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l'intérêt personnel à l'intérêt public. - Le gouvernement monarchique est celui où un seul gouverne, mais par des lois fixes et établies: voilà sa nature; son principe ou ce qui le fait agir, c'est l'honneur, c'est-à-dire le préjugé de chaque personne et de chaque condition. Le gouvernement despotique est celui dans lequel un seul règne, sans loi et sans règle: voilà sa nature; quant à son principe, c'est la crainte. Telle est l'essence des divers gouvernements; d'où il suit que le danger le plus sérieux pour chacun d'eux consiste dans l'abandon ou dans l'exagération de son principe. Ainsi un gouvernement despotique ne subsisterait pas longtemps si le despote abusait de la terreur au point de faire préférer tous les périls et tous les maux à l'horreur de vivre sous son joug; il serait infailliblement abattu. Et dans une monarchie? Recueillons les belles paroles de Montesquieu, et opposons-les à ceux qui l'accusent d'indifférence:

Le principe de la monarchie se corrompt lorsque les premières dignités sont les marques de la première servitude; lorsqu'on ôte aux grands le respect du peuple et . qu'on les rend de vils instruments du pouvoir arbitraire. Il se corrompt plus encore, lorsque l'honneur a été mis en contradiction avec les honneurs, et que l'on peut à la fois être couvert d'infamie et de dignités.

Voilà pour les grands, voici pour le monarque :

La monarchie se perd lorsqu'un prince croit qu'il montre plus sa puissance en changeant l'ordre des choses qu'en le suivant; lorsqu'il ôte les fonctions naturelles des uns pour les donner arbitrairement à d'autres, et lorsqu'il est plus amoureux de ses fantaisies que de ses volontés. La monarchie se perd lorsque le prince, rapportant tout uniquement à lui, appelle l'État à sa capitale, la capitale à

qu'il doit posséder, pour être un bon gouvernement. On voit que sa nature importe plus à connaître que son principe, mais que ce principe ne peut être méconnu sous peine de corrompre sa nature.

Après ce premier livre, qui n'a pas plus de dix pages, et qui définit des principes absolus, nous entrons dans le vif du sujet. Montesquieu réduit à trois les diverses espèces de gouvernement, le républicain, le monarchique, le despotique; il les définit, il marque avec une précision parfaite la différence essentielle qu'il y a entre la nature d'un gouvernement et son principe. La nature du gouvernement, c'est ce qui le fait être tel; ainsi le gouvernement républicain est celui où le peuple a la souveraine puissance: voilà sa nature. Quant au principe d'un gouvernement, c'est ce qui le fait agir ainsi le principe du gouvernement républicain, c'est la vertu, c'est-à-dire le sacrifice permanent de

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j'ai consulté de critiques ou de commentateurs de l'Esprit des lois, autant, en ai-je trouvé d'interprètes... La vérité, c'est que deux ou trois principaux objets se disputent, dans l'Esprit des lois, la pensée de Montesquieu... » (Brunetière, Études critiques, t. IV). Ce critique réduit ensuite à trois les opinions principales sur cet ouvrage. Pour l'un des éditeurs autorisés de Montesquieu, Laboulaye, l'Esprit des lois n'est qu'une continuation des Lettres persanes, par conséquent un livre à clé, plein d'allusions et d'intentions satiriques. Mais Montesquieu n'était pas homme à s'enfermer dans le cercle étroit des événements contemporains et à se trouver satisfait du contingent. Aussi, d'autres critiques, et avec eux M. Sorel (qui vient de publier une courte et substantielle étude sur Montesquieu), voient bien que Montesquieu a l'esprit et la méthode de nos grands écrivains, qu'il tend sans cesse à l'absolu, et que l'examen des lois telles qu'elles sont a pour objet de définir les lois telles qu'elles doivent être. Pour d'autres enfin, pour Auguste Comte, pour Vinet, l'objet propre de Montesquieu serait de faire « l'Histoire naturelle des lois ». Les lois étant « les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses », il faut découvrir ces rapports et montrer pourquoi les lois sont de telle sorte et non pas de telle autre. Ainsi la théorie des climats et de leur influence sur la législation positive est pour servir à ce dessein que l'on veut que Montesquieu se soit avant tout proposé. Mais comme cela tient peu de place, en somme, dans l'ensemble de l'ouvrage, il faut apparemment que les partisans de cette opinion exagèrent. Il reste donc à les concilier toutes trois, et à reconnaitre que Montesquieu a voulu rechercher pourquoi les lois des différents peuples étaient ce qu'on les voit, en vue sans doute de dire ce qu'elles devaient être (sans qu'il l'ait presque jamais dit, d'ailleurs); en parcourant la distance qui sépare ces deux termes éloignés, il a semé quelques allusions sérieuses ou malignes aux vices des législations existantes. Par là tout se concilie sans difficulté.

1. C'est ce qui le fait agir et le conserve. - Dire la «nature » d'un gouvernement, cela équivaut donc à définir ce gouvernement; et chercher son << principe », c'est chercher ce qu'il lui faut absolument avoir, la qualité

l'intérêt personnel à l'intérêt public. - Le gouvernement monarchique est celui où un seul gouverne, mais par des lois fixes et établies: voilà sa nature; son principe ou ce qui le fait agir, c'est l'honneur, c'est-à-dire le préjugé de chaque personne et de chaque condition. Le gouvernement despotique est celui dans lequel un seul règne, sans loi et sans règle: voilà sa nature; quant à son principe, c'est la crainte. Telle est l'essence des divers gouvernements; d'où il suit que le danger le plus sérieux pour chacun d'eux consiste dans l'abandon ou dans l'exagération de son principe. Ainsi un gouvernement despotique ne subsisterait pas longtemps si le despote abusait de la terreur au point de faire préférer tous les périls et tous les maux à l'horreur de vivre sous son joug; il serait infailliblement abattu. Et dans une monarchie? Recueillons les belles paroles de Montesquieu, et opposons-les à ceux qui l'accusent d'indifférence :

- Le principe de la monarchie se corrompt lorsque les premières dignités sont les marques de la première servitude; lorsqu'on ôte aux grands le respect du peuple et . qu'on les rend de vils instruments du pouvoir arbitraire. Il se corrompt plus encore, lorsque l'honneur a été mis en contradiction avec les honneurs, et que l'on peut à la fois être couvert d'infamie et de dignités.

Voilà pour les grands, voici pour le monarque:

- La monarchie se perd lorsqu'un prince croit qu'il montre plus sa puissance en changeant l'ordre des choses qu'en le suivant; lorsqu'il ôte les fonctions naturelles des uns pour les donner arbitrairement à d'autres, et lorsqu'il est plus amoureux de ses fantaisies que de ses volontés. La monarchie se perd lorsque le prince, rapportant tout uniquement à lui, appelle l'Etat à sa capitale, la capitale à

qu'il doit posséder, pour être un bon gouvernement. On voit que sa nature importe plus à connaitre que son principe, mais que ce principe ne peut être méconnu sous peine de corrompre sa nature.

sa cour et la cour à sa personne. (L'Esprit des lois, liv. VIII, chap. vi et VII.)

Quant au gouvernement républicain, son principe se corrompt, soit lorsque l'esprit d'égalité se perd, soit quand l'esprit d'égalité extrême s'introduit, « et que chacun veut être égal à ceux qu'il choisit pour lui commander >>. Il est évident, en effet, que, dans les deux cas, la vertu n'existe plus.

La place naturelle de la vertu, dit Montesquieu, est auprès de la liberté. Elle ne se trouve pas plus auprès de la liberté extrême qu'auprès de la servitude.

Ces faits établis, car ce sont des faits, et Montesquieu y insiste à plusieurs reprises, il ne reste plus qu'à étudier les lois dans leur rapport avec la nature et le principe de chaque gouvernement. Telle loi, excellente dans une république, sera pernicieuse dans une monarchie, et réciproquement. Une loi quelconque fixe et établie serait la ruine du despotisme, car son essence est de n'avoir aucune loi. C'est cette partie, la plus étendue, sinon la plus importante de l'œuvre, qui a provoqué les plus vives critiques contre Montesquieu. On l'a accusé de complètement oublier son noble préambule, la raison primitive, la justice; d'accepter les faits, de les expliquer, de les justifier même, uniquement parce qu'ils sont. On voudrait que la protestation fût à chaque page, que l'auteur n'eût pas l'air d'être le complice des législateurs iniques, des oppresseurs de tout genre. Il est certain que parfois l'auteur cède à une sorte de volupté intellectuelle qui consiste à saisir les rapports des choses, à les exposer, tels qu'ils sont, et qu'il ne songe plus à se demander si la justice et la raison ne sont pas outrageusement méconnues *. Paul ALBERT.

*La Littérature française au XVIIIe siècle, 4° édition, p. 98-105, passim. Paris, Hachette.

DES ERREURS « DE L'ESPRIT DES LOIS >>

ET DE LEURS CAUSES

Les erreurs de l'Esprit des lois sont : ou des faits invraisemblables que Montesquieu estime et explique comme vrais, ou des faits certains dont il ne donne pas F'explication vraie, ou des maximes générales qu'on pourrait appeler des erreurs en grand, par exemple la théorie de l'influence du climat. On en a fait des volumes, sans compter ce commentaire où Voltaire semble par moments s'impatienter plutôt contre la gloire de Montesquieu que contre ses erreurs. Oseraije dire que ce qui importe, ce n'est pas de compter les fautes de Montesquieu, mais de rechercher par quelle cause générale il se trompe?

Cette cause, c'est qu'il n'a pas eu une connaissance complète de l'homme. Quoi! an esprit de cette application et de cette force, si profond observateur et si fin, qui, par l'art de diriger son génie vers les études où il était le plus propre, sa vie vers le genre de bonheur dont il était le plus capable, a si bien prouvé qu'il se connaissait, Montesquieu aurait ignoré quelque chose de l'homme! Je vais apaiser les admirateurs de ce grand esprit en disant qu'il n'en a ignoré que ce qu'il n'a pas voulu connaître. Il y a une source d'informations où il pouvait compléter sa connaissance, l'antiquité chrétienne: il l'a volontairement négligée. Des deux antiquités, il n'a eu confiance qu'en la païenne; la chrétienne n'a guère obtenu de lui que du respect; c'était beaucoup pour le temps; pour un historien des sociétés humaines, c'était trop peu...

Sans parler de la science de l'homme, qui est la plus grande partie de la science des affaires, est-il donc vrai que les Pères, si profonds dans la première, aient été

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