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Dans tous les livres de physiologie où la question des mouvements expressifs est traitée, on trouve une accumulation de faits qui donnent, en apparence, une importance énorme à cette question.

Nous condamnons cette exagération dont nous démasquerons la cause par une simple remarque, d'ailleurs nécessaire à notre sujet. On considère l'homme, avec juste raison, comme l'être expressif par excellence; mais il faut distinguer, car il y a expression et expression. On commet, par exemple, une grave erreur quand on énumère parmi les mouvements expressifs naturels certains gestes, certaines attitudes, certains mouvements des organes des sens, qui ne sont autre chose qu'une traduction simplifiée du langage parlé. Nous avons démontré que, entre les mouvements simplement expressifs et le vrai langage, il y a un abîme. Par conséquent, nous éliminerons de notre exposé tout mouvement métaphorique qui, par un geste, ar un regard, traduit tout une pensée formulée déjà au moyen des signes du langage.

Comme chez l'animal, aucun organe, si ce n'est toutefois l'organe vocal, n'est exclusivement affecté chez l'homme aux mouvements d'expression; comme chez l'animal aussi, les mouvements expressifs de l'homme se rattachent aux impressions qui proviennent des fonctions de nutrition, de relation et de reproduction.

Les mouvements expressifs qui se rattachent à l'accomplissement des fonctions de nutrition se généralisent habituellement dans l'attitude de l'homme, et ils expriment soit le bien-être ou la satisfaction, soit le malaise ou le dégoût. Ces mouvements se distinguent des mêmes mouvements chez les animaux en ce qu'ils sont perfectionnés, soit en vue des convenances personnelles, soit en vue des convenances sociales. En général le perfectionnement consiste dans la répression de ces mouvements. Il est inutile d'insister.

Les mouvements expressifs qui proviennent de l'activité des fonctions de relation sont exécutés chez l'homme

par les organes de la locomotion et de la préhension, par les organes des sens, par l'organe de la voix, et ils sont représentés par des gestes, par les jeux de la physionomie, par les sons de la voix, par les diverses attitudes du corps.

Les gestes sont les mouvements expressifs par excellence; ils ont sur les mouvements expressifs de la voix l'avantage de rendre avec plus de clarté, de précision et d'énergie l'expression du sentiment éprouvé. En général le geste dont nous nous servons est une synthèse trèsrésumée de plusieurs signes expressifs déjà formulés dans le langage. C'est le geste métaphorique, dont nous ne nous occuperons pas. Nous ne parlons que du geste instinctif, c'est-à-dire des mouvements des organes de locomotion ou de préhension représentant un sentiment éprouvé et non une formule de langage. Pour voir ce geste dans toute sa richesse et sa pureté, il faut aller l'étudier chez le sourd-muet auquel on n'a encore rien appris et qui invente spontanément le geste expressif dont il fera plus tard le signe-langage.

Les mouvements expressifs attachés à l'appareil extérieur des sens sont moins nombreux chez l'homme que chez les animaux. C'est ainsi que les mouvements expressifs du pavillon de l'oreille manquent complétement chez nous; les mouvements du nez sont tout à fait élémentaires; quant aux mouvements des yeux, s'ils sont simplement expressifs et non la traduction d'une pensée formulée par le langage, les animaux en possèdent autant que nous. En revanche, le jeu de la physionomie est beaucoup plus expressif chez l'être humain; chaque ligne du visage est, en quelque sorte, le résultat d'un mouvement expressif; le contentement, la joie, la tristesse, la colère, se peignent sur elle par des mouvements expressifs autrement précis et éloquents que ceux que l'on rencontre sur le museau des animaux.

Les mouvements expressifs généraux constituent ce que l'on appelle l'attitude; chez les animaux ces mouve

ments sont peu nombreux et ne se produisent que dans des circonstances déterminées. Nous avons noté l'attitude de l'animal qui désire vivement, et dont les parties du corps sont tendues vers l'objet convoité; nous avons noté l'attitude soumise et rampante de l'animal qui craint une correction; nous avons enfin noté l'attitude de l'irritation, de la joie, de la douleur. Ces diverses attitudes sont très-nettement caractérisées chez les animaux, mais elles le sont bien plus chez l'homme en dépit des modifications que, l'éducation et les convenances sociales introduisent dans l'exécution des mouvements expressifs; le contentement, la joie, la tristesse, la timidité, la colère, ont leur attitude particulière, aussi bien que l'orgueil, l'envie, la paresse, la bassesse.

Les divers mouvements expressifs que nous venons d'énumérer laissent une trace visible de leur exécution, quand ils sont provoqués souvent; ils restent dans le maintien, dans la démarche, dans les sons de la voix; c'est pourquoi ils sont d'excellents signes diagnostiques pour connaître l'état de l'âme des individus.

Le perfectionnement des mouvements expressifs chez l'homme, considéré d'une manière générale, semble n'avoir d'autre but que de réprimer leur intensité expressive: il est même certaines convenances sociales qui excluent, d'une façon absolue, la manifestation de quelques-uns d'entre eux. Ce fait est-il calculé ou bien est-il l'expression inconsciente d'un désir excessif de perfectionnement? Nous nous rattachons volontiers à cette dernière manière de voir; nous trouvons qu'il est conforme à l'essence même de l'intelligence de nous entraîner vers la répression des mouvements de l'être sensible. Si ces mouvements ont du bon, en général, ils sont pourtant quelquefois mauvais : il n'est donc pas inutile que, de bonne heure, l'homme soit exercé à les réprimer pour laisser au langage, le mouvement expressif de l'individualité intelligente, le soin de manifester les divers états de notre âme.

On dira peut-être que le langage est un instrument trompeur comme moyen expressif. Rien n'est plus vrai. Mais celui qui est capable de fausser les instruments du langage trouvera bien plus facilement le moyen de fausser les mouvements expressifs. Ne voit-on pas des gens qui ont la larme facile?

Sans faire intervenir le mensonge, on peut dire que, par leur nature même, les mouvements expressifs perfectionnés sont trompeurs; il est des personnes en apparence sensibles et bonnes, «< on voit cela, dit-on, sur leur physionomie: » une chiquenaude à un chien les émeut, l'accident le plus vulgaire qui arrive à un ami les fait pleurer. Déchirez cette écorce sensible et allez au fond des sentiments vrais, c'est-à-dire des sentiments de l'individualité qui dirigent les impulsions et les actes, et vous constaterez souvent que la surface expressive vous a trompé. Là où vous croyez trouver de la générosité, du dévouement, de la sympathie au moins, vous ne découvrirez que de l'égotisme, de la sécheresse, de l'indifférence.

Un autre mauvais côté des natures trop sensibles, dans leurs mouvements expressifs, c'est qu'elles trompent avec la meilleure foi du monde : cela dépend des moments. Leur système sensible descend le thermomètre aussi vite qu'il l'a monté; à cinquante degrés, il promettait tout, trop même; à la température ordinaire non-seulement il ne promet rien, mais il refuse tout, si toutefois il n'exige pas quelque chose.

On voit, d'après cela, qu'on n'a pas tort de réprimer, dans l'éducation, les mouvements expressifs perfectionnés; on ne doit les tolérer que dans les grandes émotions de l'âme, et on les excuse alors, en croyant qu'il n'était pas possible de les contenir. En général, le langage doit être considéré comme la seule manière digne, convenable pour l'homme, de montrer son âme, et, quand il parle seulement, le geste, les divers mouvements expressifs peuvent intervenir pour apporter leur

témoignage discret et soumis aux véritables mouvements expressifs de l'individualité intelligente.

La possibilité précieuse de pouvoir reproduire volontairement, en l'absence des causes naturelles (impressions), les mouvements expressifs les plus variés est la caractéristique des mouvements expressifs perfectionnés. Mais cette possibilité demande à être développée par l'étude et par l'exercice; dans ces conditions elle est une source féconde de mouvements intelligents.

Les hommes qui s'adonnent au théâtre ou qui, par profession, montent dans une chaire ou à la tribune, savent, par eux-mêmes, combien il est difficile de trouver dans l'attitude, dans le geste, dans les sons de la voix, l'expression juste et vraie. Leur succès est d'autant plus difficile que, si les mouvements expressifs sont joués, c'est-à-dire voulus par l'intelligence en dehors des impressions naturelles qui les provoquent, le public qui les écoute et les regarde ne joue pas, lui; il veut qu'on impressionne réellement son être sensitif par des impressions naturelles; en cette matière il est excellent juge, et, s'il est impressionné à faux, l'attention n'est plus captivée et l'intelligence porte un jugement sévère sur le talent de l'orateur.

De la voix. Ayant parlé plus haut du cri et du prétendu langage des bêtes, nous croyons devoir parler ici, pour compléter le parallèle, des mouvements expressifs de la voix qu'il ne faut pas confondre avec le langage. Comme les animaux, l'homme pousse des cris particuliers pour éveiller l'attention, pour exprimer la crainte, la douleur, la joie, la surprise, la colère, la volupté; mais disons tout de suite que, malgré leur perfectionnement, ces mouvements ne constitueraient pas une supériorité réelle sur les animaux, si l'organe de la voix ne contribuait, en même temps, à la production du langage, par ses mouvements. En effet, la voix est la matière première de la parole, et, tout en obéissant aux règles du langage, elle prend l'habitude de conformer son intensité,

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