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Lorsque le muscle est au repos et qu'il n'a pas dépensé par l'exercice de sa fonction les produits de la vie organique, ceux-ci s'accumulent et les nerfs fonctionnels, réveillés par ce milieu anormal, provoquent dans le centre de perception le sentiment de besoin de contraction musculaire.

2o Besoins provenant des organes sensoriels. Les besoins qui proviennent des organes sensoriels sont analogues au précédent quant au mécanisme de leur production. Les produits accumulés de la vie organique impressionnent d'une manière anormale les nerfs fonctionnels, qui, à leur tour, provoquent dans le centre de perception un sentiment de malaise qui est le besoin de fonctionner. Pour se faire une idée de l'intensité de ce besoin, il n'y a qu'à suspendre volontairement pendant quelques instants l'activité des sens de la vue et de l'ouïe alors que le centre de perception est éveillé. Le malaise qui résulte de cette suspension est intolérable.

3o Besoins provenant du système nerveux. L'activité fonctionnelle du système nerveux se manifeste, d'un côté, par la perception des impressions, et, de l'autre, par l'incitation à des mouvements. Nous devons, par conséquent, trouver dans la vie organique du système nerveux des modifications qui, à un moment donné, impressionnent les nerfs fonctionnels et déterminent la sensation du besoin de percevoir et la sensation du besoin de provoquer des mouvements. Mais, dira-t-on, en quoi consiste cette modification? où sont les nerfs fonctionnels? Il me suffit de savoir que les cellules et les fibres cérébrales se nourrissent, pour admettre qu'elles dépensent. Cette dépense se traduisant par une perception ou une excitation, j'en conclus que, par le repos, les conditions matérielles de la perception et de l'excitation s'accumulent dans les organes; de là résulte la tension fonctionnelle, ou, autrement dit, le besoin. Quant aux nerfs fonctionnels qui transmettent l'excitation de cette cause impressionnante spéciale au centre de perception, ce sont évidemment les

fibres qui unissent les couches optiques aux divers départements de la substance cérébrale.

Les besoins que nous venons d'énumérer, considérés isolément, ne disent pas tout ce qu'ils doivent nous apprendre. Il n'en est pas de même si nous les considérons associés les uns aux autres, comme cela doit être. Le cerveau, en effet, participe nécessairement à toute fonction de relation, et c'est en associant ses propres besoins à ceux des organes sur lesquels il agit qu'on peut se faire une idée complète des besoins de la vie de relation.

En associant le besoin cérébral de provoquer des mouvements avec le besoin de contraction musculaire, nous avons le besoin composé que nous désignons sous le nom de besoin de mouvement. En associant le besoin cérébral de percevoir avec le besoin propre aux organes sensoriels et de la sensibilité générale, nous avons les besoins composés que nous désignons sous les noms de besoin de sentir et besoin de connaître. Au besoin de sentir est attaché le besoin d'exprimer par un mouvement le mode agréable ou désagréable dont la sensibilité est affectée; c'est le besoin d'expression. Au besoin de connaître est attaché le besoin d'exprimer par des mouvements convenus l'ensemble des caractères qui constitue une connaissance : c'est le besoin du langage.

Nous examinerons successivement chacun de ces besoins composés.

A. Besoin de mouvements. Lorsque l'ensemble des muscles de la vie de relation est au repos depuis un temps plus que suffisant à la réparation de la dépense fonctionnelle, les nerfs fonctionnels des muscles transmettent au centre de perception une impression particulière qui se traduit par le besoin de fonctionner. Mais, pendant ce temps, les fibres cérébrales, excitatrices du mouvement musculaire, transmettaient au centre de perception une impression analogue. Ces deux ordres d'impression, aboutissant en un point qui, lui-même, pendant la veille, est en état de tension fonctionnelle, déterminent une sensation de

besoin complexe qui se traduit par la provocation du mouvement des diverses parties du corps. Le mouvement du corps est si souvent employé au service d'incitations d'un autre ordre, que rarement, chez l'homme actif, le besoin de mouvement se fait sentir. Cependant il importune assez vivement les hommes qui ont une occupation sédentaire.

B. Besoin de sentir. Le besoin de sentir est une sorte de curiosité qui nous pousse invinciblement à ouvrir la porte de nos sens, et à recueillir les impressions de toute nature. Ce besoin est commun à l'homme et aux animaux. Cependant il y a deux manières de sentir qu'on ne saurait confondre. Entre l'animal qui sent, voit, entend, et l'homme qui distingue les objets par des traits caractéristiques qu'il formule dans un mot, il y a un abîme. Entre l'animal qui pousse des gémissements plaintifs dès qu'on le blesse, et l'homme qui répond par un mot sublime de résignation aux plus affreuses tortures, il y a plus qu'un abîme: il y a l'immensité qui sépare la sensibilité bornée de la bête de l'intelligence de l'homme. A ces diverses manières de sentir et d'agir, correspondent nécessairement des besoins différents. Aussi avons-nous désigné sous le nom de besoin de sentir le besoin commun à l'homme et aux animaux, réservant le besoin de connaissance pour l'homme seul.

C. Besoin d'expression. Le besoin d'expression est attaché à l'organe de la sensibilité comme le volant à sa machine. Toutes les fois que l'animal désire vivement la satisfaction d'un besoin, toutes les fois qu'il subit une impression agréable ou désagréable, le centre de perception manifeste la manière dont il est affecté par des mouvements particuliers, et qui n'ont d'autre destinée que cette manifestation même. Ce sont les mouvements expressifs. Chez l'homme, çe besoin est le même que chez les animaux; mais, soumis aux déterminations de l'intelligence, il sert souvent à exprimer les modalités tout à fait mensongères de la sensibilité. En général, l'intel

ligence s'applique à maîtriser le besoin d'expression et à le réglementer.

D. Besoin de connaître. Le besoin de connaître nous pousse irrésistiblement à étudier les objets de nos perceptions et les perceptions elles-mêmes, à chercher les rapports de ressemblance ou de dissemblance, les rapports de cause à effet et autres, en un mot, à distinguer toute perception par un ensemble de caractères qui, formulés par les signes du langage, constituent une connaissance.

En ouvrant les sens au monde extérieur, l'homme ne se borne pas à regarder pour trouver un objet qui flatte son appétit, à écouter pour fuir un danger qui approche ou surprendre une proie qui arrive; poussé par le besoin de connaissance, il regarde pour voir, il écoute pour entendre, il étudie ses sensations, il caractérise l'objet impressionnant, et, en définitive, il case le tout dans sa mémoire pour le seul plaisir d'avoir acquis une connaissance.

Le besoin de connaître conduit l'homme à se regarder lui-même, à étudier ses actes et à les comparer à ceux de ses semblables.

Le besoin de connaître enfin pousse l'homme, nonseulement à connaître ce qu'il sent, mais encore ce qu'il ne sent pas directement: l'inconnu l'attire, et, par le seul travail de son esprit, il s'élève à la connaissance des espaces célestes et de l'infini.

On dit souvent que le langage est la caractéristique de l'homme. Nous n'y contredisons pas; mais, à ce point de vue, le besoin de connaître doit passer avant le langage. L'homme, en effet, est intelligent avant de parler. Avant tout, il est capable d'établir des rapports intelligents entre les diverses causes impressionnantes, et le langage n'est pour lui qu'un instrument. Si l'homme n'était pas intelligent, capable de connaissance, il ne parlerait pas; car le langage est une possibilité de l'intelligence seule; mais, sans l'instrument du langage, la connaissance humaine serait bien peu de chose.

Pour exprimer la vérité physiologique, nous dirons que

le besoin de connaissance est la caractéristique organique de l'homme; tandis que le langage est sa caractéristique fonctionnelle.

E. Besoin du langage. -Si le besoin d'expression est attaché comme un satellite au besoin de sentir, le besoin de connaissance a, lui aussi, un compagnon analogue et tout aussi obligatoire. Ce compagnon est le besoin du langage. Tandis que le signe expressif indique simplement une modification de la sensibilité, le signe-langage indique un rapport volontairement établi entre cette sensibilité même et certains mouvements provoqués dans nos organes. Sans les signes expressifs, nous ne connaîtrions pas directement les diverses émotions de l'àme; et, sans les signes du langage, nous ne connaîtrions jamais les résultats de l'activité de l'âme dans ses rapports avec les causes impressionnantes. Il était donc nécessaire que l'exécution des uns et des autres fût soumise à la loi inéluctable des besoins organiques, car, dans ces conditions, l'homme ne pouvait pas plus s'empêcher de créer le signe-langage qu'il ne peut se soustraire aux sollicitations absolues de la faim et de la soif.

Passions provenant des organes de la vie de relation. D'après la définition que nous en avons donnée, la passion n'est que l'exagération du désir qui accompagne le besoin. Par conséquent, énumérer les besoins de la vie de relation, c'est indiquer en même temps les passions qui leur correspondent.

Au besoin de mouvement correspond la passion d'exercer l'activité cérébrale dans ses rapports avec la contraction musculaire : la passion des exercices du corps, de la gymnastique, des ascensions de montagnes, etc., etc. Lorsque cette passion se donne un objectif spécial en dehors du mouvement même, elle constitue ce qu'on appelle passion de faire de la musique, de la peinture, des armes, de la sculpture, qu'il ne faut pas confondre avec la passion des sculptures, des peintures, des œuvres d'art, de la musique, etc.

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