Page images
PDF
EPUB

qu'on ne trouve en elle ni passion, ni entêtement, ni légèreté, ni humeur, comme dans les autres femmes. D'un seul regard, elle se fait entendre, et on craint de lui déplaire; elle donne des ordres précis; elle n'ordonne que ce qu'on peut exécuter; elle reprend avec bonté, et, en reprenant, elle encourage. Le cœur de son père se repose sur elle, comme un voyageur

abattu par les ardeurs du soleil se repose à l'ombre sur l'herbe tendre... Son esprit, non plus que son corps, ne se pare jamais de vains ornements; son imagination, quoique vive, est retenue par sa discrétion : elle ne parle que pour la nécessité; et, si elle ouvre la bouche, la douce persuasion et les grâces naïves tombent de ses lèvres. Dès qu'elle parle, tout le monde se tait, et elle en rougit; peu s'en faut qu'elle ne supprime ce qu'elle a voulu dire, quand elle s'aperçoit qu'on l'écoute si attentivement. A peine l'avons-nous entendue parler'. » L'image, certes, est poétique, et, sur plus d'un point, elle traduit la pensée de Fénelon avec une fidélité aimable. Mais est-ce bien la personnification de la vie? Cette activité si discrète, si pudique, si parfaite, qui semble finalement se perdre dans une sorte de béatitude silencieuse, ne rappelle-t-elle pas plutôt celle des ombres glissant avec mystère dans les bocages des Champs-Elysées sous les rayons de << la lumière douce et pure qui les environne comme d'une gloire, les pénètre et les nourrit »? Et quand, un peu plus loin, Fénelon nous montre Antiope apparaissant dans la tente d'Idoménée, la taille haute, les yeux baissés, couverte d'un grand voile, ne diraiton pas un beau marbre antique sculpté de la main de Phidias? Ce ne sont point là les conditions véritables de l'activité humaine. J'aime mieux, quant à moi, me

[ocr errors]

1. Rousseau semble avoir voulu rivaliser avec Fénelon, quand il raconte la vie d'une jeune femme mûrie par l'expérience et la réflexion, Mme de Wolmar. Cette peinture est belle, mais elle n'a pas la légèreté et la grâce de celle de Fénelon.

représenter la jeune femme élevée par Fénelon telle qu'il la peint lui-même, en traits fermes et précis, dans le cadre de gentilhommière provinciale où il la place: levée de bonne heure pour ne pas se laisser gagner par le goût de l'oisiveté et l'habitude de la mollesse; arrêtant l'emploi de sa journée et répartissant le travail entre ses domestiques, sans familiarité ni hauteur; consacrant à ses enfants tout le temps nécessaire pour les bien connaître et leur persuader les bonnes maximes; ayant toujours un ouvrage en train, non de ceux qui servent simplement de contenance, mais de ceux qui occupent de façon à ne point se laisser saisir par le plaisir de jouer, de discourir sur les modes, de s'exercer à de petites gentillesses de conversation; s'intéressant à la culture de ses terres; ne dédaignant aucune compagnie, car les gens les moins éclairés peuvent fournir, pour peu qu'on sache les faire parler de ce qu'ils savent, un enseignement profitable; attentive à tout ce qui touche au bonheur du «< nombreux peuple qui l'entoure »; fondant de petites écoles pour l'instruction des pauvres, et présidant des assemblées de charité pour le soulagement des malades; menant, au milieu de ces occupations solides et utiles, une existence régulière et pleine, plus concentrée qu'étendue, mais non sans élévation morale, et animant tout autour d'elle du même sentiment de vie*.

Oct. GREARD.

* L'Éducation des Femmes par les Femmes, p. 43-49. Hachette, 1887.

ΜΕ

MME DE MAINTENON

CARACTÈRE DE Mme DE MAINTENON

Le roman étrange qui est l'histoire vraie de Mme de Maintenon a été plus brillant que joyeux. Mme de Maintenon n'a un peu respiré que dans la maison de Scarron et dans les quelques années qui suivirent. Le reste a été tout de misères dans la jeunesse, et d'infinis labeurs, sous un air riant, dans l'âge mûr et dans l'àge pénible. Il faut remarquer aussi que cette femme qu'on a tant enviée n'a jamais été ni fille, ni mère ni même épouse. Son père était méprisable, sa mère ne l'aimait pas. Elle n'eut pas d'enfant. Elle a épousé successivement deux hommes âgés et malades. Elle n'eut pas les bonnes raisons, pour aimer la vie, ou pour s'en consoler, de Mme de La Fayette ou de Mme de Sévigné. Qu'un peu de sécheresse se fût glissée dans ce cœur, si souvent comprimé, il n'y aurait pas à s'en étonner 2. Ce qui nous étonne, au contraire, ce sont les moments de gaieté qu'on surprend chez cette femme que toute

1. Annotation de l'abbé A. Chauvin.

2. Je mets en doute cette froideur que plus d'un historien considère comme le trait caractéristique de Mme de Maintenon. Il me semble, au contraire, apercevoir chez elle un besoin de tendresse qui n'a pas été satisfait, sans doute, mais qui n'en apparait que davantage au milieu de ses impitoyables observations et de ses désolantes analyses (relatives aux tribulations que l'on éprouve dans le mariage)... Si la fille de Constant d'Aubigné, si la pupille de Mm de Villette, si la femme de Scarron et, plus tard, de Louis XIV, est née avec une ȧme si tendre, qu'elle a dû

sa vie, dans l'infortune et dans la grandeur, et ici plus encore, a obligée de se surveiller et se contenir; comme ce qui nous frappe, ce n'est pas une certaine pointe d'orgueil et quelque penchant à parler de soi, mais au contraire qu'elle n'ait pas été saisie par le vertige, parvenue si haut, partie de si bas. Cela revient à dire que le fond de Françoise d'Aubigné était un souverain bon sens, une raison d'une fermeté invincible. Consultons la raison, disait en souriant Louis XIV; et se tournant vers elle avec ce charme qu'il avait quand il voulait : Qu'en pense votre solidité? C'est bien cela énergique comme d'Aubigné, et, plus que lui, avisée et perpétuellement lucide. Mme du Deffand la trouve « sèche, austère, insensible, sans passion »>, mais remarque qu'elle a de la droiture : « Je persiste à trouver que cette femme n'était pas fausse. » De la part d'un appréciateur malveillant, l'observation est précieuse; car c'est justement l'hypocrisie que l'on a le plus reprochée à Mme de Maintenon. Nous avouons ne pas l'apercevoir dans sa vie, à moins que l'on ne considère comme une hypocrisie chez la femme l'effort de savoir se taire. Ce qui nous séduit au contraire dans l'épouse de Louis XIV, c'est la droiture du cœur et du sens, un sentiment net de la vérité dans les choses pratiques, ce qu'on pourrait appeler le sens du réel. Cette héroïne d'un roman invraisemblable fut la femme du monde la moins romanesque qu'il y ait eu. Elle n'eut jamais d'illusions, même sur elle, et pourtant elle n'était point triste. Sa franchise, son humilité vraie quand elle s'est trompée, et sa simplicité à le recon

souffrir en effet! Car sa vie s'est passée à étouffer, à détruire cette tendresse de cœur dont certaines destinées sont condamnées à se défendre, comme d'une faiblesse. Si elle a lutté, si elle a triomphé, la lutte a dù être douloureuse et le triomphe cruel. En tout cas, elle a bien gardé son secret. Elle est restée, comme elle le voulait et comme elle le disait, une énigme pour la postérité. » (É. Hervé, Disc. de réception à l'Académie française, 10 février 1887.)

1

naître (affaires de Saint-Cyr) est touchante: «< La peine que j'ai sur les filles de Saint-Cyr ne se peut réparer que par le temps... Il est bien juste que j'en souffre, puisque j'y ai contribué plus que personne, et je serai bien heureuse si Dieu ne m'en punit pas plus sévèrement. Mon orgueil s'est répandu par toute la maison, et le fond est si grand qu'il l'emporte même par-dessus mes bonnes intentions... Que vos filles ne se croient pas mal avec moi (pour cela)..., en vérité, ce n'est point elles qui ont tort. » Fénelon ne s'écrierait-il point: «Oh! qu'il y a de grandeur à se rabaisser ainsi!» Nous dirons seulement qu'il y a là une telle fermeté de raison qu'elle va jusqu'à en être émouvante comme un trait de sensibilité. C'est avoir de la raison jusqu'au fond du cœur. Quelques détails nous touchent moins, une certaine affectation de modestie, par exemple, la quenouille filée dans ses appartements aux heures de conversation. Encore faut-il peut-être voir là moins une affectation qu'une protestation contre l'oisiveté de la cour, et un petit exemple à l'adresse de Madame de Bourgogne. A Saint-Cyr elle parle trop d'elle, mais elle a trop d'esprit pour ne pas s'en apercevoir, et vite elle s'en accuse, tout en continuant, avec une sincérité malicieuse qui désarme : « Puisqu'on ne peut éviter le ridicule de parler de soi... » — «On veut toujours parler de soi, dût-on parler contre. » C'est juste le mot de La Rochefoucauld: « On aime mieux dire du mal de soi que de n'en rien dire ». Ces deux philosophes désabusés devaient se rencontrer. Je remarque cependant cette différence que La Rochefoucauld n'a presque jamais parlé de lui.

1. On sait que la passion des représentations dramatiques et l'orgueil des succès obtenus par les jeunes actrices devant le roi et la cour, développèrent chez les demoiselles de Saint-Cyr une frivolité et une indocilité dangereuses. Il importait d'y couper court. Me de Maintenon n'hésita pas; elle reconnut son erreur et trancha dans le vif par des réformes sévères (1692).

« PreviousContinue »