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lorsqu'il connaît par expérience les plaisirs qui accompagnent l'exercice fonctionnel.

Quant à la douleur, elle est la contre-partie du plaisir. Tout ce qui est contraire à l'accomplissement normal des mouvements fonctionnels développe le sentiment douleur.

Le soin que nous venons de prendre, en rattachant les sentiments plaisir et douleur à leur véritable signification physiologique, nous conduit naturellement à déterminer de la même façon le sens de deux expressions très-communément employées, et qui ont, avec le plaisir et la douleur, des relations intimes. Nous voulons parler du vice et de la vertu.

Du vice et de la vertu. Dans les temps anciens comme dans les temps modernes, les moralistes se sont appliqués à nous donner des tableaux très-frappants du vice et de la vertu; mais, à notre connaissance, personne n'a cherché, par l'analyse, à définir la nature essentielle du vice et de la vertu. Garnier, dans son Traité des facultés de l'âme, ne définit pas le vice; c'est à peine s'il le distingue des passions. Quant aux vertus, il les dépeint d'une manière générale, recommandant sur ce point. quelques modèles tels que la femme forte de l'Écriture, l'image du philosophe d'après Platon, le portrait de Cyrus dans Xénophon et celui de Dion par Rollin. Il nous semble qu'on peut, sinon faire mieux, aller du moins un peu plus loin dans l'analyse des phénomènes de l'âme. Tel est, d'ailleurs, le but de la physiologie.

Et d'abord, le vice et la vertu sont-ils des sentiments ou des actes? L'un et l'autre ce sont des sentiments contre nature qui poussent l'homme à des actes contre nature. Cette définition exige quelques explications.

A chacun de nos besoins est attaché d'une manière inséparable le désir de leur donner une satisfaction fonctionnelle, et la réalisation de ce désir est accompagnée d'un plaisir.

Le désir et le plaisir fonctionnels sont, sous ces conditions, une chose bonne en soi, naturelle et légitime. Mais

si on désire le plaisir fonctionnel, non pour répondre à un besoin nécessaire, mais pour jouir exclusivement du plaisir qui accompagne la fonction, alors nous désirons. une chose non naturelle, illégitime, et le sentiment contre nature qui nous pousse doit porter un nom distinct: nous l'appelons vice.

Si, au contraire, loin de rechercher le plaisir fonctionnel, l'on n'accomplit les fonctions que dans le but de satisfaire un besoin nécessaire, sacrifiant volontiers le plaisir fonctionnel à soi-même, à ses semblables ou à Dieu, l'on fait une chose contre nature, car le plaisir fonctionnel nous a été donné comme une récompense légitime et naturelle. Le sentiment qui nous pousse à ce sacrifice contre nature doit porter un nom spécial, et nous lui donnons celui de vertu.

Le vice et la vertu absolus ne sont pas; car il n'est pas possible que, chez le vicieux, la recherche du plaisir ne soit point quelquefois mêlée à la satisfaction légitime du besoin, et le vertueux, malgré toute son énergie, ne peut pas ne pas sentir le plaisir fonctionnel, bien qu'il le méprise et le sacrifie.

Il n'y a qu'un moyen d'éviter le plaisir fonctionnel : c'est de ne pas remplir la fonction. C'est ce que font les prêtres par le célibat, et les ordres qui pratiquent l'ascétisme par le jeûne, la privation de sommeil, etc.

Quelques ordres vont même plus loin non-seulement ils méprisent le plaisir fonctionnel par l'abolition de la fonction, mais ils s'imposent les souffrances volontaires : ils cultivent la douleur. D'après notre définition, c'est plus que de la vertu. Mais supprimer une fonction n'est pas vivre dans les conditions physiologiques, et nous ne parlons ici que de ces dernières.

En réalité, le vice et la vertu ne peuvent pas être absolus, et l'instinct de l'homme l'a bien deviné lorsqu'il a donné le nom de vice à l'abus de toutes les jouissances fonctionnelles, etle nom de vertu, non à la privation absolue du plaisir fonctionnel, mais à une certaine réglementation de ce plaisir

et à sa soumission complète à la raison, suffisamment éclairée elle-même par les lois divines et humaines. Quant à la privation absolue du plaisir fonctionnel par l'abolition de la fonction, l'homme l'a désignée sous le nom de mortification, réservant celui d'héroïsme au sacrifice même de l'ensemble des fonctions, c'est-à-dire de la vie, à une idée morale.

D'après notre définition, il y a autant de vices qu'il y a de plaisirs fonctionnels, et, par conséquent, autant de vertus qui correspondent aux vices.

Aux plaisirs qui accompagnent l'accomplissement des fonctions digestives correspondent les vices gastronomie et ivrognerie, et les vertus sobriété, tempérance.

Aux plaisirs qui accompagnent l'accomplissement des fonctions génésiques correspondent les vices: onanisme, pédérastie, nymphomanie, et la vertu chasteté.

Aux plaisirs qui accompagnent l'accomplissement des fonctions de relation correspondent les vices: gourmandise, abus du plaisir des sens, abus de la lecture, de l'écriture, parler pour ne rien dire ou lire et écrire des riens, et les vertus: perfectionnement convenable des sens et de l'activité en général, écrire et parler peu et à propos.

Le sentiment de l'individualité a, lui aussi, ses vices et ses vertus; ce sont même les plus importants à connaître; mais nous ne devons pas changer le plan de ce travail. Nous en parlerons plus loin à propos de l'individualité intelligente.

L'analyse physiologique ne se borne pas seulement à nous indiquer la provenance précise de nos divers sentiments; elle nous montre aussi leur caractère et leur but moral. A propos des besoins et des passions, nous avons pu affirmer que toutes les passions, sans exception, sont bonnes; car elles ne sont que l'exagération d'une chose bonne en soi et naturelle. Elles ne sont répréhensibles parfois que dans les actes qu'elles provoquent; mais ceci est affaire à la raison, qui a pour mission de maintenir l'équilibre entre les diverses impulsions.

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Par contre, le vice est absolument mauvais, parce qu'il est le désir de la jouissance en dehors du but pour lequel elle a été donnée à l'homme. L'homme vicieux ne désire pas satisfaire un besoin naturel il désire jouir pour le seul plaisir de jouir. Là est le vice; là aussi est le danger, parce que, dans cette voie, l'homme ne trouve plus aucun frein qui le retienne. Dans la passion, le frein contre les excès se trouve dans la satisfaction même du besoin; dans le vice, on ne le trouve qu'après avoir épuisé les sources vives de la sensibilité. Mais, cette source une fois tarie, il n'est pas de baguette magique qui puisse de nouveau la remplir.

Le plaisir, la douleur, représentent les perceptions qui se dévelopent à l'occasion de toutes les fonctions. Il nous reste à examiner les perceptions spéciales qui résultent de l'activité de certaines fonctions.

§ II.

PERCEPTIONS SPÉCIALES RÉSULTANT DE L'ACTIVITÉ DES
FONCTIONS DE RELATION.

Toute fonction de relation implique nécessairement la participation du cerveau à son accomplissement, soit comme organe percevant, soit comme cause motrice. Réciproquement le cerveau ne saurait fonctionner sans la participation des autres organes de la vie de relation, car il ne sent pas directement les causes impressionnantes, et il est incapable de provoquer directement des mouvements efficaces. Un lien nécessaire unit ces divers organes, et c'est par leur action mutuelle et réciproque qu'ils parviennent à remplir leur admirable destinée.

Le cerveau agit plus ou moins directement sur tous les organes du corps, mais ses instruments spéciaux sont le système musculaire, qui donne par les mouvements une forme sensible aux diverses excitations cérébrales, et l'appareil périphérique de la sensibilité qui traduit en mou

vement organique spécial le mouvement de tout ce qui est en dehors du cerveau. C'est de l'action combinée de ces organes les uns sur les autres que résultent les perceptions qui vont nous occuper.

Sentiment de l'activité cérébrale. -Et, d'abord, établissons un fait des plus importants: le cerveau ne sent pas sa propre vie; il ne se sent ni percevoir ni agir directement. De même que le foie ne se sent pas faire de la bile; de même que l'ovaire ne se sent pas faire des œufs qui sont le germe de l'individu futur; de même le cerveau ne se sent pas directement percevant et excitant des mouvements. A ce point de vue le cerveau subit les lois générales de la vie organique que nous avons formulées plus haut.

Mais ces comparaisons, cette manière de voir, sontloin des idées reçues; elles peuvent paraître suspectes. Nous allons prouver qu'elles sont absolument justes, et qu'elles résultent de l'analyse sévère que nous avons apportée dans le classement physiologique des mouvements de la vie.

Nous ne sentons pas que nous sentons, nous ne sentons pas que nous agissons d'une manière directe. Ce sentiment, quand nous l'éprouvons, résulte d'un mécanisme physiologique que nous allons faire connaître.

A. Comment sentons-nous que nous sentons? — Si le centre de perception n'était réveillé que par une couleur toujours la même, sentirions-nous que nous sentons? Non, certes. La sensibilité, dans ces conditions, s'identifierait entièrement avec la perception unique, et, n'ayant jamais senti autre chose, elle serait affectée sans le savoir, car sentir qu'on est affecté d'une façon suppose nécessairement qu'on sait pouvoir être affecté d'une autre.

Il semble dès lors qu'en multipliant les causes impressionnantes on fournit à la sensibilité l'occasion de sentir qu'elle sent. Erreur. Le centre de perception simultanément affecté par diverses causes impressionnantes est comme la résultante des sons qui proviennent de divers instruments donnant en même temps une note diffé

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