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Les passions sont non-seulement bonnes, mais nécessaires. Le type de l'homme physiologique, d'après nous, serait celui qui, ayant tous les sentiments de besoin développés dans une mesure assez convenable pour être sans cesse entraîné dans le domaine de la passion, aurait assez d'énergie pour se maintenir dans le domaine du sentiment. Mais ce type n'est pas possible, parce que la vivacité du sentiment de nos besoins varie naturellement selon les difficultés qu'il rencontre sur sa route.

Il y a autant de passions que de besoins organiques à satisfaire. Par conséquent, après la description de chaque besoin, nous indiquerons la passion qui lui correspond.

§ II.

BESOINS QUI PROVIENNENT DES ORGANES DE LA VIE DE NUTRITION, ET PASSIONS QUI LEUR CORRESPONDENT.

1° Besoins.

Les organes de la vie de nutrition comprennent l'appareil digestif, les appareils respiratoire et circulatoire, et enfin tous les organes à sécrétion ou à excrétion qui sont annexés à ces appareils.

Le besoin de fonctionner est tout à fait vague et indéterminé là où la vie organique est indépendante de l'intervention directe de la volonté, comme, par exemple, dans le foie, dans la rate, dans les reins, etc. On ne comprend pas d'ailleurs de quelle utilité aurait pu être une impression de besoin nettement caractérisée, alors que le cerveau est incapable d'intervenir d'une manière utile dans la satisfaction de ce besoin. Le médecin, l'hygiéniste, peuvent seuls connaître ces divers besoins et intervenir efficacement par la notion spéciale des signes qui les accusent.

Au contraire, dans les organes dont la vie organique dépend plus ou moins directement de l'intervention cérébrale, l'impression de besoin de fonctionner prend un caractère plus distinct, mieux déterminé, qui a permis de la

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désigner par des noms spéciaux et indiquant, en général, la nature de la fonction que les besoins sollicitent. C'est ainsi que le besoin de fonctionner propre aux organes de l'appareil digestif porte le nom de faim. L'impression qui donne naissance à ce besoin provient d'une pléthore de la vie organique et d'une tension fonctionnelle. Il suffit en effet, d'introduire dans l'estomac un corps quelconque, dont le contact provoque l'activité fonctionnelle, pour tromper la faim.

La soif provient d'une tension fonctionnelle d'un autre genre. Les sécrétions ne se produisent qu'à la faveur d'une certaine quantité d'eau. Lorsque cette quantité n'est pas suffisante, les sécrétions des glandes, situées dans la partie supérieure du tube digestif, s'arrêtent ou diminuent. De là, une impression pénible sur les nerfs fonctionnels que nous traduisons par le nom de soif.

Le besoin de fonctionner qui provient des organes de la respiration et de la circulation est assez vif et assez distinct. Comme chez les autres, l'impression qui lui donne naissance provient d'une tension fonctionnelle qui demande à disparaître.

Passions. Le besoin de fonctionner des organes de la digestion est le plus impérieux des besoins de la nature. Aussi prend-il rapidement le caractère de la passion dès qu'on tarde à le satisfaire. Le mot passion, considéré seulement au point de vue étymologique, convient particulièrement à ces besoins organiques, car la souffrance est le mode sensible de leur manifestation. Cependant on parle peu de cet ordre de passions. On confie les unes aux soins du médecin, et on confond les autres, telles que la faim et la soif exagérées, avec la gourmandise et l'intempérance. Cette façon d'agir provient, sans nul doute, de cette tendance naturelle, propre à l'homme, qui nous pousse à déguiser autant que nous le pouvons le mobile. inférieur des déterminations les plus nobles. Elle provient encore de ce que les passions nutritives s'adressent directement à la raison en lui posant incessamment la question

pressante de vie ou de mort. Si nous avions le temps d'avoir faim et soif comme nous avons le temps de provoquer les excitations amoureuses, nul doute que l'esprit de l'homme ne s'emparât de ces sentiments pour faire avec eux des romans savoureux composés d'émanations gustatives et odorantes sublimées dans le chapiteau de l'imagination. Mais l'organisme qui a faim n'attend pas et n'a pas besoin d'être excité.

Lorsque les passions nutritives sont activées par la privation absolue, elles peuvent pousser l'homme le plus modéré et le plus doux aux extrémités les plus horribles. Cependant, ici même, l'homme conserve sa supériorité sur les animaux: il se laissera mourir de faim à côté du cadavre de son semblable qui pourrait sauver ses jours; ou bien, obéissant à des besoins d'un ordre plus élevé, il leur sacrifiera cet organisme dont ils proviennent euxmêmes. Ce dernier genre de mort est peut-être le témoignage le plus éclatant de l'existence de l'âme.

La passion nutritive est un des éléments essentiels de l'instinct de conservation, et, à ce titre, elle est un des plus puissants aiguillons de l'activité humaine. Notre nature aristocratique déguise le plus possible l'aiguillon, mais elle ne peut se mettre à l'abri de la piqûre. Le soin jaloux que nous mettons tous en général à laisser dans le sous-entendu les sollicitations importunes de l'organisme, peut être considéré comme l'expression du sentiment intime que nous avons de la dualité du corps vivant. Nous tenons ce quelque chose qui n'est pas le corps en si haute estime, qu'il nous répugne même d'avouer que parfois nous l'employons au service de la matière.

Cependant tout le monde n'a pas le sentiment de ces délicatesses, de ces déguisements inconscients, et il ne manque pas de gens qui expriment leur passion nutritive avec la plus entière franchise. C'est à l'occasion de ces derniers, sans doute, que le professeur de déclamation Delsarte enseignait à ses élèves quatre manières différentes de prononcer les mots : j'ai faim.

Lorsque la passion nutritive est très-prononcée, elle donne généralement naissance à une certaine façon de se satisfaire que l'on désigne sous les noms de gloutonnerie, voracité. Nous verrons plus loin ce que c'est que la gourmandise.

§ III.

BESOINS PROVENANT DES ORGANES DE LA GÉNÉRATION

ET PASSIONS CORRESPONDANTES.

Les philosophes de la Grèce antique vivaient dans un pays où les monuments n'attestent que trop l'empire de l'amour, et cependant leurs écrits sont pleins de réserve à l'endroit des sentiments qui nous occupent. Il semble que ces sages aient reculé de crainte en fouillant trop profondément la nature sur ce point délicat, ou bien qu'ils n'aient pas voulu se plier à la condition, requise en pareil cas, de tremper leur plume dans le calice des fleurs, avant de confier leur pensée au papyrus de Syracuse.

Nous imiterons leur réserve à cet égard. Bornonsnous à dire que les besoins et les passions génésiques, comme tous les besoins organiques d'ordre inférieur, sont idéalisés par l'imagination, et que, sur ce terrain, les charmes de l'esprit feraient oublier souvent le sentiment lui-même, si en même temps ils n'en rehaussaient le prix.

§ IV.

BESOINS PROVENANT DES ORGANES DE LA VIE DE RELATION

ET PASSIONS CORRESPONDANTES.

Par vie de relation, nous entendons cet ordre de fonctions qui a pour but de mettre le centre de perception en rapport avec les divers organes du corps et avec le monde extérieur.

Les tissus vivants qui composent les organes de la vie de relation ont une vie individuelle propre qui a ses exigences, ses besoins analogues aux besoins de la vie organique en général. Le besoin de crier, le besoin de mouvoir ses membres, le besoin de recevoir des impressions de toute nature, le besoin de communiquer à nos semblables notre manière de sentir par le langage, sont à la vie morale et intelligente de l'homme ce que le besoin de manger et de boire sont à l'existence et à l'entretien de l'être.

Ces deux ordres de besoin, bien que très-distincts dans leur but, n'en ont pas moins un caractère commun, indélébile, qu'ils puisent dans une commune origine. Ce caractère est la nécessité de leur manifestation: la volonté la plus énergique ne peut pas empêcher qu'ils ne s'imposent à nous, et, quoi qu'on fasse, ils réveillent d'une manière fatale l'activité du centre de perception (1).

Beaucoup d'organes concourent aux manifestations de la vie de relation; mais il nous suffira de considérer ici : 1° les besoins qui proviennent du système musculaire ; 2o les besoins qui proviennent des organes sensoriels ; 3o les besoins qui proviennent du système nerveux.

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1° Besoins provenant du système musculaire. Le besoin. organique du système musculaire consiste dans le besoin de contraction. La manière dont ce besoin retentit dans le centre de perception est assez obscure : l'absence de mouvement fait naître dans nos membres une cause impressionnante qui provoque dans le centre de perception. un sentiment de malaise vague, et ce sentiment de malaise nous pousse irrésistiblement à nous mouvoir. Tel est le besoin de contraction.

Le mécanisme de l'impression qui provoque le malaise est analogue à celui des glandes gastriques sur les nerfs fonctionnels de l'estomac, dans la sensation de la faim.

(1) Le lecteur qui désirerait sur ce point des connaissances physiologiques plus complètes n'a qu'à consulter notre Physiologie du système nerveux, p. 178 et suivantes.

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