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l'homme même »; résumé naturel de son discours à l'Académie et de son génie tout entier1.

Oui, Messieurs, en effet, si vous voulez retrouver l'image de cet homme à part dans le xvIIIe siècle, grave et même un peu fastueux, épris de la gloire avec circonspection, philosophe respectant tous les pouvoirs et presque tous les préjugés, gentilhomme cher à ses

1. Cet aphorisme tant cité et souvent mal cité, comme dit Villemain, ne doit point s'entendre dans le sens du mot de Sénèque : Oratio vultus animi est, le style est la physionomie de l'âme. Si Buffon avait prétendu que le style est le miroir de l'âme, qu'il reflète l'image vraie des pensées, des sentiments et du caractère, et qu'on peut juger avec certitude des mœurs d'un homme par sa manière d'écrire, on aurait le droit de contester son affirmation. Sans doute, il en devrait être ainsi. Le style ne devrait pas être seulement une habitude de l'esprit, mais il devrait être, selon le mot de Joubert, « une habitude de l'âme. L'habitude de l'esprit est artifice, l'habitude de l'âme est excellence ou perfection. Plus une parole ressemble à une pensée, une pensée à une âme, une âme à Dieu, plus tout cela est beau.» Sans doute aussi, le style se ressent généralement de la noblesse et de la bassesse du cœur, et le plus souvent il trahit la nature intime de l'écrivain. Il s'en faut cependant que cette règle ne souffre point d'exception. Combien d'hommes n'écrivent qu'avec leur esprit, leur mémoire, leur imagination, et point avec leur âme ! Combien sont autres dans la nature et autres dans leurs livres! L'humeur si difficile et presque insociable de Bernardin de Saint-Pierre n'est plus, dans ses ouvrages, que sensibilité et tendresse; Goethe, Chateaubriand, Victor Hugo, même Lamartine, mêlent l'émotion voulue à l'émotion naturelle. Il est peu d'écrivains chez qui l'imagination ne prenne parfois la place da sentiment. Ces deux sources d'inspiration sont d'ordinaire si bien confondues qu'il serait téméraire de vouloir distinguer ce qui appartient à chacune d'elles. Il est certain, du moins, que l'écrivain a l'étrange faculté de s'abstraire, parfois même de s'isoler plus ou moins complètement de l'homme.

Que veut donc dire Buffon? Pour entendre sa pensée dans son vrai sens, il importe de ne pas la séparer du passage qui l'encadre. Il établit que les ouvrages bien écrits seront les seuls qui passeront à la postérité. Ce qui les fera vivre, ce n'est ni la multitude des connaissances, ni la singularité des faits, ni même la nouveauté des découvertes. Connaissances, faits, découvertes, hypothèses sont des matériaux qui nous échappent tôt ou tard, s'enlèvent aisément, se transportent, circulent de main en main et deviennent le patrimoine commun de l'humanité. Le style, au contraire, est la propriété inaliénable de l'homme; il est l'homme même, ou de l'homme même, comme portent certaines éditions. Nous le prenons en nous, non hors de nous voilà pourquoi personne ne peut nous le ravir. Et quand il est élevé, noble, sublime, c'est-à-dire quand il couronne par l'élégance et la beauté de la forme, insuffisantes en ellesmèmes, un riche trésor de vérités, il assure à l'écrivain l'immortalité. Deux éléments constituent donc, aux yeux de Buffon, la vie durable du

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APPENDICE

SUR LE

XIX SIÈCLE

CHATEAUBRIAND'

DU GÉNIE DE CHATEAUBRIAND SENSIBILITÉ
ET IMAGINATION

Sensibilité et imagination, c'est de quoi se compose un poète. Une seule suffit, si elle est exquise ou puissante. Le concours de toutes deux fait les œuvres extraordinaires. Le caractère particulier de chacune d'elles et les proportions selon lesquelles l'une se mêle à l'autre font la propre manière d'être du poète, son originalité, sa personne artistique. Chateaubriand a une vive sensibilité et une vaste imagination. Il a plus d'imagination que de sensibilité. Enfin sa sensibilité est égoïste, et son imagination est expansive 2.

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Il est sensible, et très vivement. Les secousses de sa

1. Annotation de G. Le Bidois.

2. Entendue dans sa rigueur, cette phrase signifierait que Chateaubriand n'est sensible qu'à ce qui le concerne personnellement, et que le reste le touche peu. Mais le critique veut dire simplement que, d'habitude, il rapporte tout à lui, et peint ses propres états d'ame, même quand

vassaux, comme dit Saint-Lambert, et paraissant devant eux le dimanche en habit doré, ayant plus de dignité dans les manières que de délicatesse dans les goûts, plus de bonté que d'émotion, toutes ces nuances morales peuvent se démêler dans le caractère même de son style, si soigné, si noble, si paré. Le mot est plus vrai encore dans un sens plus littéral, et pour exprimer la personnalité même de l'auteur. L'ensemble des connaissances, des sentiments, des idées, des erreurs de Buffon, forme avec ses expressions un tout indestructible qui appartient à l'avenir. Sans le style, ses découvertes partielles, et à plus forte raison ses erreurs, ne vivraient plus que dispersées dans vingt ouvrages. Par le génie de l'expression, il s'est fait une place durable dans l'instabilité progressive de la science; et ses ouvrages ont pu cesser d'être utiles, sans cesser d'être admirés *1.

VILLEMAIN.

style: un grand fonds de vérités et la beauté de l'expression, qui « représente chaque idée par une image vive et bien terminée, et forme de chaque suite d'idées un tableau harmonieux et mouyant ».

Ainsi, croyons-nous, doit s'entendre la pensée de Buffon. Ajoutons qu'elle n'est pas d'une clarté parfaite. Qu'est-ce, dans un ouvrage, que ce fonds de vérités, qui se distingue des faits, des connaissances, des découvertes? A quoi se réduit-il? On ne le voit pas nettement, et les termes généraux dont se sert l'écrivain dans son explication, en parlant de « beautés intellectuelles, de rapports dont se compose le style et qui sont des vérités aussi utiles, peut-être même plus précieuses pour l'esprit humain que celles qui peuvent faire le fond du sujet », loin de nous sortir d'obscurité, ne font que nous y enfoncer davantage.

* Tableau de la Littérature française au XVIIIe siècle, t. II, p. 207-212. Librairie académique Perrin.

1. A propos de ces belles pages de Villemain sur Buffon, rappelons le mot de Sainte-Beuve: «Quant au style, quant à l'écrivain et à l'homme, M. Villemain semble avoir épuisé le sujet dans une de ses plus belles leçons sur la Littérature du XVIII° siècle »,

APPENDICE

SUR LE

XIX SIÈCLE

CHATEAUBRIAND'

DU GÉNIE DE CHATEAUBRIAND SENSIBILITÉ
ET IMAGINATION

Sensibilité et imagination, c'est de quoi se compose un poète. Une seule suffit, si elle est exquise ou puissante. Le concours de toutes deux fait les oeuvres extraordinaires. Le caractère particulier de chacune d'elles et les proportions selon lesquelles l'une se mêle à l'autre font la propre manière d'être du poète, son originalité, sa personne artistique. Chateaubriand a une vive sensibilité et une vaste imagination. Il a plus d'imagination que de sensibilité. Enfin sa sensibilité est égoïste, et son imagination est expansive 2.

Il est sensible, et très vivement. Les secousses de sa

1. Annotation de G. Le Bidois.

2. Entendue dans sa rigueur, cette phrase signifierait que Chateaubriand n'est sensible qu'à ce qui le concerne personnellement, et que le reste le touche peu. Mais le critique veut dire simplement que, d'habitude, il rapporte tout à lui, et peint ses propres états d'ame, même quand

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