Page images
PDF
EPUB

rente. Il en résulte un son unique dans lequel on distingue divers sons d'une manière confuse, mais l'ensemble n'en constitue pas moins une perception unique. Il en est de même du centre de perception, dans ses rapports avec diverses causes impressionnantes simultanées. Mais enfin comment sentons-nous que nous sentons?

Nous devons premièrement sentir la différence qu'il y a entre l'état de sentir et l'état de ne pas sentir. Nous arrivons à établir cette différence par le repos du centre de perception après une impression perçue, et par le retour de cette impression. En second lieu, nous devons recevoir au moins deux impressions successives et nous souvenir de la première pendant que nous sommes attentifs sur la seconde. Par ces moyens, nous arrivons à sentir que nous sentons, car, en vérité, sentir qu'on sent, c'est constater que le centre de perception peut être affecté de plusieurs façons différentes et successives.

Partant

Si ce raisonnement ne paraît pas suffisamment clair et précis, nous prions le lecteur de lire immédiatement le chapitre consacré à la conscience. Le plan de ce travail nous empêche de nous étendre ici sur ce sujet. B. Comment sentons-nous que nous agissons? de quelques expériences mal interprétées, les physiologistes d'abord, les psychologues ensuite, ont admis un sens musculaire qui arriverait fort à propos pour nous expliquer comment nous sentons que nous agissons. Mais ce prétendu sens existe-t-il? C'est ce que nous allons examiner.

[ocr errors]

Du prétendu sens musculaire. Nous n'avons pas voulu prendre la peine de remonter à l'origine de l'invention du sens musculaire. Il nous paraît suffisant de le considérer au moment où les physiologistes lui donnent la sanction de l'expérience, et les psychologues l'importance d'une faculté.

« Nous avons vu, dit M. Cl. Bernard, que les muscles recevaient, outre les filets moteurs, des filets sensitifs. Par là existe dans ces organes une sensibilité particulière

à laquelle on a donné, le nom de sens musculaire, sensibilité qui, permettant d'apprécier jusqu'à un certain point. l'énergie des actions musculaires, la portée d'un effet donné, serait nécessaire pour assurer aux mouvements d'ensemble la coordination qui leur est indispensable (1). » Partant de là, M. Cl. Bernard institua sur un grand nombre de grenouilles des expériences variées, mais qui consistaient en général à couper les racines sensitives des nerfs, et à examiner ensuite l'effet de cette section sur les mouvements. Les mêmes expériences furent répétées sur des chiens, et il ressort de ces expériences que la perte de la sensibilité d'un membre n'entraîne pas la perte du mouvement, mais que les mouvements qui sont produits sont irréguliers et manquent de coordition.

Après M. Cl. Bernard sont venus d'autres expérimentateurs qui ont expérimenté en vue d'appuyer une nouvelle manière d'interpréter le sens musculaire. J.-W. Arnold coupe les racines postérieures à des grenouilles, constate, contrairement aux expériences de Cl. Bernard, que les mouvements ne sont nullement influencés par cette section, et admet (sans se soucier de renverser toutes les lois de la physiologie nerveuse) que les nerfs moteurs contiennent des fibres nerveuses qui portent au sensorium, sans passer par les racines sensitives, la connaissance de l'état des muscles.

Brown-Sequard trouve comme Arnold, et contrairement à Cl. Bernard, que la section des racines postérieures ne nuit en rien à l'exécution des mouvements, et il pense que les nerfs moleurs transmettent directement au sensoriun les impressions musculaires, moins celles qui sont douloureuses.

M. Bain, qui cite ces deux derniers auteurs, accepte avec conviction leur manière de voir; il va même beaucoup plus loin lorsqu'il dit que «<< mêler des nerfs

(1) Cl. Bernard, Leçons sur la physiologie et la pathologie du système nerveux, t. I, p. 248.

sensitifs à des nerfs moteurs est une complication inutile»; il suppose aussi que le sentiment de la contraction musculaire accompagne nécessairement le courant centrifuge ou efférent qui stimule les muscles à l'action (1). Cette opinion est partagée par Ludwig, qui pense « que l'effort de volonté qui provoque un mouvement devient du même coup un moyen de jugement ».

Enfin, pour clore cette liste déjà longue, mentionnons un dernier venu, l'auteur d'un traité élémentaire de physiologie, qui, adoptant surtout les idées de Bain et de Ludwig, propose d'appeler le sens musculaire la conscience musculaire. Pourquoi, dès lors, ne pas dire: conscience stomacale, conscience biliaire, conscience salivaire?

L'opinion de Ludwig et de Bain, d'après laquelle le sentiment de la contraction musculaire est un fait de conscience qui provoque et qui juge l'acte par l'intermédiaire de nerfs moteurs qui se rendent aux muscles, n'est pas admissible, car il est bien des circonstances dans lesquelles la conscience est absente, et cependant la contraction musculaire s'exécute dans ce cas avec une précision et une régularité admirables: le somnambulisme, par exemple. D'ailleurs cette transmission simultanée de l'excitation et du jugement est contraire à toutes les lois connues de la transmission nerveuse. Ces honorables savants ont été trompés sans doute par l'interprétation fausse et généralement répandue des phénomènes de la conscience et de l'activité volontaire (2).

Quant à l'opinion d'Arnold et de Brown-Sequard, elle est tellement contraire aux principes de la physiologie qu'elle nous étonne de la part de ces expérimentateurs distingués. Comment admettre, en effet, que les nerfs moteurs des muscles renferment des fibres sensitives qui vont directement au cerveau sans passer par les racines sensitives du nerf? Tous les faits de la physiologie expéri

(1) Bain, les Sens et l'Intelligence. Traduction de M. Cazelle, p. 59. (2) Voir plus loin.

mentale et de la pathologie infirment cette manière de voir.

Restent donc les expériences de M. Cl. Bernard. Ces expériences ne prouvent pas l'existence d'un sens musculaire elles prouvent simplement que la sensibilité est nécessaire à l'exécution régulière des mouvements. Mais cette sensibilité nécessaire, est-ce celle des muscles ou celle des autres parties du corps?

Là est la question, et les expériences de M. Cl. Bernard ne l'élucident pas, car en coupant les racines sensitives. l'illustre physiologiste détruisait en même temps la sensibilité dans les muscles, dans la peau et dans les autres parties des membres.

Pour localiser les conditions du problème, il fallait détruire les nerfs de la sensibilité dans l'organe même soumis à l'expérience. C'est ce que nous avons fait.

Après avoir chloroformé un chien, nous avons incisé sur les quatre membres et un peu au-dessus de l'articulation des pattes toutes les parties molles, sauf les tendons. De cette façon les nerfs de la sensibilité ne se rendaient plus aux pattes, et le chien ne pouvait plus percevoir l'impression du tact provenant de ces dernières. Or il est résulté de cette mutilation que le chien a pu se tenir sur ses pattes, qu'il a pu les remuer, les porter en avant, mais sans règle ni mesure, et que, finalement, il est tombé. Cette expérience montre clairement que ce n'est pas le sens musculaire qui dirige les mouvements, puisque tous les nerfs des muscles avaient été conservés.

Lorsque, sollicités par une impression venue du dehors ou poussés par un raisonnement intérieur, nous provoquons le mouvement de nos membres, nous ne sentons pas la contraction de nos muscles. Si cette perception était réelle, nous n'aurions pas de peine à retenir le nom et le rôle physiologique des muscles de l'économie. Ce que nous sentons en vérité, c'est le résultat du déplacement par un de nos sens.

Nous avons le sentiment de notre activité en sen

tant par le toucher les véritables positions de nos doigts sur un objet; ou encore en sentant, par le simple tact, le mouvement de nos organes les uns sur les autres. Le sentiment de l'effort provient également de la résistance sentie à travers les nerfs du tact et d'autres sensations tactiles provoquées par l'arrêt de la respiration, par le gonflement des muscles, des vaisseaux, etc. Nous sentons notre activité par les variables impressions que produisent les images sur notre œil, les sons sur notre oreille, les odeurs sur l'odorat, selon les mouvements d'approche ou d'éloignement que notre activité provoque. En un mot, nous sentons notre activité par les modifications de la sensibilité qui résultent de cette activité même, et nullement par l'intermédiaire d'un sens complaisant, désigné sous le nom de sens musculaire ou sens de la contraction musculaire.

Sentir que l'on sent et sentir qu'on agit représentent les deux modes essentiels de l'activité cérébrale.

Le cerveau est le seul organe qui ait ainsi le sentiment de sa propre activité. Mais il ne faut pas oublier que, même à ce point de vue, l'organe cérébral ne fait point exception à la loi que nous avons formulée, à savoir: que tous les phénomènes vitaux sans exception échappent à notre perception directe, à notre connaissance, et que la vie ne se perçoit pas elle-même. Le cerveau perçoit son activité, mais d'une manière indirecte, par le mécanisme que nous venons d'indiquer, et, dans tous les cas, il ne perçoit que les résultats extériorisés de sa propre vie.

L'immense prérogative de percevoir qu'il sent et qu'il agit, nous autorise à accorder au cerveau un sentiment que nous n'avons accordé à aucun autre organe, et que nous désignerons si l'on veut sous le nom de sentiment de l'activité cérébrale. Comme nous le verrons plus loin, la conscience des auteurs n'est autre chose que l'activité cérébrale s'exerçant sur ce sentiment même.

Le sentiment de l'activité cérébrale n'avait pas été jus qu'à présent analysé dans ses conditions élémentaires ;

« PreviousContinue »