Page images
PDF
EPUB

organes du mouvement. Voici d'ailleurs comment les choses se passent :

Le cerveau provoque un mouvement dans un organe; le résultat de ce mouvement est un phénomène capable d'être apprécié par un de nos sens : image, son, contact; la perception de ce phénomène par un de nos sens est précisément la perception spéciale dont nous venons de déterminer le caractère. Il nous semble que ce caractère est assez absolu, assez formel pour justifier la distinction radicale que nous avons voulu établir entre ces perceptions et toutes les autres.

Mais non-seulement ces perceptions se distinguent des autres quant à leur mode de développement, mais encore au point de vue de leurs propriétés, si je puis ainsi dire.

Les perceptions purement sensorielles dont nous avons déjà parlé nous font connaître les principaux attributs de la matière son, goût, couleur, odeur, image. Les perceptions dont nous nous occupons ici nous font connaître bien mieux que cela elles nous font connaître les divers modes d'activité de notre moi. Le moi ne se connaît pas directement lui-même ; il se connaît, en extériorisant ses actes, en leur donnant la forme percevable d'un mouvement capable d'impressionner un de nos sens : il se donne ainsi le moyen de se percevoir lui-même. Voilà la grande, l'immense propriété des perceptions qui nous occupent; voilà aussi le grand secret de la conscience et de la pensée humaines dévoilé.

Mais, pour bien faire saisir l'importance et le mécanisme de ces perceptions, nous sommes obligé d'entrer dans quelques développements; nous sommes obligé surtout d'établir quelques divisions nécessaires.

Perceptions motrices instinctives. - Lorsque, sortant de sa coquille, l'animal exerce l'activité de ses organes dans le monde extérieur, il provoque par cette activité même le développement de perceptions tactiles qui dirigent ses mouvements. Le cri que ce même animal pousse quand il est blessé par une cause agressive,

est également une cause impressionnante dont il provoque le développement par l'activité de ses organes.

L'homme a aussi ses perceptions tactiles qui résultent de l'activité de ses organes; il a aussi ses cris de joie, de plainte et de douleur. Toutes ces perceptions, chez l'homme et l'animal, ont un caractère commun leur développement est involontaire; il accompagne fatalement l'activité des organes, et les mouvements complexes qui les produisent n'ont pas été appris; l'excitation des causes extérieures ou intérieures est la seule condition qui préside à leur exécution et à leur direction. Par ces motifs, nous désignons ces perceptions sous le nom de perceptions instinctives.

Perceptions motrices intelligentes. - L'animal n'a rien de commun avec ces perceptions. Lorsque, indépendant et libre au milieu de ce qui l'entoure, l'homme compose la noblesse de son attitude et de ses mouvements avec l'élévation de son intelligence, il provoque le développement de perceptions tactiles qui éclairent son intelligence, et lui fournissent l'occasion de modifier, de corriger ses mouvements dans le seul but du perfectionnement de l'être. Ces mouvements appris, voulus, perfectionnés, n'ont rien de commun avec les précédents, si ce n'est la matière première avec laquelle ils sont exécutés. Nous donnons le nom de perceptions motrices intelligentes aux perceptions qui résultent immédiatement de leur exécution.

A. Perceptions motrices expressives. — Lorsque l'homme, sous l'influence d'une cause quelconque, exprime la manière dont il a été affecté par des mouvements que la volonté dirige, exagère ou réprime à son gré, ces mouvements donnent naissance à des phénomènes sonores ou mimiques, véritables objets impressionnants, que le moi perçoit comme la reproduction objective et fidèle de sa propre activité. Nous donnons à ces perceptions le nom de perceptions expressives.

B. Perceptions représentatives.

Lorsque l'architecte

fait sortir de ses mains un monument dont il a tracé le plan; lorsque le statuaire imprime à la cire la forme du modèle qu'il a devant ses yeux ou qu'il a tracé dans son imagination; lorsque le peintre reproduit avec ses pinceaux tout un monde réel ou imaginaire; lorsque le musicien, par des combinaisons savantes, parvient à faire vibrer harmonieusement l'instrument incomparable que nous avons tous dans la rampe du limaçon ; toutes les fois enfin que l'homme crée avec le secours de l'activité de ses organes; dans toutes ces circonstances, les mouvements provoquent, non plus le développement d'un objet impressionnant, fugitif et mobile comme un sourire, un son ou un regard, mais un objet permanent, un témoin plus ou moins durable de l'activité des organes dirigés par l'intelligence. Dans ces objets créés l'âme se voit elle-même, chaque détail de l'œuvre représente un moment de son activité; c'est pourquoi nous donnons à ces perceptions le nom de perceptions représentatives.

Sensation-signe (1). — Comme nous l'avons déjà dit, toutes les perceptions qui nous occupent en ce moment n'avaient jamais été déterminées. Cela est particulièrement vrai pour la sensation-signe. Qu'est-ce donc que la sensation-signe?

La sensation-signe est analogue à toutes les perceptions qui résultent de l'activité de nos organes quant à son mécanisme; mais il y a en elle quelque chose de plus. Quand nous provoquons un mouvement dans l'organe de la voix et que le résultat de ce mouvement est un son, ce dernier représente une des perceptions spéciales dont nous avons déjà parlé : c'est une perception expressive. Mais si, pendant qu'on provoque le son, on a la volonté de représenter par ce son une notion distincte, on a établi entre le son produit et la notion un rapport d'une nature

(1) Nous aurions pu dire perception-signe. Mais comme déjà dans la Physiologie de la voix et de la parole, ainsi que dans la Physiologie du système nerveux, nous nous sommes servi du mot sensation-signe, nous le conservons.

particulière que nous désignons sous le nom de rapport significatif.

Il y a donc dans la sensation-signe quelque chose de plus que dans les autres perceptions qui résultent de l'activité de nos organes, et ce quelque chose est un rapport significatif. Voyons à présent comment se forme la sensation-signe.

Lorsque le centre de perception établit un simple rapport comparatif ou de cause à effet entre deux objets, entre deux perceptions, son activité se borne à se laisser impressionner par les accidents qui résultent de son examen. Dans l'établissement du rapport significatif, l'activité du centre de perception se complique d'un nouvel élément, et cet élément est représenté par l'exécution ou la provocation de certains mouvements exécutés par nos organes.

Pendant que le centre de perception s'applique à distinguer une perception de toute autre, il établit entre cette perception distinguée et des mouvements qu'il provoque dans ses organes un lien particulier, mais de telle. façon que, toutes les fois que les mêmes mouvements seront exécutés, ils rappelleront dans le centre percevant la perception à laquelle ils sont liés; et réciproquement, toutes les fois que la perception apparaîtra dans le centre percevant, elle rappellera le mouvement des organes auquel elle a été liée. Ce lien, désormais indissoluble, est ce que nous désignons sous le nom de rapport significatif. Ce rapport se distingue de tous les autres en ce que pour lui seulement le centre de perception établit un lien entre son activité sensible et son activité motrice.

Mais, pour avoir une idée complète de la sensationsigne, il ne suffit pas d'indiquer la nature, l'essence du rapport sur lequel elle repose; nous devons encore indiquer la forme sensible sous laquelle nous nous donnons la perception de ce rapport.

Nous verrons plus loin que nous donnons une forme sensible à tous les rapports en général par le moyen des

signes du langage. C'est en disant: plus grand, plus court, cause, effet, etc., que nous désignons tous les rapports, Or comment désignons-nous le rapport significatif?

Le rapport significatif ne fait pas exception à la règle commune. Le signe-langage, le mot, le nom, sont la forme sensible à travers laquelle nous percevons le rapport significatif, mais à une condition expresse. Tandis que les mots plus grand, plus court, cause, effet, etc., représentent les termes du rapport établi entre deux perceptions, le mot, en tant que mot, doit exprimer lui aussi les termes du rapport établi entre le mouvement de nos organes et une perception déterminée. Si le mot ne rappelait dans l'esprit qu'un des termes du rapport, c'est-àdire le mouvement de nos organes, il ne serait pas une sensation-signe. Il faut donc que le mot exprime à la fois les deux termes du rapport établi le mouvement de nos organes et la perception déterminée. A cette condition, le mot est la forme sensible sous laquelle nous percevons tout rapport significatif. Le mot Rutlac ne sera pas une sensation-signe parce qu'il ne réveille pas un des termes du rapport significatif, c'est-à-dire la perception déterminée. Rutlac, n'ayant pas de signification, est tout simplement un son résultant de l'activité de nos organes.

Nous disions plus haut que tout rapport reçoit une forme sensible dans le mot. Rien n'est plus certain. Dès lors nous pouvons dire que l'expression du rapport significatif est sous-entendue dans l'expression d'un rapport quelconque. En effet, les mots plus grand, plus court, cause, effet, n'expriment bien le rapport établi entre deux perceptions que si les signes-langages plus grand, plus court, etc., expriment exactement le rapport significatif entre le mouvement de nos organes et la perception grand, etc.

Nous connaissons à présent toutes les conditions de formation de la sensation-signe. Mais cette dénomination nouvelle est trop importante dans l'étude du mécanisme

« PreviousContinue »