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il n'était pas même classé comme sentiment distinct. Nous verrons par la suite combien il était important de le définir exactement et de lui assigner la place qui lui convient. Pour le moment, nous nous bornerons à dire que l'intelligence, la responsabilité et la liberté de tous nos actes reposent sur ce sentiment.

§ III.

PERCEPTIONS QUI RÉSULTENT DE L'ACTIVITÉ COMPOSÉE DU CERVEAU ET DES ORGANES DES SENS.

Perceptions sensorielles. Nous désignons sous le nom de perceptions sensorielles les perceptions qui résultent de l'activité composée du cerveau et de l'appareil du sens. En d'autres termes, ce sont les sensations spéciales qui résultent de l'activité des cinq sens : ouïe, vue, odorat, goût et toucher. Nous ne nous arrêterons pas ici aux notions courantes que l'on trouve dans tous les ouvrages de physiologie et de psychologie; nous examinerons le côté vraiment utile et intéressant de la question en recherchant quel est le rôle de l'appareil des sens, et quel est le rôle du cerveau.

A. Rôle de l'appareil des sens. - La partie du cerveau qui reçoit les impressions et les transforme en perceptions (couches optiques) n'est pas directement sensible aux causes impressionnantes; on peut la toucher, la brûler, la détruire, sans développer le phénomène perception (1). Pour que le phénomène se développe, l'excitation nécessaire doit être transmise par les fibres nerveuses qui aboutissent à l'appareil des sens, ou par les fibres qui s'étendent de la périphérie du cerveau aux couches optiques. Dans ce dernier cas, le phénomène perception est un phénomène subjectif de mémoire ou une hallucination.

(1) Longet, Anatomie et physiologie du système nerveux, t. I, p. 503. Flourens, Recherches expérimentales sur le système nerveux, p. 20.

Nous ne nous occuperons ici que des fibres nerveuses (nerfs proprement dits) qui unissent l'appareil des sens aux couches optiques.

Les nerfs représentent donc l'organe excitateur indispensable de la perception. Mais les nerfs spéciaux eux-mêmes ne sont pas plus directement excitables que les couches optiques. On ne développera jamais une sensation d'odeur, ni une sensation de son, en faisant parvenir directement des particules odorantes, des images, des sons sur les nerfs de l'odorat, de la vision et de l'audition. L'impression qui provoque l'activité de ces nerfs leur arrive avec. plus de ménagements, après une certaine accommodation, après une transformation du mouvement extérieur impressionnant en mouvement organique.

Effectuer ces ménagements, ces accommodations, ces transformations, tel est le rôle de l'appareil extérieur des sens. Les milieux de l'œil ne changent pas la nature du mouvement lumineux; mais ce mouvement est transmis à la rétine par des tissus organiques vivants qui lui ont imprimé certaines modifications et l'ont ainsi rendu apte à impressionner la substance nerveuse.

L'appareil extérieur de l'ouïe remplit un rôle identique et tout aussi évident.

L'appareil extérieur de l'odorat, bien que très-élémentaire, ne fait pas exception à cette règle. Cet appareil est constitué par une couche d'épithélium cylindrique trèsvibratile qui recouvre les extrémités filiformes du nerf de l'odorat.

En conséquence, le rôle de l'appareil extérieur des sens consiste à organiser le mouvement extérieur et à le présenter ainsi modifié à l'activité des nerfs spéciaux. B. Rôle du centre de perception. Du moment que les nerfs spéciaux ont reçu l'action des causes impressionnantes, toute trace de mouvement extérieur a disparu; celui-ci s'est transformé en mouvement vivant qui ne ressemble à aucun autre mouvement, et c'est ce mouvement physiologique qui, seul, est capable de réveiller

le centre de perception. A cet effet, toutes les fibres sensitives viennent aboutir aux couches optiques pour se mettre en rapport avec les cellules dont la vie spéciale. est de percevoir.

On a cru pendant bien longtemps que les impressions que nous recevons de l'extérieur à travers les sens spéciaux se gravaient à l'état d'images dans le cerveau: dans le cerveau il n'y a que des fibres nerveuses et des cellules. L'excitation des nerfs sensoriaux détermine dans ces dernières un certain mouvement; la perception se produit; voilà tout ce que nous savons sur ce point délicat.

Les perceptions nous donnent-elles fidèlement la représentation de la réalité extérieure? Une secte philosophique célèbre en a douté dans l'antiquité. Aujourd'hui, on est en général moins sceptique, et l'on n'incrimine l'exactitude des sens que dans des circonstances exceptionnelles. Par exemple, lorsqu'un bâton dans l'eau nous apparaît sous la forme brisée, bien qu'il soit parfaitement droit, on dit que le sens de la vue nous trompe.

Les sens, à notre avis, ne trompent jamais, car ils nous ont été donnés dans toute leur perfection possible et dans le but de refléter en nous l'image du monde extérieur. Ce qui nous trompe, c'est la partie de nous qui nous a été donnée parfaite, en tant que matière vivante, mais incomplète en tant qu'instrument de connaissance. La raison est un instrument que nous formons tous les jours par l'étude et l'expérience. Les sens ne la trompent pas; c'est elle qui ne sait pas toujours voir tout ce que les sens lui montrent. Les sens montrent à la raison un bâton dévié par la réfraction de l'eau. Les sens sont ici très-exacts, trèssavants; mais la raison, qui ne connaît pas les lois de la réfraction, se révolte et s'écrie que les sens la trompent.

Les perceptions sensorielles nous font connaître les principaux attributs de la matière, et, à ce point de vue, chaque sens a sa spécialité. Cette spécialité est si bien localisée dans chaque nerf spécial, que les perceptions gé

nérales de la vie fonctionnelle, plaisir et douleur, ne sont pas transmises par ces nerfs. On peut les lacérer, les brûler, les piquer sans provoquer le moindre sentiment pénible; mais, par contre, l'appareil organique qui entoure et protége le nerf est doué d'une sensibilité générale trèsvive. Lorsqu'un son, par exemple, produit sur nous une impression pénible à cause de son intensité, ce n'est pas le nerf auditif qui transmet cette impression, mais bien le nerf fonctionnel de l'appareil externe de l'audition.

Les perceptions sensorielles nous font connaître le monde extérieur, mais à une condition: c'est que l'attention dirige le centre de perception et le fixe sur l'objet impressionnant, de manière à le familiariser avec l'impression reçue. Cette application nécessaire, plusieurs fois répétée, développe les perceptions non-seulement au point de vue de leur finesse, mais encore au point de vue agréable ou désagréable qui les accompagne.

Il est des hommes, les gourmets, par exemple, qui savent trouver dans un aliment une saveur délectable qu'un homme habitué à des aliments grossiers n'y soupçonnera même pas. D'un autre côté, le gourmet sera impressionné désagréablement par un plat mal préparé, alors que ce même plat fera les délices d'un autre homme.

Des observations analogues peuvent être faites au sujet des peintures, des morceaux de musique, des sculptures, etc. Nous nous bornerons à dire que, dans l'exercice des sens spéciaux, la modération est une règle indispensable; le même motif qui fait que le centre de perception acquiert par la gymnastique un certain degré de perfection, fait aussi que l'abus est suivi d'un résultat contraire. D'ailleurs, les nerfs des perceptions sensorielles sont susceptibles de fatigue comme les autres nerfs, et quand on vient à les surmener, ils ne réveillent en nous que des perceptions trèsfaibles ou maladives. Malheureusement, lorsque l'homme est arrivé à ce degré d'insensibilité relative, il est porté à y remédier par des excitations plus fortes, et il arrive un

moment où, après avoir parcouru le cycle de tous les excitants, ces derniers sont impuissants à éveiller des sensations, nouvelles.

En général, on désigne les perceptions sensorielles sous le nom de sensations. On a parfaitement raison de les distinguer ainsi des sentiments; mais on a tort de ne pas étendre cette distinction à tous les sentiments généraux qui résultent de la vie organique et de la vie fonctionnelle.

Les perceptions sensorielles se distinguent, en effet, de toutes les autres, parce qu'elles réveillent dans le centre de perception la notion plus ou moins complète de l'objet impressionnant. Dès lors, pourquoi dit-on sensation. de la faim? pourquoi encore une sensation douloureuse? Dans toutes ces circonstances, il serait plus juste de dire: sentiment de faim, sentiment de douleur. Ce sont ces confusions qui nous ont déterminé, d'ailleurs, à adopter le terme général de perception.

§ IV.

PERCEPTIONS SPÉCIALES QUI RÉSULTENT DE L'ACTIVITÉ COM

POSÉE DU CERVEAU ET DES ORGANES DU MOUVEMENT.

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Nous abordons une classe de perceptions qui jamais, à notre connaissance, n'a été mentionnée, et qui, cependant, est liée plus que toute autre aux conditions fondamentales de l'activité de l'esprit humain (1).

Ces perceptions se distinguent de toutes les autres en ce que la cause qui les provoque résulte de l'activité des

(1) Si nous ne nous trompons pas, c'est nous le premier qui, dans notre Physiologie du système nerveux, avons décrit ces perceptions spéciales, les plus importantes de toutes au point de vue de la connaissance du mécanisme de la pensée.

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