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nérale de notre intelligence? est-il seulement partie intégrante du sens de l'ouïe? Nous n'hésitons pas à répondre que le rhythme musical fait partie du sens de l'ouïe, comme le sentiment de la couleur fait partie du sens de la vue : la ligne est à ce dernier ce que le ton est à l'ouïe. La ligne détermine les contours, les accidents; le ton donne les limites de la mélodie. La couleur donne la vie, le mouvement, l'expression; le rhythme produit des effets analogues: la mélodie qui exprime la joie est vive, sautillante, capricieuse; au contraire, si la mélodie est triste, le rhythme est large, lent, peu mouvementé; enfin nous apprécions les intervalles dans la succession des sons avec le même charme que nous voyons la variété des couleurs.

Nous sommes autorisé à conclure de là qu'il existe une sorte de rhythme dans chaque sens; les sourds-muets ont le sentiment du rhythme dans la marche, dans l'expression de la physionomie; nous trouvons le rhythme dans la création d'une statue, d'un tableau: la beauté en toute chose n'est-elle pas la juste proportion, le nombre et la mesure des éléments?

Au point de vue exclusivement musical, le rhythme est. caractérisé par une succession plus ou moins rapide et variable des sons, en tant qu'ils sont soumis à une certaine mesure, à un, deux, trois et quatre temps, qui établit la régularité dans l'irrégularité rhythmique le rhythme mélodique est la régularité dans l'irrégularité.

Après avoir ainsi défini le rhythme, voyons le rôle qu'il joue dans la mémoire du sens de l'ouïe; ce rôle est considérable, car, sans le rhythme, la mélodie n'existerait pas. Le rhythme mélodique peut être retracé dans l'organe de l'ouïe sous l'influence de l'excitation cérébrale, et réveillé par le cours naturel des idées mélodiques; mais, en général, nous pensons peu en musique (qu'on nous passe cette manière de parler).

Le plus souvent nous nous donnons la sensation d'un

rhythme déjà perçu, en reproduisant réellement, avec un organe, l'impression rhythmique. Cet organe est celui de la voix. Bien que, dans ces circonstances, le larynx ne soit pas sonore, il suffit de prêter la plus légère attention aux phénomènes pour s'apercevoir que l'intelligence agit sur cet instrument d'une manière intime, silencieuse, mais réelle. Cette action est transmise au sens de l'ouïe, qui juge et apprécie les mouvements rhythmiques, et dirige l'intelligence dans leur mode de succession.

Dans cette opération il y a reproduction de l'objet impressionnant par nos organes, de sorte que c'est plutôt un phénomène de reconnaissance (notion disparue de l'esprit, mais réveillée par la présence de l'objet lui-même), qu'un phénomène de souvenir. Dans tous les cas, le mécanisme n'est pas le même que celui que nous avons exposé pour le sens de la vue. Dans la mémoire de l'ouïe, l'intelligence fait produire le son et le rhythme par nos organes; l'ouïe reçoit cette impression réelle, qu'elle transmet à l'intelligence, et celle-ci juge en dernier ressort. Ces divers mouvements sont difficiles à saisir, mais ils existent; nos sens l'affirment et la raison nous dit qu'il ne peut pas en être autrement.

De ce que nous avons dit touchant la tonalité et le rhythme, nous concluons que, dans la mémoire du sens de l'ouïe, l'intelligence reproduit les tons par le secours de la mémoire des signes, et qu'elle soumet le rhythme, et les intervalles réalisés tacitement, à sa propre perception.

Mémoires de l'odorat, du goût et du toucher. Les détails dans lesquels nous sommes entré à propos des sens de la vue et de l'ouïe, nous dispensent de nous appesantir sur les autres sens. Nous devons dire cependant que la mémoire des impressions reçues par l'odorat, le goût et le toucher, est assez obtuse, et que, pour se retracer le souvenir d'une odeur, d'un toucher, d'une saveur, on est toujours obligé de faire intervenir la reproduction subjective des objets dont ces impressions sont inséparables. Nous pensons que cette infériorité, relative

à la mémoire, doit être attribuée à l'absence d'un appareil de reproduction de l'objet impressionnant, dans le sens de l'odorat, du goût et du toucher.

L'œil est un appareil d'optique si parfait que, malgré les savantes recherches des observateurs les plus autorisés, on n'est pas encore parvenu à expliquer complétement le mécanisme de sa perfection. L'oreille constitue également un instrument de musique d'une incomparable ingéniosité, reproduisant exactement les impressions qu'il reçoit avant de les transmettre au cerveau. Mais pourquoi un appareil de reproduction ici et non pas là? On ne peut, ce nous semble, en trouver le motif que dans la nature spéciale de l'agent impressionnant. Les mouvements compliqués qui constituent la lumière et le son avaient besoin d'un traducteur physiologique pour être transmis au centre de perception. Les mouvements qui affectent l'odorat, le goût, le toucher, sont beaucoup plus simples et peuvent, sans intermédiaire, affecter convenablement la substance nerveuse. L'impression simple qu'ils produisent sur cette substance affecte d'autant mieux. le centre de perception que la surface impressionnée est plus considérable. C'est pourquoi, dans les appareils physiques de ces sens, tout est disposé dans ce but. La membrane pituitaire, les papilles gustatives, celles du toucher sont étalées sur de grandes surfaces, et ces dernières sont d'autant plus considérables que le sens est plus développé chez l'animal que l'on examine.

§ VI.

MÉMOIRE DES SENSATIONS SPÉCIALES QUI RÉSULTENT

DE L'ACTIVITÉ VOLONTAIRE DE NOS ORGANES.

Les impressions qui résultent de l'ensemble des mouvements ordonnés par le moi, nous offrent un caractère essentiel elles ne sont pas transmises directement au

centre de perception par les nerfs sensitifs des organes qui sont le siége du mouvement. Ces impressions arrivent par l'un des cinq organes des sens au centre de perception. Il est des causes impressionnantes, résultant de nos mouvements, qui affectent le sens de la vue : la mimique, le dessin, la sculpture, etc., etc.; d'autres qui affectent le sens du toucher : la marche, la préhension, etc.; d'autres enfin, qui impressionnent le sens de l'ouïe: la voix, la parole.

Les sensations que provoquent ces impressions nous donnent la connaissance du résultat des mouvements voulus, et c'est par cette connaissance indispensable que nous obtenons la coordination intelligente des mouvements.

Ce n'est pas le prétendu sens musculaire qui dirige la coordination des mouvements. Cette direction vient du sens spécial auquel le mouvement s'adresse. Si, par exemple, nous examinons les mouvements compliqués de la parole, nous constatons qu'ils ne sont possibles qu'à la condition expresse que l'ouïe préside à leur formation; c'est ce sens qui donne à l'intelligence la notion nécessaire pour que le mouvement soit tel qu'elle le veut. Le toucher supplée au sens de la vue chez l'aveugle; chez le sourd-muet, c'est le sens de la vue qui supplée au sens de l'ouïe absent. Chez le premier, les mouvements intelligents du langage écrit arrivent au moi par le toucher; chez le second, les mouvements de la parole arrivent au moi par les yeux.

La mémoire des sensations qui résultent de l'activité volontaire de nos organes se produit selon certaines règles que nous allons faire connaître.

Le premier phénomène de la mémoire des sensations résultant de l'activité volontaire de nos organes, nous le trouvons dans l'un des cinq sens; nous invoquons d'abord la mémoire du sens spécial qui a reçu l'impression du mouvement, et cette représentation subjective est immédiatement suivie de l'action de l'intellect sur les nerfs

qui président à l'exécution des mouvements ainsi représentés.

Cette action (nous insistons à dessein, car elle n'a jamais été mentionnée) est tacite comme toute représentation subjective; on ne voit pas le mouvement, mais on sent qu'il existe en puissance, sinon de fait. Demandez à celui qui, par la pensée, joue un air sur un instrument qui lui est familier, s'il ne sent pas le mouvement de ses doigts, bien que ce mouvement ne soit pas visible. Demandez encore à l'orateur qui médite sur un discours qu'il va prononcer, s'il ne s'entend pas parler, bien que le silence règne autour de lui.

La représentation subjective du mouvement de nos organes, réunie à celle du sens spécial dont nous avons déjà parlé, constitue la mémoire composée des mouvements volontaires, exécutés dans un but bien défini.

Le mécanisme que nous venons d'analyser n'est pas spécial aux mouvements appris; nous le retrouvons dans les créations variées de l'intelligence. En effet, soit que nous voulions inventer un mouvement, soit que nous voulions faire un dessin, une statue ou toute autre œuvre d'art, nous commençons par tracer l'esquisse de notre création dans la mémoire du sens qui doit diriger ces mouvements, et c'est d'après ce modèle intérieur que nous dirigeons nos mouvements, que nous réalisons in actu la conception de l'esprit.

C'est ainsi que les organes des sens doivent être considérés, non-seulement comme la source de toutes nos connaissances, mais comme les instruments indispensables de l'intelligence dans les opérations de l'esprit.

C'est

pour ne pas s'être rendu bien compte de ces phénomènes que Gall a été conduit à inventer une mémoire spéciale pour chaque faculté: pour la musique, pour la danse, pour la parole, etc. Toute sensation peut être reproduite subjectivement; cette reproduction constitue une des conditions de la mémoire. Par conséquent, si l'on voulait établir des mémoires spéciales, il faudrait en in

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