Page images
PDF
EPUB

à-dire par des instruments sensibles, se trouvant en rapport direct avec le centre de perception.

Si les idées pouvaient arriver directement à l'intellect par l'intermédiaire des cinq sens, il n'en serait pas ainsi, et les signes écrits pourraient être directement saisis par l'intelligence; mais nous avons vu que cela est impossible.

Tout langage, c'est-à-dire tout signe destiné aux opérations de l'esprit et à ses manifestations, fait nécessairement partie de notre organisme, et tout signe en dehors de nous ne peut arriver à l'entendement qu'en passant par traduction dans le langage de l'orga

nisme.

Donc l'écriture n'est pas un langage: l'écriture n'est qu'un aide-mémoire destiné à suppléer, par sa permanence, à la fugitivité de la parole. Le sens de la vue excité par le signe écrit provoque directement les mouvements physiologiques qui ont accompagné la formation de ce signe, c'est-à-dire les mouvements du langage dont il n'est qu'une traduction.

Cette démonstration est d'une importance extrême, surtout au point de vue des sourds-muets. Malgré nos écrits, malgré notre insistance pour faire abandonner des erreurs préjudiciables, on continue d'assimiler le mécanisme de l'écriture, dans ses rapports avec la pensée, au mécanisme du langage articulé, et l'on s'imagine que voir les signes de l'écriture et les comprendre, c'est penser avec ces signes.

Vouloir enseigner à penser directement par des signes extérieurs est une erreur déplorable; vouloir que des enfants sourds-muets apprennent la langue nationale par l'écriture, sans le secours du langage qui leur est naturel, c'est-à-dire sans le secours du langage mimique, est une prétention condamnable, d'autant plus coupable qu'elle s'exerce aux dépens d'infortunés qui ne peuvent se défendre.

TROISIÈME QUESTION. Les signes extérieurs placés en

dehors de nous ont-ils la valeur du mouvement-signe? sont-ils un langage?

Les monuments, les monnaies, les fleurs ont un langage, entend-on dire tous les jours. Les personnes qui parlent ainsi sont dupes de l'extension illogique qu'elles donnent au mot langage; elles sont dupes encore de ce procédé assez fréquent qui nous porte à mettre conventionnellement une série d'idées dans un objet extérieur. Dès lors cet objet parle; mais il parle le langage que nous lui avons donné.

Le mot langage, dans ces conditions, est tout à fait impropre. L'objet auquel on l'accorde est un objet impressionnant qui, par sa forme, par les propriétés qu'on lui a communiquées, réveille dans la mémoire certains faits, certaines idées que nous traduisons immédiatement avec notre langage.

S VI.

SOURCES AUXQUELLES L'INTELLIGENCE PUISE

LE MOUVEMENT-SIGNE.

Nous connaissons la nature du mouvement-signe, nous connaissons les lois de sa formation, nous sommes en mesure de distinguer ce qui est lui de ce qui n'est pas lui; reste à indiquer les organes que l'intelligence emploie pour concourir à leur exécution.

Pour effectuer les mouvements-signes, l'intelligence se sert d'instruments qu'elle a préparés d'avance à un autre usage ce sont les mouvements-instinctifs, que nous avons déjà décrits sous le nom de mouvements attractifs, expressifs et répulsifs. Empressons-nous d'ajouter que, chez l'homme, ces mouvements présentent un cachet de perfectionnement que nous ne trouvons chez aucun animal. Cependant tous les mouvements instinctifs ne sont pas également propres à servir les vues de l'intelligence; elle

fait un choix parmi eux, en sorte que, pour les énumérer, nous ne saurions mieux faire que d'observer et de signaler ses propres déterminations.

La première observation qui nous frappe, c'est que l'intelligence emprunte aux mouvements expressifs les mouvements-signes qui doivent représenter sa propre manière de sentir, tandis qu'elle emprunte aux mouvements imitatifs les mouvements-signes destinés à représenter les objets de ses impressions. Nous donnerons quelques développements à cette pensée.

Quand l'intelligence veut exprimer par un mouvementsigne sa manière de sentir, elle trouve dans l'appareil extérieur des sens, dans le geste, dans l'attitude, dans la voix, des mouvements naturels qui sont affectés à l'expression; elle utilise ces mouvements, mais avec une certaine parcimonie chez les hommes qui parlent; le motif en est évident les mouvements expressifs sont la forme tangible des modifications de la sensibilité, mais ils n'en sont pas moins difficiles à manier quand l'intelligence veut s'en servir dans les opérations de la pensée. Leur expression représente une modification générale et nullement les mille nuances de détail, que nous pouvons rendre si bien avec l'aide des mouvements-signes de la parole.

Les mouvements expressifs ont enfin le tort de ne pouvoir s'adresser qu'à la sensibilité et non à l'intelligence il serait fort ennuyeux de pleurer pour dire qu'on est triste et non moins fastidieux de rire pour dire qu'on est gai. Sans compter que le rire ne signifie pas qu'on soit gai, content, heureux, pas plus que les pleurs ne signifient qu'on soit triste, mécontent, malheureux; ces mouvements expriment un peu de tout cela, mais ne signifient pas grand'chose.

A défaut d'autres signes, le langage mimique primitif des sourds-muets emploie les mouvements expressifs à profusion; mais le langage oral ne les emploie guère qu'à titre de mouvements expressifs,' pour appuyer et don

ner plus d'expression aux mouvements-signes de la parole.

A propos des mouvements-signes empruntés aux mouvements expressifs, nous devons signaler une confusion regrettable qui a conduit certains auteurs à accorder un langage aux bêtes et à confondre le vrai langage, formé de mouvements-signes, avec ce qui n'est pas lui. Il est donc utile de ne pas oublier ici les caractères distinctifs que nous avons établis entre ces divers mouvements.

Quand l'intelligence veut représenter par un mouvement-signe, non plus sa manière de sentir, mais les objets impressionnants eux-mêmes, elle emprunte, de préférence aux mouvements expressifs, les mouvements imitatifs et les mouvements représentatifs : les mouvements imitatifs, si le mouvement a pour but d'imiter un acte, un mouvement, un geste, une attitude, un son; les mouvements représentatifs, si le mouvement a pour but de reproduire avec nos organes une forme extérieure. Toutes les onomatopées de nos langues parlées ont cette origine frisson, frissonner, vient du radical frr, qui accompagne le frisson; hennissement vient de vos qui évidemment est l'imitation du cri particulier au cheval; coq, grigri, sont des onomatopées. En cherchant, on pourrait trouver des exemples très-nombreux; ce soin nous paraît superflu.

Nous nous empressons d'ailleurs d'ajouter qu'il n'entre pas dans le génie de notre langue parlée d'utiliser largement, comme signes, les mouvements imitatifs.

Quant aux mouvements représentatifs, elle n'en emploie aucun, croyons-nous, parce qu'il n'entre pas dans la nature du son de se prêter à la représentation d'objets qui sont destinés à impressionner le sens de la vue.

Si le langage oral est pauvre en signes imitatifs et en signes représentatifs, il n'en est plus de même du langage mimique, qui est en grande partie formé par ces mouvements, transformés en mouvements-signes.

En effet, le langage consiste, pour le sourd-muet, à reproduire ses propres actes et ce qu'il a vu en dehors de lui.

Tous les actes que le corps a accomplis dans un but déterminé, il peut les reproduire pour signifier ce but luimême. C'est ainsi qu'il imite l'acte d'un homine qui mange pour faire comprendre qu'il a faim; c'est ainsi qu'il reproduit le mouvement des doigts courant sur le papier, s'il veut écrire.

Les mouvements représentatifs fournissent au langage mimique primitif des signes plus nombreux encore. Pour désigner une maison, le sourd-muet en figure la forme générale avec ses mains disposées en forme de toit. Pour désigner une église, il ajoute au signe de maison celui de prière. Pour signaler un oiseau il indique le bec et les ailes. L'homme, la femme, leur profession, les couleurs, sont indiqués par des procédés analogues.

Soit que l'intelligence emploie dans le langage les mouvements expressifs, soit qu'elle emploie les mouvements imitatifs ou représentatifs, elle utilise ces mouvements, non à titre de mouvements instinctifs perfectionnés, mais à titre de mouvements-signes, et à cet effet elle leur imprime les caractères distinctifs que nous avons attribués à ces mouvements.

L'intelligence ne se borne pas à vouloir représenter sa manière de sentir ou les objets de ses impressions; son activité ne s'exerce pas exclusivement sur le monde des phénomènes; sa fonction la plus élevée consiste précisément à s'exercer sur ce qui n'est pas sensible. C'est dans cette activité que nous allons trouver la source la plus noble et la plus féconde en mouvements-signes.

Quand l'intelligence compare des propriétés, des qualités, quand elle mesure des espaces, quand elle raisonne et juge enfin, elle ne peut emprunter ses mouvements-signes aux mouvements instinctifs perfectionnés, parce qu'elle ne trouve dans aucune action corporelle rien de comparable, et qui puisse signifier imitativement les divers modes de

« PreviousContinue »