avec peine; (Mariane se tourne du côté de Valère en lui souriant.) DORINE. A Vous dire le vrai, les amants sont bien fous. VALÈRE (à Mariane). Oh çà, n'ai-je pas lieu de me plaindre de vous? MARIANE. Mais vous, n'êtes-vous pas l'homme le plus ingrat...? Et songeons à parer ce fâcheux mariage. MARIANE. Dis-nous donc quels ressorts il faut mettre en usage. DORINE. Nous en ferons agir de toutes les façons. (A Mariane.) Votre père se moque: (A Valère.) et ce sont des chansons. (A Mariane.) Mais, pour vous, il vaut mieux qu'à son extravagance D'un doux consentement vous prêtiez l'apparence, Afin qu'en cas d'alarme il vous soit plus aisé De tirer en longueur cet hymen proposé. En attrapant dă temps à tout on remédie. (A Mariane.) Nous, allons réveiller les efforts de son frère, Adieu. DAMIS. Que la foudre sur l'heure achève mes destins, Sur l'esprit de Tartufe elle a quelque crédit ; Il se rend complaisant à tout ce qu'elle dit, Et pourrait bien avoir douceur de cœur pour elle. DAMIS. Je ne lui dirai rien. DORINE. Vous vous moquez: on sait vos transports ordinaires; Et c'est le vrai moyen de gâter les affaires. Sortez... DORINE. Comment ? TARTUFE. Couvrez ce sein que je ne saurais voir. Par de pareils objets les âmes sont blessées, Et cela fait venir de coupables pensées. DORINE. Vous êtes donc bien tendre à la tentation; Et la chair sur vos sens fait grande impression! Certes! je ne sais pas quelle chaleur vous monte: Mais à convoiter, moi, je ne suis pas si prompte; Et je vous verrais nu, du haut jusques en bas, Que toute votre peau ne me tenterait pas. TARTUFE. Mettez dans vos discours un peu de modestie, Ou je vais sur-le-champ vous quitter la partie. DORINE. Non, non, c'est moi qui vais vous laisser en repos, Et d'un mot d'entretien vous demande la grâce. Comme il se radoucit ! Ma foi, je suis toujours pour ce que j'en ai dit. TARTUFE. Viendra-t-elle bientôt ? SCÈNE III. ELMIRE, TARTUFE. TARTURE. Que le ciel à jamais, par sa toute-bonté, Et de l'âme et du corps vous donne la santé, Et bénisse vos jours autant que le désire Le plus humble de ceux que son amour inspire! ELMIRE. Je suis fort obligée à ce souhait pieux. Mais prenons une chaise afin d'être un peu mieux. Pour avoir attiré cette grâce d'en haut ; Et je vous dois beaucoup pour toutes ces boniés. Et suis bien aise ici qu'aucun ne nous éclaire. TARTUFE. J'en suis ravi de même; et sans doute il m'est doux, (Damis, sans se montrer, entr'ouvre la porte du cabinet dans lequel il s'était caché, pour entendre la conversation.) TARTUFE. Et je ne veux aussi, pour grace singulière, Des visites qu'ici reçoivent vos attraits Ne sont pas envers vous l'effet d'aucune haine, Que fait là votre main? ELMIRE. (Elmire recule son fauteuil, et Tartufe se rapproche d'elle.) TARTUFE (maniant le fichu d'Elmire). Mon Dieu! que de ce point l'ouvrage est merveilleux ! On travaille aujourd'hui d'un air miraculeux : Jamais, en toute chose, on n'a vu si bien faire. ELMIRE. Il est vrai. Mais parlons un peu de notre affaire. On tient que mon mari veut dégager sa foi, Et vous donner sa fille. Est-il vrai ? dites-moi. TARTUFE. Il m'en a dit deux mots; mais, inadame, à vrai dire, Ce n'est pas le bonheur après quoi je soupire; Et je vois autre part les merveilleux attraits De la félicité qui fait tous mes souhaits. ELMIRE. C'est que vous n'aimez rien des choses de la terre. TARTUFE. L'amour qui nous attache aux beautés éternelles Des ouvrages parfaits que le ciel a formés. Ses attraits réfléchis brillent dans vos pareilles, Mais il étale en vous ses plus rares merveilles ; Il a sur votre face épanché des beautés Dont les yeux sont surpris, et les cœurs transportés ; Et d'une ardente amour sentir mon coeur atteint Au plus beau des portraits où lui-même s'est peint. Que cette passion peut n'être point coupable, Mais elle est, à vrai dire, un peu bien surprenante. Et tourna tous mes vœux du côté de vos charmes. S'il faut que vos bontés veuillent me consoler, Votre honneur avec moi në court point de hasard, Et n'a nulle disgràçe à craindre de ma part. Tous ces galants de cour, dont les femmes sont folles, Sont bruyants dans leurs faits et vains dans leurs paroles: De leurs progrès sans cesse on les voit se targuer : Ils n'ont point de faveur qu'ils n'aillent divulguer; Mais des gens comme nous brûlent d'un feu discret Et c'est en nous qu'on trouve, acceptant notre cœur, TARTUFE. Je sais que vous avez trop de bénignité, Que l'on n'est pas aveugle, et qu'un homme est de chair. ELMIRE. D'autres prendraient cela d'autre façou peut-être ; Mais ma discrétion se veut faire paraître. Je ne redirai point l'affaire à mon époux; De renoncer vous-même à l'injuste pouvoir SCÈNE IV. ELMIRE, DAMIS, TARTUFE. DAMIS (sortant du cabinet où il s'était retiré). Non, madame, non; ceci doit se répandre; A détromper mon père, et lui mettre en plein jour ELMIRE. Non, Damis; il suffit qu'il se rende plus sage, Le fourbe trop longtemps a gouverné mon père Et le ciel pour cela m'offre un moyen aisé. ORGON, ELMIRE, DAMIS, TARTUFE. DAMIS. Nous allons régaler, mon père, votre abord Et monsieur d'un beau prix reconnaît vos tendresses; Et je l'ai surpris là, qui faisait à madame Elle est d'une humeur douce, et son cœur trop discret Et crois que vous la taire est vous faire une offense. ELMIRE. Oui, je tiens que jamais de tous ces vains propos On ne doit d'un mari traverser le repos; Que ce n'est point de là que l'honneur peut dépendre, SCÈNE VI. ORGON, DAMIS, TARTUFE. ORGON. Ce que je viens d'entendre, ô ciel! est-il croyable ? Me veut mortifier en cette occasion. De quelque grand forfait qu'on me puisse reprendre, Je n'ai garde d'avoir l'orgueil de m'en défendre. Croyez ce qu'on vous dit, armez votre courroux, ORGON (à son fils). Ah, traitre! Oses-tu bien par cette fausseté DAMIS. Quoi ! la feinte douceur de cette âme hypocrite ORGON. Tais-toi, peste maudite! Et, pour tout ce qu'on voit, me croyez-vous meilleur ? (S'adressant à Damis.) Oui, mon cher fils, parlez; traitez-moi de perfide, Je sais bien quel motif à l'attaquer t'oblige, Vous le haissez tous; et je vois aujourd'hui Femme, enfants et valets déchaînés contre luj, On met impudemment toute chose en usage Pour ôter de chez moi ce dévot personnage: Mais plus on fait d'efforts afin de l'en bannir, Plus j'en vais employer à l'y mieux retenir; Et je veux me bâter de lui donner ma fille, Pour confondre l'orgueil de toute ma famille. DAMIS. A recevoir sa main on pense l'obliger? ORGON. Oui, traître, et dès ce soir, pour vous faire Ah! je vous brave tous, et vous ferai connaître Qu'il faut qu'on m'obéisse, et que je suis le maître, Allons, qu'on se rétracte, et qu'à l'instant, fripon, On se jette à ses pieds pour demander pardon. DAMIS. Qui? moi! de ce coquin qui, par ses impostures!... ORGON. Ah! tu résistes, gueux, et lui dis des injures! enrager, Un baton, un bâton! (A Tartule.) Ne me retenez pas. (A son fils.) Sus, que de ma maison on sorte de ce pas, Et que d'y revenir on n'ait jamais l'audace. DAMIS. Oui, je sortirai; mais... ORGON. Vite, quittons la place. Je te prive, pendard, de ma succession, Et te donne, de plus, ma malédiction. SCÈNE VII. ORGON, TARTUFE. ORGON. Offenser de la sorte une sainte personne! (A Tartufe.) Remettez-vous, mon frère, et ne vous fàchez pas. ORGON. Non, en dépit de tous, vous la fréquenterez. ACTE QUATRIÈME. SCÈNE PREMIÈRE. CLEANTE, TARTUFE. CLEANTE. Oui, tout le monde en parle, et vous m'en pouvez croire : L'éclat que fait ce bruit n'est pas à votre gloire; Et je vous ai trouvé, monsieur, fort à propos Je vous le dis encore, et parle avec franchise, Et, si vous m'en croyez, vous pacifierez tout, Et remettez le fils en grâce avec le père. TARTUFE. Hélas! je le voudrais, quant à moi, de bon cœur : Je ne garde pour lui, monsieur, aucune aigreur; Je lui pardonne tout; de rien je ne le blâme, Et voudrais le servir du meilleur de mon âme; Mais l'intérêt du ciel n'y saurait consentir, Et l'on dirait partout que, me sentant coupable, Et toutes vos raisons, monsieur, sont trop tirées. Non, non; faisons toujours ce que le ciel prescrit, TARTUFE. Ceux qui me connaîtront n'auront pas la pensée Tous les biens de ce monde ont pour moi peu d'appas; Ce n'est, à dire vrai, que parce que je crains Que tout ce bien ne tombe en de méchantes mains; Qu'il ne trouve des gens qui, l'ayant en partage, En fassent dans le monde un criminel usage, Et ne s'en servent pas, ainsi que j'ai dessein, Pour la gloire du ciel et le bien du prochain. CLEANTE. Eh! monsieur, n'ayez point ces délicates craintes Qui d'un juste héritier peuvent causer les plaintes. Souffrez, sans vous vouloir embarrasser de rien, Qu'il soit à ses périls possesseur de son bien; Et songez qu'il vaut mieux encor qu'il en mésuse, Que si de l'en frustrer il faut qu'on vous accuse. J'admire seulement que, sans confusion, Vous en ayez souffert la proposition. Car enfin le vrai zèle a-t-il quelque maxime Qui montre à dépouiller l'héritier légitime? Et, s'il faut que le ciel dans votre cœur ait mis Un invincible obstacle à vivre avec Damis, Ne vaudrait-il pas mieux qu'en personne discrète Vous fissiez de céans une honnête retraite, Que de souffrir ainsi, contre toute raison, Qu'on en chasse pour vous le fils de la maison? Croyez-moi, c'est donner de votre prud'hommie, Monsieur... |