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qu'on a connu bien distinctement, nous devons trouver une des conditions de la mémoire dans la constitution même des notions acquises.

En second lieu, la mémoire ne se montrant pas comme un phénomène isolé, mais comme un enchainement de faits qui s'excitent les uns les autres, nous devrons trouver une nouvelle condition de la mémoire dans le classement et l'association des notions acquises.

Troisièmement enfin, la mémoire étant essentiellement constituée par la perception du passé, nous aurons à indiquer comment les perceptions anciennes peuvent réapparaître dans le centre de perception.

Le secret du souvenir est renfermé dans l'idée qu'on peut se faire de ces trois conditions indispensables. Nous devons par conséquent les étudier avec soin.

Constitution des notions acquises. Les acquisitions cérébrales, nous le savons déjà, sont représentées par les notions sensibles, par les notions intelligentes et par les actes.

La notion sensible est une perception distinguée de toute autre, d'après des caractères exclusivement sensibles.

La notion intelligente est une perception distinguée de toute autre par les caractères intelligents que l'activité même de l'âme fait éclore.

Les actes sont le résultat de l'activité motrice s'exerçant sur certaines cellules et fibres cérébrales qui provoquent la contraction musculaire par l'intermédiaire des nerfs moteurs.

Sous cette forme, les acquisitions cérébrales sont loin de représenter des éléments simples, comme le serait, par exemple, une perception élémentaire; elles représentent un composé dont un des éléments varie pour chacune d'elles, l'autre restant invariablement le même.

L'élément variable est représenté par l'élément anatomique qui concourt au développement des notions et des

actes.

L'élément invariable est l'activité de l'âme sous ses diverses formes.

Chaque perception, chaque mouvement est imprégné de l'activité de l'âme qui imprime sur eux une marque indélébile; c'est cette marque qui leur donne le caractère de notion distincte, d'acte distinct, qui leur donne en un mot la valeur de notion acquise.

Les acquisitions cérébrales sont donc un composé d'acte et de matière: acte sensible, acte intelligent et acte provoquant la contraction musculaire, d'une part; matière variable représentée par les éléments anatomiques, d'autre part (1).

Mais, dira-t-on, sous quelle forme ces divers composés sont-ils tenus en réserve dans le cerveau?

Pour les notions sensibles l'explication est assez facile. Du moment qu'une cellule de la couche corticale du cerveau provoque, par son activité, le développement d'une perception dans les couches optiques, celle-ci se montre avec tous ses caractères physiques, et l'âme n'a qu'à ajouter son activité propre à cette représentation pour que la notion soit constituée.

Pour les notions intelligentes l'explication est plus complexe.

Constituée par un rapport, chose purement idéale, la notion intelligente n'est pas représentée sous cette forme immatérielle par une cellule capable de percevoir. Ces dernières perçoivent une impression tangible, palpable, mais elles ne sauraient percevoir un élément immatériel.

Toute cellule perçoit avec intelligence; mais, pour que cette perception soit utilisable, elle doit prendre une forme sensible.

Comment donc classer et rappeler dans le centre de perception, car ce rappel est indispensable à la production du souvenir, le rapport qui constitue la notion intelligente?

(1) Il n'est pas possible de constater d'une manière plus évidente la nécessité de l'union intime de l'âme avec le corps.

Le procédé, nous le connaissons déjà, consiste à donner au rapport une enveloppe matérielle, capable par conséquent d'impressionner les cellules des couches optiques et d'être perçue par elles.

Cette enveloppe, l'homme la trouve dans le mot. En associant chacun de ses actes purs à des expressions verbales, et dans de telles conditions que ces dernières soient désormais supplémentaires des premiers, l'intelligence extériorise son activité et se donne le pouvoir de se sentir elle-même en percevant par l'ouïe le résultat de ses propres actes (1).

C'est par ce procédé que toutes les notions intelligentes rentrent dans les conditions des notions sensibles, au point de vue de leur reproduction possible dans le centre de perception.

Quant aux actes, la manière dont ils sont représentés, à l'état de notions acquises, offre beaucoup d'analogie avec la représentation des notions intelligentes.

Tout acte distinct, conçu par l'intelligence, aboutit par le mouvement des organes à un résultat sensible, appréciable par conséquent par un des sens spéciaux: son image. C'est sous cette forme de résultat sensible que tous nos actes sont classés à l'état de notions acquises.

Nous ferons remarquer que le résultat dont nous parlons est lié indissolublement aux mouvements qui lui donnent naissance, et de telle façon que l'apparition du résultat dans le centre de perception excite immédiatement l'exécution intime de l'acte. Pareille chose arrive quand nous pensons, c'est-à-dire quand nous reproduisons tacitement les actes qui représentent le sens du langage (2).

(1) Pour bien se rendre compte de cette représentation, il est bon que le lecteur s'inspire de ce que nous disons sur ce point à propos de la sensation-signe et de la fonction-langage.

(2) Il nous parait indispensable d'avoir ici présent à l'esprit ce que nous avons dit des perceptions qui résultent de l'action composée du cerveau et des organes du mouvement.

D'après ce qui précède, toutes les perceptions, tous les actes purs de l'âme qui semblent échapper par leur immatérialité à une localisation anatomique, se revêtent des caractères de la notion sensible et constituent dès lors un objet tangible capable d'impressionner un de nos sens, et susceptible d'être classé dans la mémoire de ce sens à l'état de notion acquise.

Grâce à la forme matérielle qu'ils acquièrent par ce procédé, tous les actes, toutes les notions, sont représentés à la périphérie corticale du cerveau par une cellule et peuvent être ainsi rappelés dans le centre de perception. Dès lors toute notion, tout acte, sont en état de concourir à une des conditions essentielles de la mémoire, c'est-à-dire à la reproduction d'une notion acquise dans le centre percevant.

Association et classement des notions acquises. -Il est évident, pour tout homme qui pense, que les notions acquises subissent un classement méthodique sur le canevas organique que la nature leur a préparé, et que ce classement est non-seulement indépendant de la volonté, mais que la volonté la plus ferme ne peut en modifier les conditions.

Au point de vue anatomique, nous savons peu de chose sur ce sujet; mais l'observation intérieure nous fournit les éléments d'une appréciation suffisante.

Lorsque le cerveau acquiert une connaissance, toutes les fois qu'il perçoit une impression, il n'isole pas ces notions dans le centre de perception; au contraire, il les associe à des impressions analogues ou dissemblables, à des impressions de milieu, d'espace et de temps, de façon à faire entrer méthodiquement l'impression nouvelle dans le classement organique de ses acquisitions; c'est ainsi que notre esprit réalise cet ensemble harmonieux de connaissances que la réflexion conserve, polit et perfectionne sans cesse, soit en fortifiant les liens qui unissent entre elles les diverses notions, soit en établissant de nouveaux rapports entre les divers centres de perception.

Grâce à ce procédé ingénieux et simple jusqu'au sublime, chaque jour nous donne la mesure des progrès de notre esprit, puisque chaque jour l'enrichit d'impressions nouvelles qui peuvent modifier plus ou moins les rapports des notions acquises. Ces modifications journalières, ces perfectionnements, ces retouches sont les conditions essentielles des progrès de l'esprit humain, et en même temps la cause de la variabilité des opinions humaines.

Ainsi considéré, le cerveau est un instrument incomparable, représentant les conditions organiques de toutes nos connaissances et imposant à notre intelligence une disposition anatomique des parties naturellement favorable au classement et à la conservation des connaissances acquises. Grâce à cette disposition, grâce à la manière dont chaque notion est classée, unie, associée aux autres notions, l'homme parvient, quand il le veut, soit à se donner le spectacle parfois imposant de ses connaissances, soit à poursuivre isolément une série d'idées particulières.

Mais, parmi les avantages que nous venons d'esquisser, il en est un que nous devons signaler entre tous.

Si le classement et l'association des notions n'existaient pas, l'homme serait obligé d'aller chercher en quelque point du cerveau la notion dont il désirerait la reproduction dans le centre percevant, et, dans ces conditions, l'évolution de la pensée ne serait pas possible. Fort heureusement il n'en est pas ainsi, et la réapparition des notions acquises, par suite de leur association et de leur classement, se fait d'une manière facile, méthodique et en quelque sorte automatique.

Sans le précieux avantage dont nous venons de parler, la mémoire se produirait sans doute, mais comme par hasard, et contrairement à la succession logique des phénomènes qui constituent la pensée.

En conséquence, le classement et l'association des notions acquises doivent être considérés comme une des con

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