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Enfin, en établissant un rapport entre le moment de sa propre activité, en présence du pommier, et d'autres moments, c'est-à-dire en établissant un rapport de temps, l'homme s'est donné le moyen de retrouver ce moment quand il le voudra. A cet effet il n'a qu'à lire sur la boule Samedi 9 avril 1876 à midi.

Tous les rapports essentiels que nous venons d'énumérer constituent des notions intelligentes.

Il suit de ce qui précède, que le fruit placé dans le panier représente non-seulement un peu de matière et une notion sensible, mais encore une notion intelligente. Ces deux derniers éléments, résultant de l'exercice de l'âme, sur et à propos du fruit, sont les éléments psychiques qu'il était indispensable de dégager de notre analyse, pour concevoir comment se développe le sentiment de l'activité passée.

En effet, qu'arrivera-t-il lorsque l'homme, agissant sur le lien qui est fixé à la pomme, attirera cette dernière à l'orifice du panier?

L'homme la ressentira et la reconnaîtra. Mais sentir et connaître de nouveau comportent-ils le souvenir, le sentiment de l'activité passée? Sans nul doute. Mais nous sentons, nous, que ce point délicat a besoin d'être mis en lumière.

Supposons que jadis l'homme ait introduit dans son panier un objet quelconque, sans l'avoir préalablement étudié, distingué, sans le connaître, en un mot. Qu'arrivera-t-il quand cet objet sera attiré de nouveau à l'orifice du panier? L'homme le contemplera avec étonnement; non-seulement il ne le ressentira pas et ne le reconnaîtra pas, mais il appliquera toute son activité à le sentir distinctement et à le connaitre, et il n'aura d'autre sentiment que celui qui résulte de son activité présente.

Supposons, au contraire, que jadis l'homme ait introduit dans son panier le même objet, mais après l'avoir distingué de tout autre, et après l'avoir imprégné de son activité propre.

Lorsque cet objet sera de nouveau attiré à l'orifice du panier, l'homme le ressentira et le reconnaitra, cela n'est douteux pour personne, et il aura ainsi le sentiment de son activité passée.

Après avoir posé les termes de ces suppositions, la question qui nous occupe peut être ainsi formulée pourquoi dans le premier cas l'homme ne ressent pas, ne reconnaît pas et n'a que le sentiment de son activité présente, tandis que dans le second il ressent, il reconnaît, et il a le sentiment de son activité passée?

Voici notre réponse :

Nous ne pouvons ressentir et reconnaître que si nous avons déjà senti et connu; nous ne pouvons avoir le sentiment de notre activité passée que si cette activité s'est exercée sur quelque chose qui en garde la marque. Or, dans le premier cas, l'homme n'avait pas senti distinctement l'objet qui ne représentait pour lui qu'une matière quelconque; il n'avait pas non plus cherché à établir à son occasion aucune espèce de rapport, enfin il n'avait appliqué son activité sur cet objet que pour le mettre. dans le panier, mais sans lui imprimer aucune marque caractéristique de cette activité (1). Par conséquent, l'homme n'avait aucune raison de ressentir, de reconnaître et d'avoir le sentiment de son activité passée. Nonseulement cela n'est pas, mais logiquement cela ne doit pas être.

Dans le second cas, au contraire, l'homme avait relevé sur ce même objet non-seulement des caractères sensibles, mais des caractères que l'intelligence seule peut sentir et formuler, et ce n'est qu'après avoir formé un tout distinct de ces caractères, qu'il avait placé l'objet dans le panier.

Par conséquent, lorsque l'homme revoit l'objet, il doit le voir avec tous les caractères sensibles et intelligents

(1) La présence seule de l'objet dans le panier est une preuve de l'activité passée de l'homme; mais nous ne parlons ici que de l'activité sensible et de l'activité intelligente recueillant des notions.

dont il a été imprégné par l'activité de l'âme : il le ressent parce qu'il le sent tel qu'il l'a senti jadis après cette imprégnation; il le reconnaît parce qu'il sent, en le voyant, les caractères spéciaux que l'intelligence lui a imprimés. En un mot, l'homme, en voyant l'objet, a le sentiment de son activité passée parce que, en ressentant et en reconnaissant cet objet, il sent que le travail nécessaire pour distinguer cet objet de tout autre a déjà été effectué par lui. Il se ressent et se reconnaît dans ses propres actes.

D'après ce qui précède, nous sommes autorisé à conclure que, dans le ressentiment et dans la reconnaissance, il y a toujours sous-entendu le sentiment de notre activité passée, et par conséquent le souvenir. D'ailleurs la réciproque est vraie; nous n'avons pas le sentiment de notre activité passée sans qu'il y ait ressentiment ou reconnaissance, car notre activité a dù nécessairement s'exercer sur quelque chose. Ce qui revient à dire que les conditions du souvenir se trouvent dans notre activité même, alors qu'elle s'exerce dans le but de transformer les causes impressionnantes en notions sensibles et en notions intelligentes.

Toute cause impressionnante qui n'a pas subi cette transformation, qui n'a pas reçu cette imprégnation de l'intelligence, n'est pas classée dans le cerveau, et par conséquent ne peut être l'objet du souvenir. Y seraitelle classée, comme nous l'avons supposé précédemment, qu'elle n'en serait pas moins incapable d'être un objet de souvenir.

L'intelligence ne se souvient pas des objets, elle ne se souvient que d'elle-même, et pour elle, se souvenir, c'est se reconnaître dans ses propres actes, par les caractères spéciaux qu'elle a imprimés aux causes qui ont été l'occasion de son activité.

Si nous avons été suffisamment heureux dans l'expression de notre pensée, le lecteur doit comprendre avec nous, qu'il suffit à l'homme de faire apparaitre à l'orifice du panier tout ce qu'il a placé dans son intérieur pour

ressentir, reconnaître, se souvenir, et faire ainsi le bilan de tous les objets qu'il a recueillis.

Il suffit, en effet, qu'un objet classé paraisse à l'orifice du panier pour que l'homme le voie, non pas en tant que simple objet, mais comme notion sensible et intelligente; il le voit par conséquent avec tous les caractères distinctifs possibles et capables de lui donner de cet objet une connaissance immédiate. Or la connaissance première d'un objet n'est jamais immédiate: elle suppose un effort, un travail, une dépense d'activité. Par conséquent, si en voyant l'objet l'homme le connaît et le distingue immédiatement, c'est que l'intelligence a jadis exercé son activité sur cet objet. L'homme sent ainsi son activité passée : en d'autres termes, il se souvient en ressentant et en reconnaissant.

Le phénomène fondamental de la mémoire se trouve ainsi ramené à un phénomène de perception simple qui est le sentiment de l'activité passée.

Ce résultat de notre analyse est conforme à l'idée qu'on doit se faire de l'identité et de l'unité de l'âme. L'âme ne se souvient pas, en effet, en vertu d'un attribut spécial. L'âme perçoit le sensible et l'intelligent, et c'est en vertu de cette prérogative essentielle et fondamentale qu'elle perçoit l'activité passée. Toute la difficulté consistait à établir la genèse de ce sentiment; mais, grâce à notre conception de la notion sensible et de la notion intelligente, il s'est en quelque sorte dégagé tout seul de notre étude.

Après avoir obtenu de l'homme au panier le service que nous lui avions demandé, c'est-à-dire après avoir fait toucher du doigt, grâce à lui, le mécanisme général de la mémoire, et après avoir montré le phénomène fondamental sur lequel la mémoire repose, nous allons entrer dans la réalité, et considérer la mémoire dans le cerveau.

L'homme et son panier, ainsi que les objets que ce dernier renferme, doivent trouver place dans la boîte crâ

nienne; il ne s'agit plus que d'indiquer le lieu précis qu'ils doivent respectivement occuper. Ce sujet n'est pas nouveau pour nos lecteurs, nous l'avons déjà exposé en plus d'un endroit.

Dans l'homme qui porte le panier il faut voir les couches optiques, c'est-à-dire le centre percevant tout. Nous soulignons tout parce que, de même que l'homme percevait ce qui était dans son panier et ce qui était en dehors de lui, de même les couches optiques perçoivent le monde extérieur par les nerfs sensitifs, et aussi les mouvements particuliers de la couche corticale du cerveau qui représentent les notions acquises.

Par conséquent, si les couches optiques représentent l'homme placé à l'orifice du panier, les cellules de la périphérie corticale représentent, dans leur ensemble, le panier et les objets qu'il renferme.

Si l'on veut bien se rappeler, à présent, que toutes les cellules des couches optiques sont unies, par leurs prolongements, aux cellules de la périphérie corticale, on verra facilement dans ces prolongements, qui constituent les fibres blanches de l'encéphale, les analogues des liens qui établissent le trait d'union entre les objets renfermés dans le panier et l'orifice de ce dernier, et l'on comprendra comment le cerveau arrive à se donner, qu'il le veuille ou qu'il ne le veuille pas, la représentation des notions acquises.

Enfin les notions intelligentes, les rapports de toute nature, constitués par un acte de l'esprit s'exerçant sur deux notions distinctes, sont représentés par l'ensemble des conditions matérielles qui favorisent les manifestations de l'activité de l'âme, et ces conditions se trouvent réalisées dans les couches optiques, dans la périphérie corticale, dans les corps striés, centre des mouvements, et dans les liens qui unissent entre eux ces divers centres. C'est entre ces trois centres que l'âme s'exerce pour établir des rapports et les formuler dans le mot.

Comme nous le verrons bientôt, le mot, en tant que

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