Page images
PDF
EPUB

tion de lumière. L'excitation cérébrale, agissant ici comme l'électricité, peut provoquer cette sensation fermez les yeux avec la volonté de vous donner des perceptions de lumière et vous en obtiendrez.

Généralement, la sensation lumineuse simple se complique d'une sensation de forme ou d'image. Dans ces circonstances, le mouvement lumineux ne frappe pas directement nos yeux; il se porte d'abord sur les objets sensibles, et de là sur notre rétine. Naturellement ce mouvement est plus complexe que le premier. Nous n'avons pas à rechercher ici quelle est sa nature.

Nous nous bornerons à constater qu'il modifie d'une certaine manière notre rétine et le nerf optique, et que cette modification, transmise au cerveau, produit la sensation des objets visibles. Or il suffit que ces mêmes mouvements soient provoqués un certain nombre de fois dans la rétine, le nerf optique et l'encéphale pour que, dans l'avenir, l'activité cérébrale volontaire ou involontaire les réveille facilement en l'absence des objets qui les ont d'abord provoqués. Ces mouvements excitent dans le centre de perception la représentation subjective des objets, et ils donnent ainsi naissance à la mémoire du sens de la

vue.

Le mouvement physiologique, capable de donner naissance aux phénomènes de mémoire visuelle, peut être provoqué sous l'influence des causes les plus diverses : par exemple, quand on parle d'une personne absente, ou bien lorsque notre esprit se donne le spectacle des différents pays qu'il a étudiés sur la carte ou qu'il a réellement parcourus. Dans toutes ces circonstances, la pensée joue un grand rôle, et si, en messager fidèle, l'organe de la vue va chercher au loin l'image qu'on lui demande, il est orienté, dirigé par la pensée elle-même, avec le secours de toutes nos connaissances et surtout avec celui de la parole.

Supposons que nous voulions reproduire dans notre esprit l'image subjective du château des Tuileries. Avec

une rapidité qui n'a d'autre terme de comparaison que la pensée elle-même, notre intelligence s'oriente, franchit l'espace et conduit notre sens devant le palais. Le nom de palais réveille en nous ceux de maison, porte, fenêtre, jardin; ce souvenir qui résulte du classement de nos connaissances, permet à l'intelligence attentive de fixer le crayon sur un détail qui sera le point de départ du dessin qu'elle va tracer sur la rétine; à mesure qu'un trait est représenté, il est perçu, rectifié si c'est nécessaire, et le crayon est dirigé sur un autre détail; l'intelligence fait pour ce dernier ce qu'elle a fait pour le premier, et ainsi de suite jusqu'à ce que l'image du palais soit complète.

Les images subjectives se développent par l'analyse; dans la vision ordinaire nous voyons les objets synthétiquement, à moins que, par la volonté, nous ne voulions concentrer l'intellect sur un seul point.

Dans la représentation subjective des objets, notre intelligence tient le crayon et le dirige sur la rétine éclairée par l'excitation cérébrale.

Les objets que notre esprit reproduit ainsi doivent avoir été perçus déjà un certain nombre de fois, afin que les mouvements qui succèdent à l'impression soient devenus faciles à provoquer. Parfois il suffit d'une seule impression, mais il faut alors qu'elle soit très-vive.

En résumé, nous considérons dans la mémoire du sens de la vue deux phénomènes principaux : 1o un agent provocateur qui rappelle dans le cerveau la sensation déjà perçue tantôt c'est la vue d'un autre objet; tantôt c'est le nom de cet objet; tantôt c'est une série d'idées qui ont, par leur classement naturel dans notre esprit, un certain rapport avec l'impression subjective; 2o excitation cérébrale du dedans au dehors pour réveiller l'activité sensorielle; ou, en d'autres termes, provocation. intellectuelle du mouvement propre à donner naissance à la perception de l'image désirée, avec le secours des connaissances qui peuvent coopérer à cette reproduction.

Mémoire du sens de l'ouïe. L'ouïe possède, comme la vue, un appareil particulier, dans lequel l'objet impressionnant se reproduit physiologiquement avant de provoquer le mouvement perception dans le cerveau. Cet appareil est constitué par les expansions du nerf acoustique dans les cavités du vestibule et du limaçon.

Comme pour le sens de la vue, l'excitation cérébrale intervient ici, pour provoquer dans l'appareil auditif l'impression sonore dont on veut se procurer la perception de souvenir; mais cette excitation s'accompagne, dans les deux cas, de phénomènes bien différents. Il est assez facile de concevoir, comme nous l'avons vu tout à l'heure, comment notre intelligence peut reproduire subjectivement les images qu'elle a déjà perçues. Mais l'objet des impressions de l'ouïe n'est plus une image durable et facile à calquer : c'est une série de mouvements qui échappent au crayon par leur rapide fugitivité.

Le son est le résultat d'un certain nombre de vibrations dans un temps donné. Or, quelle que soit la lenteur de ces vibrations, notre pensée n'est jamais assez rapide pour les compter; elles échappent à l'analyse, et l'impression laissée par un son isolé est indistincte, confuse; ce n'est qu'à la suite d'une longue habitude que les musiciens peuvent lui donner une valeur numérique.

Nous conservons très-rarement le souvenir d'un son simple, isolé, et si parfois nous parvenons à le reproduire subjectivement, c'est à l'aide de son timbre parce que ce timbre résulte de l'impression de plusieurs sons simultanés, et que l'esprit analyse, compare plusieurs sons avec facilité, tandis qu'il apprécie très-difficilement leur valeur numérique quand ils sont isolés. Ainsi nous pouvons provoquer sans effort le souvenir du son du tambour, celui d'une cloche, grâce à leur timbre très-accusé.

Mais, si l'analyse d'une impression sonore isolée est difficile, il n'en est plus de même lorsqu'il s'agit de plusieurs sons successifs. Ici le centre de perception reçoit

distinctement chaque son, et il établit entre ces deux objets impressionnants des termes de comparaison qui lui permettent de les caractériser.

Dans une phrase musicale quelconque, comme dans le langage parlé, notre oreille apprécie surtout le ton et le rhythme. Ces deux éléments jouent un très-grand rôle dans la mémoire des sons; nous les examinerons séparément.

1° Tonalité. La tonalité d'un son dépend du nombre de vibrations qui le composent. Nous avons déjà dit que l'esprit apprécie très-difficilement la valeur numérique des sons; il lui est donc presque impossible de retracer subjectivement une impression qu'il n'a pu suffisamment analyser; mais il a des ressources nombreuses pour suppléer à cette incapacité.

La principale de ces ressources, i la trouve dans les signes écrits ou phonétiques au moyen desquels on représente les sons: le signe est si bien identifié. par l'habitude avec le son, que l'esprit ne cherche plus dans la mémoire le son lui-même, mais le signe qui le représente; pour juger de la valeur d'un son, il ne compare plus entre eux le nombre des vibrations, mais les signes auxquels ces nombres correspondent. Ainsi, par exemple, pour provoquer la représentation subjective de la tierce majeure, l'esprit ne cherchera pas à se retracer un nombre déterminé de vibrations; il prononcera mentalement les signes ut, re, mi, fa, sol; ou bien encore il fixera subjectivement les yeux sur un papier de musique qui lui représente ces notes; ou bien encore il se figurera les mouvements nécessaires pour produire ces notes sur un instrument quelconque.

Ainsi considérée, la mémoire des sons est presque entièrement une mémoire du sens de la vue. En effet, l'esprit ne provoque pas la reproduction d'un son, mais la reproduction du rapport idéal qu'il a préalablement établi entre les sons et les signes qui les représentent.

2° Rhythme. Quintilien divisait le rhythme en trois

espèces le rhythme des corps immobiles, lequel résulte de la juste proportion de leurs parties, comme dans une statue bien faite; le rhythme du mouvement local, comme dans la danse, la démarche bien composée, les attitudes des pantomimes; et le rhythme des mouvements de la voix ou de la durée relative des sons, dans une telle proportion que, soit qu'on frappe toujours la même corde, soit qu'on varie les sons du grave à l'aigu. l'on fasse toujours résulter de leur succession des effets agréables par la durée et la quantité (1).

Cette définition, bien que très-longue, ne dit pas assez. Pour nous, le rhythme est la durée relative de plusieurs sons successifs dans un temps donné. Chez les anciens, le langage était essentiellement rhythmique; en d'autres termes, les lettres avaient toutes une valeur; elles étaient longues ou brèves, à des degrés différents, de sorte que le langage était beaucoup plus cadencé qu'il ne l'est aujourd'hui.

Dans nos langues modernes, le rhythme joue un rôle moins accentué; mais ce qu'elles ont perdu en cadence rhythmique, elles l'ont gagné en accentuation mélodique: notre langage est une vraie mélodie, dans laquelle le rhythme et la mesure jouent leur rôle, mais c'est à l'intonation et aux variétés de l'intonation que l'orateur emprunte ses principaux effets. Nous avons essayé de noter cette musique éloquente et rapide, mais nous avons dû nous borner à constater qu'un orateur parcourt très-souvent, dans un discours, la série des notes comprises entre deux octaves. Dans cette mélodie les transitions sont si promptes, qu'elles échappent à notre oreille; l'ensemble nous frappe, mais nous ne saisissons pas les détails. D'ailleurs cette rapidité excessive est une condition indispensable pour que la mélodie soit agréable et produise son effet.

Le sentiment du rhythme existe-t-il comme faculté gé

(1) Dictionnaire de musique, par J.-J. Rousseau, article RHYTHME.

« PreviousContinue »