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ditions indispensables au développement normal de la mémoire.

Reproduction des acquisitions cérébrales dans le centre de perception. La reproduction des acquisitions cérébrales dans le centre de perception est, de toutes les conditions de la mémoire, celle qui s'impose le plus directement à l'esprit : pour se souvenir, en effet, il faut percevoir de nouveau ce à propos de quoi on se souvient.

Nous avons déjà indiqué les possibilités organiques de cette reproduction; nous ne nous occuperons par conséquent que du côté psychique de la question.

Pour se souvenir, avons-nous dit, il faut percevoir de nouveau ce à propos de quoi on se souvient. Or il peut se présenter ici deux cas ou bien l'objet lui-même impressionne de nouveau le centre de perception, et va réveiller la notion acquise qui lui correspond; ou bien la reproduction de la notion se produit en l'absence de toute cause impressionnante extérieure.

Dans le premier cas, le mécanisme de la reproduction est très-simple. La présence de l'objet réveille les mêmes mouvements qu'il provoqua jadis, et l'objet apparaît de nouveau dans le centre de perception, non pas à l'état de simple objet, mais sous celui de notion acquise, c'est-àdire d'objet distingué de tout autre par l'activité de l'intelligence.

Dans le second cas, la reproduction de la notion n'est plus sollicitée par la présence d'une cause impressionnante extérieure; elle se produit dans l'intimité de la vie cérébrale, et alors même que la porte de tous les sens est fermée. Quelle est donc la cause qui réveille les notions acquises et les amène dans le centre de perception?

Trois causes concourent à ce réveil :

1o Les liens anatomiques qui unissent entre eux tous les éléments du cerveau, et particulièrement les cellules de la couche corticale. Grâce à cette continuité, le mou

vement des cellules, représentant des notions, se communique des unes aux autres, et réveille ainsi successivement les divers centres de perception.

2o La constitution des notions n'est pas étrangère à leur reproduction. Du moment que toute notion est représentée par un mot, l'intelligence s'est donné la possibilité de mouvoir ce qui par lui-même est immobile. Une notion n'a pas de mobilité, tandis que le mot qui la représente en a une très-grande. Nous aurons à prouver bientôt que le mot n'a un sens qu'autant que l'acte qui lui donne naissance est répété tacitement. Grâce à ce mouvement nécessaire et lié à toutes les cellules qui représentent les notions acquises, le réveil de celles-ci est en quelque sorte assuré, indépendamment de toute circonstance extérieure. L'état de veille est seul indispensable.

3o Le classement et l'association des notions acquises est évidemment indispensable à leur reproduction facile dans le centre de perception. S'il n'en était pas ainsi, il faudrait un excitant spécial pour chacune des notions toutes les fois qu'on voudrait s'en donner la représentation. Le cerveau serait assimilable, dans ces conditions, à un mécanisme qui donnerait tantôt la représentation d'une odeur, tantôt la représentation d'une image, selon la ficelle que l'on mettrait en mouvement.

Grâce au classement et à l'association, l'intervention d'un excitant semblable n'est pas nécessaire, et il suffit que nous soyons en état de veille pour que la reproduction d'une notion provoque celle de toutes les autres.

Les trois causes que nous venons de signaler assurent d'une manière formelle, et indépendante de la volonté, la reproduction des acquisitions cérébrales. Nous sommes ainsi sollicités à nous souvenir comme malgré nous, et à soumettre incessamment les notions acquises à la pierre de touche des circonstances actuelles.

La constitution des notions, leur association et leur reproduction possible dans le centre de perception, repré

sentent, comme nous l'avons dit dès le début, les conditions indispensables de la mémoire; mais on aurait tort de les confondre avec la mémoire elle-même. Pour se souvenir, il ne suffit pas d'avoir des notions acquises, associées entre elles et capables de réapparaître dans le centre de perception.

Pour se souvenir...... il faut se souvenir, c'est-à-dire avoir ce quelque chose dont nous n'avons pas encore parlé et que nous allons mettre en lumière dans le paragraphe suivant.

§ III.

PHÉNOMÈNE FONDAMENTAL DE LA MÉMOIRE. SENTIMENT DE L'ACTIVITÉ PASSÉE.

Lorsqu'une notion acquise réapparaît dans le centre de perception, nous la reconnaissons; par conséquent cette réapparition comporte avec elle le souvenir. Rien n'est plus vrai ; mais on ne saurait contester que, dans ce fait, il y a deux éléments bien distincts: 1° la reproduction d'une notion acquise; 2° le souvenir.

Sans doute l'un ne va pas sans l'autre, et cela tient à la constitution même de la notion; mais on comprend qu'il puisse en être autrement et qu'une notion puisse réapparaître dans le centre de perception sans qu'il y ait souvenir.

Nous allons chercher ici l'élément qui accompagne toujours la reproduction d'une notion acquise et qui donne à cette reproduction les caractères du souvenir.

Cet élément, disons-le de suite, est le sentiment de notre activité passée.

Personne jusqu'ici n'avait parlé de ce sentiment; cela ne nous étonne pas, car il puise son origine dans la constitution même de la notion sensible et de la notionintelligence, qui n'avaient pas encore été déterminées.

Dans le but de mettre ce sentiment en pleine lumière, nous emploierons un artifice qui paraîtra peut-être un peu vulgaire aux esprits délicats; mais on nous fera grâce en considération de son utilité incontestable.

Supposons un homme, parcourant le monde avec un panier suspendu à son bras, et recueillant un échantillon des objets qui captivent son attention.

Pour se procurer la représentation facile de ces échantillons, l'homme prend le soin de les disposer méthodiquement dans le panier, et sur chacun d'eux il fixe un lien dont l'autre extrémité, terminée par une boule, vient se montrer à l'orifice du panier.

Un jour l'homme au panier passait devant un arbre chargé de fruits; il s'arrêta et, après avoir contemplé tous ces fruits d'une manière générale, il appliqua son attention sur l'un deux. Ce fruit se distinguait de tous les autres par sa forme, par ses dimensions, par sa coloration et autres particularités. Après avoir déterminé ces caractères distinctifs, qui lui permettaient de ne pas confondre ce fruit avec ceux du même arbre et avec ceux du voisinage, l'homme le cueillit et le plaça dans son panier. En même temps il fixait un lien sur le fruit et, par l'établissement d'un rapport significatif, il le désignait sous le nom de pomme. Ce nom était ensuite écrit sur la boule qui termine à l'orifice du panier le lien dont nous venons de parler.

Cela fait, l'homme promena ses regards autour de lui, et, constatant que sa personne, l'arbre, le paysage environnant formaient un tout dont les parties étaient liées par un certain rapport (rapport de lieu), il formula ce rapport dans une phrase et il écrivit sur la même boule au-dessous de pomme: j'étais agissant dans la vallée de Montmorency. Puis, ayant remarqué que ce lieu renfermait des pins, sur lesquels il fit provision de quelques rameaux pour célébrer la fête du lendemain, qui était le dimanche des Rameaux, il inscrivit sur la boule un rapport de temps qu'il pût préciser en remarquant que le

soleil dardait perpendiculairement des rayons sur sa tête: le 9 avril 1876 à midi.

Après avoir ainsi dépensé une partie de son activité à l'occasion du pommier, l'homme continua sa route pour recueillir de nouveaux objets et établir de nouveaux rapports.

Quant à nous, reposons ici notre attention pour préciser la valeur et la signification psychique des faits que nous venons d'énumérer.

En mettant dans son panier un fruit distingué de tout autre fruit, et présentant des particularités qui le distinguaient des fruits du même arbre, l'homme recueillait quelque chose de plus qu'un peu de matière arrangée sous forme de fruit; il recueillait aussi le résultat de sa propre activité sensible, et le tout constituait ce que nous avons désigné sous le nom de notion sensible.

Le fruit placé dans le panier représente donc quelque chose de plus que lorsqu'il était sur l'arbre; il représente une notion sensible, c'est-à-dire un tout distinct, composé de matière et de caractères sensibles que l'activité de l'âme a déterminés.

Mais ce tout distinct, ainsi caractérisé, ne représente encore qu'une partie des phénomènes dont il a été l'occasion. En établissant un rapport significatif entre le fruit et le mouvement de ses organes, l'homme s'est donné un moyen commode de faire apparaître de nouveau devant ses yeux le fruit qu'il a enfermé dans le panier. Il lui suffit, en effet, de lire sur la boule le mot pomme, et cet acte, indissolublement lié avec le fruit lui-même, en sollicite la réapparition.

De même, en établissant un rapport entre sa personne, le pommier et le milieu environnant, et en représentant ces rapports par quelques mots, l'homme s'est donné la possibilité de voir de nouveau le même spectacle; il lui suffit de lire sur la boule : J'étais agissant dans la vallée de Montmorency, pour que les objets et les actes auxquels ces mots sont enchaînés réapparaissent dans son esprit.

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